À Kevin,
marsouin mort au combat le jour de ses vingt ans.
Le déclin de l’antimilitarisme et la montée des menaces terroristes aidant, de récentes enquêtes indiquent que l’image des armées dans la population française n’a jamais été aussi positive. 89 % des Français ont une bonne opinion des armées ; 85 % estiment qu’elles sont capables d’assurer la sécurité du pays et 73 % encourageraient un proche tenté par la carrière militaire à suivre cette voie1. Selon le sociologue Éric Letonturier, ce contexte manifestement favorable ne semble pourtant pas empêcher dans les forces « l’expression polymorphe et diffuse de sentiments faisant état d’un déficit de reconnaissance »2. Comment expliquer ce malaise d’autant plus paradoxal que la gratitude qu’expriment nos concitoyens au travers des sondages serait au contraire à considérer, à la suite du philosophe Paul Ricœur, comme la forme ultime de reconnaissance3 ?
Un premier élément de réponse est à chercher dans la définition même de ce mot qui a manifestement plusieurs sens. « Reconnaître » signifie d’abord « identifier », « distinguer », en d’autres termes, « rendre visible ». En première approche donc, rien de commun avec cette autre acception du terme qui fait de la « reconnaissance » un « sentiment poussant à éprouver vivement un bienfait reçu, à s’en souvenir et à se sentir redevable »4. L’écart entre sens propre et sens figuré, valable à l’identique pour le mot « distinction », permet, semble-t-il, de dépasser le paradoxe évoqué plus haut. L’armée n’aurait jamais été à la fois autant appréciée et pourtant aussi peu visible.
Or les sociologies de la reconnaissance font de la visibilité l’un des trois piliers sur lesquels repose la satisfaction de soi : s’il faut bien vivre de son métier (avoir) et bien vivre son métier (être), il faut également être visible dans son métier (paraître). Par conséquent, l’invisibilité du groupe est, pour ses membres, vécue comme un manque, une frustration, un déficit.
L’invisibilité pose plus largement la question de la pérennité de la reconnaissance au sens figuré, qui n’est pas totalement indépendante de la reconnaissance comme simple identification de l’autre puisqu’elle en serait la forme sublimée. La gratitude, dont les effets se font sentir dans le temps historique particulier que nous connaissons aujourd’hui, ne risque-t-elle pas de s’effondrer dans un contexte différent d’autant plus brutalement que la visibilité de l’institution n’aura parallèlement fait que de se réduire dans l’espace public ?
Le propos n’est pas ici de juger, encore moins de préjuger de cette évolution, mais d’essayer de comprendre pourquoi – ce qui n’est pas le moindre des paradoxes – depuis la Seconde Guerre mondiale, l’ex « grande muette » a progressivement disparu de l’espace public. Pourquoi ce phénomène d’invisibilité croissante ? Les trois explications qui sont proposées – réduction de l’empreinte physique, éloignement des théâtres d’opérations et indifférence de la société civile – ne peuvent qu’artificiellement être isolées les unes des autres tant elles n’ont cessé et ne cessent toujours d’interagir. Elles sont des formes de production d’invisibilité qui s’enchevêtrent pour constituer un processus complexe.
- Peau de chagrin
« Le talisman n’était plus grand que comme une petite feuille de chêne5. »
Première explication, tellement évidente qu’elle est bien souvent sous-estimée : un groupe social est d’autant plus visible qu’il compte en ses rangs un nombre important d’individus. Plus qu’une litanie absconde de chiffres, quelques ordres de grandeur permettent, à défaut d’exactitude, de réaliser l’ampleur de la déflation. En 1914, l’armée de terre alignait deux mille bataillons d’infanterie ; elle en possédera vingt en 2014, soit une réduction drastique de facteur cent. De façon plus ou moins homothétique, ce qui est vrai de l’infanterie l’est aussi des autres armes de l’armée de terre. Ainsi, le général Irastorza, chef d’état-major de l’armée de terre jusqu’en août 2011, n’hésitait jamais à rappeler dans ses discours qu’il y a aujourd’hui trois fois plus de canons au musée des Invalides que de pièces d’artillerie en service dans les unités opérationnelles.
