Comment comprendre le pacifisme aujourd’hui ? par le mot « pacifisme » on entendra, non pas un choix inconditionnel pour la paix, quel qu’en puisse être le prix, mais une posture qui juge raisonnable d’accorder la prééminence à une politique de paix sur une politique belliciste. traditionnellement, cette posture est qualifiée d’« idéaliste » et ce, à la fois pour les ressources philosophiques qu’elle se donne (elle relève d’une éthique de la conviction, dirait-on dans le vocabulaire de max weber) et pour son refus de la politique dite réaliste (realpolitik), qui fait de la guerre la compétence spécifique de l’état ou la marque de la politique véritable.
Aujourd’hui, l’idéalisme cosmopolitique paraît devoir céder le pas à une logique réaliste, capable des défendre les intérêts des États dans un monde éclaté. De là, la question que nous poserons : faut-il mettre le pacifisme en question, et à quel titre ?
Une première réponse est simplement négative : à l’heure où c’est l’extrême violence qui semble déterminer notre rapport au monde en dessinant la géopolitique de nos peurs, la paix semble avoir pris quelques mesures de retard. On a l’impression que les raisons d’avoir peur l’emportent sur les raisons d’espérer. Nos esprits ont été édifiés par deux dates clés : en 1989, la chute du mur de Berlin a pu faire croire à une entrée dans la paix, mais c’est 2001 qui se serait finalement imposé comme le commencement quasi cosmique d’une ère d’anomie durable, peu maîtrisable et généralisable.
Une deuxième approche moins négative est peut-être plus riche en contenu : elle enseigne que la demande de paix se transforme ; on ne se pose plus simplement la question de savoir ce qui rend la paix possible (techniquement et militairement possible), mais ce qui rend la paix acceptable et souhaitable. La question de la possibilité de la paix s’augmente de la question de sa légitimité. La paix n’est plus simplement la victoire, elle doit être un projet ; elle n’est pas simplement un aboutissement, elle doit être aussi un commencement, au point que l’on envisage aujourd’hui d’ajouter au droit de faire la guerre (jus ad bellum), aussi bien qu’au droit qui réglemente la conduite de la guerre (jus in bello), un droit nouveau qui s’intitulerait le droit de restaurer la possibilité d’une vie organisée après la guerre (jus post bellum expression de Michaël Walzer). Une fonction stratégique de la construction de la paix future s’ajouterait à la conduite même de la guerre.
Dans un article consacré à la question de l’efficacité militaire face au terrorisme, le général Valentin, ancien commandant de la force multinationale de sécurité au Kosovo, confirme le sentiment de cette transformation du rôle de la paix en affirmant que « les victoires ne sont plus simplement militaires, mais qu’elles s’évaluent désormais à la paix qu’elles établissent » et que la lutte contre le terrorisme doit se placer sur le terrain où « l’influence et la persuasion sont plus efficaces que la destruction » (Le Figaro, 23 janvier 2006).
C’est à partir de là que l’on peut mettre le pacifisme en question, sur la base de représentations de la paix qui peuvent prétendre détenir ce que le général Valentin nomme une force de « persuasion plus efficace de la destruction ». Autrement dit : quelles conceptions de la paix peuvent passer pour reconstructives et constituer un dénouement post bellum crédible ? Pour mener brièvement cette enquête, les représentations classiques de la paix peuvent servir de fil conducteur : la paix par l’empire, la paix par le droit et la paix par l’équilibre.
- La paix par l’empire
En principe, réaliser la paix par un empire constitue une solution assez radicale, puisqu’elle confie à une force absolument souveraine (soit la force d’un État, soit la force d’une coalition d’États) le soin de rendre la guerre impossible. À titre d’exemple, l’arme nucléaire a été l’occasion, au milieu du xxe siècle et durant la guerre froide, de considérer que, seule, la domination exclusive d’un empire pouvait éviter l’apocalypse, la qualité la plus éminente d’un empire étant la force d’éliminer tous ses rivaux.
