« Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins »
Charles Baudelaire (Élévation)
« À qui demande un art de diriger l’homme
répondez un poème de retour vers les monts »
Wang Wei (Les Saisons bleues)
Comment parler aujourd’hui d’élévation (de soi) sans connotations ni préjugés d’emblée positifs ou négatifs à son endroit ? Et, plus généralement, quel sort la modernité lui a-t-elle réservé, quels changements de régime a-t-elle imposés à ce projet ancien ? De fait, la modernité, qui s’est construite sur le refus de toute forme de transcendance et l’exclusion de tout principe qu’elle ne s’est pas donné elle-même pour fonder cette création strictement humaine qu’est la société, peut sembler par principe hostile à l’idée. Pourtant, elle ne cessera d’aménager selon des modalités diverses une place à l’élévation tant cette dernière est le propre de l’humanité et de sa quête d’être.
- Transcendance et autorité
En effet, l’élévation se présente à l’origine comme la marque des sociétés pré-modernes et hétéronomes : elle y est conçue comme une modalité de la hiérarchie et de l’autorité, dans un cadre verticaliste qui met les individus et les productions collectives sous la dépendance de puissances supérieures, extérieures et antérieures à tout vouloir humain. En ce sens, elle se traduit de façon pratique par une conception de l’autorité qui se justifiera par le respect d’un ordre social figé car naturalisé1. Ainsi, le cosmos chez Platon et la Physis chez Aristote servent de référents extra-humains à la fabrique de la hiérarchie sociale et à l’échelonnement des positions des uns et des autres en son sein. L’élévation ne tient pas d’un processus ou d’une décision, mais d’un état donné, calé sur l’ordre démiurgique du monde qu’il s’agit, au titre de sa perfection, de sa stabilité et de son éternité, de reproduire au plan du microcosme humain. Autrement dit, on ne s’élève pas car on est d’emblée élevé : l’élévation s’assimile à une « élection » selon des modalités variables en fonction des époques et des auteurs.
Dans la philosophie platonicienne, l’élévation sera ainsi réservée à ceux qui, en contact avec le monde des Idées, pourront s’en faire les interprètes légitimes pour guider sans force ni contrainte les autres vers des conduites auxquelles ils se plieront par devoir naturel d’obéissance à cette croyance en des entités intelligibles supra-humaines. Aristote, pour sa part, trouvera dans le monde physique matière à construire une échelle des êtres2 qui, ordonnée selon leur degré supposé de complexité, justifiera la distinction des positions sociales entre « ceux qui commandent et ceux qui sont commandés ».
L’élévation procède de cette augmentation, de ce « plus » que procure l’autorité de certains pour l’exercice ordinaire et concret du pouvoir, comme le montre également l’exemple du Sénat romain. L’autorité de ses avis et son rôle surplombant tiennent à l’attachement à la tradition, au crédit donné aux legs immémoriaux, aux origines, aux enseignements du passé dont ses membres sont les garants et les seuls à même de comprendre le sens sacré exact afin d’éclairer le peuple et définir les décisions présentes et futures à prendre. Les traités des devoirs et des vertus témoignent de cet ordonnancement du monde en fournissant les guides des bonnes pratiques à adopter contre les méfaits de certaines passions (ambition, orgueil, enrichissement, jalousie, colère…) pour maintenir l’équilibre, le statu quo de l’ensemble.
Aussi l’élévation relève-t-elle d’un idéal dont le domaine réservé aux élus exige, dans le récit chrétien, de se plier aux canons du dogme en menant une « vie bonne ». Insuffisante en elle-même, la foi suppose des preuves par des actes ici-bas qui assurent d’un salut des âmes dans un au-delà, et d’une vie future meilleure et éternelle. Avec cette promesse rassurante de gratification aux sacrifices consentis et aux situations supportées, l’élévation, indexée à la révélation, se fait donc ascension sous condition, mais sous la protection rapprochée qu’offre la direction de conscience3.
La connaissance n’échappe pas à ce régime de l’élévation fondée sur la croyance en un absolu à atteindre. Dépositaires de l’autorité savante, les savoirs trouvent différents modes d’organisation qui scandent les étapes de l’élévation intellectuelle vers un sommet qu’occupera une discipline ou une autre selon les époques4. Tandis que les Grecs penseront ce tour des connaissances (cyclopaedia) comme un parcours de formation circulaire obligatoire, matière après matière, selon un ordre fidèle à l’être, l’orbis doctrinae romain (comme chez Capella par exemple) les hiérarchisera du terrestre au céleste, de l’empirique à l’abstrait jusqu’à l’accès au centre occupé par la sapienza. Le christianisme, quant à lui, optera pour un théocentrisme des sommes : le Livre devient le suprême articulateur des savoirs dont la place dépendra de leur capacité exégétique à transmettre la vérité divine et la sainteté des Écritures. À la Renaissance, les théâtres de la mémoire font rayonner par des astuces mnémotechniques les connaissances constituées autour d’une principale, divine ou magique, avant que la figure de l’arbre ne l’emporte comme mode d’élévation vertical et progressif, orienté et préétabli, vers une discipline reine. Celle-ci, au titre de son pouvoir supérieur de déchiffrement du monde, fixe et oriente les relations et les principes de circulation entre les autres savoirs : ce seront les Écritures pour Lulle, la métaphysique pour Bacon, les mathématiques pour Descartes.