À cette réalité quantitative s’ajoute la perception communément ressentie d’un effet « peau de chagrin » provoqué par le caractère non linéaire de la diminution qui s’est produite par accélérations successives en spasmes de plus en plus rapprochés. L’armée de terre n’a évidemment pas perdu un bataillon d’infanterie par an ces cent dernières années. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le ministre des Armées, Edmond Michelet, reçoit la difficile mission de réduire les effectifs de moitié en un an sans reclassement ni accompagnement budgétaire6. La loi de dégagement des cadres en 1946 ne sera pas la seule. En 1962, après la guerre d’Algérie, nouvelle saignée : environ sept mille officiers quittent l’institution dans les quatre ans qui suivent. Plus récemment, entre 1990 et 2002, l’armée de terre a perdu plus de formations qu’il ne lui en reste aujourd’hui. Au bilan, les trois armées pèsent aujourd’hui ce que pesait la seule armée de terre au milieu des années 1990…
Si la visibilité est fonction du nombre, elle est également fonction de la répartition. Plus le groupe est étalé et distribué, plus il offre de surface de contact avec le reste de la société. Bien entendu, le nombre, s’il ne préjuge pas des combinaisons de distribution, influe sur les possibilités de répartition : les fantassins de 1914 auraient pu construire une chaîne humaine reliant Nice à Marseille ; ceux d’aujourd’hui pourraient relever le défi entre la porte Maillot et celle de La Villette.
À la réduction du nombre, non sans effet sur la répartition, la « transformation » actuelle ajoute la rationalisation de la distribution des emprises physiques sur le territoire national. Dans un effort d’optimisation, l’empreinte au sol des armées s’est considérablement contractée de sorte que les « bases de défense » nouvellement créées puissent atteindre une masse critique leur permettant de réduire les coûts de soutien général. Sur la période 2009-2014, l’armée de terre diminue ainsi son empreinte immobilière de 12 % en surface utile et de 15 % en nombre d’emprises. En vingt-cinq ans, le nombre de garnisons aura été réduit de plus de moitié, passant de deux cent vingt-quatre en 1990 à cent neuf en 2014. Aujourd’hui, seuls quarante-six des cent un départements français accueillent plus de mille militaires de l’armée de terre tandis que trente en ont moins de cent7.
Le parc immobilier de la Défense, héritage de l’histoire et en particulier des choix faits après la guerre de 1870, fond comme neige au soleil. À titre d’exemple, en 2010, la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (mrai), qui dépend du secrétariat général pour l’administration (sga), a vendu quatre-vingt-quinze emprises appartenant au domaine « défense », dont dix-neuf au titre de l’euro symbolique8.
- « Loin de chez nous… »
« On préfère qu’ils soient loin, qu’ils soient invisibles ; qu’ils ne nous concernent pas9. »
Deuxième explication, aucun conflit armé dans lequel la France a été impliquée depuis 1945 n’a, simultanément, touché de plein fouet le sanctuaire hexagonal et frappé une grande majorité des citoyens. Notre territoire n’a plus été envahi, occupé et durablement marqué des stigmates de la guerre ; les familles françaises ont cessé de perdre en masse les leurs, conscrits engagés au front ou civils tués par fait de guerre.
Les interventions armées conduites loin du territoire national par des contingents de soldats professionnels ne sont pas ou peu connues de nos concitoyens, ou, dans le cas contraire, vite oubliées. Qui se souvient des trois mille quatre cent vingt et un hommes du bataillon de Corée ? Qui connaît Crèvecœur, Cao Bang, Dong Khe, Na San, la (route coloniale) rc4 ? « L’image du combattant défenseur de la nation s’efface au profit de celle de mercenaire de la République10. »
Certes, les « opérations de police » en Algérie pourraient être considérées comme un contre-exemple puisque menées dans des départements français par une force principalement composée d’appelés. Paradoxalement, elles n’ont en réalité fait qu’accentuer l’écart grandissant entre, d’une part, une armée considérant, au mieux, avoir manqué de soutien et, d’autre part, une société refusant de voir en face les réalités de la guerre avec son cortège de douleurs et d’horreurs11.
1962 consomme la rupture. Dès lors, le corps expéditionnaire – unités professionnelles puis force d’action rapide à partir de 1984 – mène des guerres cachées que la plupart de nos concitoyens ignorent encore. Au bilan, qui sait aujourd’hui que, pendant ces quarante dernières années, deux cent cinquante mille Français se sont battus sur cent soixante théâtres d’opérations différents12 ? Jusqu’à la fin de la conscription, cette invisibilité dynamique13, conjoncturelle car générée par la nature des missions confiées, est amplifiée par un effet d’optique qui offre aux Français un trompe-l’œil rassurant. Le corps expéditionnaire pèse peu de poids au regard d’une armée de conscrits que sa mission de défense du territoire contre une hypothétique attaque des forces du Pacte de Varsovie rend proche et familière, donc à deux titres plus visible. La figure populaire du bidasse de La 7e compagnie au clair de lune écrase dans l’imaginaire collectif celles du marsouin qui perd la vie à Ati et du légionnaire qui saute sur Kolwezi.
