N°23 | En revenir ?

Monique Castillo

L’idée d’une culture de la résilience

Trois domaines ou disciplines s’intéressent particulièrement à la résilience aujourd’hui : la psychologie, l’armée et l’entreprise. Il n’est donc guère facile de parler d’une culture générale et collective de la résilience sans succomber à la tentation de psychologiser, de militariser ou de managérialiser la réponse. S’intéresser aux blessures invisibles ajoute une difficulté supplémentaire au défi à relever : si la résilience a pu consister à vaincre et à transformer une souffrance imprévisible en invention de forces inattendues, n’est-ce pas le secret qui caractérise un tel travail sur soi ?

Une grande prudence s’impose pour éviter les pièges. On prendra donc la question à l’envers, en cherchant ce qu’il faut éviter de tenir pour une culture de la résilience. Les réponses éthiques que la société pense savoir et pouvoir apporter à l’épreuve de la souffrance n’entraînent-elles pas le risque de faiblesses culturelles invisibles ? Autrement dit : comment faire en sorte qu’une théorie ne satisfasse pas seulement les théoriciens, mais puisse rejoindre les acteurs au cœur même de leur vitalité ? Le premier thème de la réflexion ne sera mentionné que pour être écarté : la culture du victimisme n’est pas une culture de la résilience, même si la bienveillance lui sert de ressort. Le deuxième sera plus délicat à aborder : la culture de la vulnérabilité qui se répand aujourd’hui contient une attention aux souffrances invisibles qui mérite d’être analysée, mais aussi discutée. Le troisième moment posera la question de savoir ce que peut être une culture de la vitalité qui ne soit pas une culture de la performance. Nous trouverons des suggestions dans quelques philosophies de la vie.

  • Victimisme et résilience

« Un enfant qui a vécu des choses très douloureuses est plus fort qu’un autre s’il peut se servir de cette expérience pour s’assumer », écrit Françoise Dolto1. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, connaître le danger pour savoir le mesurer contribue à renforcer la résilience. En psychanalyse, c’est ce que Françoise Dolto appelle le « parler vrai » : il ne faut pas cacher la réalité à un enfant qui va souffrir de la dissolution de sa famille par exemple, sinon on lui ôte les moyens de mettre en mots sa souffrance, de la mettre en son pouvoir en quelque sorte. Dans le domaine de la stratégie, le sociologue allemand Herfried Münkler2, spécialiste du terrorisme, explique que, pour être surmontée, l’angoisse des populations a besoin du savoir. Ce qui affaiblit celles-ci, c’est l’incertitude et l’angoisse créées par l’invisibilité des dangers (avec le terrorisme, en particulier, l’ennemi est non identifiable, l’action non repérable et les motifs peu intelligibles). Aussi, le fait d’identifier, de situer, de nommer, de rendre visibles et intelligibles les menaces permet d’asseoir la résilience sur la compréhension et non sur la fuite en avant, l’illusion ou, pire, le déni du réel.

Pourtant, l’attitude spontanément bienveillante qui prend très aisément, trop aisément peut-être, une dimension collective est celle de la victimisation. Elle est sans doute un prolongement de la compassion que Rousseau, puis Tocqueville ont compris comme étant un sentiment démocratique : comment mieux reconnaître la souffrance d’autrui qu’en la partageant dans l’expérience de la pitié ? La compassion traite tout homme, parce qu’il souffre comme un semblable, comme le prochain ; la démocratie étend la sympathie au-delà des limites des sociétés aristocratiques : « Il n’y a pas de misère qu’il ne conçoive sans peine et dont un instinct secret ne lui découvre l’étendue. En vain s’agira-t-il d’étrangers ou d’ennemis : l’imagination le met aussitôt à leur place. Elle mêle quelque chose de personnel à sa pitié et le fait souffrir lui-même tandis qu’on déchire le corps de son semblable3. » L’égalité des conditions étend, en quelque sorte, la manière de sentir et d’éprouver la douleur ainsi que la disposition à la sympathie vis-à-vis d’autrui.