L’élévation ainsi entendue suppose un principe d’unité générale. Or cet encyclopédisme et la pédagogie de l’élévation qu’il promeut siéent mal au monde tel que la science moderne le décrit désormais. C’est-à-dire un univers infini, sans haut ni bas, acentrique, non hiérarchisé, et dont l’ordre instable et toujours provisoire se recompose sans cesse au gré des relations, des interactions et des combinaisons selon une chaîne qui maintient l’ensemble interdépendant5. Leibniz, mais surtout Diderot et d’Alembert répondent à ce nouvel ordre du monde par un mode de présentation réticulaire des savoirs à entrées multiples, transversal, horizontal, interactif, et avec des systèmes de renvois faisant du lecteur, bien avant l’Internet, le propre acteur de sa recherche au sein d’un parcours improvisé et alimenté par la curiosité, le hasard, les associations d’idées et l’imagination…
L’image du labyrinthe, tant repoussée par Descartes qui préférait la logique linéaire rassurante des causes et des effets, s’impose alors. Avant que ne se pose la question actuelle de la fiabilité des sources, de la manipulation/déformation des informations et de l’enfermement dans des entre-soi numériques, s’élever consiste en une heuristique libre et personnelle, mais exposant toujours au risque de se perdre. Risque d’autant plus élevé quand l’intériorité est elle-même devenue, sous la plume de Léonard de Vinci par exemple, entrelacs, complexe d’intrications vertigineuses… Sonnaient déjà, comme des avertissements face à ces dangers, la béatitude, du moins la sérénité que cherchait désespérément Pétrarque dans l’ascension du mont Ventoux, ou encore la dignité humaine que Pic de la Mirandole trouvait dans les formes supérieures pour lutter contre la désorientation et la perte de sens…
- Reconnaissance et (in)dépendance
Si s’élever renvoie initialement, on l’a vu, à un idéal verticaliste associé à un modèle hiérarchique d’autorité, l’entrée dans la modernité en transforme nécessairement les modalités, surtout une fois activés les principes démocratiques, mais sans toutefois rendre impossible le projet. S’élever procédera non d’une politique de l’élection naturelle mais d’une diplomatie de l’autorité acquise, non d’une faculté innée réservée à quelques-uns, mais d’une compétence reconnue par tous à entraîner chacun. En dépit des différences de position et de statut, l’autorité d’un argumentaire se substitue à l’argument d’autorité. Consistant toujours en une augmentation, l’autorité, pour conduire chacun à s’élever, suppose une argumentation au cours d’un échange offrant les conditions égalitaires de reconnaissance de tous nécessaires afin que se dégage la légitimité supérieure, reconnue et acceptée de l’un d’eux à les conduire et à les former6.
C’est dans ce cadre que la communication devient un acte pédagogique et que la parole se fait outil d’une maïeutique de l’élévation. Outil dont l’usage, pour éviter aux moins dotés l’« incompétence démocratique », impose de respecter quelques principes : la parole devra d’abord circuler, être donnée à tous ; être tenue ensuite, performative et non simplement déclarative ; être enseignée enfin, pour en maîtriser les usages ainsi que les ressources langagières et rhétoriques et échanger « à armes égales ». Aussi l’élévation passe-t-elle par la reconnaissance d’une altérité et des singularités individuelles auxquelles seule la communication, quand des intentions extérieures ou des maux contemporains plus structurels ne pervertissent pas sa vocation naturelle, peut éveiller. Ainsi, par exemple, le relativisme ambiant qui renie sinon dénonce l’élévation vers l’idéal universaliste auquel entend conduire par la raison l’argumentation7.
Car, pour la modernité, s’élever, c’est aussi être et devenir un individu. Or, si la modernité a conçu son élévation en l’indexant à un idéal humaniste et au projet de hisser l’homme, par-delà ses intérêts personnels et ses origines (géographiques, sociales, religieuses...), au rang de citoyen appartenant et intégré à une communauté politique plus vaste – la nation qui allie création d’un collectif et élévation de chacun8 –, l’individualisme signifiait aussi de se construire par soi-même une autonomie, sans l’appui des modes d’affiliation traditionnels, et d’être l’auteur original de sa vie par son action, son travail et son mérite.
L’élévation est ici à replacer dans l’idéologie du progrès qui l’a sécularisée, grâce à cette libération des anciennes entraves par la science et l’éducation dont Condorcet fait le célèbre tableau. Mais la version triomphaliste de l’individu que portaient la philosophie des Lumières et les économistes politiques au xviiie siècle oubliait sa dimension élitiste et les réalités sociales : rares étaient ceux qui avaient par leurs propres moyens matériels, financiers et intellectuels les conditions d’une autonomie réelle.
L’émancipation du groupe et des différentes tutelles est donc au prix d’une indépendance sans ressources, faisant de beaucoup des « individus par défaut »9. L’élévation de l’individu s’est donc doublée de dispositifs visant surtout à lui éviter la chute : l’État-providence et les longues luttes pour la conquête des droits sociaux témoignent des difficultés de cette nouvelle condition existentielle qu’installe l’individualisme ainsi que de la nécessité de supports de sécurisation et de solidarité pour faire face aux inévitables aléas de la vie.
Mais, par ailleurs, cette promotion de l’individu est-elle nécessairement synonyme de son élévation (et vice versa) ? Durkheim et Tocqueville avaient alerté très tôt sur les risques que véhiculait l’individualisme : le premier craignait qu’il ne se dégrade en une glorification du moi conduisant à une dérégulation des désirs et à l’anomie sociale, tandis que le second, le définissant comme un repli sur la sphère privée et ses conforts matériels, signalait l’indifférence, l’apathie politique et l’endormissement général qu’il entraînait. Dans les deux cas, il ouvrait sur des modes d’être très peu propices au souci pour le bien commun et à une conscience de l’intérêt général, mais plutôt sur des formes nouvelles d’aliénation bientôt provoquées par les divertissements de masse et les produits abrutissants à l’esthétique standardisée des industries culturelles.
