La guerre est une confrontation politique violente, une forme de dialogue où chacun essaie d’imposer sa volonté à l’autre. Pour qu’il y ait dialogue, il faut cependant qu’il y ait quelque part un « forum », un espace commun où il soit possible d’échanger. Lorsque ce dialogue est violent, le forum s’appelle « théâtre » des opérations. Il impose de venir sur la même scène et d’aller au-devant de l’autre. C’est l’une des différences entre l’action de l’armée et celle de la police, l’autre emploi du monopole légitime de la force, qui est principalement une mission de recherche de personnes et de groupes qui privilégient plutôt la dissimulation. La guerre impose donc la rencontre, mais celle-ci n’est pas toujours évidente, car chacun connaît le prix à payer, en particulier en cas d’échec.
- L’odyssée de l’impasse
Entre le viiie et le ve siècle av. J.-C., les cités grecques s’affrontaient selon un mode très ritualisé. La guerre était volontairement limitée dans sa durée, son volume et ses enjeux. Les villes constituaient des phalanges de miliciens-citoyens qui se rencontraient sur un terrain accepté d’un commun accord et le sort de la bataille décidait souvent de la campagne. Le vaincu se soumettait, d’autant plus facilement qu’il savait que la sanction de la défaite ne serait pas totale. Tout cela n’était possible que parce que ces cités évoluaient dans le même cadre culturel. Les Grecs avaient tous la même vision du monde, et même de l’outre-monde, et étaient capables de s’entendre sur la manière d’organiser leurs relations entre eux, qu’elles soient pacifiques ou non.
Et puis cet équilibre s’est rompu. Depuis le viie siècle av. J.-C. déjà, Sparte développait un système sociopolitique différent des autres. Il ne s’agissait plus pour cette cité de l’intérieur du Péloponnèse de cultiver ses terres et de fonder des colonies avec le surplus de sa population, mais de vaincre ses voisins et de leur imposer une domination totale. Pour cela, elle devait être une puissance militaire supérieure à toutes les autres. La manière de combattre restait la même, mais, par un processus de sélection et de formation impitoyable, Sparte s’est dotée d’une armée professionnelle. La bataille hoplitique était une compression de deux masses et la décision se jouait dans les rangs arrière, parmi ceux qui regardaient le combat et en estimaient l’issue. Pour peu que cette estimation soit négative, le repli commençait, qui se terminait le plus souvent en fuite générale. À ce jeu-là, les inflexibles Spartiates étaient, semblait-il, imbattables. À la fin du vie siècle av. J.-C., ils dominaient déjà tout le Péloponnèse.
Arrivèrent les barbares perses. Plus question cette fois de guerre limitée. Pour les Grecs, la défaite signifiait désormais l’asservissement ou un sort plus funeste encore pour ceux qui s’y refuseraient. Les batailles qui s’annonçaient seraient décisives et totales. Elles constituaient aussi des découvertes. En 490 av. J.-C., lorsque les hoplites athéniens et quelques alliés se trouvèrent face à l’armée perse, personne ne savait très bien ce qu’il allait se passer tant les deux armées étaient différentes. La phalange athénienne l’emporta finalement. Il ne s’agissait cependant que d’un répit. Dix ans plus tard, une nouvelle expédition perse survenait avec des moyens beaucoup plus importants.
Entre-temps, l’évolution la plus importante est venue de la cité d’Athènes qui, après avoir vaincu les Perses sur terre, s’est souvenue de la frayeur qu’avait produite la présence de la flotte ennemie au large de l’Attique alors que les hoplites étaient encore à Marathon. Elle a donc décidé, phénomène rare, d’imiter le vaincu en construisant elle aussi une grande flotte de guerre. Cette décision a eu de profondes conséquences : elle a permis à Athènes de remporter la bataille navale de Salamine en 480 av. J.-C, de s’imposer comme puissance hégémonique sur les cités des îles et des côtes de la mer Égée, puis d’établir sa prédominance sur le commerce maritime, alors source première de la richesse.
La Grèce était donc dominée militairement par les deux cités qui avaient su se transformer : Sparte et Athènes. Leur affrontement était inéluctable. Il s’est avéré pourtant très compliqué, car toutes deux avaient tellement divergé dans leur manière de faire la guerre qu’elles n’avaient plus d’espace commun pour se combattre.