L’expérience de la compassion, en tant qu’expérience qui va d’un individu à un autre individu, est porteuse de générosité, d’attention et d’inventivité éthique. Mais qui n’a pas fait aussi l’expérience collective d’une compassion dégénérant en victimisme dogmatique, d’autant plus dogmatique qu’il s’apparente à un moralisme qui se juge lui-même infaillible ? C’est dans l’école que j’ai eu personnellement affaire avec cette caricature de générosité imposée. Le danger est d’offrir à un élève en difficulté une exclusion en version douce, portée par une bienveillance qui le cantonne, parce qu’il est malchanceux, dans le camp des marginaux qui sont, certes, reconnus et respectés, mais, pour ainsi dire, institutionnellement installés dans un déclassement définitif en tant que victimes prévisibles d’un échec scolaire anticipé. À cette égalisation dans la marginalité, l’élève préférera sûrement une égalité de participation à des projets de sens ; la tâche de l’école est de lui en donner la force. Même si cela paraît paradoxal et choquant, il est salutaire qu’un élève en difficulté puisse faire de sa difficulté une force, quand on ne l’incite pas à en faire sa faiblesse. Un changement des mentalités est opportun. Parce que nous croyons que la réussite consiste à éviter l’échec, nous plaignons par avance celui qui risque d’être en échec. Mais si nous admettons que réussir signifie surmonter l’échec et non pas l’éviter, alors nous nous engageons davantage dans une pédagogie de la résilience.

Tocqueville, comme Nietzsche, avait compris que la compassion démocratique pouvait nous rassembler sur la base de la faiblesse, voire de la médiocrité, ayant observé le penchant des sociétés démocratiques pour une culture à la fois utilitariste et paresseuse : « Ils aiment les livres qu’on se procure sans peine, qui se lisent vite, qui n’exigent point de recherches savantes pour être compris4. » Il avait analysé le fait que l’individualisme sépare les hommes quand ceux-ci ne cherchent que le bien-être et la sécurité.

Mais la résilience n’est pas analogue à un besoin de sécurité. On considère généralement que le sentiment d’appartenance à une communauté soudée favorise la résilience des individus. Toutefois, le besoin de résilience n’est pas semblable à un besoin de sécurité. Alors que celui-ci est passif et attend tout de l’autre, la résilience est une attitude active : le travail que chacun fait sur soi pour réussir un projet ou pour surmonter un échec est déjà une action, une auto transformation de soi et non une position de victime. La résilience personnelle peut avoir plusieurs tonalités selon le caractère de chacun : engagement, obstination, performance pour les uns ; patience, endurance, résistance pour les autres. C’est par cette transformation active de soi qu’elle peut contribuer à une vitalité collective : convertir l’échec en moyen d’agir autrement… La résilience n’est pas une recette, c’est une auto mobilisation.

  • La culture de la vulnérabilité

Mais nous vivons dans un type de société qui a été nommé « démocratie d’individus »5 ; c’est donc à partir des individus qu’il faut penser les liens de solidarité collective. Le développement contemporain de l’éthique de la vulnérabilité veut lutter contre une vision trop abstraite de la liberté individuelle dans le but de prendre en compte la malchance et la souffrance qui sont des obstacles à la conquête de l’autonomie personnelle. C’est une manière de donner des droits à la sensibilité dans la quête de justice. Car les individus vivent aussi de solidarités, de liens affectifs, de sentiments d’allégeance très forts vis-à-vis de leur entourage et de leurs racines. Un monde d’émotions et d’images a formé leur sensibilité ; ils n’ont pas simplement besoin de lois, ils ont aussi besoin de liens. Ils ne visent pas seulement le juste, ils cherchent aussi le bien, c’est-à-dire les moyens de réussir une vie qui soit bonne.

Il faut une autre éthique que celle de la pitié, une éthique qui cultive la proximité, la sollicitude, la préservation et l’attention. Lorsque nous apportons des soins à quelqu’un, nous ne l’exploitons pas, nous tâchons de le préserver, de procurer une stabilité à sa manière d’être au monde. Il semble alors que l’éthique de la vulnérabilité soit la plus adéquate à la prise en considération des blessures invisibles qui affectent et amoindrissent la vitalité personnelle. C’est là une hypothèse qui mérite examen.

Au risque de me tromper, je crois qu’il faut distinguer vulnérabilité et faiblesse. La faiblesse constate des impuissances semblables. La vulnérabilité porte à la conscience la certitude que toute force se conquiert contre la faiblesse. Elle n’est pas étrangère à la créativité, mais peut être comprise comme une condition de la transformation de la sensibilité par elle-même6. Toute la question est de savoir si, et auquel cas comment, la prise en compte de la vulnérabilité tend à devenir une culture commune, et si cette culture de l’empathie est favorable au concept et à la pratique de la résilience.