Une telle perspective signait non seulement un arrêt brutal du processus de civilisation qui entendait élever l’homme en reléguant à la bestialité la nature humaine, ses basses passions et ses manifestations corporelles10, mais aussi, plus profondément, la fin de l’idée même d’élévation, telle que Platon l’entendait dans le Protagoras. Au désir, à l’origine de l’élévation, d’être (un) autre, de « différer », de (se) « découvrir », de sublimer, de se projeter par idéalisation, identification ou symbolisation dans l’inconnu voire dans le mystère, toujours hors de soi donc, se substitue le règne de la pulsion, de son assouvissement narcissique et réflexe immédiat, du fractionnement du singulier et de l’altérité en des unités aussi mesurables que jetables pour entretenir la frustration addictive vers des objets qui, réduits à leur valeur d’usage, ont perdu tout de leur incommensurable et de leur capacité à nous grandir11.
Selon Hannah Arendt, grandes sont alors les chances qu’« en l’absence de tragique et de grandeur, la passion pour les petites choses » se poursuive. Si, selon nous, l’élévation ne se résume ni à la mobilité sociale ni à une hausse du niveau de vie que connaîtront beaucoup pendant la seconde moitié du xxe siècle grâce aux opportunités du développement économique et à la démocratisation de l’enseignement supérieur, force est alors de constater que les avatars de l’individualisme confortent le diagnostic dressé très tôt par les deux sociologues.
En effet, l’entrée dans la seconde modernité signe une offre individualiste dont les quatre formes dominantes prédisposent peu à une élévation de soi entendue comme une disposition profondément résolue à tourner son existence vers des finalités supérieures, qu’elles soient intérieures ou sociales. De fait, selon l’individualisme concurrentiel, l’existence pleinement réalisée réside dans la performance et dans la compétition tandis que l’individualisme consumériste mesure la valeur personnelle à la capacité d’acquisition, à la possession de biens matériels et de signes symboliques distinctifs. L’individualisme du développement personnel, pour sa part, encourage un être au monde fondé sur le détachement, le cocooning et la conscience solitaire du plein instant pendant que l’individualisme des droits attend des attributs estimés essentiels de l’identité une reconnaissance sociale à l’issue de luttes et revendications.
Comment, dans ces conditions, s’élever pourrait-il consister à exister (ex-sistere), c’est-à-dire assurer une sortie de soi qui rompe avec les facilités émollientes des différentes formules individualistes contemporaines pour gagner, au moyen de divers exercices et de règles de discipline, en plénitude, résistance et épaisseur, et finalement changer de vie12 ? L’élévation exige d’autant plus d’efforts que désormais supports et référents, pairs et exemples manquent comme dispositifs de soutien et d’entraînement. Avant que la rationalité néolibérale n’impose l’individu auto-entrepreneur de soi, la modernité a substitué aux anciennes figures et aux anciens modèles d’identification tutélaires des types de vie plus ordinaires qui, soumis au régime de « l’imitation-mode » que Gabriel Tarde avait très tôt parfaitement analysée13, s’apparentent davantage à d’éphémères idoles artificiellement fabriquées par le spectacle médiatique ou numérique. Un « individualisme des devoirs », désormais moins visible mais à la généalogie ancienne et toujours active dans certains lieux et institutions, serait sans doute de nature à réhabiliter l’élévation comme une force morale et une éthique verticaliste de conduite de soi, comme un objectif humaniste articulant dignité personnelle et engagement collectif, sentiments de dette par rapport à un héritage et de responsabilité à l’égard du futur.
- Être à la hauteur plus que s’élever :
accélération et augmentation
La modernité projette les existences sur un plan d’immanence qui, transformant notre être au monde et notre rapport à la vie, modifie les conditions de possibilité et le sens que peut y prendre l’élévation. À la contemplation des cieux, à l’attente de l’éternité dans un Au-delà meilleur, l’individu préfère aujourd’hui jouir hic et nunc des possibilités dont le monde regorge. Il s’agit alors moins de s’élever que d’avoir en accumulant une multitude d’expériences qui seront autant de critères d’évaluation d’une vie moins « bonne » que réussie car présumée riche, intéressante à l’aune de ces indicateurs quantitatifs. Atteindre cet idéal intramondain passe par la mise en accélération de soi à l’aide des moyens techniques disponibles, mais qui assurent finalement moins d’une élévation que d’une aliénation en entretenant un espoir toujours retardé, déceptif et artificiel d’acquérir un surplus d’être par cette tentative désespérée de diminuer l’écart entre l’infini des avoirs possibles et les options réalisées14.
Témoigne de cette poursuite effrénée une palette de sentiments qui, entre panique et impuissance, et nécessitant souvent l’aide de béquilles chimiques, se traduisent selon les cas et les moments par des formes d’hyperactivité ainsi que des phases de renoncement et de fatigue d’être soi. Le « culte de l’urgence »15 et son tableau clinique illustrent donc davantage l’injonction d’« être à la hauteur » qu’une quête d’élévation, la peur d’une diminution et une crainte de perdre dans cette course à la performance dont le défi passe par un entretien de son capital sinon par un entraînement de son potentiel dopé par des techniques d’augmentation médicamenteuses, psychologiques et physiques.
L’autonomie, que la modernité visait en souhaitant que chacun se détermine soi-même, fixe ses propres buts et se réalise selon des idéaux librement choisis, se retourne alors contre elle-même : cette nouvelle injonction à la « vie intense »16 cadre mal avec un projet intégré et global de vie selon des orientations fortes, réfléchies et structurantes, avec l’idée d’une évolution maîtrisée ainsi qu’un ensemble d’épisodes et d’expériences formant à terme et de façon cumulative une histoire pleine de sens, scandée par des étapes d’élévation progressive de soi. Le plan de construction de soi sur la longue durée cède devant les urgences d’une « identité positionnelle » qui, en fonction des contextes et des opportunités, saura s’adapter, rebondir, être souple, flexible face aux situations toujours temporaires et changeantes.