La suspension du service national en 1995 lance une autre dynamique qui accélère encore un peu plus le processus d’invisibilité en provoquant une déconnexion sans précédent entre société et armée, et en étendant l’« invisibilité dynamique » à tous les militaires, désormais professionnels. Le brassage armée/nation généré par les flux de jeunes rejoignant ou quittant les forces s’arrête net ; avec le conscrit disparaît un univers de symboles – la « classe », les « trois jours » ou la « quille » –, qui, à défaut de présenter l’institution militaire sous son meilleur jour, avait le mérite de l’ancrer dans la réalité sociale. Les trains de permissionnaires ne sont plus qu’un (mauvais) souvenir…
À cette rupture d’un lien armée/nation, qui n’a pas traumatisé nos concitoyens, René Girard allant jusqu’à déclarer que « la fin de la conscription était passée totalement inaperçue »14, s’ajoute un vide qui ne peut plus être totalement comblé. Les anciennes unités d’appelés qui ne sont pas dissoutes entament un processus de professionnalisation et deviennent désormais principalement destinées à intervenir en « opérations extérieures ». Le corps expéditionnaire n’a plus de raison d’être ; l’armée est devenue, par nature comme par destination, expéditionnaire. Les missions intérieures, qui ont leur importance autant pour les effets réels qu’elles procurent que pour la part de visibilité sociale qu’elles préservent, constituent une solution palliative à l’élasticité limitée, diraient les économistes. La nature de certaines d’entre elles – lutte contre les feux de forêt, ramassage des poubelles à Marseille ou transport de fourrage au profit de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (fnsea) – les rend peu attractives aux yeux du combattant ; en outre, elles questionnent nécessairement sur la raison d’être d’un corps fondamentalement destiné à agir comme le bras armé de l’État, l’épée du gladiateur pour pousser à terme la célèbre métaphore hobbesienne.
- Une indifférence bienveillante
« Il y a incontestablement eu une culture militaire spécifique en France, que la geste gaullienne a incarnée une dernière fois15. »
Le paradoxe d’une reconnaissance sans reconnaissance, évoqué en introduction, ne peut être mieux exprimé que par cet oxymore : une indifférence bienveillante16. Bienveillante, car la mesure des sacrifices que consent aujourd’hui le soldat pour une cause qui le dépasse semble susciter une quasi-unanimité dans la population et provoquer des prises de position politique fortes. En témoignent, par exemple, la remise de décorations aux drapeaux d’unités engagées au feu ou le projet d’inscription des noms de soldats tombés en opérations extérieures sur les monuments aux morts. Ces récents témoignages de gratitude, attendus de longue date par l’institution, sont paradoxalement d’autant plus visibles qu’ils apparaissent extraordinaires ; ils mettent en effet en lumière, par contraste, l’océan d’indifférence dans lequel s’enfonce la res militaris depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Dans un monde de paix déconnecté des réalités de guerre, le militaire demeure certes une figure rassurante, l’ultima ratio, mais intéresse finalement peu le Français au quotidien. Nos concitoyens n’ont pas la naïveté de nier la menace terroriste ou d’écarter tout risque de catastrophes naturelles mais, sans doute parce que ces fléaux leur apparaissent par nature imprévisibles, ils se résignent plus ou moins à en accepter la probabilité d’occurrence, espérant simplement que d’autres en seront les victimes aléatoires.
Louis Dumont rappelait que, contrairement aux sociétés traditionnelles dans lesquelles l’individu est subordonné à la totalité sociale, l’idéologie moderne place l’individu autonome et indépendant au centre de tout17. Au royaume de l’individualisme, l’aveuglement et la déresponsabilisation sont des traits de caractère communs qui participent du délitement des liens sociaux et du dépérissement du « vouloir vivre ensemble ».
