Il est habituel d’opposer le sacré au profane. Mais une autre opposition tend à prendre sa place, celle qui confronte le sacré à la désacralisation. Aujourd’hui, par exemple, ce qui nous empêche de percevoir d’emblée et de manière empathique le lien qui existe entre l’expérience de la guerre et le sacré, c’est le fait que notre intelligence, pour comprendre, commence par désacraliser. On ne saurait lui en vouloir, puisque cela fait partie d’un travail critique de démystification capable d’empêcher la fanatisation du rapport au sacré, mais on ne peut pas non plus passer sous silence un autre danger, celui qui associe la désacralisation à la perte du sens de la vie elle-même.
Il est possible de faire un rapide parcours en trois étapes : rappeler la force du lien qui associe le sacrifice et le sacré, l’engagement du soldat incluant ce qu’on appelle le sacrifice suprême ; évoquer ensuite deux figures de la perte du sacré, en insistant sur le fait que la désacralisation de la vie n’est pas comparable à la désacralisation du fanatisme ; se demander, pour finir, de quelle manière notre sensibilité postmoderne elle-même pourrait, peut-être, trouver une autre manière de percevoir un lien entre la mort et le sacré dans l’expérience militaire.
- Le sacrifice et le sacré
Commençons par repenser le sacré en lien avec le sacrifice. « La guerre est divine », écrit Joseph de Maistre dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg. Elle est « divine par la manière dont elle se déclare », elle est « divine dans ses résultats » et elle est « divine par l’indéfinissable force qui en détermine le succès » (septième entretien). Si l’on rapproche cette formule de sa théorie des sacrifices humains, on s’aperçoit qu’on a affaire à une véritable mystique du sang versé. Aux yeux de Maistre, la vitalité même de la vie exige du sang et la débauche de violence des sacrifices humains dans les religions primitives ne ferait qu’anticiper une vérité religieuse universelle qui veut la « rédemption par le sang » (Éclaircissement sur les sacrifices), c’est-à-dire la purification par le sang. L’effusion de sang et l’horreur des sacrifices seraient ainsi pourvues d’un sens précis, celui du salut ou de la communion par le sang : « Comment ne pas croire que le paganisme n’a pu se tromper sur une idée aussi universelle et aussi fondamentale que celle des sacrifices, c’est-à-dire de la rédemption par le sang ? »
Ce type de discours est tout à la fois fascinant et choquant. Il nous fascine parce qu’il dit clairement que l’échelle de mesure de l’intelligibilité du sacré n’est pas l’individu mais l’histoire des civilisations, c’est-à-dire l’histoire du monde. C’est l’histoire de l’humanité dans son ensemble qui donne une place sacrée au sacrifice (on peut relire René Girard de cette manière) : la débauche de sang des sacrifices humains dans les religions primitives (comme celle des Aztèques) ou dans les guerres de masse (comme la Grande Guerre) représente un tel excès de violence et de pertes humaines que cela dépasse les limites ordinaires de l’intelligence au point qu’elle en vient à regarder cette débauche comme surnaturelle ou « divine », tellement inhumaine qu’elle en deviendrait surhumaine.
Mais cette dimension globale de la sacralité des sacrifices ne fait que rendre plus tragique et infiniment émouvante l’épreuve de la mort solitaire, sans témoin et abandonné de tous, du soldat individuellement sacrifié, parce qu’il ne peut pas lui-même savoir qu’il contribue à l’histoire des civilisations et ne peut même pas vivre cette apothéose de l’infime qui se convertit en infini. La pompe des funérailles nationales ne donne qu’une petite idée de cette dimension du sacré qui fait de tout soldat un soldat inconnu ou, du moins, un soldat méconnu, parce qu’il est impossible de mettre en mots son sacrifice particulier, sachant que les mots ne traduisent d’abord que des généralités ou des calculs, qu’ils sont incapables d’atteindre la profondeur unique de ce qui est absolument intime.