Lorsque les Spartiates et leurs alliés pénétrèrent en Attique au printemps 431 av. J.-C., leur victoire ne semblait faire aucun doute : les Athéniens ne pourraient supporter de voir leurs cultures ravagées ; ils viendraient se battre et donc périr tant la supériorité lacédémonienne était importante sur le terrain. Mais à la grande surprise du roi Archidamos, ils refusèrent ce combat inégal. Les récoltes ne constituaient plus un enjeu vital pour eux, au contraire du commerce maritime et des tributs des « alliés ». Or, protégée par de solides fortifications jusqu’au port du Pirée, Athènes disposait de la supériorité sur les mers. Avec sa flotte, il lui fut possible de mener une campagne militaire d’un nouveau genre, faite de raids sur les côtes afin d’épuiser les ressources de son adversaire et de rompre l’alliance de Sparte avec la Mégaride, point de jonction du Péloponnèse et de l’Attique. Cette stratégie n’eut finalement pas plus d’effet que celle des Spartiates, puisque ni Sparte ni la Mégarie ne cédèrent. Les deux adversaires étaient dans l’impasse et ils s’y obstinèrent pendant plusieurs années sans presque jamais se rencontrer sur un champ de bataille.
- La guerre des mondes
On retrouve ce phénomène régulièrement dans l’histoire des guerres, mais il a connu une grande extension avec la révolution industrielle. En un peu plus d’un siècle, de nouveaux milieux sont devenus accessibles aux êtres humains : l’air, le monde sous-marin, mais aussi l’espace extra-atmosphérique. Ces grands milieux comprennent aussi des sous-ensembles. La haute-mer et les côtes ne sont pas du tout les mêmes espaces pour les marins ; il en est de même pour les « terriens », qui ne combattent pas de la même façon dans le désert, la montagne, les mégapoles ou la forêt profonde.
On a même découvert des espaces invisibles. En 1898, Herbert George Wells publie La Guerre des mondes. La force expéditionnaire martienne qui y est décrite contrôle tous les espaces et paraît donc invincible. En réalité, elle ne maîtrise pas les êtres microscopiques et est entièrement détruite par les microbes. Wells s’est sans doute inspiré des expéditions coloniales, notamment de celle menée quatre ans plus tôt à Madagascar au cours de laquelle cinq mille sept cents soldats français sont morts de maladies (40 % du total) et seulement vingt-cinq au combat. On disait alors que Madagascar était protégée des étrangers par les mauvaises routes et les maladies tropicales. Cela n’a pas duré. Travaux routiers et médecine tropicale ont eu raison de ces barrières.
Plus subtilement, mais assez rarement, les individus peuvent occuper des espaces mentaux radicalement différents. En écrivant La Guerre des mondes, Wells s’était aussi probablement inspiré de la conquête de l’Amérique par les Espagnols, confrontation qui ressemble le plus à ce que pourrait être une invasion extraterrestre. Avec leur maîtrise de la poudre à canon, de l’acier, de la roue et la domestication du cheval, les conquistadores avaient alors techniquement des siècles d’avance sur les Aztèques (et ce sont eux qui cette fois étaient alliés aux microbes). Ils ne voyaient pas non plus le monde de la même façon, y compris lorsqu’il s’agissait de se battre : les Aztèques ne comprenaient pas la violence des Espagnols sur le champ de bataille, un endroit qui, pour eux, était surtout destiné à capturer des prisonniers à sacrifier ensuite aux dieux ; de leur côté, les Espagnols étaient horrifiés par le sort réservé aux prisonniers. La guerre ne pouvait qu’être totale entre eux, mais tous répugnaient à se rencontrer.
La puissance militaire moderne se mesure à la capacité à dominer le kaléidoscope des différents milieux. On a ainsi multiplié les « armées » et les spécialités à l’intérieur de celles-ci, autant de pratiques différentes qui nécessitent des ressources et des compétences particulières. Peu de nations parviennent à être puissantes simultanément dans tous les milieux. L’effort est trop grand. Et quand ces grandes nations s’affrontent, elles le font dans les différents milieux selon des valeurs différentes. Parfois, les distorsions sont telles qu’elles aboutissent à des impasses à la manière de la guerre du Péloponnèse. En mai-juin 1940, la victoire allemande sur l’espace de rencontre continental a dissocié les adversaires. Désormais seul, mais maître de la mer, le Royaume-Uni pouvait empêcher le débarquement de la puissante armée allemande sur ses côtes ; en revanche, il n’avait pas les moyens de vaincre l’Allemagne. Dès lors l’équation stratégique était sensiblement la même qu’en Grèce, deux mille cinq cents ans plus tôt. Comment vaincre un adversaire sans pouvoir vraiment le rencontrer ?
