Lorsque, dans quelques décennies, les historiens et les sociologues militaires se pencheront sur la période au cours de laquelle j’ai vécu ma vie d’officier, il y a fort à parier qu’ils parleront de changement radical, probablement de rupture, peut-être même de révolution silencieuse. En moins de vingt ans, c’est-à-dire à peine le temps d’une génération, l’armée française aura à l’évidence changé d’ennemi et d’échelle. Peut-être même aura-t-elle plus fondamentalement changé de nature. Sans faire la une des journaux et sans susciter de grands débats de société, l’institution militaire, posée depuis bien longtemps comme un fondement central de la nation, se sera en quelques années transformée en un outil de gestion de crise parmi d’autres. Même si on estime que cette appréciation est un peu excessive, personne ne peut contester que la marge de spécificité de l’armée n’a cessé de se rétrécir au cours de cette période. Si certains débats discrets portent aujourd’hui sur le « cœur de métier » et sur l’idée de « militarité », c’est bien à l’évidence que ces notions ne vont plus de soi.
Poursuivant leurs intuitions, les scientifiques de demain chercheront bien évidemment à étudier les crises internes, les craquements institutionnels, les débats entre les jeunes pousses et les vieux sages, les joutes conceptuelles qui se seront nécessairement développés dans la famille pour accompagner ce grand charivari. En toute hypothèse, l’ampleur et la vitesse d’une telle métamorphose devraient nécessairement avoir laissé des traces profondes. Ce fut d’ailleurs le cas quelques décennies plus tôt, quand, sur les errements des guerres coloniales perdues, l’armée française rebâtissait dans la douleur sa nouvelle cohérence organisée autour d’une stratégie de dissuasion globale1.
Qu’ils se rassurent et, surtout, qu’ils ne perdent pas trop de temps. J’ai bien peur que dans leurs investigations, les chercheurs ne trouvent rien d’autre que ce que j’ai moi-même vécu, c’est-à-dire les étonnantes plasticités d’une institution et d’un corps social aux prises avec les inéluctables réalités d’un monde en profonde mutation ; sans état d’âme et sans vraiment de raidissement idéologique.
Il peut sembler étonnant qu’une institution aussi fortement structurée que l’armée, et dont le socle culturel repose essentiellement sur la référence à des valeurs immanentes, ait pu franchir en souplesse et sans cicatrice apparente ce jalon majeur de son histoire. Ce paradoxe ne s’explique que par l’existence probable, dans le « génome » de la société militaire, d’une étonnante aptitude à concevoir, à organiser et à conduire une mue permanente de son état. Peu perceptible par la société civile, souvent critique à l’égard d’un monde militaire facilement taxé de conservatisme, et souvent méconnue par les militaires eux-mêmes, qui vivent cette réalité comme une évidence, cette aptitude à se remettre en cause et à créer sans cesse les nouvelles conditions de son action peut s’expliquer par une convergence de plusieurs facteurs d’ordres sociologique, psychologique ou culturel, qui constituent en première approche un terreau particulièrement fertile.
- Le soldat et le changement
Notre beau métier de soldat ne s’embarrasse pas de routine. Il trouve au contraire dans le mouvement, le changement et l’innovation une source permanente de vitalité. La chose peut surprendre tant il est vrai que, dans l’inconscient national, le service militaire renvoie plutôt à la monotonie de la vie de garnison et au culte de traditions apparemment surannées. Mais cette longue suite de clichés que se remémorent à l’envi les anciens conscrits colle assez mal avec la nature même du fait militaire. J’ai même plutôt la conviction que le soldat, quelle que soit l’époque et quel que soit son statut, reste par nature sensible et poreux à toute forme d’innovation. Confronté à la pression des événements, jeté dans des situations qui engagent sa survie, le combattant ne peut se payer le luxe du dogmatisme et du conformisme. Ces refuges intellectuels ne résistent jamais très longtemps à certaines évidences que la réalité brutale des combats dévoile immanquablement. Beaucoup de jeunes officiers en ont probablement déjà fait l’expérience lorsqu’ils s’aperçoivent dans le feu de l’action que les schémas auxquels ils se raccrochent ne cernent que très grossièrement une réalité opérationnelle mouvante. Dans cet environnement oppressant, la tradition n’est pas de reproduire ; elle somme plutôt d’inventer.
J’ai toujours gardé le souvenir précis de l’étonnante facilité avec laquelle les unités françaises engagées dans la guerre du Golfe se sont adaptées à la révolution du gps en opérations. En quelques jours, cette innovation technique, dont personne n’avait encore vraiment entendu parler, a fondamentalement modifié la façon d’appréhender le mouvement dans la bataille (c’est-à-dire une bonne moitié de la manœuvre tactique tant il est vrai que le combat s’apparente globalement à la combinaison entre le feu et le mouvement). En quelques mois, cette nouvelle technologie a posé les bases d’une aptitude au combat continu, jour et nuit, accéléré de manière spectaculaire l’art opératif, créé de nouvelles opportunités de surprise, développé des procédures de manœuvres logistiques inédites, construit de nouveaux mécanismes de coordination entre vecteurs aériens et moyens terrestres… La liste des innovations serait trop longue à énumérer, mais ce qui est certain, c’est qu’après la campagne d’Irak, plus personne ne pouvait envisager le combat en zone ouverte de la même manière. Sans préparation préalable, sans approche conceptuelle et sans mode d’emploi, par l’utilisation d’un bon sens tout d’exécution, nos soldats se sont non seulement approprié l’instrument, mais ils ont surtout su réinventer leur métier dans un environnement au sein duquel l’éternel brouillard de la guerre venait brutalement de se dissiper.