À un second niveau de lecture, le discours de Joseph de Maistre nous choque parce qu’il relie trop mécaniquement la purification par le sang à la passion du Christ. Il voudrait montrer que le paganisme anticipe la vérité de la Rédemption, celle du sacrifice réparateur et salutaire qui est un don de soi sans compensation ; mais, en réalité, on a plutôt l’impression qu’il paganise le christianisme en en faisant ce qui pourrait légitimer et encourager des pratiques brutales, primitives ou sauvages. Cela ressemble à une barbarisation du christianisme plutôt qu’à une christianisation du sacrifice. Quand on lit cette formule terrible « la terre demande du sang », on a l’impression d’avoir affaire à un mécanisme sacrificiel plutôt qu’à une spiritualisation.
- L’oubli du sacré
L’outrance d’un tel appel au sacrifice conduit sans plus de détour au besoin de désacraliser le sacré quand il est synonyme de tribalisme et qu’il cautionne les identités violentes, c’est-à-dire les appartenances qui ont besoin de détruire l’autre pour être soi. Or il faut reconnaître que, pour une bonne part, la sacralisation tribale elle-même fait partie de l’expérience militaire, même si nous savons bien qu’elle ne s’y réduit pas.
Le caractère sacré du drapeau national, par exemple, a une puissance mobilisatrice qui rend capable des plus grands sacrifices, mais comment savoir si c’est le sacrifice qui crée la sacralité du drapeau ou bien si c’est le fétichisme du drapeau qui provoquera le sacrifice ? Comment distinguer entre la mystique et le tribalisme, et comment éviter que la mystique du drapeau n’incarne rien d’autre qu’un sentiment tribal ? Intellectuellement et abstraitement, il est facile de faire la différence. La sacralisation tribale consiste à placer notre appartenance nationale, ethnique ou religieuse au-dessus de tout, et elle met alors en marche une formidable énergie psycho-morale. Mais la condition en est redoutable en termes de violence guerrière car, si la tribu se place au-dessus de tout, c’est qu’elle place au-dessous de tout la tribu adverse, ce qui alimente la dynamique destructrice du tribalisme, dont la pente est de vivre de la guerre au prix de l’annihilation de l’autre. On a compris que la sacralisation tribale est archaïque et porte en elle le risque de la mort absolue au sens de l’extermination prévisible.
Mais quand le procès en est fait, une question demeure ouverte. Dans l’Europe moderne, l’affrontement entre des nationalismes jaloux de leur souveraineté s’est fait au nom des caractéristiques propres à la civilisation occidentale, à savoir l’universalité des valeurs qu’elle défend et pour lesquelles elle accepte le risque de la mort : la liberté, l’égalité, la dignité. Mais peut-on mourir volontairement pour des idées philosophiques pour lesquelles les philosophes eux-mêmes ne meurent pas, sauf cas exceptionnels ? Autrement dit : n’est-il pas nécessaire de sacraliser les valeurs en les « tribalisant » afin d’affronter la mort reçue ou donnée au nom de quelque chose qui en vaut la peine ? N’est-il pas nécessaire que les valeurs nous ressemblent, qu’elles soient françaises, égyptiennes, canadiennes ou indiennes… et donc qu’elles se « tribalisent » pour que nous les incarnions par notre mort, de sorte qu’on en fasse la chair de notre chair ? Je suis incapable de répondre à une telle question, mais on peut penser que, s’il est difficile de transformer entièrement le tribal en mystique, il faut assurément éviter la totale réduction du mystique au tribal.
Or nous sommes aujourd’hui dans un deuxième âge de la désacralisation, celle qui s’est imposée comme un phénomène de civilisation que nous ne comprenons pas encore complètement. Il ne s’agit plus d’une désacralisation de la violence tribale, mais d’une désacralisation de la vie.
Le sociologue Max Weber en a traité en 1919, pour faire comprendre que l’obsession du progrès pouvait détruire le sens de la vie – entendons par là, de manière très concrète, que le fait de vivre peut devenir une simple survie, sans but et sans valeur, une simple reproduction : « L’homme civilisé ne peut saisir que du provisoire et jamais du définitif. C’est pourquoi la mort est, à ses yeux, un événement qui n’a pas de sens. Et parce que la mort n’a pas de sens, la vie du civilisé comme tel n’en a pas non plus, puisque du fait de sa « progressivité » dénuée de sens elle fait également de la vie un événement sans signification1. » Aux yeux de Weber, le progrès étant ce qui réduit, par avance, tout futur au passé, il est un processus qui dévore sa propre inventivité, sa propre productivité et rend précaire toute nouveauté.
