La notion de patrimoine a considérablement évolué depuis 1789, jusqu’à faire lever des doutes sur sa nature même. Il s’agit de prendre acte des étapes de cette mutation avant de porter un jugement de valeur. Car, au nom des héritages et des destinées séculaires d’une France civile et militaire, royale puis républicaine, le patrimoine a été successivement privatisé, nationalisé et démocratisé : réinventé sans être délaissé1.
- Bien privé, bien commun
Au commencement était, à Rome, le pater familias défunt d’une gens supposée homogène et perdurable. Opposé aux acquêts, son legs paternel, le patrimonium, était resté, disait Littré au xixe siècle, « ce bien d’héritage qui descend, suivant les lois, des pères et mères à leurs enfants » ; un bien de famille déjà distingué dans le droit ancien et garanti « bien propre » par notre Code civil napoléonien en 1804. Pour, en somme, préserver le post au nom de l’accumulation ante ; pour parier sur la valeur d’usage, précautionneuse et ennemie de la dilapidation, dans la chaîne des générations.
Mais la Révolution de 1789 a fait rebondir le mot vers le « bien commun », en distinguant des vieux biens patrimoniaux privés et « féodaux » des biens nouveaux, dits nationaux : ceux que les Lumières enfin victorieuses arrachaient au roi, aux nobles et au clergé propriétaires – pillages, sacrilèges et destructions compris –, et qui tombaient ainsi dans le domaine public ; des biens dont la collectivité nationalisée aurait désormais en charge à la fois l’inventaire après décès et la survie démocratique. Les révolutionnaires ont donc embarqué le patrimoine du côté des droits et des devoirs du peuple souverain, et confié aux vrais patriotes le soin de le valoriser. Mais sans que, néanmoins, dans la mémoire personnelle et familiale des Français comme dans leurs bas de laine et leurs testaments, cette acception de « bien national » prenne le pas sur celle de « bien d’héritage », mobilier ou immobilier. Ce dernier est donc resté du ressort du privé et, comme tel, a toujours été acté devant notaire, dans l’intimité querelleuse ou non des successions. Et, tout au long, l’écartèlement de « patrimoine » entre le privé et le public a perduré.
La politique nouvelle et la mémoire collective ont suivi cette pente révolutionnée du mot patrimoine. Ses acceptions religieuses (les reliques, les images, les lieux de culte) et monarchiques (les instruments du sacre, les archives d’État, les antiquités, les collections royales, les bibliothèques, les châteaux) ont cédé le pas devant les acceptions nationales (il fallut inventer, notamment, les notions de « palais » et de « domaine national »), fiscales (droits de succession, impôts divers), administratives (la sauvegarde, le classement et la conservation, de Mérimée et Viollet-le-Duc à la loi de protection de 1913) et scientifiques (d’une part, aujourd’hui, le respect des critères de l’unesco à usage mondial et, de l’autre, le travail de fourmi de l’Inventaire lancé par Malraux en 1964 au ras des communes), toutes sécularisées et rendues publiques.
Si bien que, pour la puissance publique d’État, l’histoire du patrimoine a été aussi un souci de conservation et de nationalisation. Sous tous les régimes, elle a voulu le valoriser en réglementant sa protection et sa gestion, puis en favorisant son accès aux citoyens. Veiller sur lui supposait aussi que, sur un territoire donné, et d’abord celui de la paroisse devenue la commune et du département, il y eût non seulement respect du droit et des règlements, mais conscience d’un enchaînement des générations et un intérêt à considérer la trace monumentale, artistique et populaire comme le rappel d’un art de vivre et de combattre, d’attester et de persévérer ensemble ; bref, que le patrimoine fût géré au nom d’une continuité, et ait valeur de bagage et d’exemple pour les nouveaux venus. Le patrimoine était ainsi mieux qu’un bien hérité et l’école n’a pas cessé de l’apprendre aux plus jeunes : une succession revendiquée et haute en couleur, un flot de traces et de signes jalonnant et signalant une descendance collective fière et féconde.