À la différence d’autres institutions évoluant dans des environnements plus stables, dans le métier militaire, la vérité vient du bas, du plus petit ou du moins gradé, c’est-à-dire de l’échelon d’exécution en prise directe avec le monde réel. Car c’est là que se dénouent les situations, c’est là que se révèlent les détails qui peuvent faire basculer l’issue de toute la bataille. En d’autres termes, l’expérience pratique aiguillonne sans cesse les concepts, dans un jeu fortement interactif admis par tous. Dans une structure où les exécutants d’hier ont vocation à devenir les chefs de demain, chacun reste attentif à ce qui remonte du « terrain » et les demandes formulées par les échelons inférieurs s’imposent comme des impératifs et non comme des caprices d’acteur.
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer les aménagements lourds mis en œuvre par l’armée de terre en moins de deux ans pour faire face à son engagement en Afghanistan : réorganisation complète de l’entraînement de toutes les forces terrestres pour permettre une mise en condition opérationnelle maximale des unités engagées, institutionnalisation du transfert d’expériences entre montants et descendants, développement accéléré de programmes d’adaptation des principaux équipements pour faire face aux « nouvelles menaces », financement de ces adaptations dans une période de tensions financières sans précédent, aménagement des structures de soutien aux familles… La priorité donnée à l’opérationnel vient sans état d’âme bousculer le champ de l’organique sans que personne ne s’en offusque. Car, dans la cité comme dans la caserne, la légitimité du soldat procède moins de son statut que de la spécificité de son action de combat.
Au bilan, le militaire a dans ses gènes une ouverture à la réforme probablement plus développée que d’autres. Plus qu’un simple réflexe de survie, cet appétit est aussi très certainement lié à son profil. Dans une institution au sein de laquelle l’âge moyen ne dépasse pas trente ans, il n’est pas étonnant que puisse se développer un certain état d’esprit, pétri des valeurs et des vertus traditionnelles de la jeunesse : le changement y est perçu comme un phénomène naturel, l’innovation comme une qualité valorisante et la faculté d’adaptation comme un signe de vitalité. C’est paradoxalement la leçon que je retire de mes longues années passées à la Légion étrangère, troupe trop souvent présentée comme rétive à toute évolution. Derrière une forme intangible et malgré le poids apparent d’une discipline oppressante, j’ai toujours observé chez mes légionnaires un goût prononcé pour le neuf et pour l’innovation, comme si le ciment de la tradition ne servait en somme qu’à construire un édifice sans cesse renouvelé.
- Une institution structurellement en mouvement
Si certains, à d’autres époques, ont pu prétendre que les armées étaient conservatrices par nécessité, plus personne désormais ne prendrait le risque de tenir ce type de discours. Preuve en est qu’elles sont aujourd’hui unanimement citées en exemple comme étant le corps social le plus réactif et le plus en pointe dans le grand chantier de la réforme de l’État. Au-delà des atouts psychologiques décrits précédemment, il ne fait pas de doute que cette aptitude puise également son énergie dans le mode de fonctionnement très spécifique de l’institution militaire. Plusieurs explications peuvent souligner cette qualité foncière.
La première procède à mon avis de la spécificité de l’armée dans le champ des fonctions régaliennes de l’État : si la défense de la cité reste une constante nécessité, l’instrument qui l’incarne s’adapte en toutes circonstances à un champ de menaces fluctuant. Alors que le volume de sécurité, de justice ou de fiscalité n’évolue qu’à la marge et sur des rythmes lents, l’instrument militaire, comme la diplomatie d’ailleurs, n’est que la résultante de l’équation géopolitique d’une nation à un moment donné. Dès lors, comment parler de modèle stable, d’organisation pérenne ou de volume de forces en valeur absolue ?
L’histoire récente, et pas seulement française, décrit bien le rythme incessant de contraction et de développement d’une institution en perpétuelle adaptation. À titre d’exemple, l’armée de terre britannique, qui comptait plus de cinq millions d’hommes en 1918, ne disposait plus en 1937 que de cent vingt mille combattants (hors effectifs déployés outre-mer). Même réalité inversée pour la Reichwehr de l’entre-deux-guerre qui, sur la base des cent mille hommes consentis par le traité de Versailles, devait reconstruire en quelques années une nation en armes.
La plasticité du modèle apparaît dès lors consubstantielle à l’état militaire, donnant par là même à la « militarité » une valeur de référentiel, comme un point fixe dans un univers mouvant. De ce point de vue, bien plus qu’un réflexe craintif aux évolutions du monde, la tradition doit d’abord être comprise comme la conséquence naturelle de cette permanente projection vers le futur. D’autres articles de ce numéro décrivent d’ailleurs parfaitement cet enchaînement de réformes plus ou moins lourdes que l’armée française a connu depuis un siècle, comme si le changement faisait partie intégrante du paquetage de chaque génération. Au bilan, l’identité plus que le format constitue le seul capital stable et légitime de l’institution militaire.
Sous l’effet des pentes géopolitique et budgétaire, l’accélération des dernières décennies fut spectaculaire et peu de domaines ont pu échapper au devoir d’inventaire : la modularité des structures venant très vite remettre en question l’intangible référentiel régimentaire, la construction d’une force expéditionnaire donnant tout son poids à la dimension interarmées des opérations, le quasi-abandon du théâtre national et de tout le maillage territorial qui constituait le socle de ses fonctions organiques, la professionnalisation des soldats imposant de facto la redéfinition d’un nouveau lien entre la nation et son armée, la mutualisation des soutiens venant raboter les spécificités que le milieu dicte aux organisations, la civilianisation de certaines activités imposant la définition précise d’un cœur de métier, l’engagement en coalition dans une nouvelle langue de travail… En quelques années, la vie courante de nos unités s’est fondamentalement métamorphosée sans que personne n’y décèle urbi et orbi de drame existentiel.