De nos jours, la désacralisation de la vie peut s’analyser comme un phénomène culturel lié à une certaine promotion des droits de l’homme. Si, par exemple, je n’associe la valeur de la vie qu’au profit que je peux en tirer, alors je ne valorise la vie qu’en fonction de mes droits que je conçois comme des droits à la jouissance : je revendique le droit à l’indépendance comme la jouissance de mon indépendance, le droit à l’identité comme la jouissance de mon identité, le droit à la propriété comme la jouissance de ma propriété. Or c’est là un phénomène culturel dès lors que s’est imprimée dans les esprits la conviction que les droits subjectifs de chacun reposent, en dernier ressort, sur la préservation de la vie en tant que jouissance de la vie. Mais en raisonnant ainsi, nous dévalorisons la vie au sens où nous la désacralisons en en faisant un simple bien de consommation, un laps de temps à gérer et dont il faut optimiser la gestion. On pourrait ainsi comptabiliser, à l’heure de notre mort, l’ensemble de nos appels téléphoniques et de nos usages de l’Internet, et l’on pourrait alors exhiber toute la gestion qui a servi à valoriser le temps que nous avions à vivre, c’est-à-dire à en maximiser le profit. Il n’y a pas à s’en plaindre, c’est ce que nous appelons le bonheur… Nous réduisons l’existence à du temps prédictible et l’obsession sécuritaire qui caractérise notre époque en est un signe ; on est presque tenté de dire que nous nous accrochons d’autant plus âprement au désir de sécurité que la vie que nous cherchons à protéger est dépourvue de sens, au sens d’un dépassement de soi, tant sa valeur s’est totalement concentrée dans la durée, dans la durabilité, dans la simple préservation de soi.
On comprend ainsi pourquoi la vulgarité, qui a toujours fait de l’abaissement sa principale satisfaction, peut devenir une force désacralisante de première grandeur, au point que la démocratie est elle-même menacée d’en périr.
- La sensibilité postmoderne et le sacré
Il est clair que ce désenchantement nous rend peu capables de comprendre d’autres manières de donner sens à la vie, et dont fait précisément partie le risque de la mort. Faut-il en conclure que la sensibilité postmoderne serait devenue à jamais incapable de retrouver le chemin du sacré ? Dans une première approximation, on peut dire qu’elle est plutôt tentée, au contraire, par un retour à des formes tribales et élémentaires du sacré : clans, mafias, gangs, etc. sont les lieux, terribles mais efficaces, de nouvelles sacralisations de la violence. Toutefois, ce tribalisme reste idéologiquement et institutionnellement en marge.
En revanche, une autre manière de revenir, peut-être et paradoxalement, au sacré, se présente à la sensibilité postmoderne avec l’expérience des catastrophes. La catastrophe, comme un tsunami, par exemple, met totalement en déroute l’utilitarisme qui sert de base aux désacralisations les plus sommaires. Quand le déchaînement des forces naturelles ou humaines dépasse la mesure de nos calculs, la question « à quoi ça sert ? » devient à la fois ridicule et odieuse, et ne sert qu’à constater l’inintelligibilité de tels excès. Après un séisme, après une guerre, après un génocide, demander « x millions de morts, à quoi ça sert ? » oblige à constater, de manière absolument tragique, que cela n’est pas destiné à être utile, que cela nous transporte dans un autre ordre de l’expérience possible. On a simplement affaire à une formidable dépense d’énergie totalement improductive, à une démesure dans le gaspillage des ressources.
C’est par là que l’on revient au risque de la mort dans l’expérience militaire. Lorsque des soldats sont morts au combat et qu’on veut leur rendre hommage en tant que victimes du devoir, on s’empresse de célébrer le sens de leur sacrifice en insistant sur le fait qu’ils sont morts pour une cause : ils sont morts pour la France, pour la liberté, pour le droit… Nous choisissons alors d’identifier le sens de leur action à son utilité ; nous voulons que leur sacrifice n’ait pas été vain. Et c’est bien vrai qu’il n’a pas été inutile puisqu’il nous rassemble, renforce nos liens et soude notre destinée commune.
