On raconte qu’un jour, le sujet de philosophie donné au baccalauréat ayant été « Qu’est-ce que le courage ? », un élève a répondu : « Le courage, c’est cela. » La formule introduisait une copie blanche. L’anecdote, vraie ou fausse, suscite toujours les mêmes réactions, contradictoires. « Ce n’est pas du courage, mais de l’intrépidité » ; « Tout de même, il a du cran » ; « Non, c’est de la provocation plutôt que du courage »…
Le courage ne saurait-il donc plus comporter un sens commun qui puisse servir de référence à une même collectivité ? Se serait-il « privatisé » au point de n’être plus qu’un comportement simplement probable au gré des circonstances et des individualités ?
Qu’il existe une ou plusieurs cultures du courage n’est pas douteux. Mais il peut exister aussi une culture du découragement. À bien examiner le sens de ces deux réalités, on peut se demander si leur contrariété n’ouvre pas la voie à une nouvelle culture du courage, qui doive être à la mesure des défis, souvent si difficiles à percevoir, analyser et comprendre, provoqués par plusieurs mutations brutales du monde contemporain.
- Où est le courage ?
Que le courage, au moins dans l’imaginaire des peuples, puisse agir comme principe d’union et de solidarité, l’histoire en donne maints exemples. Rousseau, au xviiie siècle, rappelle à ses contemporains la force morale des vertus spartiates et son lecteur comprend que le courage guerrier peut servir de modèle pour les vertus publiques : ténacité, résistance, dépassement de l’intérêt immédiat, dévouement à une cause… Hegel, au xixe siècle, trouve dans le patriotisme gréco-romain l’exemple d’une énergie collective par laquelle l’intérêt du tout, d’une manière quasi-mystique, donne sens à l’action des parties. L’imaginaire populaire de la tradition républicaine en France réunit dans un même idéal-type le courage du guerrier et celui du travailleur, le devoir civique associant le travail au champ, l’instruction des jeunes et le sacrifice de soi dans un même type de probité. Ce qui ne veut pas dire que chacun était courageux, mais que chacun attendait d’autrui qu’il se réfère à une même image de la valeur sociale. Agissant ainsi comme une exhortation à la fois individuelle et collective, sa fonction sociale se confondant avec sa valeur éthique, le courage était un facteur d’unité politique ; qu’il s’agisse d’assumer son rôle jusqu’au bout (« cette veuve est courageuse »), de supporter l’épreuve du sort (« ce mourant est courageux »), de vaincre la paresse (« cet élève travaille courageusement »), de surmonter la peur (« ce sauveteur n’écouta que son courage »)…, l’hommage rendu au courage en son sens civique témoigne d’une croyance partagée dans la transcendance de l’intérêt commun, une transcendance perçue comme ce qui unit et ce qui résiste à l’adversité (guerres, crises, catastrophes).
Cette image du courage semble déjà fort lointaine, pour ne pas dire « ringarde », et elle peut sans doute faire sourire les sceptiques comparativement à la représentation qu’ils se font de la nature humaine et du lien social en général. Peut-être aussi a-t-elle pâli devant l’apparition, en France tout au moins, de l’intellectualisation du courage : la philosophie et la littérature de l’engagement ont associé le courage, devenu l’apanage des intellectuels, à une pratique de la pensée et de l’écriture. Le sens du courage restait bien concentré sur l’idée de lutte, mais la tonalité protestataire (lutte « contre ») l’emportait sur la dimension affirmative (lutte « pour »), principalement dirigée contre le pouvoir, plus exactement contre l’illusion que le pouvoir fasse toujours le bien du peuple. Avec sa pratique du soupçon à l’égard des politiques, des élites et de leur reproduction institutionnelle, l’intellectuel engagé se mettait au service d’une autre idée de la liberté, celle qui délivre de l’aliénation, c’est-à-dire des croyances qui enchaînent et font de l’obéissance la complice des violences d’État : il importait que la vertu civique fût déniaisée et le courage spécialisé dans la résistance aux puissances.
Pour une part, c’est à une forme radicale de responsabilité que cette catégorisation du courage comme vertu intellectuelle s’associe. Sartre est sans doute l’un des intellectuels les mieux connus des classes terminales pour sa dénonciation de la lâcheté, et ce parce qu’il fait précisément de la lâcheté un vice intellectualisé, le manque de courage devenant méconnaissable quand chacun entreprend de le justifier par des alibis pseudo-rationnels, empruntés à la psychologie, à la science sociale ou à l’histoire : c’est la « mauvaise foi ». L’essence de la lâcheté se déplaçant dans le mensonge sur soi devant les autres, l’essence du courage devenait la force de se reconnaître publiquement responsable, courage de la transparence sur soi devant autrui. Une nouvelle qualité attendue des politiques (le parler vrai) se trouvant hiérarchiquement placée au-dessus de la maîtrise de la force, devenue, elle aussi, objet de soupçon.