La seconde explication provient du fait que, par définition, l’armée fonctionne sans réel contrepoids interne. En d’autres termes, et de manière lapidaire, il suffirait donc de vouloir pour imposer ou, dit de façon plus conforme pour un militaire, de commander pour être obéi. Là encore, l’institution militaire se démarque de ses consœurs de la fonction publique. Je ne parle pas ici spécifiquement de l’absence de syndicalisme qui constitue la grande originalité du modèle militaire, mais plus généralement d’un fonctionnement hiérarchique effectif, organisé en vue d’une mission collective. Comme dans la bataille où la décision tactique du chef n’est pas le fruit d’un compromis entre les impératifs du contexte tactique et le point de vue des exécutants, les armées vivent logiquement leur fonctionnement organique sur le même registre. Une réforme, dès lors qu’elle est décidée, s’apparente de facto à une mission opérationnelle. C’est d’ailleurs manifeste lorsqu’on observe la forme des documents produits par l’armée de terre pour cadencer les grandes étapes de sa transformation : ils sont bâtis sous la forme d’un ordre d’opération.
Un troisième élément peut également expliquer les choses. Quels que soient les époques ou les continents, le métier de soldat reste étroitement lié à une dimension technique et au rythme de développement des sciences. Ce sont ces paramètres qui, in fine, définissent pratiquement le champ des possibles, la portée des armes et les limites de l’action. Au-delà de la simple évolution continue des générations d’équipement, l’Histoire est également jalonnée d’innovations techniques qui, de manière impromptue, sont venues modifier en quelques décennies les organisations militaires les plus sophistiquées. Le canon, le fusil, le char d’assaut, la bombe atomique sont autant d’exemples qui démontrent le lien étroit existant entre l’instrument du combat et la structure qui le met en œuvre. L’accélération du rythme de l’innovation scientifique pose aux armées un véritable défi qui ne peut être relevé que dans l’ajustement permanent de son organisation. Une fois encore, la réforme des structures et des organisations n’est pas un choix ; elle devient aujourd’hui une contrainte mécanique en accélération constante.
Il existe enfin une autre explication, à mes yeux essentielle et pourtant peu souvent perçue par les militaires eux-mêmes. C’est celle de la grande liberté d’action laissée à l’institution militaire pour définir elle-même les modalités de sa transformation. Cette liberté d’action permet à l’évidence d’ouvrir un cadre large aux marges d’adaptation potentielles. Même si les cadres politique et budgétaire constituent bien évidemment des impératifs structurants, la façon de s’y adapter est largement laissée à l’appréciation et à la décision des principaux acteurs. En d’autres termes, dans un champ aussi spécifique que celui de l’engagement opérationnel, champ dans lequel la préparation de la guerre est intimement liée à son exécution, le pourquoi et le comment de la réforme restent étroitement imbriqués, au bénéfice du second. C’est tout le sens des dernières réformes, portées par les décrets de 2006 et de 2009, que de donner au premier des militaires un rôle central dans la définition des choix et des perspectives. Expression légitime et constitutionnelle de la primauté de la logique opérationnelle sur toute autre considération ; responsabilité immense du militaire dans les orientations prises et dans les décisions qui fondent à la fois son avenir et celui de la nation. Si la guerre est en effet une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires, on peut, en retournant la formule, dire sans se tromper que la préparation de la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des civils.
C’est l’interaction de tous ces champs, fruits de l’Histoire, souvent tragique, et de l’usage, qui forge une aptitude collective au mouvement peu commune. Loin d’être un luxe, ou une marotte, cet état d’esprit est la première garantie de réactivité d’une organisation lourde face aux aléas. La spécificité militaire doit dans cette perspective être considérée par la nation comme un salutaire garde-fou. Sans quoi la banalisation de la fonction militaire viendra immanquablement éroder et éteindre cette aptitude peu commune.
- L’effet générationnel
Au-delà de cette psychologie collective qui, à mon sens, porte vers l’esprit de réforme toute institution en prise directe avec des faits réputés têtus, la conjoncture des dernières années a probablement permis d’exploiter cette qualité foncière pour accélérer la mise en mouvement de l’institution.
Ma génération a en effet été forgée dans le creuset de la guerre froide. Formés comme leurs aînés pour conduire un combat précis, rapide et brutal dans lequel leurs chances de survie se comptaient seulement en heures, les officiers de ma génération sont sortis d’école au moment même où, avec l’effondrement du système soviétique, le monde perdait sa dangereuse, mais réconfortante, cohérence géopolitique. Alors que nos premiers plis nous conduisaient à penser la guerre comme une grande machinerie bien huilée dans laquelle il convenait avant tout de réaliser dans l’honneur, et sans vraiment d’initiative, une partition millimétrée, les circonstances nous ont rapidement jetés dans des aventures bien moins normées. À l’opposé des préceptes reçus, les crises dites de recomposition nous ont contraints à bousculer les normes et à inventer, avec les moyens du bord, de nouveaux styles d’action.