Toutefois, cet hommage est aussi une manière de ramener quelque chose qui nous dépasse à une échelle simplement humaine et ordinaire ; nous leur offrons d’avoir été utiles, mais en gommant le tragique, l’inexplicable et l’insupportable de leur disparition. Et pourtant, on est vaguement conscients d’être tout près d’une expérience du sacré. Pour en rendre compte, je ne trouve pas de meilleure formule que celle-ci, empruntée à Georges Bataille : « La puissance qu’a la mort en général éclaire le sens du sacrifice, qui opère comme la mort, en ce qu’il restitue une valeur perdue par le moyen de l’abandon de cette valeur2. » La formule est quelque peu métaphysique, mais il est possible de l’illustrer assez concrètement en rappelant l’exemple d’un film déjà ancien qui avait fait beaucoup pleurer en son temps : Quand passent les cigognes (Mikhail Kalatozov, 1957, Palme d’or à Cannes en 1958). Il raconte la mort d’un tout jeune homme à la guerre. Ce jeune soldat est riche d’un amour partagé et intense, et il va mourir seul, au milieu des bois, dans une nature rayonnante et sous un ciel parfaitement bleu. Pourquoi y a-t-il alors une profonde émotion chez le spectateur ? Par ce que se trouve illustrée l’idée que le sacrifice est comme le don de ce qui est perdu3. Ce jeune homme perd d’un coup toutes les promesses de l’avenir : l’amour, le bonheur et l’aventure d’une vie complète. C’est l’anéantissement total et brutal de tous ces possibles qui nous les fait brusquement apparaître dans leur valeur infinie, unique, dans ce qu’ils ont d’absolument précieux, hors de prix, hors valeur marchande. La valeur de ce qui est ainsi perdu se trouve dévoilée de façon quasi mystique, et la mort ressemble ainsi à quelque chose qui s’apparente à une révélation. Le soldat ne produit pas par sa mort la valeur du bonheur et de l’amour qu’il perd, mais sa mort révèle la splendeur, définitivement hors d’atteinte, de ce qui est à jamais impossible de reproduire. La mort du soldat « divinise » ainsi quelque peu, si l’on ose une telle image, la vie de ceux qui restent après lui, parce que cette vie se trouve haussée au-dessus de la simple survivance, au-dessus de la simple peur de la mort. On retrouve l’intuition de Hegel : la vie qui ne se maintient que dans la peur de la mort est une vie servile. Seule la vie qui porte la vie au-delà d’elle-même est libre.
La fiancée du soldat donnera à cette mort une autre postérité, qui nous ramène à la sacralisation sociale des victimes. Après avoir subi le choc de la tragédie, elle sait qu’elle doit vivre le sacrifice du bonheur dont elle attendait qu’il donne un sens à sa vie. On connaît la fin de l’histoire : elle choisit l’engagement politique pour la cause communiste, de sorte que cette cause se trouve sacralisée en un sens social et non plus métaphysique, c’est-à-dire qu’elle se trouve évaluée au prix des sacrifices cumulés des vivants et des morts. On revient à la logique de l’utilité sociale, et il faut convenir que la guerre ne peut y être étrangère par sa fonction politique.
On conclura sur cette double dimension de la sacralité de la mort dans l’expérience militaire : dimension métaphysique et mystique, d’une part, qui est le don de ce qui est perdu, à savoir la splendeur de l’espérance de vivre ; dimension socialement utile, d’autre part, quand les survivants convertissent les pertes militaires en un gain politique et social.
1 Max Weber, « Le métier et la vocation de savant » in Le Savant et le Politique, Plon, « 10/18 », 1959, p. 71.
2 Georges Bataille, Théorie de la religion, Gallimard, « Idées », 1973, p. 66.
3 « Le sacrifice est l’antithèse de la production, faite en vue de l’avenir, c’est la consumation qui n’a d’intérêt que pour l’instant même. C’est en ce sens qu’il est don et abandon », ibid.