Une manière moderne de tenter de sortir de cette impasse consiste à superposer un espace dans lequel on est fort sur un autre où on est faible ou où on ne veut pas aller. C’est typiquement le cas des campagnes de bombardement ou des campagnes sous-marines. L’inconvénient est que ces frottements entre milieux ne produisent que rarement des batailles, c’est-à-dire des grandes confrontations de forces qui accélèrent les décisions. En août 1945, les frappes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki constituent des exceptions, et encore ne faut-il pas les considérer indépendamment d’autres événements du moment. On y fonctionne plutôt par de multiples actions ponctuelles, – navire coulé, frappe aérienne ou d’artillerie, raid de commando –, dont on espère que le cumul va faire apparaître un effet stratégique émergent : étouffement économique, révolution, lassitude de l’opinion publique, effondrement ou simplement soumission du pouvoir en place.
La plupart des organisations armées ne fonctionnent pas autrement. On appelle cela « guérilla » et parfois aussi « terrorisme », à cette différence que l’on agit généralement dans le même milieu que l’ennemi, mais en s’y dissimulant et en agissant différemment. C’est alors souvent une lutte des visibles contre les invisibles, mais toujours avec la recherche d’un effet émergent, en général la lassitude. Le plus grand succès des Athéniens durant la guerre du Péloponnèse est survenu en 425 av. J.-C. lorsque, au mépris des usages, leurs troupes légères, javeliniers, archers ou frondeurs, ont harcelé un contingent d’hoplites spartiates et, chose alors inouïe, l’ont poussé à la reddition.
Cela fonctionne parfois. De mars à mai 2008, le quartier de Sadr City à Bagdad, peuplé de deux millions d’habitants et fief de l’armée du Mahdi, a été bloqué par les Américains qui l’encerclèrent de murs et l’entourèrent d’un grand complexe de frappes, depuis les tireurs d’élite aux chasseurs-bombardiers en passant par les drones armés. Moqtada al-Sadr, leader de l’armée du Mahdi, a finalement accepté de négocier et de déposer les armes. Il en a été de même quelques années plus tôt, en 1995, en République bosno-serbe, ou en 1999 avec la Serbie qui accepte d’évacuer le Kosovo après soixante-dix-huit jours de bombardement et la menace d’une offensive terrestre. Les guérillas sont généralement efficaces, effritant un pouvoir local, lassant une puissance extérieure, mais sur des temps très longs.
Les résultats sont en réalité souvent mitigés. Les milieux eux-mêmes ont pu être modelés pour faire face à ces agressions venues d’un autre espace. Face au feu du ciel, on a souvent recours au sous-sol, des tranchées de la Première Guerre mondiale aux souterrains du Hezbollah au Sud-Liban. On crée ainsi un nouveau milieu refuge. Mais même au sol, par des protections accrues, par la dispersion, la tromperie et la dissimulation surtout, on peut s’adapter, réduire considérablement l’effet des frappes, qui perdent ainsi une grande partie de leur intérêt. On se retrouve parfois, à l’exemple d’Israël face au Hezbollah ou au Hamas, avec des armées qui se frappent mutuellement par le ciel, raids aériens d’un côté, roquettes et obus de l’autre, mais qui ne se rencontrent pas au sol et ne se font guère de mal, protégées par des barrières de défense et abris multiples, alors que les populations de part et d’autre sont, elles, touchées.
Une autre manière de combattre consiste à essayer d’attirer l’ennemi sur son milieu préférentiel. Dans l’exemple précédent, malgré leur répugnance, les Israéliens ont été obligés d’envoyer des forces terrestres au Sud-Liban en juillet 2006 et dans la bande de Gaza, en particulier dans la guerre de 2014, car c’était le seul moyen d’empêcher les frappes de roquettes visant leur territoire dans le premier cas et les raids souterrains dans le second. Au prix de lourdes pertes à chaque fois et même d’humiliations face au Hezbollah. On peut aussi se placer volontairement en situation de vulnérabilité au cœur de l’espace ennemi afin de le tenter. C’est l’approche menée avec succès par les Spartiates qui, en 313 av. J.-C., occupèrent le fort de Décélie au cœur de l’Attique, ou par le corps expéditionnaire français (cef) en Indochine qui, à partir de 1951, installa des bases à l’intérieur de la haute-région tonkinoise – l’expérience se solda par un désastre à Diên Biên Phu, témoignant de la difficulté de l’exercice, surtout si on procède toujours de la même façon face à un adversaire imaginatif.