Les années 1990 furent une grande page blanche sur laquelle il s’agissait, sans vraiment de référence, d’improviser la gestion de cas non conformes. De la guerre high-tech dans les sables irakiens au génocide rwandais, des grands espaces somaliens à l’étroite cuvette de Sarajevo, de la reconstruction politique du Cambodge à l’implication récurrente dans le désordre africain, rien ne permettait de capitaliser d’un événement à l’autre. Bien au contraire, l’efficacité opérationnelle contraignait à faire du neuf à chaque nouvel engagement. L’innovation devenait la principale règle du jeu, l’improvisation une seconde nature ; l’entraînement conventionnel finissait même par devenir une contrainte pesante. En repensant à cette époque, j’ai le souvenir d’une certaine insouciance face aux profondes réformes qui se mettaient en place. Nul souvenir d’un quelconque débat sur la conscription finissante. Tout entiers à faire l’histoire, nous n’avions pas le temps de nous arrêter pour penser les fondamentaux de notre métier.
Alors que la génération précédente avait eu le temps de méditer sur l’identité militaire et d’imaginer jusque dans ses moindres détails une guerre qui ne fut, Dieu merci, que virtuelle, la nôtre s’est plutôt construite dans la précipitation de conflits vécus, sans réel recul sur la nature profonde de notre engagement. Notre rapport au changement devait bien évidemment s’en trouver durablement marqué. Considéré comme une nécessité, comme un réflexe salvateur devant la pression des événements, disons-le, comme une seconde nature, l’esprit de réforme s’est imposé aux lieutenants et aux capitaines des années 1990 comme une évidence ; avec probablement le défaut de cet enthousiasme, c’est-à-dire un manque de recul et de réflexion sur les fondements de notre identité. Après trente années d’immobilisme, l’essentiel consistait à rattraper le décalage entre les nouvelles formes de la guerre et les lourdes structures héritées de la guerre froide. Comme dans les sociétés postmodernes dans lesquelles l’accélération du progrès technique rend rapidement caduques l’expérience et la sagesse des anciens, la référence à l’Histoire et aux « humanités » s’est alors estompée au profit d’une approche plus technicienne et pratique des choses ; probablement au détriment d’une réflexion plus soutenue sur la finalité de l’outil militaire.
Cet état d’esprit a même réussi à forcer les portes de la tradition légionnaire réputée pourtant peu perméable aux amendements et aux fantaisies. J’ai le souvenir précis d’une parodie du combat de Camerone écrite par les lieutenants de mon régiment après la guerre du Golfe. Nous y décrivions avec humour et dans le style du récit authentique nos aventures irakiennes, comme si l’Histoire en marche se donnait le droit de transgresser les interdits et de réécrire le passé avec les mots du temps présent.
Désinhibée, moins sensible aux freins induits par l’habitude, cette génération plus réceptive aux changements a accompagné sans résistance les réformes de l’après guerre froide. Elle les a même inspirées, apportant au fil de ses engagements le témoignage franc et direct des nouvelles réalités opérationnelles. Aujourd’hui, elle arrive aux responsabilités, avec les qualités et les défauts d’un autodidacte.
- Les deux faces de la médaille
Cette souplesse de l’institution, que j’ai pu observer tout au long de ma carrière, s’explique donc probablement par une qualité naturelle qu’elle cultive sans en avoir conscience. Depuis vingt ans, les réformes s’enchaînent et s’accélèrent comme une évidence, sans provoquer ni rejet ni réel traumatisme collectif. Approche psychologique, dimension structurelle ou effet générationnel, les pentes convergent et les effets s’additionnent pour donner au système militaire une dynamique qu’aucun autre corps de la fonction publique n’est en mesure de concurrencer. L’image d’une armée rétive au changement et souvent taxée d’immobilisme ne soutient donc pas la contradiction. Mais cette qualité a un prix que l’on ne peut passer sous silence.
Le revers de la médaille, la contrepartie naturelle de cette qualité, c’est bien évidemment l’usage qui peut être fait de cette grande liberté de manœuvre. L’enjeu principal pour la société militaire, nous le voyons bien, consiste moins à stimuler les ressorts permettant de faire bouger un corps social plutôt réceptif par nature à l’approche réformatrice que de savoir canaliser cette aptitude naturelle dans la bonne direction. Revenons quelques instants encore sur nos sociologues militaires qui, dans quelques années, analyseront la période charnière que nous vivons aujourd’hui. Nul doute qu’ils auront quelques difficultés à saisir le sens de cette agitation perpétuelle et à identifier dans le bruit ambiant des chantiers en cours une perspective claire. Ils y verront plutôt un empilement de réformes organiques, pas toujours cohérentes entre elles, cherchant principalement dans une logique de court terme à prolonger la vie d’un modèle considéré en lui-même comme le seul repère stable. Sans véritable vision prospective, sans concept intégrateur permettant de lier les dimensions technique et politique de l’outil, sans même souvent d’autre référence que l’importation par défaut de modes administratives exogènes, le mouvement général qui sera observé sera davantage assimilé à la gestion d’un déséquilibre permanent qu’à une réelle stratégie proactive. À bien des égards, l’activisme et le réformisme de la période masquent à l’évidence une certaine perte de repères, comme si l’absence de cap recyclait cet esprit de réforme en un mouvement purement gratuit.
L’atonie des militaires devant un train de réformes de plus en plus exigeant peut également s’expliquer par cette perception diffuse. Lorsqu’il devient difficile de distinguer l’essentiel de l’accessoire, lorsque le mouvement l’emporte sur la direction, lorsque l’identité devient une interrogation, la réforme peut aussi devenir le symptôme d’une certaine forme d’impensé. Au bilan, la puissance potentielle de cette qualité militaire intrinsèque ne se transformerait-elle pas, dans certaines situations, en handicap majeur, stérilisant toute réaction dans un mouvement de contre-réforme créatrice ?