Pour une autre part, l’engagement prend aussi le sens d’un enrôlement dans un camp contre un autre. Il pousse par anticonformisme à de nouveaux conformismes, en y perdant alors le sens du courage intellectuel ; au lieu de servir le vrai, par-delà les options partisanes, il rationalise son choix particulier dans le but de rassembler pour enrôler ; au lieu de combattre les artifices du pouvoir, il met son habileté à choyer celui à qui il donne la préférence. L’intellectuel « engagé », devenant séducteur et propagandiste, tire profit du courage qu’il suscite au sein des masses pour construire son propre chemin vers le pouvoir ; il oublie le prix du service de la vérité, qui accepte le risque d’être ignoré, incompris et méprisé.
La professionnalisation de l’action militaire marque une nouvelle étape de la relation entre le public et le courage. Le courage militaire n’est pas nié, loin s’en faut, il est salué comme le courage d’une communauté en particulier, une communauté parmi celles qui aident, sauvent et soignent, au prix de leur vie si c’est nécessaire ; le respect du public est total, mais il s’exerce dans la distance, car, si le soldat est reconnu comme exemplairement courageux, il a cessé en même temps d’être le même que nous, fait de la même substance, de la même étoffe, né du même imaginaire fondateur : on le comprend et on l’admire, tout en pensant qu’il fait un curieux choix de vie, difficile à généraliser. Dans une époque que l’on caractérise parfois comme celle de la « religion de la retraite », et même si le propos est d’abord polémique, cet étonnement devant le courage est révélateur : le courage est devenu une vertu professionnelle, il fait l’objet d’un choix personnel de la part de certains individus, dont la « différence » est remarquée. Le risque de cette coupure est d’aboutir à une situation socialement et culturellement étrange, où le courage est la vertu propre d’une profession qui aurait désormais vocation à protéger l’ensemble de ceux qui s’emploient à se préserver de la nécessité d’avoir du courage. Faut-il penser qu’une éthique du courage, statutairement cantonnée dans le corps militaire, servirait à perpétuer une culture du découragement, devenue caractéristique de la société civile ?
- Le temps du découragement
Le découragement qui s’empare d’un individu est un phénomène psychique et moral que chacun peut connaître par expérience : une sorte de panne de l’énergie vitale se produit parce qu’elle n’est plus mobilisée par un projet de sens capable de conférer à l’effort à la fois une orientation et une dignité propres ; le découragement se présente alors comme une démobilisation. Mais une culture du découragement peut prendre un tout autre aspect, celui d’un bonheur sans contrainte et d’une liberté sans frein. C’est là le paradoxe d’une mobilisation nourrie quotidiennement par le découragement, d’une activité bornée à exaucer des vœux, qui, ignorant ou écartant le besoin du courage, prépare à sortir d’une culture du courage.
L’impératif du progrès, par son ambivalence, peut avoir cette efficacité trompeuse, l’effort de progresser ayant pour but ultime de se supprimer lui-même comme courage de l’effort. C’est ainsi que l’idée du progrès, après avoir été un mobile d’émancipation par volonté de transformer le sort de l’espèce humaine, devient une simple idéologie au service du processus de reconduction de la consommation par innovations continues. Si le pouvoir, à l’âge postmoderne, veut se passer de légitimation religieuse, morale ou idéale, c’est que sa propre justification se borne aux besoins de la consommation, au point que, parfois, l’éloge du pacifisme n’exprime plus qu’une aspiration au repos à l’abri des conflits, un repos qui pourrait perdurer, comme par inertie, dans un même mode de vie uniformisé pour toujours. C’est que la conscience technocratique l’emporte sur la conscience morale1, préférant à une solution éthique, qui implique effort et privation, une solution technique, qui fournit des substituts artificiels. Il est certes normal d’utiliser les possibilités techniques (médicales, industrielles ou militaires) pour prolonger l’action humaine, mais considérer que tout est susceptible d’un traitement technique, même la volonté, c’est faire comme si nos manières de penser n’étaient pour rien dans les malheurs qui nous frappent et oublier que la maladie, la souffrance et la mort ne peuvent se passer d’une prise en charge morale et spirituelle courageuse, qu’elle soit athée ou religieuse.