- Se ressembler pour se battre
En réalité, la solution la plus efficace a le plus souvent consisté à imiter son adversaire et à aller le combattre dans son milieu préférentiel. Il faut pour cela créer des unités spécifiques, pratiquement une nouvelle armée. Dans la guerre du Péloponnèse, cela voulait dire qu’Athènes devait transformer son armée pour la rendre capable de vaincre celle de Sparte sur le champ de bataille, et que Sparte devait créer de toutes pièces une flotte suffisamment puissante pour l’emporter sur mer. La première solution n’était pas impossible : en 371 av. J.-C, soit trente-trois ans après la fin de ce conflit, le Thébain Épaminondas est parvenu à écraser l’armée spartiate à Leuctres en innovant dans l’organisation des forces sur le champ de bataille ; Athènes, elle, n’a pas fait cet effort d’imagination. Le plus étonnant est finalement que ce soit la seconde solution qui ait été mise en œuvre : rien n’était plus éloigné des très conservateurs et terriens spartiates que la guerre navale. Ils sont pourtant parvenus à créer une flotte et même à vaincre sur mer, aidés il est vrai par le trésor perse et les énormes erreurs de la direction stratégique athénienne, qui a perdu plusieurs dizaines de milliers de rameurs professionnels dans la désastreuse expédition de Sicile et qui a mis à mort ses stratèges victorieux1 après la bataille navale des Arginuses en 406 av. J.-C.. La victoire de Sparte ne faisait plus dès lors aucun doute.
À l’été 1940, il n’y avait guère d’autres possibilités pour l’Allemagne que d’envahir le Royaume-Uni, mais il lui fallait pour cela avoir la suprématie dans les airs et une marine capable de rivaliser avec la Royal Navy, toutes choses impossibles à obtenir, du moins à court terme. Inversement, une fois passée l’illusion de réussir à briser la volonté ennemie par les bombardements aériens, les Britanniques ne pouvaient espérer l’emporter que par un débarquement sur le continent et la victoire au sol contre les forces terrestres allemandes. Il y a bien eu des batailles périphériques en Grèce et surtout en Libye, mais elles n’ont guère été dangereuses pour le Reich. Il a fallu attendre l’aide des États-Unis, l’équivalent de l’Empire perse pour les Spartiates, et surtout leur entrée en guerre, pour parvenir à constituer cette puissante force terrestre commune qui permettra de défier celle de l’Axe, en Afrique du Nord, en Italie et surtout en France en 1944.
Pendant la guerre d’Indochine, c’est le Vietminh qui a le plus imité l’autre en formant, avec l’aide de la Chine, un corps de bataille régulier, composé de plusieurs divisions d’infanterie légère et régiments d’appui. À l’aise dans le milieu montagnard et forestier du Haut-Tonkin, il a surpris une première fois le corps expéditionnaire français sur la route coloniale n°4, où celui-ci a perdu cinq mille hommes dans une gigantesque embuscade. Les Français se sont rassurés ensuite en constatant leur supériorité dans les endroits où leur maîtrise de la troisième dimension permettait de frapper massivement. Le Vietminh a alors procédé à une nouvelle imitation en se dotant d’une artillerie puissante et de moyens permettant de lutter contre les avions – pour porter la logistique qu’imposait cet alourdissement, la Chine a fourni un parc de camions. Le Vietminh s’éloignait ainsi de la légèreté et de la furtivité qui faisaient sa force, mais, en ressemblant un peu plus au cef, il lui devenait plus facile de vaincre celui-ci. Comme la direction athénienne, le commandement français facilita la tâche de son adversaire en acceptant de livrer bataille très loin de sa capacité d’appui aérien et en engageant simultanément ses réserves dans une autre opération.
Le mouvement inverse, c’est-à-dire pour les Français de s’alléger, de sortir des routes et d’aller traquer l’ennemi sur son propre terrain, forestier montagneux, était-il impossible ? Non. Dix ans seulement avant Diên Biên Phu et à cinq cents kilomètres de là, les Britanniques étaient allés beaucoup plus loin en engageant un volume de forces sensiblement équivalent à celui des Français à Diên Biên Phu, mais entièrement constitué de fantassins spécialisés dans le combat en jungle, six brigades de « chindits » qui dominèrent ce terrain difficile face aux Japonais. Ce n’était pas uniquement un effort d’acquisition de compétences. Les Alliés avaient fait un énorme effort en médecine tropicale de façon à réduire considérablement le risque que présentait le déplacement dans la jungle. En laissant ce problème à leurs adversaires japonais, qui n’avaient pas fait le même effort, l’atout que représentait la maîtrise de ce milieu changeait de camp.