- Conduire la réforme de demain
La grande réforme, celle qui redonnera du sens à l’action militaire dans ce monde en gestation, reste à venir. Les armées pressentent aujourd’hui qu’elles atteignent un moment crucial, un effet de seuil qui imposera de réinventer une large part du modèle militaire français. Un cap au-delà duquel l’homothétie ne pourra plus servir de principe premier d’arbitrage. Les volumes, les formats, les organisations et les doctrines comptent en effet moins que la prise en compte effective des nouvelles menaces et des nouveaux champs d’action. L’exemple de la menace cybernétique est particulièrement parlant. Entre-t-elle dans le champ de la Défense ? Constitue-t-elle une mission militaire ? À quel niveau de priorité le pays place-t-il cette menace ? Peut-on se protéger dans un cadre strictement national ? On ne peut répondre à ces questions que si l’on dispose culturellement et collectivement d’une conception claire de son état et de son identité. La question d’une militarité assumée par l’institution elle-même et reconnue par la nation est donc centrale. Elle seule peut permettre de conduire les réformes à venir qui devront intégrer des paramètres radicalement nouveaux : l’idée supranationale, la place de la coercition dans une stratégie d’influence plus large, la mutualisation des capacités militaires, la civilianisation de certaines fonctions, la notion de sécurité globale, l’interdépendance stratégique, la judiciarisation des conflits, l’hybridité de l’adversaire… Toutes ces tendances lourdes déjà à l’œuvre appellent de nouvelles réformes radicales à côté desquelles les ajustements des deux dernières décennies ne seront que des entrées en matière.
Pour relever ce défi majeur, les armées devront mobiliser toutes les ressources qu’offre cette plasticité si précieusement entretenue. Mais il leur faudra d’abord retrouver une conscience claire de leur fonction sociale dans un environnement radicalement nouveau. Le bon sens du soldat, confronté chaque jour à la réalité des nouveaux champs opérationnels, devrait pouvoir aider à distinguer l’essentiel et l’accessoire. Il faudra surtout être capable de redéfinir le nouveau cadre d’emploi de la force légitime. Pour cela, il sera nécessaire de libérer l’imagination et la force créatrice de ses membres, mais aussi d’oser pousser plus en avant le débat au sein de la communauté militaire. Car, pour reprendre une formule connue, ce n’est pas en sculptant une bougie que l’on a découvert l’électricité. C’est à cette condition que l’outil, ne s’affûtant plus pour lui-même, pourra retrouver des perspectives solides et remettre sans drame le comment au service du pourquoi.
1 On employait dans les années 1980 la formule de la « dissuasion du famas (le nouveau fusil d’assaut des fantassins engagés en première ligne face aux unités du pacte de Varsovie) au snle (nos sous-marins lanceurs d’engins chargés de délivrer le feu nucléaire stratégique) ».
When, in a few decades’ time, military historians and sociologists turn their attention to the period when I was an officer, the chances are that they will talk about radical change, probably a clean break, and perhaps even a silent revolution. In less than 20 years, not really even a generation, France’s armed forces clearly changed in terms of the perceived enemy and in scale. Perhaps they changed even more fundamentally in nature. Without becoming front-page news, and without arousing great social debates, the military institution, which had long been seen as a fundamental basis of the nation, in a few years transformed itself into just one of several crisis-management tools. Even if we consider that assessment rather excessive, no-one can deny that the military’s specific character has continuously diminished over this period. While there are some discreet discussions nowadays about the heart of professional soldiering and the concept of “militarity”, it is obvious that these ideas can no longer go unchallenged.
Following their intuition, tomorrow’s analysts will obviously try to study the internal crises, institutional strains, tensions between up-and-coming youngsters and the old hands, and the conceptual sparring that must have broken out sporadically in the “family” to accompany the upheaval. Any theory must postulate that the extent and speed of such a transformation must have left profound traces. That was, moreover, the case some decades earlier, when the errors perpetrated in colonial wars that France was to lose led to a painful restructuring of the French military and to a new coherent organisation focusing on a global deterrent strategy.1
Let’s hope they are reassured and, in particular, that they do not waste too much time on their research. I have a great fear that, in their investigations, they will find nothing more than I myself have experienced, that is the astonishing plasticity of an institution and a social body grappling with the unavoidable realties of a world undergoing profound change. There was no soul-searching and not really any hardening of views.
It may seem surprising that an institution with such a structured organisation as the French army, with its cultural foundations based on references to inherent values, could undergo such a historic change, without apparent trauma. This paradox can be explained only by the probable existence, in military circles’ DNA, of a remarkable ability to design, organise and manage continuous transformation of its nature. This ability to question and constantly create new conditions for its activities is barely perceptible to civilian society, which is often critical of the military world that can easily be accused of conservatism. It is often not recognised by soldiers themselves; it is something they take for granted and may be explained by a complex of social, psychological and cultural factors that together form a particularly favourable environment.