- Présentation
Aujourd’hui, et puisque nous cherchons une paix attractive pour ses capacités reconstructives, nous sommes amenés à remplacer l’ancienne approche militariste de l’empire par une image conviviale. Il faut que l’empire soit ouvertement synonyme de pacifisme. Nous en trouvons l’idée dans ce qu’un politologue anglais, Robert Cooper, appelle un impérialisme « volontariste ». Ce n’est plus un impérialisme par la contrainte ou par la colonisation, mais un impérialisme par attraction. Un tel impérialisme, qui se dit aussi « postmoderne » est amené à prendre deux formes.
« L’impérialisme volontaire de l’économie globale. » C’est l’image d’une adhésion à une vaste société civile, une extension planétaire du modèle du marché présentée comme le schème d’un activisme indéfiniment extensible, principe d’un monde ouvert, un modèle de liberté individuelle imitable par tous.
« La seconde forme d’impérialisme peut être appelée l’impérialisme de voisins. » Il s’agit de remédier à l’instabilité d’un État par une présence militaire et policière, mais aussi médicale et juridique, en créant une sorte de protectorat volontaire. L’espérance est la même : enclencher le goût de la paix par une possible dynamique d’accès à la prospérité.
- Analyse
Que penser de cet impérialisme bienveillant ? Il s’agit au fond de ce que Max Scheler appelait « le pacifisme du libéralisme économique », lequel repose sur une conception utilitaire des valeurs, qui croit à la promotion de la paix grâce à la diffusion du bien-être. Benjamin Constant, au début du xixe siècle déjà, saluait l’avènement de l’ère pacifique du commerce après l’âge de la guerre (de conquête). Ce pacifisme libéral prend aujourd’hui « la forme d’un empire modéré, vaguement consensuel et susceptible de faire place à des éléments de démocratie », ce que Pierre Hassner nomme aussi « embourgeoisement du barbare ».
Ce pacifisme libéral a les vertus et les défauts de ses propres limites. C’est un modèle technique de production de la paix, et non un modèle culturel ou moral. Pour un peuple épuisé et meurtri, ce peut être une opportunité reconstructive. Mais à la condition de valoir pour ce qu’il est, à savoir une simple technique de réorganisation de la société civile, et non un assujettissement à un ordre culturel, moral et politique. Il se limite à la sphère des moyens, qui sont des moyens d’acquérir la prospérité et le bien-être. C’est un modèle de gestion des énergies. Mais il est trompeur d’identifier la consommation de masse à une sorte de vérité culturelle du libéralisme, et cette identification constitue une faiblesse du livre de Fukuyama sur La Fin de l’histoire, car elle présente l’homogénéisation et l’uniformisation des mœurs par les mêmes modes de consommation comme un accomplissement de la paix à la manière occidentale, ce qui conduit à réduire la culture à un rapport exclusivement instrumental aux choses, alors que la culture a vocation d’être une relation pratique aux autres.
Par ailleurs, l’autre limite de ce pacifisme est liée à la menace du terrorisme : le pacifisme libéral est impuissant à « embourgeoiser » tous les barbares, et lui-même peut être tenté, comme l’écrit Robert Kagan, de choisir la voie des armes pour défendre le libéralisme lui-même.
- La paix par le droit
Explorons à présent le deuxième modèle classique de la paix pour en examiner la réactualisation : il s’agit du modèle de la paix par le droit.
Son origine la plus réputée est celle des Projets de paix élaborés par les philosophes du xviiie siècle, en particulier le Projet de paix perpétuel de Kant, qui prévoit la formation d’une Société des nations en Europe qui aurait vocation de s’étendre peu à peu au monde entier, jusqu’à former une vaste « Alliance pour la paix », une sorte d’Organisation de nations unies pour préférer l’arbitrage à la guerre. Bien que ce modèle provoque aujourd’hui l’incrédulité, il a eu une efficacité dont on aurait tort d’oublier la modernité politique : il a imposé l’idée que c’est la paix, et non la guerre, qui est l’état normal des relations internationales, et que les souverains, dans l’avenir, seront jugés sur la capacité de créer une politique de paix plutôt que d’épuiser leur peuple dans des guerres perpétuelles. L’idée de produire la paix par le droit et par la concertation entre les États identifie la paix à un progrès de la civilisation, dont le bénéficiaire est le genre humain tout entier.