Normalement, c’est le plus puissant qui a le plus de facilité à aller sur le terrain de l’autre. Il peut ainsi conserver sa supériorité dans les autres milieux tout en allant chercher l’ennemi là où il se trouve. Les chindits ont surpassé leurs ennemis par leurs qualités propres, mais aussi par l’association étroite de leur action avec six cents avions américains de tous types. Il en est de même pendant la guerre d’Algérie, lorsque les forces françaises, modernes, maîtresses du ciel, des routes et des feux, ont créé une infanterie légère semblable aux katibas de l’armée de libération nationale (aln). Les fantassins français ont quitté les véhicules, et réappris à marcher et à vivre sur le terrain comme les rebelles. Mais cela n’est possible, comme avec le cas de l’alliance perso-spartiate ou anglo-américaine, que parce qu’à côté de la volonté il y a une grande supériorité de ressources. Une bonne solution lorsque l’on est riche consiste d’ailleurs, quand cela est possible, d’acheter ou de s’associer à des combattants locaux qui connaissent déjà bien le milieu, tels les alliés indiens de Cortés, les troupes coloniales ou « fils de l’Irak » associés aux Américains de 2006 à 2008.
Imiter l’adversaire et aller le chercher sur son propre terrain ne suffit pas forcément à gagner la guerre, mais cela évite le plus souvent de la perdre. Depuis 1800, le camp le plus puissant l’a emporté dans les trois quarts des cas lorsqu’il a imité le plus faible, mais seulement dans un cas sur trois lorsqu’il ne l’a pas fait2. On peut alors se demander pourquoi ce n’est pas toujours le cas. La réponse est simple : cela demande un effort considérable. Imiter un adversaire auquel on a souvent attribué les pires travers répugne. Abandonner la forme de guerre que l’on préfère, celle que l’on maîtrise parce que l’on s’y est préparé pendant des années, pour faire quelque chose de plus ingrat et dans lequel on est, au moins initialement, mal à l’aise, est pénible. Il faut surtout, en amont de tout, admettre ses insuffisances, comprendre qu’il faut innover et investir, alors que cette nouvelle force ne sera pas forcément utile pour un autre type d’adversaire. Allez sur le terrain de l’autre, c’est aussi prendre un risque, notamment celui de pertes humaines, le moins accepté aujourd’hui par les armées occidentales. Celles-ci préfèrent donc rester dans leur zone de protection au risque d’une faible productivité, laissant le plus souvent l’initiative de l’adaptation à leurs adversaires.
War is a violent political confrontation, a form of dialogue, where each party attempts to impose its will on the other. However, for there to be dialogue, there must be a “forum” somewhere, a shared space, where it is possible to exchange views. When this dialogue is violent, the forum is termed a “theatre” of operations. This theatre requires each party to enter the same stage and meet the other. This is one of the differences between the action of the armed services and that of the police, the other institution granted a legitimate monopoly of the use of force: the police has a principal mission of searching for persons and groups that tend to prioritize dissimulation. So, war imposes a meeting, but this is not always easy, because everyone knows the price to be paid, especially in the event of failure.
- The odyssey of deadlock
Between the 8th and 5th centuries BC, the Greek city-states waged war on each other in a highly ritualized procedure. War was deliberately limited in duration, volume and stakes. The cities set up “phalanxes” of citizen militiamen who met on a battlefield that was accepted by mutual agreement, and the fate of the battle often decided the entire campaign. The defeated party surrendered, all the more easily because it knew that this defeat would not be total. All this was only possible because these city-states operated within the same cultural framework. The Greeks all had the same vision of the world, and even of the “other world”, and they were able to agree on the manner of organizing their interrelations, whether peaceful or not.
And then this balance was broken. Already, since the 7th century BC, Sparta had developed a socio-political system that was different to the others. For this city-state of the inner Peloponnese, the aim was not to cultivate its land and to found new colonies with the surplus of its population but to conquer its neighbours and impose its total domination on them. For that, it had to become a military power superior to all the others. The manner of fighting remained the same, but, through a ruthless process of selection and training, Sparta equipped itself with a professional army. Hoplite battle consisted of a compression of two masses, and the decision came from the rear ranks, among those watching the combat and assessing the outcome. If this outcome was negative, the retreat would start and would generally end in generalized all-out fleeing. At this particular game, the inflexible Spartans were apparently unbeatable. By the end of the 6th century BC, they already dominated the entire Peloponnese.