Le découragement n’est pas inactif, il épouse l’idéologie contemporaine de la performance, laquelle fonctionne par obstination dans le même processus de réitération indéfinie de soi : être performant pour rester performant. Mais le stress qui lui sert de moteur n’est pas le courage, c’est un phénomène qui use et détruit les individualités, sans les ennoblir des sacrifices qu’elles ont consentis. Le découragement caractéristique de la performance consumériste tient à ce qu’il réduit la vie à une pure passivité, dans la joie comme dans la peine. La vie devient une réalité subie (le « vécu »), c’est un capital personnel conçu comme une somme d’opportunités de plaisir, mais en perpétuel danger d’être perdu, gaspillé ou endommagé. Sans doute est-on toujours mieux soigné, mais en passant le temps à imaginer la maladie ; sans doute est-on mieux informé, mais en vivant des peurs multiples. La sécurité finit par être une charge aussi lourde à supporter que le danger lui-même (épuisement de l’énergie vitale dans les luttes quotidiennes pour se maintenir jeune et valide, rester dans la mode, résister à l’obsolescence professionnelle, compenser les pannes de l’amour...).
Le découragement n’est pas amoral, il entretient même souvent un hypermoralisme. Ainsi, le souci du bien-être pour tous alimente une morale compassionnelle toujours plus élargie, nos contemporains faisant du bonheur, compris comme accumulation de plaisirs, une unité de mesure qui permet d’étendre le droit au respect d’autrui et à l’estime de soi aux animaux (et même aux robots…). C’est une philosophie utilitariste qui gouverne ainsi un victimisme qui tend à s’ériger en pensée morale unique. Si, en effet, il n’est d’autre valeur que d’éviter la souffrance et de maximiser les plaisirs, la liberté, le don de soi, la création poétique… étant des préférences et donc des valeurs au même titre que l’appât du gain ou le goût du sport, il devient possible d’égaliser démocratiquement les intérêts de tous les vivants, les hommes n’étant plus qu’une sous-partie du règne animal.
Mais cette « généreuse » multiplication des droits offre-t-elle autre chose que des libertés négatives ? Elle fait, certes, bénéficier du droit de n’être pas méprisé, de n’être ni discriminé ni exclu des bienfaits collectifs, mais sans bâtir pour autant d’autres formes de vie. C’est pourquoi, peut-être, l’individualité décomplexée, devenue un produit populaire de cette éthique négative, reste une forme d’individualité découragée, non parce qu’elle manque de force, mais parce qu’elle manque de buts2.
L’hypermoralisme européen s’approfondit de l’intérieur en reconnaissant à des populations toujours plus variées et plus nombreuses le statut de victime d’une discrimination (enfants, handicapés, étrangers, homosexuels, individus désireux de changer de genre, animaux…3), mais en décourageant l’entraide et au risque d’ignorer comment pense et agit le reste du monde. Comment aider autrui par amour ou par solidarité dès lors que ses droits à l’aide passent par le canal de qualifications juridiques très ciblées, minutieuses et incontournables ? La victimisation a pour défaut de réduire l’aide à l’assistance et d’associer l’assistance à l’incapacité, terme peu encourageant… Restant à l’étroit chez lui, notre universalisme ne se développe que de l’intérieur et pour l’intérieur de l’Europe quand il exalte des droits humains que nombre de peuples étrangers ignorent ou rejettent. Cette séparation entre deux langages, celui de la paix selon le droit (langage de la grande tradition cosmopolitique de l’Europe) et celui de la lutte dans la course à la puissance (dont la crise financière commencée en 2008 révèle la féroce réalité, au détriment de l’Europe), fait craindre que prospère une indifférence obstinée à la montée des périls.
- Le courage qui vient
Ce qui réclame individuellement et collectivement du courage est de trouver en soi la force de vouloir ce que l’on est et d’être ce que l’on peut, la force de vouloir pouvoir, devenue si nécessaire pour affronter la montée des dangers ; une telle force n’est pas le pouvoir d’acquérir plus de pouvoir mais la capacité des accomplissements, la puissance de porter à l’existence les potentialités absurdement sacrifiées au règne de la défiance généralisée, des satisfactions illusoires et des reconnaissances imaginaires, la force de résister à ce que laisse faire le découragement : la destruction des solidarités culturelles démocratiques.
La démocratie peut se faire l’ennemie d’elle-même, la chose est connue et a été abondamment analysée. Il n’est pas impossible que ses propres valeurs, aujourd’hui, l’empêchent de voir le danger. À commencer par l’illusion rhétorique d’unité consensuelle. Un certain nombre de mots passe-partout, comme « pluralisme », « identité », « ouverture » noient la contradiction entre des revendications adverses sous le couvert d’une illusion de consensus, en quoi consiste leur pouvoir rhétorique. C’est ainsi que la souveraineté des médias permet d’exploiter la confusion des idées dans des jeux de pouvoir inédits et peu lisibles, mais en aggravant la faiblesse des valeurs ainsi instrumentalisées puisque le « consensus » sur les mots permet d’oublier, de nier ou de renier les faits, séparant ainsi toujours plus le domaine du sens (les mots) et celui de la réalité effective (l’expérience). La souveraineté médiatique, qui impose la rhétorique du sens en désignant au public ce qui vaut d’être dit, vécu, apprécié ou combattu4, a créé à notre insu (mais notre indifférence ne fonctionne-t-elle pas aussi comme une complicité ?) un empire du sens autorisé qui emprisonne chacun au plus intérieur de lui-même, là où émerge le sens des mots qu’il emploie, mais de seconde main, pourrait-on dire.