On peut dire que, d’une certaine façon, le pacifisme juridique s’est réalisé en Europe, puisque l’Europe, comme le souligne Cooper, considère la guerre comme un échec politique. Oui, mais sans oublier, poursuit-il, qu’à à l’extérieur de l’Europe ce sont les lois de la jungle qui s’imposent.
Puisque nous raisonnons sur un pacifisme reconstructif, sur un pacifisme post bellum, demandons s’il existe aujourd’hui une version actualisée et attractive de ce modèle qui pourrait faire du retour à la paix un projet durable et consensuel.
- Présentation
Il existe aujourd’hui une reviviscence du pacifisme juridique, inspirée d’ailleurs du kantisme, qui tient dans l’idée d’espace public mondial, capable de donner à tous les acteurs le même droit à une argumentation publique.
1) L’idée d’un espace public international, selon le philosophe allemand Habermas, correspond à l’universalisation de la démocratie. Aujourd’hui, ce sont les acteurs supranationaux qui forment un espace de surveillance des États et qui font reculer les prérogatives de la souveraineté. Les médias, les intellectuels, les ong, les organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme, les acteurs religieux deviendraient ainsi peu à peu de véritables citoyens du monde, en quête de réglementations communes opposables aux États.
Les intellectuels, les juristes, les journalistes, les écrivains peuvent former un espace public qui les unit dans la même exigence de règles communes, orientée vers une organisation transnationale du droit. Un tel pacifisme peut être qualifié de « pragmatique », au sens communicationnel qui consiste à exercer une action sur les autres par le moyen de la parole. Que faut-il entendre par « transnational » ? Principalement le fait d’imposer aux États le respect de la liberté des personnes, de mettre le droit des hommes au-dessus de la souveraineté des États. Il s’agit donc de la plus large application qui soit possible de l’égalité de tous devant la loi, en généralisant la voie de l’arbitrage selon des normes acceptables par tous. « L’infrastructure communicationnelle d’un espace public démocratique a pour fonction de transformer les problèmes sociaux en thèmes de débat et de permettre aux citoyens de se référer au même moment à des thèmes identiques de même importance, en apportant des contributions ou simplement en adoptant une position affirmative ou négative par rapport à des nouvelles et des opinions.
Ce modèle vise l’émergence d’un monde de citoyens « postnationaux ». Chacun peut se percevoir comme un « citoyen du monde » à condition d’adopter une posture dite « postnationale », qui ne se réfère plus à une communauté de langue et de destin, mais simplement à l’adoption des principes des droits de l’homme. La citoyenneté se « cérébralise » et peut s’identifier, à un niveau transnational, à une solidarité entre étrangers, « solidarité abstraite et fondée sur le droit ».
2) Il existe aussi une version utopique de la promotion de futurs citoyens du monde, celle qui rêve d’une démocratie mondiale via l’Internet et de la création d’un cybionte, « être planétaire d’un niveau d’organisation supérieure, un être émergeant de l’action des hommes et les construisant en retour ». Une révolution serait en cours : le cerveau humain ne serait plus qu’une partie d’un vaste « réseau pensant » qui comporte l’ensemble de tous les cerveaux, de tous les ordinateurs et de tous les moyens de transporter et échanger l’information. Et, grâce aux technologies de la communication, la technique cesserait d’être domination, pour devenir interaction. Technique et culture seraient ainsi appelées à se réconcilier dans la gestation d’un nouveau monde, désigné sous le terme de « noosphère » (« sphère de l’idée » ou encore « royaume de l’esprit »). Deux américains, John Arquila et David Ronsfeld, ont construit l’idée d’une « noopolitique » dans laquelle le softpower médiatique remplacerait peu à peu le hardpower traditionnel des États.
- Analyse
Que penser de la valeur attractive ou reconstructive de ces deux versions de la paix par une nouvelle citoyenneté mondiale ?