Then came the Persian barbarians. This time, there was no more question of limited war. Defeat for the Greeks would now mean enslavement or a fate even worse for those that refused. The impending battles would be decisive and total. They also brought discoveries. In 490 BC, when the Athenian hoplites and some of their allies were confronted by the Persian army, nobody had a clear idea what was going to happen, since the two armies were so different. Ultimately, the Athenian phalanx won the day. However, this was only a respite. Ten years later, a new Persian expedition arrived with a much bigger force.
In the meantime, the most important evolution had occurred in the city-state of Athens, which, after beating the Persians on land, recalled the terror produced by the presence of the enemy fleet off Attica while the hoplites were still in Marathon. It therefore took the rare step of imitating its defeated foe by building its own large war fleet. This decision had profound consequences: it enabled Athens to win the naval battle of Salamis in 480 BC, to impose itself as the hegemonic power over the city-states of the islands and coasts of the Aegean Sea and then to establish its dominance in maritime trade, which at the time was the main source of wealth.
So, Greece was militarily dominated by the two city-states that had been able to transform themselves, Sparta and Athens. Their confrontation was inevitable. However, the conflict turned out to be highly complex, because the two had diverged so far in their methods of waging war that they no longer had a common space in which to do battle.
When the Spartans and their allies penetrated Attica in the spring of 431 BC, their victory seemed certain: the Athenians would not be able to bear seeing their crops ravaged; and so they would come and fight and inevitably lose, because the Spartan superiority on land was so great. However, to the great surprise of King Archidamos, the Athenians refused this unequal fight. Harvests were no longer vital for them, compared to maritime trade and the tributes from their “allies”. Meanwhile, protected by solid fortifications all the way to the port of Piraeus, Athens enjoyed superiority on the seas. With its fleet, it could conduct a new type of military campaign, consisting of raids on the coasts, designed to exhaust the resources of its adversary and to break the alliance between Sparta and Megara, the connecting point between the Peloponnese and Attica. This strategy turned out to be no more effective than that of the Spartans, because neither Sparta nor Megara yielded. The two adversaries were in deadlock, and they stubbornly continued to be so for several years, almost never meeting on a battlefield.
- War of the worlds
This phenomenon is regularly encountered in the history of warfare, but it was greatly increased with the Industrial Revolution. In a little more than a century, new environments became accessible to humans—the air, the world under the seas and outer space. These vast new environments also include subsets. The high seas and coastal waters are not at all the same “space” for sailors; the same applies to “landlubbers”, who do not fight the same way in the desert, in the mountains, in megacities or in deep forests.
We have even discovered invisible spaces. In 1898, Herbert George Wells published The War of the Worlds. The expeditionary Martian force that is described in the novel controls every space and therefore appears to be invincible. In reality, it does not have mastery over microscopic organisms (germs) and is entirely destroyed by pathogens. Wells was without doubt inspired by colonial expeditions, in particular the French expedition four years earlier to Madagascar, during which five thousand seven hundred French soldiers (40% of the total force) died of disease, while only twenty-five died in battle. At the time, it was said that Madagascar was protected against foreigners by bad roads and tropical diseases. This did not last. Roadworks and tropical medicine overcame these barriers.
More subtly, but relatively rarely, individuals can occupy radically different mental spaces. In writing The War of the Worlds. H.G. Wells had probably also drawn inspiration from the conquest of America by the Spanish, a confrontation that most closely resembled what an extra-terrestrial invasion might be like. With their mastery of gunpowder and steel, the wheel and the domestication of the horse, the conquistadors were centuries in advance of the Aztecs (and, this time, it was they who were allied with germs). Also, the two peoples did not see the world in the same way, including when it came to fighting: the Aztecs did not understand the violence of the Spanish on the battlefield, a place that, for the Aztecs, was destined for the capture of prisoners for subsequent sacrifice to the gods; for their part, the Spanish were horrified by the fate reserved to prisoners. War could only be total between them, but all were reluctant to meet.
Modern military might is measured by its ability to dominate the kaleidoscope of different environments. So, the number of “armed forces” and the specialized services within them have multiplied, with different practices requiring specific resources and skills. Few nations manage to be powerful in every domain simultaneously. The effort is too great. So, when these great nations confront each other, they do so in different environments and according to different values. Sometimes, the distortions are such that they lead to deadlock similar to that of the Peloponnesian War. In May-June 1940, the German victory in the space of continental battlefields had split their adversaries. Now alone, but ruling the sea, the United Kingdom was able to prevent the powerful German army from landing on its shores, but on the other hand, it did not have the means to defeat Germany. From that moment, the strategic equation was essentially the same as in Greece two thousand five hundred years earlier. How do you defeat an enemy without really being able to meet and engage it in battle?