D’un autre côté, les individus immergés, quant à eux, dans la vie concrète, éprouvent au cœur de leur action la résistance du réel, l’âpreté des combats, les supercheries et les ingratitudes qui font l’ordinaire des humiliations, les faux contrats et les fausses promesses qui découragent les projets et les ambitions, la « vraie » vie, enfin, dont la nudité brutale est désormais vécue « hors les mots » qui sont permis, parce que la rhétorique de la tranquillité pour citoyens ordinaires les a rendus indicibles… Ainsi, là où est la force (celle de la fécondité, qu’elle soit familiale, professionnelle, associative, esthétique, solidaire…), là n’est pas le sens ; et là où le sens (un monde magiquement consensuel sans frontières et sans conflits), là n’est pas la force. Nietzsche voyait dans cette alchimie qui sépare la force de ce qu’elle peut la genèse de la faiblesse, de cette faiblesse particulière qu’était, à ses yeux, le mode de vie que l’Europe choisissait pour en faire son avenir et son malheur.
Il faut du courage pour surmonter une fracture culturelle qui ronge l’intimité individuelle et divise le corps social entre son éthique et sa force, au risque de réduire la vie politique à une opposition catastrophique entre le cynisme (force sans éthique) et le nihilisme (éthique sans force). Aller au-delà de cette opposition ravageuse, renoncer à la sécurité de se croire justifié par l’appartenance à un clan, savoir que le point de vue du Monde, si nécessaire pour servir d’observatoire de la mondialisation, n’existe pas encore et n’est donné à personne, autant de sources d’angoisses et d’interrogations qui ont besoin du courage comme autre mobile éthique et culturel.
À un tel courage d’être et de faire être correspond l’idée de capabilité. C’est un concept qui est ici emprunté de façon très libre à la science économique (en particulier à Amartya Sen) et à l’éthique (en particulier à Paul Ricœur) pour tenter d’en dégager la force culturelle. Si nous admettons un instant que la véritable affaire de l’économie n’est pas le bonheur mais la justice5 et que la justice ne consiste pas à faire le bonheur de tout le monde (comme si la quantité des bénéficiaires prouvait la valeur du principe), alors on se démarque quelque peu du « matérialisme » culturel dominant, terme qui sert à dénoncer, en vérité, un culte du bien-être qui a fini par devenir la mesure de toute valeur. La capabilité (A. Sen) désigne un pouvoir effectif d’agir plutôt qu’une simple possibilité évasive, et le concept d’homme capable (P. Ricœur) désigne la puissance d’être et de faire d’un individu qui est l’auteur actuel d’une action plutôt qu’une entité fictive pourvue de droits abstraits. Redécouvrir le courage comme puissance d’agir et comprendre la liberté comme capacité de faire plutôt que comme avantage personnel relèvent de la même démarche : répudier la croyance dans la suprématie de l’intérêt immédiat. Il est facile de croire que le calcul de son profit immédiat est le mobile le plus fort qui puisse habiter un individu. Mais c’est pourtant là une naïveté, une naïveté qui a été popularisée par une vision plus commerciale que véritablement réaliste. Qui ne reconnaîtrait dans la passion de l’honneur, de l’amour ou du savoir une énergie bien plus mobilisatrice ? Considérer le calcul du bien-être comme le mobile le plus répandu a d’ailleurs des effets moralement choquants : oserait-on penser que la justice doive se régler sur le désir d’impunité du criminel parce que tel est son avantage ? Oserait-on penser que l’instruction doive se régler sur le désir de ne pas apprendre parce que celui-ci procure plus de bien-être que l’effort ? Oserait-on prendre le découragement comme modèle ordinaire et normal de l’action collective ?