Grand est alors le risque que la vie ne devienne un simple ensemble hétéroclite d’éléments subis, une somme d’instants frénétiques non pensés voire non voulus, sans cohérence ni direction commune générale, non reliés entre eux, instables, mouvants, bref sans sens. Pour le dire dans des termes plus métaphoriques ou abstraits, de la ligne d’expansion et d’élévation consistant en un cheminement progressif vers un sentiment de plénitude, une maturité à travers des étapes cumulatives, on passe aujourd’hui à une structuration éclatée de soi, en réseau, faite d’une succession de centres d’intérêt, de « sites » d’activités et de scènes sur lesquels on passe et investit de façon anarchique, sans plan prévu d’avance, au gré des occasions et des circonstances, et que l’on relie au hasard et, a posteriori, pour essayer de contrer le sentiment de désorientation et donner à cette improvisation existentielle une signification d’ensemble au récit du moi liquide.
- S’accomplir : marge ou marche vers l’élévation ?
Cette situation dévoile aussi, par contraste, que l’élévation mobilise les ressorts intimes d’une conduite de soi exigeant, on l’a laissé entendre, une force morale mais également une vision appuyée sur une préparation en amont ainsi qu’une conscience par anticipation des actes et des difficultés à surmonter. L’exemple de l’alpinisme, tourné vers la découverte d’une voie « dégagée », est à cet égard une illustration de cette philosophie de vie17, un cas pratique de ces ressources que l’on peut transposer et généraliser à un mode d’existence pensé selon une ligne directrice soustraite le plus possible aux secousses rythmiques désynchronisées des activités et aux réagencements organisationnels permanents qui semblent devenir l’ordinaire valorisé de la vie moderne. L’élévation tient alors à cette décision forte de retrouver ce sentiment de maîtrise de son existence. Elle est suspendue à une autonomie, certes garantie par la modernité mais qu’il revient à chacun de remplir de sens selon un plan personnel à définir et à tenir pour espérer pleinement s’accomplir en tant qu’individu. Elle engage ainsi à déployer les différentes facettes de l’effort18 sans bénéficier toutefois des repères normatifs et guides sociaux que fixaient les anciennes puissances transcendantes.
Si la fabrique des élites – de l’entrée dans les grandes écoles jusqu’au déroulement des carrières dans la haute fonction publique ou ailleurs selon des schémas programmés – offre un modèle d’élévation stabilisé par des règles d’entrée, des postes et des avancements bien établis, peut-on pour autant limiter l’idée d’élévation à la profession occupée, à la promotion, à l’augmentation de salaire, et l’indexer ou la réduire à des passages à des niveaux de responsabilité supérieurs selon un parcours que l’on sait par ailleurs moins linéaire que naguère ? Puisque s’élever est désormais affaire d’individus et revient pour chacun à donner du sens à ses actes, les visages que peut prendre, en dehors des voies institutionnelles, le sentiment d’élévation chez chacun motivé par l’accomplissement de soi sont nécessairement divers et changeants, et aussi moins immédiatement visibles. Cet accomplissement passe par des formes d’invention non pas selon des trajectoires et des plans préétablis, mais à travers la capitalisation d’expériences originales et structurantes de sa singularité et en lien avec les valeurs de l’utile, de l’essentiel et du désintéressement.
Les récents mouvements de défection et de démission de jeunes diplômés confirment cette tendance structurelle à majorer dans les choix de vie et d’emploi la place de la quête de sens et de l’accomplissement de soi19. De tels paramètres peuvent conduire à des modes d’insertion professionnelle et de participation sociale ni linéaires ni cumulatifs, en prise avec les opportunités et les envies du moment comme avec les adaptations aux aléas de la conjoncture économique. Alterneront alors, selon des temporalités très individualisées, disruptives même – variables et imprévisibles donc –, des périodes de fort investissement, stimulées par l’engagement dans un projet tourné vers le commun ou le dévouement à une cause estimée supérieure, et d’autres davantage marquées par l’intention escapiste ou résiliente selon un large éventail de motifs et de besoins : de la pause réflexive et ressourçante à la rupture et aux bifurcations radicales en passant par la reconversion ou l’expérimentation d’autres modes d’être individuels ou collectifs. Les motifs éthiques plus que matériels et financiers guident la définition des priorités et des choix d’un faire créatif, engageant souvent le corps et la matière, et évalué comme mode de relation au monde au titre de sa « résonance »20, de la portée du geste face à l’interdépendance des actions de chacun et de leurs conséquences pour tous.
De cette diversité d’options possibles contre la dérive des existences vers le hors-sol et le sans contact21, l’élévation se signalerait alors par la nécessité vitale, très « terrienne », d’un recentrement de l’attention vers le réel qui dicterait les exigences d’un vivre mieux et les termes des conduites individuelles à tenir en conscience morale et civique. Habiter le monde ici-bas comme signe d’une hauteur tout intérieure : tel serait le nouveau croire en l’élévation, ancrée dans l’agir responsable et le croître d’une « vie solide »22.
1 H. Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité ? », La Crise de la culture [1954], Paris, Gallimard, 1972.
2 Elle inspirera jusqu’au xviiie siècle classifications et taxonomies, comme celle de Charles Bonnet.
3 J. Delumeau, Rassurer et Protéger. Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Fayard, 1989.
4 É. Letonturier, « Petite géométrie des savoirs encyclopédiques : cercle, arbre et réseau », Hermès n° 66, 2013, pp. 46-53.
5 A. Koyré, Du monde clos à l’univers infini, Paris, Gallimard, 1973.
6 É. Letonturier, « La confiance des Modernes, entre parole et autorité », Hermès n° 88, 2021, pp. 78-82.