It is usual to oppose the sacred to the profane. But another opposition tends to take its place, the one that confronts the sacred with desacralisation. Today, for example, what stops us from instantly and empathetically detecting the link that exists between the experience of war and the sacred, is the fact that our intelligence, in order to understand, starts by desacralizing. We cannot hold it against it, as it is part of a critical work of demystification capable of preventing the fanaticization of the relationship with the sacred, but we cannot pass another danger over in silence, the one that associates desacralization with the loss of the meaning of life itself.
It is possible to do a quick cover in three steps: evoke the strength of the bond that associates sacrifice and the sacred, the commitment of the soldier including what we call the supreme sacrifice ; then evoke two figures of the loss of the sacred, by insisting on the fact that the desacralization of life is not comparable to the desacralization of fanaticism ; finally, ask ourselves how our postmodern sensitivity itself could, maybe, find another way of detecting a link between death and the sacred in military experience.
- The sacrifice and the sacred
Let us start by rethinking the sacred in connection with sacrifice. Joseph de Maistre wrote “The war is divine” in Les Soirées de Saint-Pétersbourg*. It “is divine in the way in which it breaks out”, it is “divine in its results” and it is “divine in the indefinable force that determines its success” (seventh dialogue). If we connect this formula to his theory of human sacrifices, we see that we are dealing with a real blind belief in shed blood. In the eyes of Maistre, the very vitality of life demands blood and the profusion of violence of human sacrifices in primitive religions would only anticipate a universal religious truth that want “redemption through blood” (Enlightenment on sacrifices), that is to say purification through blood. The bloodshed and the horror of the sacrifices would thus have a precise meaning, that of salvation or communication through blood: “How to not think that paganism could not have been wrong about an idea as universal and as fundamental as that of sacrifices, that is to say of redemption through blood?”
This type of discursive reasoning is both fascinating and shocking. It fascinates us because it clearly says that the measuring scale of the intelligibility of the sacred is not the individual but the history of civilizations, that is to say the history of the world. It is the history of humanity as a whole that gives a sacred place to sacrifice (we can reread René Girard in this way): the profusion of blood of human sacrifices in primitive religions (like the Aztecs’one) or in mass wars (like World War I) represents such excessive violence and human losses that it exceeds the ordinary limits of human intelligence so much that it has come to see this profusion as supernatural or “divine”, so inhuman that it would become superhuman.
But this general dimension of the sacredness of sacrifices only makes more tragic and immensely touching the ordeal of the solitary death, unwitnessed and abandoned by all, of the soldier individually sacrificed, because he cannot himself know that he is contributing to the history of civilizations and cannot even live this apotheosis of the minute, which converts into the infinite. The pomp of the national funeral only gives a slight idea of this dimension of the sacred, which makes every soldier an unknown soldier, or at least, a little-known soldier because it is impossible to put into words his particular sacrifice, knowing that first of all words only translate general points or calculations and that they incapable of reaching the unique depth of what is absolutely innermost.
At a second level of reading, the discursive reasoning of Joseph de Maistre shocks us because it links up too mechanically the purification through blood and the passion of Christ. He would like to show that paganism anticipates the truth of Redemption, that of the refreshing and salutary sacrifice, which is real self-sacrifice without compensation ; but, in actual fact, we rather have the impression that he paganizes Christianity by making it what could justify and encourage brutal, primitive or savage practices. This resembles a barbarization of Christianity rather than a Christianization of sacrifice. When we read this terrible formula “the earth asks for blood”, we have the impression of dealing with a sacrificial mechanism rather than spiritualization.
- The oblivion of the sacred
The outrageousness of such a call for sacrifice leads in no roundabout way to the need to desacralize the sacred when it is synonymous with tribalism and when it supports violent identities, that is to say the memberships that need to destroy the other in order to be oneself. Yet, we must acknowledge that, to a great extent, tribal sacralization itself is part of the military experience, even if we know perfectly well that it does not confine itself to it.