Si le courage et la capacité d’agir ont besoin d’un même retournement mental pour redevenir perceptibles, peut-être est-ce dû au fait que notre civilisation privilégie (impératif de communication) ce que nous signifions au détriment de ce que nous sommes, ce que symbolise notre action plutôt que ce qu’elle fait réellement. Mais le langage de la capacité d’être, de faire et d’agir porte en lui la force de concurrencer cette rhétorique de l’apparence parce qu’il redonne accès à la réalité. La capabilité, loin de multiplier des chances imaginaires de réussites improbables, veut être l’incarnation de ce que nous savons, voulons et pouvons dans des actions, des entreprises et des réussites qui font du monde ce qu’il est. S’instruire n’est pas conformer son esprit à un modèle étranger et abstrait, mais transformer des dispositions en talents véritables. La compétence médicale ne se limite pas à la guérison des corps quand elle contribue à restaurer la puissance d’agir des patients. La défense militaire de la nation ne se borne pas à obéir à la politique du moment dès lors que sa vocation est de prolonger la capacité d’une société à être et demeurer l’acteur indépendant de son existence et de son unité. Dans ces quelques exemples, les raisons d’agir sont des capacités de faire qui révèlent des ressources que le simple calcul est incapable de produire, comme d’ajouter au devoir le surplus d’une solidarité dont on peut faire le don ou d’user de son énergie sur le mode de la dépense plutôt que de l’économie quand il s’agit de promouvoir des buts souhaitables ou d’anticiper des puissances d’agir qui regardent l’avenir. Reconnaître le courage qui est déjà à l’œuvre chez ceux qui contribuent à maintenir, restaurer ou inventer la capacité d’agir des autres, en dépit de l’oubli ou de l’ignorance où ils sont tenus, annonce, peut-être, un courage qui vient.
1 Jürgen Habermas fait cette distinction dans La Technique et la science comme « idéologie ».
2 Vu à Luxembourg : au cœur de la ville, un motard portant un casque de guerre allemand, affirmation décomplexée de soi contre le conformisme supposé du public.
3 Chantal Delsol observe que ce n’est plus l’individu-sujet qui est le bénéficiaire légitime des droits de l’homme d’aujourd’hui, mais le désir en général, L’Àge du renoncement (Paris, Le Cerf, 2011, p. 267).
4 Analyse de Guy Debord, bien connue dans La Société du spectacle.
5 Amartya Sen, L’Idée de justice, Paris, Flammarion, 2009, p. 335.
It is said that a pupil sitting the baccalauréat when the topic to be discussed in Philosophy was “What is courage?” once replied “This is courage!” and handed in an otherwise blank script. Whether or not it is true, the anecdote always provokes the same (contradictory) reactions: “That is not courage; it’s boldness”, “You’ve got to admit, he’s got guts” or “No, that’s just being provocative, rather than showing courage.”
So, couldn’t we have more of a consensus on the meaning of courage so that it can serve as a model for people in the same group? Has the concept been “privatised” to the point of being no more than a way of behaving that is simply probable, depending on the circumstances and the individuals involved?
There is no doubt that there exist some cultures characterised by courage, but there can also be cultures that militate against courage. If you examine closely the significance of these two realities, you may wonder whether their apparent contradiction doesn’t open the way to a new culture of courage, that must be equal to the challenges, which are often so difficult to sense, analyse and understand, being caused by a number of sharp changes in the contemporary world.
- Where can courage be found?
There are numerous examples from history showing that courage, at least in people’s imaginations, can act as a unifying principle expressing solidarity. In the 18th century, Rousseau reminded his contemporaries of the moral strength of Spartan virtues, and his readers understood that a warrior’s courage can serve as a model for public virtues: persistence, resisting, going beyond the immediate concerns, devotion to a cause, etc. In the 19th century, Hegel found Graeco-Roman patriotism to exemplify a collective energy through which, in a quasi-mystical way, the interest of everybody gave direction to the action of the various parties. Popular imagination of France’s republican tradition unifies in a single ideal type the courage of a of warrior and that of a worker, with civic duty covering work in the fields, the education of young people and self-sacrifice in a single manifestation of integrity. That does not mean that everyone displayed courage, but that everyone expected that other people would share the same picture of a social value. Acting also as both an individual and collective exhortation, its social function becoming intermixed with its ethical value, courage was a factor in political unity. Whether it was a matter of playing one’s part right to the end (“That widow is brave.”), standing up to the trials that fate throws at us (“That man is facing death bravely.”), overcoming laziness (“That pupil is working bravely.”) or overcoming fear (“That rescuer paid attention to nothing but his courage.”), the tribute paid to courage in the civic sense testifies to a shared belief in the transcending nature of the common interest, that transcendence being perceived as the unifying factor, overcoming adversity (wars, crises and disasters, etc.).