7 F. Wolff, Plaidoyer pour l’universel. Fonder l’humanisme, Paris, Fayard, 2019.
8 On notera ici l’importance du rituel comme dispositif de l’élévation en ce qu’il en est la manifestation, la traduction culturelle et symbolique selon des formes civiles partagées.
9 R. Castel, Les Métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995.
10 N. Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973.
11 B. Stiegler et R. Renucci, S’élever d’urgence, Pantin, Éditions de l’Attribut/Tréteaux de France, 2014. Voir également B. Stiegler, Des pieds et des mains. Petite conférence sur l’homme et son désir de grandir, Paris, Bayard, 2006.
12 P. Sloterdijk, Tu dois changer ta vie. De l’anthropotechnique, Paris, Libella-Maren Sell, 2011.
13 G. Tarde, Les Lois de l’imitation [1890], Paris, Kimé, 1993.
14 H. Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, 2013.
15 N. Aubert, Le Culte de l’urgence, Paris, Flammarion, 2003.
16 T. Garcia, La Vie intense. Une obsession moderne, Paris, Autrement, 2016.
17 P.-H. Frangne, De l’alpinisme, Presses universitaires de Rennes, 2019.
18 I. Queval, Philosophie de l’effort, Nantes, Éditions nouvelles Cécile Defaut, 2016.
19 Th. Coutrot et C. Perez, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, Paris, Le Seuil, 2022.
20 H. Rosa, Résonance. Une sociologie de la relation au monde, Paris, La Découverte, 2018.
21 M. B. Crawford, Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver, Paris, La Découverte, 2016.
22 A. Lochmann, La Vie solide, Paris, Payot, 2019.
“O happy who can cast aside their chains,
The heavy load of grief and weariness,
And, winging from this misty wilderness,
Can set their eyes on those far-shining plains!”
Charles Baudelaire (Elevation)
“To whoever asks for the art of leading man,
Answer a poem about returning to the mountains”
Wang Wei
In today’s world, how can one discuss elevation (of the self) without fearing connotations or prejudice, be they positive or negative? In a more general sense, what fate does modernity have in store for the concept of elevation, and what major changes has it imposed upon this ancient pursuit? For modernity is founded upon the refusal of any form of transcendence, opposes all principles outside of its own conception of society – being a strictly human creation – and may therefore seem hostile to the idea of elevation. Yet, modernity will invariably leave space for elevation in its various forms, since the latter constitutes the very essence of humanity and its quest for being.
- Transcendence and authority
Originally, elevation was a feature of pre-modern and heteronomous societies: it was seen as a form of hierarchy and authority within a vertical framework that placed individuals and collective undertakings under the authority of transcendent powers, which are external and precursory to human will. In this sense, elevation materialised as a vision of authority based on respect for a social order, one that is naturalized1 and therefore immutable. Thus, Plato’s cosmos and Aristotle’s Physics served as superhuman references for the construction of social hierarchy and for the echelons that compose it. Elevation was not seen as the result of a process or of a decision, but as the product of a given state within the demiurgic order of the world, which the human microcosm must reproduce for the sake of its own perfection, stability and eternity. In other words: one does not rise up due to one being elevated from the get-go; elevation was envisioned as an ‘election’ of sorts, according to modalities that vary depending on the time and author.
In Platonic philosophy, elevation is thus reserved to those who, once in contact with the world of Ideas, are able to make themselves the legitimate interpreters of these Ideas and guide others – without resorting to force or constraint – towards behaving in a certain way, into submitting themselves out of a natural duty of obedience to, and their belief in, intelligible superhuman entities. Aristotle, on the other hand, sees the physical world as filled with indications that allow one to build a scale of beings2. Beings are classed according to their supposed degree of complexity, thereby justifying a system of social division based on ‘who commands and who is commanded’.
Elevation is synonymous with an increase, with the ‘advantage’ offered by certain people’s authority when it comes to the ordinary and concrete exertion of power. This principle is also illustrated in the Roman senate: its opinions and overarching role were marked by a form of authority that stemmed from its attachment to tradition, from the importance it gave to immemorial legacies, to origins, to teachings from the past. Members of the Senate were the guarantors – and only beholders – of an exact sacred knowledge, one that allowed them to enlighten the people and make decisions for the present and future. Roman treatises on duties and virtues bear witness to this world vision, providing guides and good practices against the pitfalls of certain passions (pretension, pride, cupidity, jealousy, anger, etc.) in order to maintain the balance, the status quo, of the whole.
In the Christian narrative, elevation is an ideal reserved for the chosen ones and requires the latter to lead a ‘good life’ by conforming to dogma. Though insufficient by itself, faith presupposes a form of proof – through one’s actions here on Earth – that guarantees the salvation of one’s soul in the next world, in one’s better and eternal future life. Through this reassuring promise of gratification for one’s sacrifices and resilience, elevation is partly equated to revelation and, therefore, to one’s ascent, under the condition that one remains under the close protection of a well-guided conscience3.
Knowledge also fell within this scheme of elevation, based on the belief in an absolute state that must be attained. As the repository of scholarly authority, knowledge is organised in different ways, marking out the stages of intellectual elevation towards the very summit, the latter being occupied by one discipline or another, depending on the era4. The Greeks saw this cycle of knowledge (cyclopaedia) as an obligatory circular training course, through which one learns subject after subject according to the order of beings. The Roman orbis doctrinae (as analysed in Capella’s work, for example) classed subjects from the terrestrial to the celestial, from the empirical to the abstract, culminating in one’s access to a centre-point occupied by the sapienza (knowledge). Christian thought, however, adopted a theocentric approach: the Book became the supreme articulator of knowledge, based upon on its exegetical ability to convey the divine truth and the saintly nature of the Scriptures. During the Renaissance, philosophers used mnemonic tricks to broadcast their knowledge of a central principal, be it divine or magical. This was then superseded by a tree-shaped system, i.e. a progressive, vertical, well-defined and pre-established mode of elevation rooted in a queen discipline. By virtue of its superior ability to decipher the world, the given discipline could then establish and shape the relations between – and the spreading of – all other forms of knowledge: for Lulle it was the Scriptures, for Bacon it was metaphysics and for Descartes it was mathematics.