- Soldiers and change
Our fine soldiering profession does not overburden itself with routine. Quite the contrary, it finds movement, change and innovation a constant source of vitality. This may seem surprising, so true is it that, in the national unconscious, military service conjures up, rather, the monotony of garrison life and religious reverence for apparently outdated traditions. The long sequence of clichés endlessly recalled by old conscripts hardly squares with the intrinsic nature of the military. I even tend to think that soldiers, in whatever period, and of whatever status, remain by nature sensitive to and open to all new influences. When faced with the pressure of events, and thrown into a situation threatening his survival, a fighter cannot afford the luxury of being dogmatic and conformist. Those intellectual refuges never resist for very long the aspects of harsh reality that are inevitably revealed by combat. Many young officers probably already have experience of this, when they realised, in the heat of action that the schematic representations they hold so dear correspond only very loosely to moving operational reality. In that oppressive environment, traditional practice does not involve reproducing textbook cases; rather, it requires invention.
I am very aware of the surprising facility with which the French units committed to the Gulf War adjusted to the revolution in operations brought by gps. In just a few days, the new technical device, that nobody had yet really heard about, fundamentally altered the way movement in battle was seen (that is a good half of tactical operations, given that combat can, overall, be seen as interaction between fire and movement). In a few months, the new technology laid the basis for competence in continuous combat, day and night. It spectacularly speeded up operations, created new opportunities for surprise attacks, led to the development of unprecedented logistical procedures and to the construction of new means of co-ordination between air-delivered and ground resources, etc. A full list of the resulting innovations would be excessively long, but what is certain is that, after the Iraq campaign, nobody could any more envisage fighting in open terrain in the same way. Without prior preparation, without theorising and without having instructions for use – just by using common sense in how to do things – our soldiers not only got to grips with the instrument but, more importantly, were able to reorganise their job, with the constant fog of war suddenly lifting from the environment.
Unlike other institutions developing in more stable environments, the military profession has reality coming up from the bottom; from the smallest or lowest ranked and thus from the level executing policy and in direct contact with the real world. That is where situations pan out and where the details on which the whole battle can turn are revealed. In other words, practical experience is constantly modifying concepts in situations that everyone accepts are highly interactive. In an organisation where those who were just carrying out orders yesterday are destined to become the leaders tomorrow, everyone continues to give attention to what is coming up from “the field”; and the requests made by the lower ranks must be seen as absolute necessities rather than the whims of those doing the job.
To be convinced, one need only observe the far-reaching developments brought about by the army in less than two years, to fulfil its commitment in Afghanistan. The training of all the land-based forces was completely reorganised, to allow the best preparation for operational condition of the units committed; formal arrangements were made for sharing experience between those going out and those coming back; programmes to modify the main forms of equipment so as to counter “new threats” were speeded up; finance was organised for these modifications (at a time of unprecedented financial tensions); support arrangements for families were developed, etc., etc. The priority accorded to operational factors caused no upheavals in “organic” areas and nobody to have doubts or take offence. In both civilian and military communities, a soldier’s legitimacy comes less from his status than from his specific action in combat.
Looking at the total picture, the military has, in its fundamental nature, an openness to reform that is probably more developed than elsewhere. It is more than just a survival instinct, the tendency very definitely being related to soldiers’ characteristics. In an institution where the average age is no more than 30, it is hardly surprising that a certain state of mind can develop, shaped by the values and virtues traditionally associated with youth. Change is seen as natural, innovation as fulfilling and ability to adapt as a sign of a lively mind. Paradoxically, this is the lesson I draw from the long years I spent in the Foreign Legion, a force often portrayed as reluctant to change. Behind the intangible nature, and despite the apparently oppressive discipline, I always observed in my legionnaires a pronounced liking for what was new and for updating, as if the cement of tradition ultimately served only to construct a building that was constantly being remodelled.
- An institution structurally in movement
While some people, in other periods, were able to claim that armies were necessarily conservative, nobody would any longer risk putting forward such a proposition. Proof can be seen in the fact that armed forces are now everywhere spoken of as examples of the most responsive social body and the one most in the forefront of developments reforming State institutions. Looking beyond the psychological assets described above, there is no doubt that this inclination also draws energy from the very specific way in which the military institution functions. This fundamental quality can be explained in a number of ways.
The first, in my opinion, comes from the specific nature of the armed forces among the State’s sovereign functions. While the defence of urban communities is a constant necessity, the instrument that embodies it adapts in all circumstances to a fluctuating array of threats. While volumes of security, justice or taxation change only in minor ways and slowly, the military instrument – like foreign policy, moreover – is just the result of a nation’s geopolitical equation at a given moment. Consequently, how can we talk of a stable model and never-changing organisation or of forces in absolutequantity terms?
Recent history, and not just in France, certainly describes never-ending contraction and development as characteristics of the institution constantly making adjustments. As an example, the British army, which numbered over 5million men in 1918, had no more than 120,000 in 1937 (not counting those posted overseas). The same reality, but in reverse, applied to Germany’s Reichwehr in the inter-war period; from a basis of 100,000 men allowed by the Treaty of Versailles, the country had to rebuild an armed nation in just a few years.
The model’s plasticity thus emerges as reflecting the military state in a non-obvious way, at the same time giving “militarity” the status of a reference point: a fixed point in a world constantly on the move. From this perspective, tradition can be seen as much more than a fearful reaction to a changing world, and should be understood as primarily a natural response to the constant need to make projections into the future. Furthermore, other articles in this issue of Inflexions perfectly describe this interlinking of reforms of greater or lesser consequence that France’s armed forces have experienced over the past century, as if change was an integral part of each generation’s kitbag. Overall, identity rather than format constitutes the only stable and legitimate reality of the military institution.