This image of courage already seems a long way distant, not to say “old-fashioned”, and doubtless it can make sceptics smile when compared with how they see human nature and social connections in general represented. Perhaps it has also faded when confronted with the appearance, at least in France, of an intellectualisation of courage. The philosophy and literature of commitment have combined courage, which has become the province of intellectuals, with thinking and writing practice. The idea of courage remained focused to a great extent on that of fighting, but the tone of protest (fighting against something) overcame the affirmative aspect (fighting for something) and was mainly directed against the authorities or, more precisely, against the idea that the authorities always act for the people’s good. With the practice of being suspicious of politicians, élites and the institutions that represent them, committed intellectuals put themselves at the service of another idea of liberty, one that brought freedom from alienation, that is beliefs that are interlinked and make obedience complicity in State violence; it was important for naive conceptions of civic virtue to be removed and for courage to be focused in resisting the powers that be.
On the one hand, this classification of courage as an intellectual virtue is associated with a radical form of responsibility. No doubt Sartre is one of the intellectuals best known to students in their final year at high school for his denunciation of cowardice, and that was precisely because he treated cowardice as an intellectualised vice, with the lack of courage becoming unrecognisable when everyone participates in justifying it by pseudo-rational excuses borrowed from psychology, sociology or history; it is “bad faith”. With the essential nature of cowardice shifting to being untrue to yourself in front of others, the essential nature of courage became the strength to recognise yourself as publicly responsible: the courage of being transparent to yourself in front of others. A new quality expected of politicians (speaking truly) could be found higher up in the hierarchy controlling force, with that too coming under suspicion.
On the other hand, the commitment also implies enlisting in one camp which is opposed to another. Through non-conformism, it pushes people into new forms of conformism by losing the sense of intellectual courage; instead of serving what is true, going beyond partisan options, it rationalises its particular choice with the aim of bringing people together for them to enlist; instead of fighting the ingenious devices of power, it uses its abilities to pamper anyone to whom it gives preference. A “committed” intellectual who becomes a seductive propagandist takes advantage of the courage he arouses in the masses, to build his own road to power. He forgets the price of serving the truth, which accepts the risk of being ignored, misunderstood and despised.
The professionalisation of military action marks a new stage in the relationship between the public and courage. There is no denial of military courage, far from it, but it is hailed as the courage of a particular community, one community among those that assist, save and nurture, at the cost of the practitioners’ lives if necessary. The public’s respect is total, but it acts at a distance as, while soldiers are recognised as showing exemplary courage, they have at the same time ceased to be the same as the rest of us, made of the same flesh and blood, the same hopes and fears, created by the same founding imagination. We can understand and admire it, while still thinking that it is a curious life to choose, difficult to reach general conclusions about. In a period that is sometimes described as that of a “religion of retirement” and even if the ideas put forward are initially controversial, the surprise in the face of courage is revealing: courage has become an occupational virtue, the subject of a personal choice by some individuals, whose difference is noticed. The risk with this split is that we arrive at a situation that is socially and culturally alien, where courage is a virtue specific to one occupation which from now on has the function of protecting all of those who make use of it to protect themselves from the need themselves to have courage. Must we think that an ethic of courage, confined by law to the military, would serve to perpetuate a culture where people’s disheartenment and loss of courage has become a characteristic of civil society?
- Loss of courage in the era of disheartenment
The despondency that takes over an individual is a psychological and moral phenomenon that anyone can know through experience. A sort of breakdown occurs in vital energy because it is no longer harnessed to a project that is able to confer both direction and intrinsic dignity to effort. The disheartenment then manifests as a lack of drive. However, a culture of loss of courage can look altogether different: unconstrained happiness and unbridled freedom. Here we have the paradox of drive nourished on a daily basis by a loss of courage; activity restricted to fulfilling desires and which, unaffected by or avoiding the need for courage, is preparing to leave the culture of courage.
The imperative of progress, through its ambivalence, can have that misleading effectiveness, the ultimate aim of making progress being to itself eliminate the need for courage in striving. Thus the idea of progress, after being a motivator for emancipation by will to transform the fate of humanity, becomes a simple ideology of serving the process of renewing consumption by continuous innovation. While, in the postmodern age, power is supposed to do without religious, moral and ideological legitimation, this is because its own justification is limited to the needs of consumption, sometimes to the extent that praise for pacifism is no longer expressed as an aspiration at rest, sheltered from conflicts, with the rest being able to last, like inertia, in the same lifestyle, made uniform for ever. It is a case of technocratic conscience gaining the upper hand over moral conscience1, preferring a technical solution, which provides artificial substitutes, to an ethical solution that implies effort and hardship. Certainly, it is reasonable to use technical possibilities (whether medical, industrial or military) to prolong human action, but to consider that everything – even willingness – can be treated technically would amount to acting as if our ways of thinking counted for nothing in the misfortunes that strike us, forgetting that illness, suffering and death cannot do without courageous moral and spiritual management, whether atheistic or religious.