This understanding of elevation presupposes a principle of general unity. However, this encyclopaedism and the vision of elevation that it promotes do not fit in with the world as modern science now describes it… that is to say: an acentric, non-hierarchical infinite universe, with no top nor bottom, the unstable and ever-provisional order of which is constantly being remodelled in a chain of relationships, interactions and combinations. Thus, all parts of the whole are seen as interdependent5.
Leibniz and, more prominently, Diderot and d’Alembert, responded to this new order of the world with a reticular way of presenting knowledge. The latter was thought to feature multiple points of entry, which were transversal, horizontal and interactive. This concept included a cross-referencing system that made the reader the master of their own research, well before the Internet, by moving along an improvised path led by curiosity, hybridized ideas, chance and imagination.
Thus, the idea of the labyrinth – so strongly rejected by Descartes, who preferred the more reassuring linear logic of cause and effect – came to the fore. Prior to the modern issues surrounding the reliability of one’s sources, the manipulation/distortion of information and one’s entrenchment in digital self-justification, elevation consisted in the pursuit of free and personal heuristics, but always exposed one to the risk of getting lost. This risk is all the greater when the concept of interiority becomes an interweaving, a complex of vertiginous intricacies, as described by Leonardo da Vinci. In the face of these dangers, one can find resonating warnings in the form of the beatitude – or perhaps the serenity – that Petrarch so desperately sought in his ascent of Mount Ventoux, or the human dignity that Pico della Mirandola found in the ‘higher forms’, allowing him to fight disorientation and the loss of meaning.
- Recognition and (in)dependence
Though elevation initially points to a vertical concept associated with a hierarchical model of authority, as we have seen, modernity necessarily transforms its modalities – especially with the instatement of democratic principles – without rendering this aspiration entirely implausible. Elevation no longer results from a natural election policy, but from the diplomacy of acquired authority; not from an innate faculty reserved to the few, but from one’s unanimously recognised competence to lead the group. Despite differences in position and status, the authority of one’s argument replaces the argument of one’s authority. As a means of reaching elevation, authority once again consists in an increase and presupposes a process of argumentation, during an exchange that gives everyone an equal chance at recognition. This even paying field is required for a member of the society – boasting superior, recognised and accepted legitimacy to lead and shape others – to emerge6.
In this context, communication is seen as a pedagogical act and speech becomes a tool to build a maieutic system of elevation. In order to avoid the less endowed being faced with ‘democratic incompetence’, this tool must be used according to several principles: firstly, speech must be wide-reaching and accessible to all; secondly, it must be held, performed and not merely uttered; and thirdly, it must be taught, to allow all users to master it and its linguistic and rhetorical resources, thereby allowing them to exchange ‘on equal terms’. Thus, elevation requires individual specificities and a sense of ‘otherness’ to be recognised. This recognition can only be sparked through communication, as long as external intentions or more structural contemporary ills do not pervert its natural vocation. Hence, among other things, today’s ambient relativism that denies – and perhaps even denounces – one’s elevation towards a Universalist ideal through argumentation and, thereby, reason7.
Yet, in the modern mind, to elevate oneself is also to become and be an individual. The modern world links elevation to a humanist ideal, to the project of hoisting mankind beyond its personal interests and origins (geographical, social, religious, etc.) to the rank of citizen belonging to a larger political community, i.e. a nation, which compounds the forming of a collective and the elevation of each individual8. Individualism, however, pushes one to build one’s autonomy – without the support of traditional means of affiliation – and to be the original author of one’s own life through one’s work, achievements and merit.
Elevation should be viewed in the context of its secularisation via an ideology based on progress, thus liberating it from ancient constraints through science and education – as famously portrayed by Condorcet. Yet the triumphalist version of the individual, put forward by Enlightenment philosophers and 18th-century political economists, omitted its elitist component and other social realities: few people were able to access true autonomy through their own material, financial and intellectual means.
Emancipation from the group and from its various gatekeepers therefore meant gaining independence whilst lacking resources, thus creating a great many “individuals by default”9. The elevation of the individual was therefore coupled with certain measures, above all aimed at shielding the individual from collapse: the welfare state and the lengthy struggles to achieve social rights bear witness to the difficulties of the new existential condition established by individualism, and point to the need for security and solidarity in order to cope with the inevitable hazards of life.
On the other hand, is the promotion of the individual necessarily synonymous with its elevation (and vice versa)? Early on, sociologists Durkheim and Tocqueville warned us about the risks of individualism: Durkheim feared that it would spiral down into self-glorification, leading to a deregulation of our desires and to social anomie; while Tocqueville saw it as a retreat into the private sphere and its material comforts, pointing to the indifference, political apathy and general laziness that it entailed. In both cases, it opened the door to ways of being that were hardly concerned with the common good or general interest, but instead lead to new forms of alienation, soon to be spurred on by mass entertainment and the stultifying, aesthetically standardised products being churned out by the world’s cultural industries.
This prospect not only signalled an abrupt halt in the process of civilisation – which was originally intended to elevate mankind by relegating its human nature, lower passions and bodily manifestations to the realm of mere bestiality10 – but also, in a more profound sense, the disappearance of the very notion of elevation as Plato understood it in the Protagoras. The core desire behind elevation – to be (an)other, to ‘differ’, to ‘discover’ oneself, to excel, to project oneself by means of idealisation, identification or symbolism into the unknown mystery that resides outside of oneself – was replaced by the reign of one’s own drive, of its immediate, narcissistic and reflexive satisfaction, and by the division of individuality and otherness into units that are as measurable as they are disposable. All of these factors lead to an addictive frustration towards objects which, reduced to the value of their mere usability, lose all of their immeasurable quality as well as their ability to elevate us11.