Pour une part, une des ressources de l’éthique de la vulnérabilité se trouve dans la philosophie d’Emmanuel Levinas, en particulier dans sa fameuse doctrine de la responsabilité pour autrui. La thèse lévinassienne renverse la logique commune de la pitié : ce n’est pas moi qui me porte avec condescendance vers le malheur d’autrui, c’est l’autre qui, dans sa nudité, sa souffrance ou sa détresse, arrête l’impérialisme ou la souveraineté de mes certitudes morales ; la morale n’est pas le triomphe d’un sujet compatissant, mais l’apprentissage terrible et humiliant de la responsabilité pour autrui (je ne choisis pas d’aider ; quelque chose court-circuite ma volonté et décide sans moi) ; devant la vulnérabilité, je deviens passif7, je n’ai pas d’autre choix que de laisser être et faire être celui dont la possibilité d’exister passe par moi.

Cette philosophie trouve un accomplissement exemplaire dans le cadre de l’hôpital et des patients polyhandicapés, par exemple, c’est-à-dire des personnes dont la vie est dépendante d’autrui. Faire de la vulnérabilité, une éthique du respect et de la protection, sans y mêler l’arrogance ou l’indifférence des bien portants, n’est pas dépourvue de grandeur. Toutefois, il n’est pas sûr que son but ultime soit de développer et de généraliser une culture de la résilience.

Ce soupçon provient d’une autre source de la philosophie de la vulnérabilité, qui est d’inspiration utilitariste. En effet, cet appel à l’empathie comme pouvoir de relier les individus par le moyen de la sensibilité veut aller plus loin que la dignité reconnue par un homme à un autre homme et se porter vers le monde animal pour créer un lien de solidarité, non seulement entre les hommes, mais entre les vivants. L’utilitarisme, ou plutôt le welfarisme, fait du bien-être la mesure ultime de toute raison de vivre. Son souci est donc d’élargir la sensibilité démocratique à tout être susceptible de souffrir afin que sa puissance de jouir de la vie puisse être reconnue, respectée, et donc aidée et soutenue. Mais si la vie s’apprécie seulement au nombre d’opportunités d’obtenir du plaisir, cette philosophie n’évite pas le cynisme quand elle en arrive à se demander si la vie d’un grand singe en bonne santé ne vaut pas mieux que celle d’un humain handicapé : « Tous les êtres humains, et eux seulement, doivent-ils être protégés par le droit, alors même que certains animaux leur sont supérieurs en intelligence et ont des vies émotionnelles plus intenses8 ? » Dans la mesure où cette popularisation de l’éthique de la vulnérabilité s’oriente vers un combat, écologique en son inspiration, qui veut défendre la nature contre l’homme, elle ne répond pas à notre question : qu’est-ce qu’une culture de la résilience ?

  • Une culture de la vitalité

On a compris que la résilience ne peut s’interpréter simplement comme une nouvelle demande d’égalisation des conditions, mais qu’elle appelle plutôt une reconnaissance publique de la vitalité paradoxale qu’elle met en œuvre. Comment dire culturellement cette vitalité ? Faire d’un malheur une force, transformer la malchance en chance, voilà qui ressemble à la virtú conçue par Machiavel, talent ou compétence qui consiste à provoquer la fortune pour la tourner à son avantage.

Le langage de la performance reconnaît la vertu de la résilience. Le talent d’un entrepreneur est de convertir les faits bruts en opportunités. Ne nous hâtons pas de juger impopulaires ou immorales ces considérations : nous donnons à nos enfants la formation nécessaire pour qu’ils vivent de cette culture de la performance, ou pour que, du moins, ils lui survivent.

Le modèle du self-made-man correspond assez à ce que peut être une culture générale et collective de la résilience. On respecte en lui une puissance toute particulière et particulièrement prisée : celle de se transformer sans cesse pour s’adapter. Plus spécifiquement, cette vertu est un héroïsme jugé indispensable au quotidien pour affirmer son existence comme une existence individuelle dans un monde sans repères9.

Pourtant, cette version ne nous convainc pas. Quelque chose résiste en nous à l’idée d’identifier performance et résilience, même si nous comprenons et admettons que la résilience ne saurait être cultivée comme contre-performance. Certes, la performance inclut la résilience. Les Jeux paralympiques, par exemple, expriment une volonté collective d’admiration pour ceux qui font reconnaître leur handicap comme une puissance d’agir et de combattre à l’égal des autres : ils montrent que le talent, le courage, la détermination ne sont pas seulement les compétences « naturelles » des bien portants, mais qu’ils sont en la puissance de la volonté d’agir, d’affronter et de résister de chacun, dont ils expriment la volonté de pouvoir. Toutefois, cette performance du handicap, tout comme celle de l’entrepreneur, repose, en dernier ressort, sur l’individu, sur sa force, sa résolution et son courage, mais aussi sur sa solitude. Pour qu’une culture de la résilience existe vraiment comme culture collective possible, il faut porter la confiance au-delà des performances individuelles, lesquelles restent aléatoires et circonstancielles, quelles que soient l’intensité et la détermination de la volonté personnelle de chacun.