The sacred nature of the national flag, for example, has a mobilizing power that makes one capable of the greatest sacrifices, but how to know if it is sacrifice that creates the sacredness of the flag or if it is the fetishism of the flag that causes sacrifice? How to distinguish between mysticism and tribalism, and how to prevent the mysticism of the flag from embodying nothing other than a tribal feeling? Intellectually and abstractly, it is easy to make the distinction. Tribal sacralization consists in placing our national, ethnic or religious membership above everything, and it then starts up an incredible psycho-moral energy. But the condition is indeed dreadful in terms of war violence for, if the tribe places itself above everything, it means that she place the opposing the tribe above everything, which feeds the destructive dynamics of tribalism, whose inclination is to live from war at the price of the other’s annihilation. We have understood that tribal sacralization is archaic and caries within her the risk of absolute death in the sense of foreseeable extermination.
But when holes have been picked at it, an issue remains open. In modern Europe, the confrontation between nationalisms jealous of their sovereignty took place in the name of the characteristics peculiar to Western civilization, that is the universality of the values it defends and for which it accepts the risk of death: freedom, equality, dignity. But can one voluntarily die for philosophical ideas which philosophers themselves do not die for, except in exceptional cases? In other words: is it not necessary to sacralize values by “tribalizing” them so as to face the death received or given in the name of something that is worth it? Is it not necessary that values resemble us, be they French, Egyptian, Canadian or Indian… and therefore that they “tribalize” themselves for us to embody them through our death, so that we make them the flesh of our flesh? I am incapable of answering such a question, but one can think that, if it is difficult to entirely transform the tribal into mysticism, the total reduction of mysticism to the tribal must most certainly be avoided.
And yet, we are today in a second age of desacralization, the one that imposed itself as a phenomenon of civilization that we do not yet fully understand. It is no longer the question of a desacralization of tribal violence, but of a desacralization of life.
The sociologist Max Weber dealt with the subject in 1919, so as to make understood that the obsession of progress could destroy the meaning of life – let’s understand by this, in very concrete terms, that the fact of living may become a mere survival, with no goal and no value, a mere reproduction: “The civilized man can only seize provisional and never definitive. This is why death, in its eyes, is an event that makes no sense. And because death makes no sense, the life of the civilized as it is doesn’t either, seeing that on account of its unreasonable “progressiveness” it is also an event without meaning1.” In the eyes of Weber, progress being that which confines, in advance, all future to the past, it is a process that devours its own inventiveness, its own productiveness and makes all novelty precarious.
Nowadays, the desacralization of life can be analyzed a cultural phenomenon linked with a certain promotion of human rights. If, for example, I only associate the value of life with what I can get from it, then I only value my life according to my rights that I conceive as rights to pleasure: I claim the right to independence as the enjoyment of my independence, the right to identity as the enjoyment of my identity, the right to property as the enjoyment of my property. But it is here a cultural phenomenon as soon as is imprinted in the minds the conviction that the subjective right of each one rest, in the last resort, on the preservation of life as enjoyment of life ; But by reasoning like this, we undermine the value of life in the sense that we desacralize it by making a mere consumer good, a period of time to manage and whose management must be optimized ; We could thus count, at the time of our death, all of our telephone calls and our Internet uses, and we could then present all the management that served in increasing the value of the time we had to live, that is to say in maximizing its benefit. There is no need to complain, this is what we call happiness… We reduce existence to foreseeable time and the law and order obsession that characterizes our time is a sign of it ; we are almost tempted to say that we hold on all the more fiercely to the desire for safety that the life we are trying to protect is without meaning, in the sense of setting new targets for oneself, because its value so totally concentrated itself in the duration, in the durability and in the mere preservation of oneself.
We thus understand why commonplaceness, which always made subservience its main satisfaction, can become a desacralizing force of the first order, to such an extent that democracy is itself in danger of perishing from it.
- Postmodern sensitivity and the sacred
It is clear that this disillusionment does not make very capable of understanding other ways of giving meaning to life, and which the risk of death is precisely a part of. Should we conclude that postmodern sensitivity might have become forever incapable of finding again the path of the sacred? In a first approximation, we can say that it is rather tempted, on the contrary, by a return to tribal and elementary forms of the sacred: clans, mafias, gangs, etc. are the places, terrible but efficient, of new sacralizations of violence. However, this tribalism remains ideological and institutionally on the fringe.