Dans le deuxième cas, celui d’une « noopolitique », on ne sait pas si la paix ainsi produite serait une paix juste, mais elle serait sans doute une paix fausse. L’idéal de solidarité planétaire est certes reconnu comme nécessaire, mais quand les futurologues cherchent à donner l’image de sa réalisation concrète, ils en donnent une représentation ou une schématisation technologique et économique qui fait penser à un conditionnement généralisé de notre espèce plutôt qu’à un appel à la volonté et à l’énergie. Les anticipations qu’ils donnent du futur font penser à une solidarité entre les choses plutôt qu’à une solidarité entre les hommes. La paix serait alors le résultat d’un conditionnement généralisé par une parfaite maîtrise de la technique de la communication. Le sommet de sa réussite est de rendre l’opinion publique complice de son propre conditionnement, de sa propre soumission. Certes, on ne peut nier que la paix au futur vivra d’une certaine consensualité communicationnelle, mais cela implique aussi que le régime de la citoyenneté se divisera en citoyens actifs et citoyens passifs : sont des citoyens actifs ceux qui ont la compétence d’argumenter publiquement et d’influer sur les décisions ; sont des citoyens passifs les simples témoins des débats télévisés, les atomes représentatifs de l’opinion publique.
Le premier modèle, celui d’un espace public d’argumentation, trouve un intérêt réel dans la possibilité de surmonter la simple technique de la communication par une véritable éthique de la communication. Et puisqu’il est avéré que nous entrons dans une société d’information et de savoir, une part de plus en plus grande de la vie intellectuelle pourrait consister en une pratique d’interactions argumentatives par quoi la compréhension de certains problèmes communs peut s’élaborer en commun. C’est une dimension internationaliste à favoriser en contexte universitaire.
Cela étant, le modèle trouve ses limites dans la manière un peu agressive d’imposer la supranationalité aux États et manifestement contre eux chez Habermas, et dans l’abstraction très grande des principes d’une citoyenneté postnationale. Car cet espace public de discussion et d’expression médiatique n’inclut pas les raisons de vivre les plus intimes et les plus profondes qui sont des projets de vie orientés par un but ultime. Il adopte pour fondement la priorité du juste sur le bien, c’est-à-dire la priorité du droit sur l’éthique. C’est un espace de cohabitation exclusivement fixé par des principes généraux, normatifs parce que rationnels.
- La paix par l’équilibre
Il est temps, pour terminer, d’examiner le modèle de la paix par l’équilibre. La paix par l’équilibre des forces (ou « balance des pouvoirs ») consiste à construire des systèmes d’alliances qui empêchent l’émergence d’une puissance trop grande. Dans sa version politique, il repose sur la capacité des États de maîtriser et réguler l’usage de la force. La justice de la guerre, dans ce contexte, consiste dans sa légalité. Une guerre est légalement juste selon les formes quand elle a été justifiée par l’unité politique de la préservation d’un État. Aujourd’hui, le modèle retrouve une attractivité nouvelle en tant que principe d’un monde multipolaire possible. Il reconnaît l’égalité des États et attend de leur juxtaposition qu’elle évite la soumission de tous à une force impériale.
- Présentation
Mais l’actualité fait subir à ce modèle une singulière complication : d’abord parce que l’un des risques de conflits vient de l’incapacité de certains États à maîtriser la force armée et à empêcher l’installation de bases terroristes, ensuite parce que les conflits sont devenus transnationaux, et enfin parce qu’il se produit une culturalisation de plus en plus grande du recours à la violence.
Jusqu’à une époque récente, les revendications de légitimité se politisaient ; aujourd’hui, elles se « culturalisent » en s’identifiant à des faits mentaux psychologiques, affectifs, identitaires et civilisationnels. Elles traduisent des sentiments de mal-être, de ressentiment, d’anomie, et se mettent en quête d’une reconnaissance publique, souvent par recours à une logique victimaire. La difficulté de prévoir de futurs conflits tient à l’élasticité des termes « identité » et « identitaire ». Une revendication identitaire est un besoin de « reconnaissance », notion dangereusement élastique parce que le besoin de reconnaissance peut être affectif et psychologique, social et professionnel, ethnique et religieux, ou même inclure tous ces niveaux à la fois.