Une culture de la résilience a besoin de porter la confiance jusque dans la vie elle-même, de voir partagée une même foi dans le sens qui lui est donné. La résilience, me semble-t-il, a besoin de faire coïncider la culture et la vie, de voir dans la culture un facteur de vitalité, de retrouver en soi-même, chez les autres et dans la communauté dans son ensemble, la même vitalité culturelle. Deux suggestions philosophiques peuvent illustrer cette idée de résilience comme source et effet d’une même vitalité culturelle : Henri Bergson et José Ortega y Gasset.

Bergson associe l’énergie personnelle à la créativité interne de la vie elle-même. Ainsi, la résilience suppose que l’on choisisse entre deux philosophies de la vie. La plus ordinaire est de viser la sécurité, la stabilité : nous nous protégeons des dangers et cherchons à prévoir des lendemains plus sûrs. C’est l’intelligence qui se consacre à cette tâche : elle nous fait ingénieurs, médecins, soldats, mathématiciens et physiciens. Elle organise le monde en fonction de nos besoins, elle adapte notre langage aux nécessités du travail, elle réduit notre expérience à des cadres habituels, connaissables, maîtrisables. C’est à ce prix qu’elle nous rassure : elle fixe notre compréhension du réel dans des cadres mécaniques et installe notre action dans les limites sécurisées de l’utile.

Mais la vie s’éteindrait si elle devait s’épuiser tout entière à ce travail de réduction d’elle-même. C’est comme si l’on voulait supprimer la vie pour éviter le danger de vivre. Il faut qu’existe une autre dimension de la vie pour nous protéger des menaces sécuritaires, il faut une autre vie que celle qui se protège, qui se clôt et qui s’arrête, une autre que celle que nous fabrique l’intelligence : il faut la vitalité même de la vie, c’est-à-dire de celle qui se crée elle-même, la vie qui s’invente, la vie qui procède par transformations ininterrompues. Cette philosophie de la vie fait de la résilience bien plus qu’une capacité de résister : une capacité de se reconstruire.

Ortega y Gasset, s’interrogeant, dans les années 1927-1930, sur la capacité culturelle de l’Europe à résister à la montée des totalitarismes, explique que l’Europe est en crise quand elle ne sait plus commander, car le commandement est de nature spirituelle. Commander ne signifie pas dominer et écraser autrui, mais orienter la vie vers un but. Il affirme que « le commandement ne se fonde jamais sur la force », au point d’asserter qu’« obéir, c’est estimer celui qui commande ». Le commandement est une force morale qui se rapporte à l’énergie même de la vie. Ce qui distingue le commandement de la violence, c’est qu’il est de nature spirituelle : il repose sur l’opinion, l’adhésion et l’approbation, facteurs immatériels auxquels il donne une existence publique effective ; celui qui commande donne sens aux aspirations et aux potentialités d’une communauté ou d’une époque, il fait sortir la vie de son inertie et de son vide en concentrant l’énergie des forces vitales auxquelles il donne une mission et un destin, dans la mesure où la vie réclame de se vouer à une destination suprême. Ainsi, le commandement est la manière dont la vie se propose le dépassement de soi, en s’opposant elle-même à la tentation d’inertie qui la guette inévitablement. Il faut donc renverser une illusion commune : l’absence d’autorité n’augmente pas la vie, mais la ramène à une pure disponibilité sans emploi et dépourvue de sens. S’il est vrai que « la vie créatrice est une vie énergique », alors l’autorité est une force vitale en même temps qu’une force morale.