- L’avènement de 1980
Le patrimoine ainsi entendu a connu à partir de la fin des années 1970 un succès massif. Et même une mutation de son rôle et de son sens dès lors que la France entrait dans un « moment-mémoire », puis un « moment-identité », pour parler comme Pierre Nora : dans un âge de l’émotion, de l’ostension, de la médiation et du « présentisme » qui se devait de le promouvoir d’une façon plus moderne, au nom d’une mémoire plus composite que collective. Le patrimoine, avec son grand « P » gagné en 1980, est ainsi passé du monumental exhibé en place publique au mémoriel affectionné, sans frontière aussi nette que jadis entre le public et le privé dans sa valeur d’usage ; du respect pour la trace privilégiée à la consommation et à l’animation de tout haut lieu et de toute œuvre privilégiés parce que promis à tous ; du bien public étatisé et jacobin à des acceptions plus girondines, communautaires ou de fierté locale. Le vieil héritage mobilier et immobilier du pater familias est ainsi devenu tour à tour, dans ses manifestations sociales et festives, éducatives et touristiques, une exposition multiforme de biens culturels réanimés, une économie et une consommation, un support supposé de sociabilités à ragaillardir : une valeur aussi ostensible qu’extensible. Dépôt jadis sacré, ce patrimoine nouvelle manière sécularise, sécurise et recycle le passé au présent, en jouant au « hier pour demain », titre de l’exposition éponyme du Grand Palais en 1980.
Il est entré dans notre vocabulaire contemporain le 9 août 1978 en Conseil des ministres, quand il fut décidé de créer une Direction du patrimoine au ministère de la Culture et de lancer dès 1980 une « année du Patrimoine ». La rue de Valois venait de perdre l’architecture, passée au nouveau ministère de l’Environnement et du Cadre de vie. Elle rassemblait ses maigres forces en dessinant cette nouvelle direction qui héritait des monuments historiques et des palais nationaux, des fouilles et des antiquités, et de l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France. La direction ainsi réaménagée avait toute latitude pour élargir son champ d’intervention à ce qui pouvait relever de l’air du temps, du soin palliatif ou du souci de l’avenir : rural et industriel, décentralisé et gentiment ethnologique, promis aux catalogages minutieux comme à la valorisation festive et médiatisée, son patrimoine était moins passéiste et plein de promesses, neuroleptique et excitant, touristique et scientifique, pérenne et plastique. Un moteur d’« action » et de « développement » culturel, concepts-clés à l’époque.
Le ministre de la Culture, Jean-Philippe Lecat, sut tout dire en quelques phrases. Le patrimoine, lança-t-il, « c’est une sorte de fil d’Ariane qui unit le présent, le passé et l’avenir de notre société, et qui lui permet d’échapper à l’angoisse et à la stérilité. […] Le patrimoine, ce n’est pas la froideur des pierres, la glace qui nous sépare des objets de musées, c’est aussi le lavoir de village, la petite église rurale, le parler local ou la chanson. Est aussi patrimoine tout ce que nous avons l’ambition de transmettre à nos enfants, en témoignage de notre époque et de ce qui a illuminé notre vie. Dans une société responsable, il me semble qu’a priori tout devrait être considéré comme élément du patrimoine. Nous sommes immergés dans un monde qui recherche ses références et les facultés de renouvellement de ce monde dépendent en grande partie de son patrimoine ».
Du coup, dans un balancement entre une politique publique, une cascade d’initiatives des collectivités locales et une action associative démultipliée, le fil d’Ariane s’est distendu, est devenu un moyen parmi d’autres de promotion ou d’aide à la survie pour une ville, un quartier, un « pays », un clocher ou un beffroi, une fête ou un parler local. Il n’est plus ce label rance qu’on avait jusque-là réservé aux châtelains dans le besoin, aux églises désertées ou aux collections patriciennes. Nombre de bonnes volontés publiques et privées ont mêlé dans son cher tourment la ferveur, l’inventaire et la gestion, la conservation et l’exposition, l’étude, le tour touristique et le « chemin » de mémoire, la restauration et la valorisation, l’archéologie et le développement. Cette animation en sarabande autour des traces s’est mise à référer d’abord au présent et à ses inquiétudes par temps de crise prolongée, mais elle a souhaité être un regain pour une vie collective et des sociabilités déjà très affectées. Bientôt, d’autres ministères vont relayer la Culture pour propager ces ambitions, et d’abord celui de la Défense avec l’installation en 2010 d’une Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (dmpa) fort active.