Deux exemples frappants témoignent du refus de voir la guerre en face. La récente décision de retrait des troupes d’Afghanistan serait ignorée de plus d’un tiers des Français18. Lors de l’embuscade d’Uzbeen, en 2008, les Français découvrent que « la France fait la guerre en Afghanistan et que les soldats sont là-bas pour mourir ou pour tuer. C’est un électrochoc »19. Dans une société anesthésiée par ses problèmes intérieurs, la guerre apparaît comme lointaine : lointaine dans le temps car d’un autre âge ; lointaine dans l’espace car distante de nos frontières. En l’absence d’événement suffisamment marquant pour faire l’objet d’une réaction politique à la hauteur de la couverture médiatique, elle participe simplement du bruit de fond ambiant sans remettre fondamentalement en cause notre quotidien.
La mort étant globalement perçue comme « un défaut organique évitable »20, le décès d’un soldat en opération est, fort heureusement, de ces événements qui font réagir. Cependant, l’émotion l’emporte bien souvent sur la raison, sur la capacité de délibération dirait Luc Boltanski ; à la douleur des proches s’ajoute la souffrance à distance21 de tous ceux qui perdent, aussi subitement que provisoirement, leur cécité pour une première de couverture ou l’ouverture du journal de vingt heures. Plutôt que de chercher à donner du sens au sacrifice d’un homme et à l’engagement d’une armée, le cas est jugé comme un fait divers et traité comme un accident du travail. Ainsi, lorsque cet « exceptionnel » se produit, il rompt avec ce qui est perçu comme la normalité. La première réaction est la surprise, d’autant plus importante que l’aveuglement est grand ; la seconde est la recherche de responsabilités pour mieux s’en dédouaner soi-même.
Aveuglement et déresponsabilisation s’autoalimentent en un cercle vicieux qui sape les fondements des institutions. Le manque d’intérêt de nos concitoyens pour le culte républicain des morts de la guerre en est un révélateur intéressant, en admettant avec Antoine Prost « qu’une république qui ne s’enseigne ni se célèbre est une république morte, c’est-à-dire une république pour laquelle on ne meurt plus »22. Le devoir de mémoire tel qu’il s’élabore dans les années 1920 au travers de l’édification de monuments aux morts en appelle à la responsabilité collective des générations futures, qu’il s’agisse d’exprimer, par patriotisme, la nécessité d’être prêt à renouveler le sacrifice ou de s’assurer au contraire, par pacifisme, qu’une telle boucherie ne soit plus jamais possible.
Dans les deux cas, la prise de position est claire, engagée, politique, responsable. L’indifférence croissante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’égard « du seul exemple historique de religion civile au sens de Rousseau »23 interroge moins sur l’intérêt porté aux guerres du passé que sur le degré d’implication quant aux conflits à venir. Or ce degré d’implication fait actuellement défaut. À la question, couramment posée, « Que faites-vous en Afghanistan ? », le soldat devrait systématiquement répondre : « Que faisons-nous en Afghanistan ? » En démocratie, chaque citoyen porte par construction une part de responsabilité, depuis la décision politique d’envoyer la troupe jusqu’aux modalités tactiques d’application de la force sur le terrain. Or, évoquant le cas paroxysmique du combat au corps à corps, le général Lecointre admet que nos concitoyens préfèrent imaginer que cela n’existe pas car « c’est quelque chose engageant leur responsabilité » et « que cela renvoie à la bestialité, cela renvoie à la mort, ce sont des histoires de violence dépassée »24. La figure de l’individu-dans-le-monde, citoyen responsable agissant pour la communauté, s’efface progressivement devant celle de l’individu-hors-du-monde, aveuglé par son égocentrisme et se jugeant lui-même politiquement irresponsable25.
Réduction de l’empreinte physique, éloignement des théâtres d’opérations et indifférence de la société civile. Isoler artificiellement ces trois explications, c’est risquer de passer à côté de la complexité résultant des interactions et des rétroactions entre ces dynamiques qui s’influencent mutuellement. La réduction du format n’est pas à apprécier suis generis, mais à interpréter à la lumière de conditions telles que l’éloignement de la menace ou les indispensables choix budgétaires à faire dans un contexte avéré de crise économique.
Au-delà de l’invisibilité sociale du militaire, la question de la suspension du service national pose plus largement celle de la pérennité du lien armée/nation, donc de la diffusion de l’esprit de défense. L’indifférence générale interroge sur l’existence d’une capacité de résilience de la société en cas de catastrophe majeure et, finalement, sur le volume de force ainsi que sur les capacités à conserver pour pouvoir éventuellement faire face à un Fukushima à la française. Cette complexité ne demande pas à être réduite (moraline de réduction) ou jugée (moraline d’indignation)26, mais simplement comprise, admise et intégrée dans la réflexion.