According to Hannah Arendt, there are high chances that “in the absence of tragedy and grandeur, the passion for small things” will persist. In our opinion, given that elevation is not simply a matter of social mobility – or a rise in the standard of living akin to that of the second half of the 20th century, sparked by economic opportunities and the democratisation of higher education – it should be noted that the exemplifications of individualism confirm Durkheim and Tocqueville’s early diagnosis.
The arrival of a ‘second modernity’ marked the dawn of an individualistic approach, whose four dominant forms did not predispose one to self-elevation – the latter being a profoundly determined disposition to orient one’s existence towards higher spheres, be they internal or social. According to competitive individualism, a fully realised existence is founded upon performance and competition, while consumerist individualism measured personal value in terms of acquisitiveness, the possession of material goods and distinctive symbolic signs. The self-development branch of individualism, on the other hand, encouraged detachment, comfort and solitary awareness of the present moment, while rights-based individualism expected the attributes deemed essential for forming one’s identity to achieve social recognition through a process of effort and demand.
In these conditions, how can elevation be achieved through existing (from the Latin exsistere, or ex-sistere, i.e. to exit a place or state), that is to say, by ‘exiting oneself’, by breaking away from the emollient tools of the various contemporary individualist schools in order to gain – by means of various exercises and disciplinary rules – in fullness, resistance, breadth and, ultimately, to change one’s life12? Elevation requires all the more effort, given that the tools for development or support – i.e. backing, peers, points of reference and examples – are currently lacking. Before neoliberal rationality instated its individualistic self-entrepreneurial mind set, modernity had already substituted former tutelary figures and models with more ordinary approaches to life which – as per the rule of “imitation-fashion” that Gabriel Tarde so perfectly described early on13 – are more akin to ephemeral idols, a digital spectacle artificially manufactured by the media. ‘Duty-based individualism’ – now less visible, but whose ancient roots are still present in certain spheres and institutions – would undoubtedly be a good tool for reinstating elevation as a moral strength, in combination with a vertical ethic of self-management – which is a humanist objective that promotes personal dignity, collective commitment and a feeling of debt towards one’s inherited responsibility for the future.
- Rising up rather than elevating oneself: Acceleration and augmentation
By transforming the way we exist in the world and our relationship to life, modernity projects our existence onto an immanent plane, thereby modifying the conditions for, and the very meaning of, elevation. Instead of contemplating the heavens and waiting for eternity in a better Beyond, modern individuals prefer to enjoy the possibilities offered by the world in the here and now. In this sense, self-accomplishment is no longer a question of elevation, but rather one of possession; one accumulates a multitude of experiences that act as criteria for evaluating one’s life. ‘Righteousness’ is thereby overrun by achievement, as the latter is equated with one’s existence being eventful and interesting in the light of these quantitative indicators. Achieving this intra-mundane ideal involves accelerating one’s life with the help of technical means. Yet the latter ultimately bring about less elevation than they do alienation, by maintaining an ever-delayed, deceptive and artificial hope of acquiring more ‘being’, in a desperate attempt to close the gap between an infinity of possible assets and the list of those one has gleaned so far14.
This frantic pursuit gives rise to a range of feelings – between panic and powerlessness, often leading to the use of chemical crutches – which result, depending on the time and situation, in forms of hyperactivity as well as phases of renunciation and ‘tiredness of being oneself’. The “cult of urgency”15 and its clinical reality therefore constitute a call to ‘measure up’ more than a quest for elevation. This then leads to a fear of decrease, of losing in this race for performance, a challenge which entails maintaining one’s capital or boosting one’s potential through medicinal, psychological and physical augmentation.
Modernity is turned towards autonomy: each person must be self-determined, set their own goals and attain realisation according to freely chosen ideals. Yet this drive inevitably collapses in on itself: this newfound injunction to ‘live intensely’16 does not fit in well with an integrated and global life project defined by strong, well thought-out and structuring goals, a controlled evolution and a set of experiences that eventually and cumulatively form a meaningful story, punctuated by stages of progressive self-elevation. Long-term plans for self-enhancement give way to the urgency of one’s ‘positional identity’ which, depending on people’s contexts and opportunities, allow one to adapt, bounce back and be flexible in the face of ever-temporary changes.
Therefore, life runs a great risk of becoming a mere heterogeneous collection of sudden occurrences, a sum of frenetic moments that are not planned out or even wanted, without coherence or a common general direction; unconnected, unstable, shifting and, in short, devoid of meaning. To put it in more metaphorical or abstract terms: from a place of expansion and elevation – which consists in a progressive journey towards a feeling of plenitude or maturity through cumulative stages – we are now moving towards a fragmented structuring of the self via a mere succession of temporary interests, activities and investments. The latter are randomly connected a posteriori, in an attempt to counter one’s feeling of disorientation and to give an overarching meaning and narrative to the existential improvisation that is one’s ever-changing ‘liquid’ self.
- Fulfilment: Limit or step towards elevation?
By means of contrast, the current situation also goes to show that elevation draws upon the intimate workings of self-conduct. As we have suggested, the latter requires moral fortitude, a vision based on upstream preparation and an awareness of the challenges and difficulties to be overcome. Mountaineering, for example, focuses on the discovery of a ‘clear’ route which, in this respect, is an illustration of the philosophy of self-conduct, a practical case of one’s resources being transposed and generalised to a way of being17. The latter is thereby thought out according to guidelines that are separate – as much as possible – from the desynchronised rhythmic jolts of activity and the permanent organisational rearrangements that seem to have become the norm in modern life. Elevation, then, resides in this heartfelt decision to regain mastery over one’s existence. It relies upon a form of autonomy – which is guaranteed in the modern world – that must, however, be filled with meaning by each and every person according to a well-defined personal plan. The latter should allow the individual to strive for full self-accomplishment and involves deploying various kinds of effort18, yet without relying on the normative reference points and social guidelines set out by the transcendent powers of old.