Cet appétit ainsi manifesté en 1980 a été prolongé depuis 1984 par le succès grandissant des journées portes ouvertes, le troisième dimanche de septembre, dans des domaines publics et privés marqués au sceau des Monuments historiques. Devenues en 1992 Journées du Patrimoine, puis Journées européennes du Patrimoine, elles ont prospéré au point de déplacer douze millions de visiteurs chaque année depuis 2008 et d’ouvrir exceptionnellement au public plus de quinze mille lieux de mémoire, d’art et d’histoire. Elles ont fait école dans quarante-huit pays.
Et les monuments et les bâtiments officiels n’ont pas été les seuls buts de visite. D’aussi vieux « équipements » que les musées, par exemple, se sont mieux ouverts au public grâce au succès de leurs grandes expositions à Paris comme en province, où des capitales régionales comme Nantes ou Lille, Bordeaux, Montpellier, Marseille ou Grenoble ont dépoussiéré leurs vieux Beaux-Arts. Le musée, ragaillardi en outre par le succès des arts « premiers », a pris lui aussi le virage de la proximité et doublé sa vieille vocation éducative par celle, plus spectaculaire, de foyer moins austère qu’on hante plus librement. À l’inverse, le patrimoine religieux, menacé par l’usure du temps et la débandade des fidèles réguliers, d’entretien coûteux et à la charge des communes (sauf les cathédrales à la charge de l’État), parfois désaffecté et promis à la démolition ou à l’« animation » culturelle, n’a pas connu la même relance publique et sa sauvegarde reste largement du domaine privé, associatif ou local, sous le regard attentif d’un Observatoire du Patrimoine religieux : tandis que les grands sanctuaires et les lieux de pèlerinage s’ouvrent au tourisme spirituel de masse, les églises désertées, les objets du culte et les crucifix des chambres à coucher vont trop souvent à la brocante.
- Une élasticité problématique
Nonobstant, répétons-le, c’est un néo-patrimoine, à portée de main, monnayable en mieux-être ou en consolation, qui a été valorisé. Dès 1985, une campagne de sensibilisation au « patrimoine du xxe siècle » a, par exemple, signalé comme un défi à relever, sans toujours pouvoir les sauver, loin de là, une kyrielle de boulangeries décorées, de garages et de stations-service Art déco, de gares Belle-Époque à préserver du vandalisme des modernisateurs de la sncf, de stades années 1920 au béton fissuré ou de piscines en précontraint exemplaires (ainsi à Roubaix), de cités ouvrières, de salles de cinéma de quartier menacées par les vendeurs de fringues ou de hamburgers… On a tenté ainsi de résoudre la quadrature du cercle en expérimentant, pour les sauver, l’art de « retenir le passé sans empêcher l’évolution présente ». On en a même appelé en 2018, sous la houlette de Stéphane Bern, à la générosité privée et au Loto pour dynamiser un peu plus.
Pour traiter du cas, socialement beaucoup plus douloureux par temps de crise, du patrimoine industriel des xixe et xxe siècles, par exemple, on a navigué au moins mal et dans un réel engagement associatif et municipal (à Saint-Étienne ou à Mulhouse par exemple) entre l’archéologie de sauvetage et l’inscription toujours difficile du travail industriel dans la philosophie néo-rurale du patrimoine à l’ancienne. Ou bien, dans les régions les plus touchées par la fin des vieilles industries, le Nord–Pas-de-Calais, la Lorraine ou le Centre, on a choisi soit d’ériger des musées-totems « animés » par d’anciens travailleurs du cru (des mineurs dans une fausse mine à Lewarde, par exemple), soit de créer des parcs-réserves à vocation culturelle, ludique et touristique. C’est ainsi qu’on s’est pris à skier « vert » sur des terrils du Nord et à donner des spectacles dans la grande mine désaffectée de Carmaux. Jusqu’à ce qu’en 2016, les lois Malraux de 1962 et Lang de 1983 étant trop souvent contournées, il fallût légiférer de nouveau pour assurer une meilleure protection des lieux patrimoniaux et de leurs abords dans les tissus urbains lacérés par les promoteurs ou les squatters ainsi que dans les parcs et les zones naturelles écologiquement fragiles ou promises aux éoliennes.