Under the influence of geopolitical and budgetary pressures, the trend has speeded up to a remarkable extent in recent decades, and few areas have escaped the need for an investigation into the contributory factors. Factors that particularly seem to qualify for examination are: the modular nature of the organisational structure, which rapidly seems to discredit the idea of the regiment as a reference point; formation of an expeditionary force, putting the whole emphasis on the inter-force aspect of operations; the virtual abandonment of operations in the national setting with a whole network of activities throughout the country constituting the basis of its intrinsic functions; the increasingly professional status of soldiers, necessitating a revised view of the relation between the nation and its armed forces; merging and sharing of resources and facilities, which is reducing the made-to-measure nature of resources deployed in a specific situation; civilianisation of some activities, necessitating precise definition of what is specific to soldiering; commitment as part of a coalition, producing the need for a new working language. In just a few years, our units’ everyday life has changed fundamentally, without anyone discerning the universal existential reality.
The second explanation arises from the fact that, by definition, an army operates without any real internal counterweight. In other words, put concisely, wanting would be sufficient to require – or, put in more military terms, one need only order to be obeyed. Here again, the military institution is distinguished from other components of the public sector. Here, I am not talking specifically of the lack of a trade-union presence, which is the great distinguishing feature of the military, but more generally of an effectively hierarchical functioning, organised to achieve a collective task. As in battle, where the leader’s tactical decision does not result from a compromise between the tactical requirements and the perspective of those who have to execute the decision, armed forces logically experience a communal and harmonious functioning. As soon as a reform is decided on, it de facto has the nature of an operational task. That is, moreover, obvious from the documents produced by an army to show a timetable for the major steps in its transformation: they are scheduled like the sequence of a military operation.
There is a third element that can explain things. Whatever the period, and whatever the continent, a soldier’s profession remains closely linked to the state of technology and the development of sciences. At the end of the day, these aspects in practice define the field of what is possible: the range of a weapon and limits to action. Looking beyond the simple continuous development through generations of equipment, history is also marked by technical leaps that suddenly revolutionised the most advanced military organisations in a few decades. Cannons, rifles, tanks, and atom bombs are examples that illustrate the close relationship that exists between an instrument of combat and the organisation that deploys it. The acceleration in scientific invention poses a real challenge to armed forces and it can be met only by constant adjustments in the way the forces are organised. Once again, reforming organisational arrangements is not a matter of choice; it has now become an absolute necessity, with constant acceleration in the process.
There is one more explanation, which in my view is fundamental, and yet only infrequently perceived by the soldiers themselves. This is the great freedom of action left to the military, to decide for themselves how the transformation will be achieved. This freedom of action obviously allows a wide margin of possible forms of adaptation. Even though the political and budgetary contexts obviously constitute limiting constraints, how to adjust to them is, to a great extent, left to the main players’ assessments and their decision-making. In other words, in a field as specific as that of operational engagements, an area where preparation for war is intimately linked to its execution, the why and how of reform remain closely interlinked, to the benefit of the how. That is the whole logic of the recent reforms, expressed in the Orders of 2006 and 2009; they give the leading soldiers a central role in deciding choices and prospects. This is a legitimate and constitutional expression of the primacy of operational logic relative to all other considerations. The soldiers have immense responsibility for the directions taken and the decisions that provide a basis for both their institution’s own future and that of the nation. While war is indeed something too serious to be left to soldiers, by turning the proposition round we can say, without fear of being mistaken, that preparing for war is something too serious to be left to civilians.
Interaction between all these fields, resulting from historical developments that were often tragic, and from custom and practice, produces an unusual collective ability to engage in movement. Far from being a luxury or a pet obsession, this state of mind is the primary assurance that a heavyweight organisation can respond when faced with unforeseen events. From this perspective the specific feature of the military must be considered by the nation as a highly desirable safeguard. Eliminating it by making the military function unremarkable would inevitably erode and then extinguish this unusual ability.
- The generation effect
Looking beyond this collective psychology – which, to my mind, suggests that any institution in tune with facts said to be inescapable should be considering reform – situations in recent years have probably made it possible to exploit this fundamental quality to speed up change in the institution.
My generation was forged in the crucible of (paradoxically, it may be thought) the Cold War. Officers of my generation were trained, like our elders, to lead a precise, rapid and sharp fight where possibilities of survival could be reckoned only in hours, and they left the academies at the very time when collapse of the Soviet system meant the world lost its dangerous but comforting geopolitical coherence. While our instincts led us to think of war as a great complex of well-oiled machinery where, above all, one should undertake honourable accomplishments, without really needing initiative, following a score planned to the last detail, circumstances rapidly threw us into situations that were much less cut and dried. Unlike the learned principles, what were called “recomposition crises” forced us to shake up the standard versions and invent new styles of action with whatever was to hand.
The 1990s were a period of blank pages where, without having any real reference works, we had to improvise to manage unconventional cases. From high-tech war in the sands of Iraq to the genocide in Rwanda, from the open spaces of Somalia to the narrow Sarajevo basin, and from political reconstruction in Cambodia to recurrent involvement in African disorder, there was nothing in one situation that could be made use of in the next. Quite the contrary, operational effectiveness forced us to invent something new with each new commitment. Innovating became the main rule of the game, and improvisation became second nature. Conventional training even ended up being a burden. Thinking back to that period, I recall a certain insouciance in the face of the far-reaching reforms taking place. I have no recollection of any discussion on the ending of conscription. Everything, as a whole, made History, and we did not have time to stop and think about the fundamentals of our profession.