« La vie humaine, de par sa nature même, doit être vouée à quelque chose, à une entreprise glorieuse ou humble, à un destin illustre ou obscur. Il s’agit là d’une condition étrange, mais inexorable, inscrite dans notre existence. […] Livrée à elle-même, chaque vie reste seule, en présence d’elle-même, vide, sans rien à faire. L’égoïsme est […] un chemin qui ne mène nulle part, qui se perd en soi-même à force de n’être qu’un chemin en soi-même10. »

  • Conclusion

Ces considérations viennent du passé et nous laissent bien solitaires devant la tâche de penser une culture de la résilience dans le temps présent. Du moins pouvons-nous constater que l’individualisme des sociétés contemporaines est un faux ami culturel de la résilience. Il met l’individu au centre de toutes les responsabilités, dans l’entreprise, face à l’environnement, face à la vie de couple, face au stress et aux culpabilités professionnelles multiples..., et il le rend seul responsable des échecs de sa vie et de ses projets. Cet individualisme obligé reflète le déficit d’amour qui caractérise le style de la sensibilité collective d’aujourd’hui. Le droit d’avoir des droits marque à tel point la virulence revendicative qu’elle devient destructrice de résilience. L’individualisme extrême ne sait pas qu’il détruit la solidarité collective qui lui permettait tout simplement d’exister.

Les pratiques professionnelles inventent semble-t-il une certaine forme de résistance à ce déficit culturel de résilience dans la forme de la générosité. Celle-ci n’est pas la pitié ou la compassion. Elle n’est pas une simple posture morale qui serait le résultat d’un effort contre-nature, elle n’est ni faiblesse ni compassionnalisme ni victimisme, mais une création d’énergie vitale qui porte la vie au-delà d’elle-même, au-delà des conventions et des calculs. La générosité, chez un médecin, un chef militaire ou un professeur, est l’attitude qui cherche à ne pas maintenir l’autre dans l’assistance ou la dépendance, mais qui lui communique le pouvoir de pouvoir, la « capabilité », la puissance de vouloir et de faire. C’est un don qui suscite le contre-don, le plus souvent dans une facture modeste et discrète, invisible ; c’est l’action de recréer la puissance d’agir dans un autre que soi. Redonner à autrui le pouvoir de ce qu’il peut, n’est-ce pas un langage plus militaire que civil ? Mais si l’armée représente, pour la société civile, le modèle exemplaire d’une communauté résiliente, quels modèles de résilience la société civile peut-elle à son tour apporter à l’armée ?

1 Françoise Dolto, Andrée Ruffo, L’Enfant, le Juge et la Psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999.

2 Herfried Münkler, « Le rôle des images dans le terrorisme », Inflexions14, 2010, p. 45.

3 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome II, partie III, chapitre I, Paris, Garnier-Flammarion, 1981, p. 208.

4 Ibidem, tome II, partie I, chapitre XIII, p. 73.

5 Joël Roman, La Démocratie des individus, Paris, Calmann-Lévy, 1998.

6 « C’est sans doute dans les arts que la vulnérabilité est la plus féconde et la plus créatrice. Il faut des êtres sensibles, et même plus sensibles que le commun des mortels, pour éprouver la fragilité des choses et la sienne propre […]. Des vulnérabilités, souvent douloureuses, ont été métamorphosées en créativité et en inventivité. » Paul Valadier, « Apologie de la vulnérabilité », Études, février 2011.

7 « Le prochain me concerne avant que mon cœur ou ma conscience aient pu prendre la décision de l’aimer. Le visage, en lui, est cette puissance prescriptive qui me dépose de ma souveraineté et me contraint à une passivité radicale. Amour, si l’on veut, mais amour à contrecœur, amour éprouvant ; amour qui est le nom le plus courant de la violence avec laquelle l’Autre me débusque, me revendique et me pourchasse jusque dans les recoins du quant à soi. » Alain Finkielkraut, La Sagesse de l’amour, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1984, p. 144.

8 Peter Singer, Comment vivre avec les animaux ?, Paris, Le Seuil/Les Empêcheurs de penser en rond, 2004, p. 115.

9 « À travers la concurrence s’impose peu à peu à tous les niveaux de la société une série d’images de vie et de modes d’action qui poussent n’importe qui, quelle que soit sa place dans la hiérarchie sociale, à occuper une position qui rend visible sa seule subjectivité, ce par quoi chacun est différent, c’est-à-dire simultanément unique et semblable. Chacun doit désormais s’impliquer dans la vie professionnelle, la consommation, les loisirs ou la politique au nom de lui-même. […] L’héroïsme de masse […] est le style de la certitude quand il n’y a plus de certitude, quand nous n’avons plus que nous-mêmes pour nous servir de référence. » Alain Ehrenberg, Le Culte de la performance, Paris, Hachette, « Pluriel », 1991, p. 287 (parties soulignées par l’auteur).

10 José Ortega y Gasset, La Révolte des masses, Paris, Les Belles Lettres, 2010, pp. 217-218.

L’envers de la médaille | X. Boniface
E. Irastorza | Le rôle du commandement