One modern method of attempting to break this deadlock is to superimpose a space where you are strong on another where you are weak or do not wish to go. This is typically the case of bombing campaigns or submarine campaigns. The disadvantage is that these intersections of different spaces rarely produce battles, in other words major confrontations between forces that accelerate the decision. In August 1945, the atomic strikes on Hiroshima and Nagasaki constituted exceptions, but they should perhaps be considered independently of the other events of the time. The Allies were generally proceeding by multiple localized actions, such as a ship sunk here, an air or artillery strike or a commando raid there, in the hopes that the accumulation of these actions would produce an emerging strategic effect, such as economic suffocation, revolution, exhaustion of public opinion, collapse or simply the submission of the power in place.
Most armed organizations do not operate any differently. This is termed “guerrilla warfare” or sometimes also “terrorism”. with the difference that these fighters generally operate in the same environment as the enemy, but in dissimulation and via different forms of action. In these cases, the combat is often between the visible and the invisible, but always has the aim of obtaining an emerging effect, generally lassitude. The greatest success of the Athenians during the Peloponnesian War occurred in 425 BC, when, flouting custom, their light troops, javelineers, archers and rebel helots harassed a contingent of Spartan hoplites and forced them to surrender, a feat unheard of at the time.
This tactic still works sometimes. From March to May 2008, the Sadr City district of Baghdad, with two million inhabitants and the stronghold of the Mahdi army, was blockaded by the Americans, who encircled the walls and surrounded it with a massive complex of strikes, ranging from sniper fire to fighter-bombers by way of armed drones. Moqtada al-Sadr, leader of the Mahdi army, finally accepted to negotiate and lay down arms. The same thing had happened a few years earlier in the Bosnian Serb Republic in 1995, or in 1999 in Serbia, which accepted to evacuate Kosovo after seventy-eight days of bombardment and the threat of a land offensive. Guerrillas are generally effective, wearing down a local power and tiring out an external power, but generally over a very long timescale.
In reality, the results are often mitigated. Environments themselves may have been modified to counter the aggressions from another space. To meet fire from the sky, forces often go underground, from the trenches of the First World War to the bunkers and tunnels of Hezbollah in South Lebanon. A new environment of refuge has therefore been created. However, even on the ground, through increased protection, dispersion, deception and, especially, concealment, armed forces can adapt and considerably reduce the effect of strikes, which therefore lose a major part of their advantage. Sometimes, as in the case of Israel against Hezbollah or Hamas, we witness forces that strike each other by air, with air raids on one side versus rockets and shells on the other, but these forces do not meet on the ground and barely do any serious damage to each other, protected as they are by defence barriers and multiple shelters, while, for their part, the civilian populations on either side are hit.
Another method of fighting consists in attempting to draw the enemy into your own preferred element. In the above example, despite their reluctance, the Israelis were obliged to send land forces to South Lebanon in July 2006 and to the Gaza Strip, in particular during the 2014 war, because this was the only means of preventing rocket strikes on their territory in the first case and underground raids in the second. This was done at the price of heavy losses on each occasion and even humiliations in the case of Hezbollah. Another option is to voluntarily place yourself in a situation of vulnerability deep in the enemy’s space in order to tempt it. This was the approach that was successfully adopted by the Spartans, who, in 313 BC, occupied the fort of Decelia in the heart of Attica, or unsuccessfully by the French expeditionary force (CEF) in Indochina, which, from 1951 onwards, established bases in the Upper Tonkin region – an experience that ended in disaster at Dien Bien Phu, illustrating the difficulty of this ploy, especially if you always proceed in the same manner against an imaginative adversary.
- Coming together to fight
In reality, very often, the most effective solution consists in imitating the adversary and taking the fight to its preferred environment. To do so, it is necessary to create specific units, practically an entirely new service of the armed forces. In the Peloponnesian War, this meant that Athens had to transform its land army to make it capable of defeating the Spartan army on the battlefield, and that Sparta had to create from scratch a fleet that was sufficiently powerful to win the seas. The first solution was not impossible” in 371 BC, or thirty-three years after the end of this conflict, the Theban general Epaminondas managed to crush the Spartan army at Leuctra by innovating in the organization of forces on the battlefield; Athens, for its part, failed to make this effort of imagination. Ultimately, the most surprising thing is that it was the second solution that was implemented: nothing was further removed from the very conservative and land-loving Spartans than naval war. However, they managed to create a fleet and even to obtain victory at sea, aided, it is true, by Persian treasure and the enormous errors of the Athenian strategic leadership, which lost several dozen professional rowers in the disastrous Sicilian Expedition and had put its victorious “strategoi”1 to death after the naval battle of Arginusae in 406 BC. From then on, the victory of Sparta was no longer in doubt.