While the previous generation had time to reflect on the military identity and to consider in its smallest details a war that, thank God, was only virtual, our generation was trained rather in being thrown into conflicts that actually happened, without really reflecting on the profound implications of our commitment. Our relationship to change was inevitably affected in a lasting manner. The spirit of reform was considered a necessity, as a life-saving response to the pressure of events, and we can even say as second nature. It was imposed as an obvious necessity on lieutenants and captains of the 1990s, probably with this enthusiasm as a default, that is with failure to reflect on the basic foundations of our identity. After 30 years of inaction, the important thing was to make up the lag that had resulted from new forms of war that left behind the heavy arrangements inherited from the Cold-War period. As in postmodern societies where the acceleration in technical progress quickly rendered the experience and wisdom of the old school obsolete, reference to History and to the humanities faded away, being replaced by a more technical and practical approach. This was probably at the expense of a more profound reflection on the real purpose of the military machine.
This state of mind even succeeded in shaking up tradition in the Foreign Legion, despite that institution having a reputation for being resistant to innovations and to passing whims. I specifically remember a spoof account of the 1863 Mexican battle of Camerón written by the lieutenants in my regiment after the Gulf War. In it, we described humorously, but in the authentic style of the historic account, our adventures in Iraq, as if History on the move gave us the right to transgress the forbidden, and rewrite the past in present-day words.
Having rid itself of its inhibitions, and being less sensitive to the brakes instinctively applied, this generation is more receptive to change; it has felt no need to resist the reforms of the post-Cold-War period. It has even inspired them, providing frank and direct testimony of the new operational realities through its commitments. It is now accepting responsibilities, with the virtues and defects of the self-taught.
- The two sides of the coin
This institutional flexibility, which I have observed throughout my career, can therefore probably be explained by a natural quality nurtured by the institution without anyone being aware of it. For the past 20 years, the reforms have come one after the other, obviously accelerating, without producing rejection or real collective trauma. There is the psychological approach, the structural aspect and the generational effect, all converging, and combining to give the military system a dynamic with which no other public-sector body can compete. The image of an army that resists change, and which is often accused of wanting to retain the status quo, accordingly does not support the opposing view. This does, however, have a price about which we cannot remain silent.
The other side of the coin, and the natural counterpart to this quality, is obviously the use that can be made of this great freedom of movement. The main challenge for military society, we can easily see, does not so much involve instilling drive, making it possible to move a social body that is by nature rather receptive to reforming approaches; rather it involves being able to channel that natural ability in the right direction. Let’s return for another moment to our military sociologists. In a few years’ time, they will analyse the turning point through which we are now living. There is no doubt that they will have some difficulty in grasping the thrust of this perpetual restlessness and in identifying a clear view through the sound and fury of a world undergoing substantial renovation. Rather, they will see a stack of fundamental reforms, not always consistent with each other, seeking mainly in a short-term logic to prolong the life of a model itself considered as the only stable reference point. With no true prospective vision and no integrating principle making it possible to link the instrument’s technical and political aspects; often with no reference but importing by default administrative patterns from outside, the general movement that will be seen will be likened more to management of constant imbalance than a real proactive strategy. In many respects, the period’s activism and reformism obviously hide a certain loss of reference points, as if the absence of a turning point diverted the spirit of reform into a purely gratuitous movement.
Soldiers’ lack of vitality when faced with a stream of increasingly demanding reforms can also be explained by this unfocused perception. When it becomes difficult to distinguish the essential from what is of secondary importance, when the movement overrides the direction, and when identity becomes a matter of questioning, reform can also become a manifestation of something unthought. Overall, does the potential power of this intrinsic military quality not get converted in some situations into a major obstacle, emasculating all response in a movement of creative counter-reform?
- Leading tomorrow’s reform
The great reform, which will restore direction to military action in this world undergoing a process of gestation, is still to come. Armed forces now sense that they are reaching a critical moment, a threshold effect that will require reinventing a large part of France’s military model. It is a turning point beyond which analogy (with adjustments for scale) can no longer serve as the rationale in decision-making. The volumes, formats, organisational arrangements and doctrines are, in fact, of less importance than taking effective account of the new threats and new fields of action. The example of cybernetic threats is particularly instructive. Do they come within the field of Defence? Do they constitute a military task? What level of priority should the country accord to such threats? Can we be protected in a strictly national framework? We can answer these questions only if we have a clear conception culturally and collectively of the nature and condition of that national framework. The question of “militarity” assumed by the institution itself and recognised by the nation is therefore of central significance. It alone will make it possible to carry out the future reforms, which will have to include radically new factors: the supranational idea, the place of coercion in a strategy of wider influence, sharing the provision of military capabilities, civilianisation of some functions, the notion of global security, strategic interdependence, bringing conflicts within the jurisdiction of courts, the hybrid nature of an opponent, etc. All the resource-intensive trends already implemented call for new and radical reforms beside which the modifications in the past two decades will be seen as only an introduction.
To meet this major challenge, armed forces will have to mobilise all the resources offered by this plasticity that has been so carefully maintained. First of all, however, it will be necessary for them to again have a clear conscience about their social function, in a radically new situation. The common sense of a soldier, faced every day with the reality of new operational fields, should enable him to distinguish the essential from what is of secondary importance. He must, in particular, be able to define the new framework in which legitimate force can be employed. For this, it will be necessary to set the imagination and creative force of its members free, while also daring to push the discussion within military circles further forward. To quote a familiar idea, you don’t discover electricity by making candles. It is subject to this condition that the machine, no longer honing its skills for its own purposes, will be able to again find solid prospects and, without any drama, restore the how to serve the why.
1 In the 1980s, people spoke of deterrence from the famas (referring to France’s new assault rifle, assigned to front-line infantrymen facing Warsaw Pact units) to the snle (France’s strategic nuclear-device-launching submarines).