Il se produit une extension des risques de crise dès lors que les questions de légitimité sortent du cadre habituellement politique de l’action légale, lorsque l’usage de la violence cesse de se donner un but politique repérable et lisible, sur lequel il est possible d’agir parce qu’il est négociable. Toute la difficulté est d’agir sur du non-négociable. On est en-deçà du politiquement négociable lorsque la violence ne sert que de moyen d’expression (graffitis, agressions sexuelles ou raciales, destructions de bâtiments publics, etc.). On est au-delà du politiquement négociable dans les cas où la violence devient un moyen sacralisé d’anéantissement d’un peuple, de chantage à l’intolérable (actions terroristes délibérément démesurées).
La culturalisation des conflits déplace le champ de bataille dans les esprits, dans les représentations, dans les symboles. Nous prenons conscience d’entrer aujourd’hui dans ce qu’on pourrait appeler une culture de la peur de l’autre : peur de l’enfant parce qu’il devient despote, peur de l’élève parce qu’il se désocialise, peur du peuple parce qu’il est médiatiquement manipulé, peur du voisin parce qu’il manifeste son altérité par l’hostilité, etc.
Or cette peur de l’autre engendre un pacifisme spécifique qui se signale par une sorte de moralisme posthéroïque et qui s’apparente souvent à une forme de nihilisme. Il opte pour un désengagement radical : il affirme la relativité de tous les systèmes de valeurs pour refuser qu’ils puissent être des raisons de mourir, mais il nie en même temps qu’ils sont des raisons de vivre et il se borne à faire l’éloge de la différence par indifférence. Certes, il refuse toute apologie de la guerre, mais il alimente une fausse culture de la paix, illusoirement réduite à un simple manque d’intérêt pour la manière dont va le monde.
Un tel pacifisme traduit peut-être ce que Fukuyama appelle « le déclin de la confiance en soi de la civilisation européenne » ou encore « l’impasse relativiste de la pensée moderne », laquelle constate qu’elle se trouve dépourvue des « ressources intellectuelles nécessaires pour se défendre elle-même ».
Ce type de pacifisme sommaire est encouragé par les médias, qui dépolitisent la question de la guerre et de la paix en les réduisant à des phénomènes émotionnels et compassionnels. Les médias créent l’illusion qu’il existe une communauté pacifique virtuelle qui cultiverait le même amoralisme apolitique, en réduisant la politique à la morale et la morale aux sentiments.
- Analyse
À ce pacifisme de l’équilibre des cultures par leur égale relativité, on peut reprocher une carence majeure : « Pour qu’existe une réalité politique stable et équilibrée, la diversité et l’égalité ne suffisent pas, il faut encore qu’il y ait du « commun », sous forme d’un engagement partagé… La multipolarité ne peut prétendre incarner un idéal moral que si elle est sous-tendue par un engagement normatif qu’elle n’inclut pas. »
Un moralisme apolitique ne suffit pas : il faut que la paix demeure une réalité politique au sens fort, celui d’un monde où plusieurs entités acceptent de vivre ensemble dans un monde qui puisse être commun à tous.
Raison de plus pour renforcer une vision internationaliste. Au lieu de la passion identitaire, qui a pour effet de traiter sa propre culture comme une langue morte, la capacité, en chaque nation, de développer une conception interactionnelle de sa propre culture – en la concevant comme un ensemble de relations potentielles à d’autres cultures – pourrait correspondre à ce qu’Arendt appelait « la pluralité », qui n’a rien à voir avec un quelconque relativisme, mais qui conçoit le monde, selon une caractéristique qui est souvent citée, non pas comme ce qui est au-dessus de nous ou derrière nous, mais « entre » nous. Là est peut-être la mesure d’un pacifisme qui ne soit pas abstraitement moralisateur mais éthiquement réaliste. « Le monde, comme tout entre-deux, relie et sépare en même temps les hommes. Le domaine public, monde commun, nous rassemble mais aussi nous empêche, pour ainsi dire, de tomber les uns sur les autres ».