In the summer of 1940, there were hardly any options for Germany other than to invade the United Kingdom, but, for that, Germany needed supremacy in the air and a navy capable of rivalling the Royal Navy. Both of these imperatives were impossible to attain, at least in the short term. Conversely, once the illusion that it was possible to break the will of the enemy by aerial bombardment had been refuted, the British had no other hope of winning the war than to land their forces on the soil of the continent and to gain victory over the German forces on land. It is true that there were peripheral battles in Greece and, especially, in Libya, but these were of no major danger to the Reich. Britain had to wait for the United States, the equivalent of the Persian Empire for the Spartans, and in particular for the entry of the US into the war, to be able to constitute this powerful land force that could defy the army of the Axis in North Africa, Italy and, above all, France in 1944.
During the Indochina war, the Viet Minh were the ones who most successfully imitated their adversaries, by forming, with the aid of China, a regular battle corps composed of several light infantry divisions and support regiments. At ease in the mountainous and forest region of Upper Tonkin, the Viet Minh first surprised the French Expeditionary Corps on Colonial Road 4, where the French lost five thousand men in a gigantic ambush. The French were subsequently reassured on observing their superiority in locations where their mastery of the third dimension enabled them to strike massively. In response, the Viet Minh undertook a new imitation, by equipping themselves with powerful artillery and anti-aircraft weaponry. To support the logistics required by this heavier equipment, China supplied a fleet of trucks. So, the Viet Minh gradually abandoned the lightness and furtiveness that constituted their strength, but. by more closely resembling the French Expeditionary Corps, they could more easily defeat it. Like the Athenian leaders, the French commanders made things easy for their adversary by accepting to do battle far away from their support capacity, while simultaneously engaging their reserves in another operation.
Was the inverse movement—in other words for the French to shed weight, to leave the roads and to hunt down the enemy on its own terrain—impossible? No. Only ten years before Dien Bien Phu, and five hundred kilometres away, the British had gone much further by committing a largely equivalent number of forces to those employed by the French at Dien Bien Phu, but these forces consisted entirely of infantrymen specialized in jungle combat, six brigades of “Chindits”, which dominated this difficult terrain against the Japanese. It was not just a question of acquiring skills. The Allies had also made an enormous effort in tropical medicine to considerably reduce the risks involved in operating in the jungle. By leaving this problem to their Japanese adversaries, who had not made the same effort, the advantage of mastery of the environment changed camps.
Normally, the more powerful party is best equipped to take on the element of the other. It can conserve its superiority in other domains while hunting down the enemy where the enemy is hiding. The Chindits overcame their enemies through their own qualities and also thanks to their close association with six hundred American aircraft of all types. The same applies to the Algerian War, when the French forces, which were modern, masters of the sky, roads and strike force, created a light infantry similar to the “Katibas” of the National Liberation Army (ALN). The French infantrymen left their vehicles and relearned how to march and survive in the field like the rebels. However, this is only possible if,, as in the case of the Persian-Spartan or Anglo-American alliance, in addition to the political and military will, there is also a considerable superiority of resources. . In fact, one good solution, when you are rich, is, where possible, to buy or team up with local fighters who already know the terrain, such as the Indian allies of Cortez, the colonial troops or the “sons of Iraq” that teamed up with the Americans in 2006 to 2008.
Imitating your adversaries and hunting them down in their own terrain is not necessarily enough to win the war, but it can generally help to avoid losing it. Since 1800, the most powerful camp has won the war in three-quarters of cases when it has imitated the weaker party, but in only one out of three cases when it has not done so. 2. So, we can legitimately ask why it is not always the case. The answer is simple: it demands considerable effort. To imitate an adversary, often after accusing it of the worst crimes and perversities, is repugnant. To abandon the form of war you prefer, the form you master because you have prepared for it for years, and to do something that is thankless and where you are, at least initially, uncomfortable, is unpleasant. Above all, before starting, you have to admit your inadequacies, understand that you need to innovate and invest, while this new force will not necessarily be useful for any other type of adversary. To penetrate the element of the other also means taking a risk, in particular the risk of losing human lives, and this is the least acceptable risk today for the Western armed forces. So, these forces prefer to remain in their protection zone, at the risk of low productivity, often leaving the initiative of adaptation to their adversaries.