The loss of courage is not inactive; it embraces the contemporary ideology of performance, which obstinately operates by the same process of indefinite repetition of oneself: performing well in order to remain able to perform well. But the stress which acts as a driving force is not courage; it is a phenomenon that erodes and destroys individual personalities, without their being ennobled by the sacrifices that they have willingly accepted. The loss of courage that typifies consumerist performance is determined that life shall be reduced to a purely passive matter, both in joy and pain. Life becomes a reality that is experienced or suffered, an asset of which we have a personal stock that represents total opportunities for pleasure, but which is in perpetual danger of being lost, squandered or damaged. No doubt we are constantly being better cared for, but at the cost of spending the time thinking about illness; no doubt we are better informed, but by experiencing a horde of fears. Being safe ends up involving a burden as heavy as tolerating danger itself (with vital energy being expended in everyday struggles to remain young and fit, in tune with fashion, avoiding occupational obsolescence and finding compensation for a lack of love).
Loss of courage is not a morality-free phenomenon; it often maintains a hyper-moral stance. The concern for wellbeing for everybody, for instance, nourishes an ever-wider compassionate morality, with our contemporaries producing happiness, understood as an accumulation of pleasures, a unit of measurement taking the right to respect from others and to self-respect, and extending it to animals (and even to robotic devices). It is thus a utilitarian philosophy that thus prevails in seeing people and things as victims, and which is tending to become established as the only moral code. If there is no value other than avoiding suffering and maximising pleasures, with freedom, self-sacrifice, poetic creativity, etc. being preferences and thus values comparable to the lure of gain or a liking for sport, it becomes possible to democratically treat the interests of all living beings as equal, with human beings just one part of the animal kingdom.
But does this apparently generous extension of rights offer anything other than negative freedoms? Certainly, it gives the right not to be despised, discriminated against or excluded from collective benefits, and yet without constructing other forms of life. That is perhaps why individuality, when freed of its complexes and having become a popular product of this negative ethics, is still a courage-free form of individuality, not because it lacks strength but because it lacks aims2.
European hyper-moralism is becoming deeper from the inside, by recognizing as victims of discrimination population groups that are ever more varied and more numerous (children, disabled people, foreigners, homosexuals, those who want to change sex, animals, etc.3), but while discouraging mutual assistance and at the risk of ignoring how people think and act in the rest of the world. How can you help another out of love or solidarity when the person’s rights to assistance have to pass through legal filters that are highly targeted, minutely detailed and unalterable? The problem with the emphasis on victim status is that, at least in French-speaking countries, it tends to reduce aid to assistance and combines assistance with disability, a word that is hardly encouraging. Remaining stuck in its corner, our universalism is developing only inside Europe; and inside, when it extols human rights that many foreign peoples are unaware of or reject. The separation between two languages – that of peace in accordance with the law (language of great cosmopolitan tradition in Europe) and that of the struggle for power (where the financial crisis that began in 2008 reveals the ferocious reality, harming Europe) – arouses fears that we are indifferent to dangers that are obstinately rising.
- Courage in prospect
What calls for courage, individually and collectively, is finding the internal strength to want what one is and to be what one can be, the strength of wanting to be able, which has become so necessary for confronting the increase in dangers. Such a strength is not the power to acquire more powers, but the ability to accomplish things and the power to fulfil the possibilities that were absurdly sacrificed when generalised mistrust, illusory satisfactions and imaginary recognitions ruled; the strength to withstand what is left free rein by loss of courage: the destruction of democratic cultural solidarity.
Democracy can become its own enemy; this is a known phenomenon and has been extensively analysed. It is not impossible that its own values now prevent it from seeing the danger. This starts with the rhetorical illusion of consensual unity. Certain ubiquitous words, such as “pluralism”, “identity” and “openness” obscure the contradiction between opposing claims, under the cover of an illusory consensus, wherein lies their rhetorical power. Thus the sovereignty of the media makes it possible to exploit the confusion of ideas in power games that are unprecedented and difficult to interpret, but by exacerbating the weakness of values thus made use of, since the consensus on words makes it possible to forget, deny or go back on the facts, thus constantly increasing the separation between the domain of meanings (the words and that of the real world (experience). The sovereignty of the media, which imposes a rhetoric of meaning by indicating to the public what is worthy of being said, experienced, appreciated or fought4, has, unknown to us, created an empire of authorised meaning which imprisons everyone inside the most intimate part of themselves, where meaning is given to the words they use but, it may be said, at second hand (but doesn’t our indifference also act as a form of complicity?).