The creation of members of the elite – from one’s enrolment into a major school to the development of one’s career in senior civil service, or elsewhere, through pre-defined channels – constitutes a model for elevation, stabilised by sturdily rooted rules of entry, hierarchy and evolution. However, is it really possible to limit the idea of elevation to one’s profession, to promotions, to salary increases? This would be akin to reducing elevation to one’s mere access to higher levels of responsibility, via a path that we know to be less straight-forward than in the past. Since elevating oneself now concerns each individual and entails giving meaning to one’s actions, the forms that elevation can take on outside of institutional channels – for those motivated by self-fulfilment, at least – are necessarily diverse, ever-evolving and take longer to become evident. Elevation is now achieved through invention, not according to pre-established trajectories and plans, but by capitalising on original experiences that structure one’s uniqueness and that are based on the values of usefulness, meaningfulness and selflessness.
The recent waves of young cadets defecting or resigning confirm this structural tendency, defined by a search for meaning and self-fulfilment in one’s life and career choices19. This gives rise to modes of professional integration and social participation that are neither linear nor cumulative; they are in sync with one’s opportunities and desires at any given time, with the ability to adapt to the vagaries of the modern economy. Periods of strong investment – stimulated by one’s commitment to a project for the common good or one’s devotion to a cause seen as superior – will alternate with stages marked by more escapist or resilient drives, all of which are dictated by highly individualised, disruptive, variable and therefore unpredictable temporal phases. Said drives stem from a wide range of motives and needs: from reflective and rejuvenating breaks, to radical shifts and re-training, or experimentation with different individual or collective ways of being. One’s priorities and choices regarding creative action are now guided by motives that are ethical rather than material or financial – though often involving the body and the material realm – and one’s relationship to the world is evaluated in terms of “resonance”20, i.e. the scope of a given action in a context where each individual’s behaviour carries consequences for all.
Amid this flurry of options to stop one’s existence from drifting towards an ungrounded contactless state21, elevation is characterised by the vital and very ‘earthly’ necessity of refocusing one’s attention towards reality, as the latter dictates the requirements for a better life and the terms of individual conduct to be upheld in our moral and civic consciousness. Our new vision of elevation could therefore consist in seeing one’s life down here on Earth as a sign of one’s inner height, by being anchored in responsible action and by creating a “solid life”22.
1 H. Arendt, “What is Authority?“, in Between Past and Future, New York, The Viking Press, 1961.
2 Until the 18th century, this philosophy formed the basis of many classifications and taxonomies, including that put forward by Charles Bonnet.
3 J. Delumeau, Rassurer et Protéger. Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois [Reassure and Protect: The feeling of security in the West of the past], Paris, Fayard, 1989.
4 É. Letonturier, « Petite géométrie des savoirs encyclopédiques : cercle, arbre et réseau » [“Geometric overview of encyclopaedic knowledge: circle, tree and network“], Hermès no. 66, 2013, pp. 46-53.
5 A. Koyré, Du monde clos à l’univers infini [From the closed world to the infinite universe], Paris, Gallimard, 1973.
6 É. Letonturier, « La confiance des Modernes, entre parole et autorité » [“The trust of the Moderns: Between word and authority“], Hermès no. 88, 2021, pp. 78-82.
7 F. Wolff, Plaidoyer pour l’universel. Fonder l’humanisme [A call for the universal: Founding humanism], Paris, Fayard, 2019.
8 Let us note the importance of rituals as a device for elevation, in that they are its manifestation, its cultural and symbolic translation into shared civil forms.
9 R. Castel, From Manual Workers to Wage Laborers: Transformation of the Social Question, Routledge, 2017.
10 N. Elias, The Civilizing Process, Oxford, Blackwell, 1994.
11 B. Stiegler, R. Renucci, S’élever d’urgence [The urgency of elevation], Pantin, Éditions de l’Attribut/Tréteaux de France, 2014.
Also refer to B. Stiegler, Des pieds et des mains. Petite conférence sur l‘homme et son désir de grandir [The eternal struggle: A short lecture on man and his desire to grow], Paris, Bayard, 2006.
12 P. Sloterdijk, You Must Change Your Life, Malden (MA), Polity Press, 2013.
13 G. Tarde, The Laws of Imitation (1890), Read Books Ltd, 2013.
14 H. Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps [Acceleration: A social critique of time], Paris, La Découverte, 2013.
15 N. Aubert, Le Culte de l’urgence [The Cult of urgency], Paris, Flammarion, 2003.
16 T. Garcia, The Life Intense: A Modern Obsession, Edinburgh University Press, 2018.
17 P.-H. Frangne, De l’alpinisme [On mountaineering], Presses universitaires de Rennes, 2019.
18 I. Queval, Philosophie de l’effort [The philosophy of effort], Nantes, Éditions nouvelles Cécile Defaut, 2016.
19 Th. Coutrot, C. Perez, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire [Make work meaningful again: A revolutionary aspiration], Paris, Le Seuil, 2022.
20 H. Rosa, Resonance: A Sociology of Our Relationship to the World, London, Polity Press, 2021.
21 M. B. Crawford, Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver [Contact: Why we lost the world, and how to get it back], Paris, La Découverte, 2016.
22 A. Lochmann, Solid Life: Carpentry as an Ethic for Doing, Paris, Documents Payot, 2019.