Cette réflexion, Paul Ricœur la conduit. Pour les trois étapes de reconnaissance qu’il décrit – reconnaître, être reconnu, se reconnaître mutuellement –, il admet un risque : la fausse reconnaissance. Or « cette ombre de la méconnaissance continue de s’épaissir » à mesure que l’on progresse sur le parcours. La gratitude, forme ultime de reconnaissance, comporterait par conséquent un risque à la mesure de l’intensité du sentiment. L’armée se fait reconnaître dans sa singularité – le sacrifice suprême – par un corps social qui méconnaît pourtant en profondeur la raison d’être de l’outil – la continuation de la politique par la guerre comme expression de la volonté nationale.
Avec la méprise, mot que le philosophe rapproche sans doute un peu facilement de « mépris », la méconnaissance se trouve incorporée à la dynamique de reconnaissance. La rupture société/armée ne procède pas d’un défaut de gratitude pour les souffrances supportées, mais d’une ignorance ou d’une indifférence quant au sens à donner à cet engagement. Tocqueville écrivait que « lorsque l’esprit militaire abandonne un peuple, la carrière militaire cesse aussitôt d’être honorée, et les hommes de guerre tombent au dernier rang des fonctionnaires publics. On les estime peu et on ne les comprend plus »27. La gratitude dont témoignent les sondages pourrait s’effondrer en l’absence de circonstances particulières mettant en valeur l’éclat de l’action militaire28 ; le soldat aujourd’hui méconnu pourrait bien se transformer en soldat inconnu. Inconnu non dans le sens établi de représentant une totalité nationale, à l’image du poilu inhumé sous l’Arc de Triomphe, mais au contraire comme expression du néant qui caractériserait un espace public vidé de sa substance.
1 Délégation à l’information et à la communication de la Défense (dicod), État de l’opinion sur les opérations extérieures, 19 septembre 2011.
2 Éric Letonturier, « Reconnaissance, institution et identités militaires », L’Année sociologique, 2011, vol. 61, n° 2, pp. 323-350.
3 Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004.
4 Petit Robert.
5 Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, Paris, Garnier Flammarion, 1971, p. 294.
6 Claude d’Abzac-Épezy, « Edmond Michelet et la diminution de l’armée française (1945-1946) », Revue historique des armées n° 245, 2006, pp. 36-45.
7 Allocution du chef d’état-major de l’armée de terre au congrès de l’association des villes marraines, Grenoble, 17 juin 2011.
8 Disponible en ligne sur www.defense.gouv.fr
9 Alexis Jenni, L’Art français de la guerre, Paris, Gallimard, 2011, pp. 12-13.
10 Patrick Barbéris, La Guerre en face. Que sont nos soldats devenus ?, Image et compagnie, 2011.
11 Lire à ce propos le texte peu connu de Raoul Girardet, Pour le tombeau d’un capitaine, Paris, L’Esprit nouveau, 1962.
12 Chiffres cités par Patrick Barbéris, op. cit.
13 Éric Letonturier, op. cit.
14 René Girard, Achever Clausewitz, Paris, Flammarion, 2011, p. 166.
15 Ibid
16 Bernard Boëne, « La représentativité des armées et ses enjeux », L’Année sociologique, 2011, vol. 61, n° 2, pp. 351-381, pp. 375-376. « L’expression “indifférence bienveillante” traduit tout à la fois le respect et la confiance qu’inspirent les armées depuis une vingtaine d’années, et l’indifférence qui entoure leurs activités concrètes. »
17 Louis Dumont, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Le Seuil, 1983.
18 dicod, op.cit.
19 Patrick Barbéris, op. cit.
20 Hans Jonas, Le Principe de responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Flammarion, 2008.
21 Luc Boltanski, La Souffrance à distance, Paris, 1993, rééd. Flammarion, « Folio essais », 2007.
22 Antoine Prost, « Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? », Les Lieux de mémoire. Tome I, La République, Paris, Gallimard, 1984, pp. 195-225.
23 Antoine Prost, op. cit.
24 Patrick Barbéris, op. cit.
25 Louis Dumont, op. cit. Irresponsable au sens que lui donne la science politique, c’est-à-dire « qui ne peut être tenu pour responsable ».
26 Edgar Morin, Éthique. La méthode, tome VI, Paris, Le Seuil.
27 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Librairie Charles Gosselin, 1840.
28 Éric Letonturier, op. cit. « Les situations de guerre […] demeurent donc les lieux principaux où se joue la reconnaissance des armées à travers des actions opérationnelles » (p. 346).