From another perspective, the individuals who are immersed in the practicalities of life experience the resistance of reality at the heart of their action: the harshness of fighting, the trickery and ingratitude involved in the general run of humiliations, the false contracts and false promises that discourage plans and ambitions, ultimately real life of which the brutal rawness is now experienced “outside” the permitted words, because the rhetoric of tranquillity for ordinary citizens has rendered them unspeakable. Hence, wherever strength can be found (the strength of fruitfulness, whether of the family, occupation, association, aesthetics or solidarity, etc.), meaning is not to be found there; and wherever there is meaning (a world magically achieving consensus, with no borders or conflicts), strength is not to be found there. In this alchemy separating strength from the possible, Nietzsche saw the origin of weakness, the particular weakness which was, in his eyes, the lifestyle that Europe was choosing to make its future, and its misfortune.
You need courage to overcome a cultural split that gnaws away at individual intimacy and divides society between its ethical aspects and its strength, at the risk of reducing political life to a disastrous opposition between cynicism (strength without ethics) and nihilism (ethics without strength). Going beyond that devastating opposition, renouncing the safety of believing you are justified by belonging to a clan, and knowing that the world’s perspective, if needed to serve as an observatory for globalisation, does not yet exist and has not been given to anybody: so many sources of fear and questioning that need courage as another ethical and cultural motive.
Corresponding to such courage of being and of doing is the idea of capability. This is a concept which is here borrowed very freely from economics (and in particular from the works of Amartya Sen), and from ethics (particularly Paul Ricoeur) to try and tease out the cultural strength. If we accept for a moment that the true business of economics is not happiness, but justice5, and that justice does not consist in making everybody happy (as if the number of beneficiaries proved the value of the principle), then we would distinguish ourselves somewhat from the cultural dominance of materialism, a term which serves in reality to denounce a cult of wellbeing which ended up becoming the sole measure of value. Capability (returning to Sen’s term) designates an effective power to act, rather than a simple evasive possibility, and the concept of a capable man (to use Ricoeur’s expression) designates the power to be and to do of an individual who is the current author of an action, rather than a fictitious entity endowed with abstract rights. Rediscovering courage as the power to act and understanding freedom as the ability to do rather than as a personal advantage amount to the same thing: repudiating belief in the supremacy of the immediate interest. It is easy to believe that a calculation of immediate benefit is the strongest motive an individual can have. And yet that is naive, showing a naivety that was popularised by a view that was more commercial than truly realistic. Who would not recognise, in the passion of honour, love or knowledge, an energy that is much more motivating? Considering the calculation of wellbeing as the most widespread motive has, moreover, morally shocking implications. Would we dare think that justice should be settled based on a criminal’s desire to go unpunished, because that is to his advantage? Would we dare think that education should be settled based on the desire not to learn, because that provides more wellbeing than does effort? Would we dare take loss of courage as an ordinary and reasonable model for collective action?
If courage and the ability to act need the same change of mental perspective to become perceptible, perhaps it is due to the fact that our civilisation gives preference (an imperative of communication) to what we signify rather than what we are; what our action symbolises rather than its real effect. However, the language of capability to be, to do and to act contains within it the strength to compete with the rhetoric of appearance, because it gives renewed access to reality. Capability, far from substantially increasing the imaginary chances of improbable successes, is intended to be the embodiment of what we know, want and can do in actions, undertakings and successes making the world what it is. Becoming educated does not imply making your mind conform to an alien and abstract model, but converting inclinations into real talents. Medical skill is not limited to healing bodies when it helps restore patients’ ability to act. The nation’s military defence is not restricted to obeying the policy of the moment when its purpose is to extend a society’s ability to be and remain an independent entity capable of determining its own existence and unity. These few examples show the reasons for action as being abilities to do, which reveal resources that simple calculations are unable to produce, such as adding to duty the excess of solidarity of which a gift can be made, or using one’s energy in a spending rather than saving mode when it is a matter of pursuing desirable ends or anticipating powers to act, looking to the future. Recognising the courage which is already operating in those who help maintain, restore or invent others’ capability to act, despite their having been forgotten or their being unknown, can perhaps herald a courage that is on the way.
1 Jürgen Habermas made this distinction in Technology and Science as Ideology.
2 Seen in Luxembourg City centre: a motorcyclist wearing a German war helmet, exemplifying self-affirmation freed of complexes, running counter to the supposed public conformism.
3 Chantal Delsol observed that it is no longer the subject or individual who is the legitimate beneficiary of human rights, but desire in general, L’Âge du renoncement (Paris, Le Cerf, 2011, p. 267).
4 Guy Debord’s well-known analysis in La Société du spectacle (English translation Society of the Spectacle, Rebel Press, 2004).
5 Amartya Sen, The Idea of Justice, Harvard University Press and Allen Lane, London, 2009 (French translation: Paris, Flammarion, 2009, p. 335.