On the other hand, another way of returning, maybe and paradoxically, to the sacred, presents itself to postmodern sensitivity with the experience of disasters. Disaster, like a tsunami, for example, totally routs utilitarianism that serves as a base to the most basic desacralizations. When the outburst of natural or human forces exceeds the extent of our calculations, the question “what is the use” becomes both ridiculous and horrible, and only serves to observe the unintelligibility of such excesses. After an earthquake, after a war, after a genocide, asking “x millions deaths, what is the use?” forces to observe, in an absolutely tragic manner, that it is intended to be useful, that it transports us to another order of the experience possible. We are merely dealing with incredible expenditure, totally unproductive, with excess in the wasting of resources.
It is this way that we go back to the risk of death in military experience. When soldiers have been killed in action and we want to pay homage to them as victims of duty, we hasten to celebrate the meaning of their sacrifice by insisting on the fact that they did for a cause: they died for France, for freedom, for law… We then choose to identify the meaning of their action with its usefulness ; we want their sacrifice to have not been in vain. And it is certainly true that it hasn’t been pointless since it brings us together, strengthens our ties and fuses our common destiny.
However, this homage is a also a way to bring something that is beyond us back to a merely human and ordinary scale ; we offer them to have been useful, but by erasing the tragic, the inexplicable and the unbearable of their death. And yet, we are vaguely conscious of being very close to an experience of the sacred. To account for this, I cannot find a better formula than this one, taken from Georges Bataille: “The power that death generally has, sheds light on the meaning of sacrifice, which functions like death, in that it restores a lost value by the means of the abandonment of this value2.” The formula is a little metaphysical, but it is possible to illustrate it in quite concrete terms by evoking the example of an already old film, which had already brought tears in its day: The Cranes are flying (Mikhail Kalatozov, 1957, Palme d’or at the Cannes Festival in 1958). It tells the story of the death of a really young man in the war. This young soldier is full of a shared and intense love, and he is going to die alone, in the middle of the woods, in a radiant nature and under a perfectly blue sky. Why then is there a profound emotion in the audience? It is because the idea that sacrifice is like the gift of what is lost is illustrated3. This young man loses all at once all the promises of the future: love, happiness and the adventure of a complete life. It is the total and brutal destruction of all that was possible that suddenly makes us see it in its infinite and unique value, in what it has that is absolutely precious, priceless, with no market value ; The value of what is thus lost is revealed in an almost mystical way, and death thus resembles something that is similar to a Revelation. The soldier does not, through his death, produce the value of the happiness and of the love that he loses, but his death reveals the splendour, definitely out of reach, of what is for ever impossible to reproduce ; The death of the soldier thus “deifies” a little, if we dare such an image, the life of those who remain after him because this life finds itself raised above the mere survival, above the mere fear of death. We find the intuition of Hegel: the life that only persists in the fear of death is a servile life. Only the life that carries life beyond itself is free.
The fiancée of the soldier will give this death another posterity, which brings us back to the social sacralization of the victims. After having suffered the shock of the tragedy, she knows that she must experience the sacrifice of happiness, which she expected would bring a meaning to her life. We know the end of the story: she chooses the political commitment for the communist cause, in such a way that this cause finds itself sacralized into a social meaning and no longer metaphysical, that is to say it finds itself valued at the price of the accumulated sacrifices of the living and of the dead. We go back to the logic of social usefulness, and we must admit that war cannot be unknown to it by its political function.
We shall conclude on this double dimension of the sacredness of death in military experience: metaphysical and mystical dimension, on the one hand, which is the gift of what is lost, that is the splendour of the hope to live ; socially useful dimension, on the other hand, when the survivors convert the military losses into a political and social gain.
1 Max Weber, “Le métier et la vocation de savant” in Le Savant et le Politique, Plon, “10/18”, 1959, p. 71.
2 Georges Bataille, Théorie de la religion, Gallimard, « Idées », 1973, p. 66.
3 “Sacrifice is the opposite of production, done in view of the future, it is the consumation that has significance only in the present instant. It is in this sense that it is gift and abandonment”, ibid.