Surtout, le travail, la mémoire et la peine des hommes ont été mis en relief sans se soucier de leur agréger trop ostensiblement des œuvres exemplaires ou des collections privilégiées. Les dénominations des musées dits désormais « patrimoniaux », d’« arts et traditions populaires », « musée de société », « écomusée », « musée hors les murs », « musée industriels », « maison du patrimoine », « maison d’écrivain » ou « mémorial » ont foisonné (sauf pour les casernes…), souvent imprécises mais qui rappelaient clairement que ces lieux seraient voués aussi bien à la démocratie active et à la fréquentation massive qu’à la nostalgie d’un monde perdu ou à la mise en scène muséifiée d’un passé qui, sinon, aurait été promis au squat, à la ruine lente ou à la décharge expresse.
On pourrait multiplier d’autres exemples de cette déclinaison sans fin du patrimoine nouvelle manière. On a parlé avec la même ferveur de patrimoine « culturel » ou « naturel », « minier » ou « portuaire », « oral » ou « écrit » ; on va jusqu’à « patrimonialiser » tel « pays », tel paysage, telle forêt, tel fromage et même le foie gras ou le couteau de poche, sans parler des denrées alimentaires « Reflets de France » bien plus rentables. Et en cantonnant au soin des militaires notre patrimoine de Défense. Le ministère de la Culture a, entre autres initiatives, labellisé des « animateurs du patrimoine », aidé les collectivités locales à densifier un réseau des « villes et pays d’Art et d’Histoire », jusqu’aux opérations « Portes du temps » depuis 2005. L’Éducation nationale n’a pas été en reste, qui a lancé en 1988 les premières « classes patrimoine », mixte de découverte, d’enseignement artistique, d’enseignement disciplinaire et d’éducation civique, puis les « ateliers du patrimoine » et les « classes à projet artistique et culturel ». En dépit d’une lutte assez vigoureuse à propos des enseignements artistiques, une cohabitation moins conflictuelle s’est installée depuis une vingtaine d’années entre l’Éducation nationale, la Culture, les collectivités locales et quelques associations, non seulement pour faire participer les plus jeunes aux opérations de découverte et de sauvetage, mais surtout pour les convaincre qu’ils ne sont ni orphelins ni démunis en matière de patrimoine. « Adopter son patrimoine », le titre de la charte signée par la rue de Grenelle et la rue de Valois en 2002 le dit bien.
- Quelle fidélité ?
Reste à comprendre et à admettre, individuellement et collectivement, à quelle fidélité ce souci patrimonial fait honneur, révérence et référence. En fait, c’est plus souvent à loisir, dans l’intimité des familles et l’attachement à la localité-souche, que les Français ont découvert et expérimenté cette familiarité nouvelle avec du patrimoine new look, pluriel, identitaire et supposé régénérateur. Enchâssé dans des kyrielles de traces inventoriées et de satisfactions palpables, le patrimoine, c’est un fait, est devenu moins un élan collectif qu’une utopie de proximité et une valeur de consolation immédiatement préhensible sans médiations ni codages culturels trop contraignants : une nouvelle frontière pour une France rendue à sa singularité, ses particularismes et son rang très moyen dans le monde, sans parler de la fonte des budgets culturels sous l’effet de la crise.
Dans ce contexte géographiquement et financièrement rétréci, le patrimoine, même de conception élargie, a pris une forte coloration ethnologique de proximité, parfois même particulariste. Car, contre une pensée étatique et parisienne accusée d’être réductrice des différences et, surtout, suspectée à bon droit de se décharger de ses responsabilités sur les collectivités locales, les fondations, les grosses associations ou le mécénat, il a fallu tenter de repérer la différence, de décrire des écarts et des dispersions, de se rapprocher d’une définition plus anthropologique de la culture et, par conséquent, de valoriser la proximité comme valeur test et valeur refuge. Le patrimoine est donc ainsi devenu une sorte d’ambition commodément fréquentable, mais un peu par défaut.
Cette popularisation d’un patrimoine de proximité à vocation identitaire mais inter, pluri ou multiculturelle a beaucoup marqué la France depuis 1980. C’est que, comme l’a dit Pierre Nora, le patrimoine, dans une hiérarchie indécise qui va des Monuments nationaux et de l’archive départementalisée au plus humble monument aux morts, au lavoir municipal ou à la croix de carrefour restaurés, paraît être une sorte de dernier sursaut d’une histoire nationale qui risque de se diluer dans les aléas de la construction européenne, dans les hésitations ou l’indifférence à propos de l’outre-mer ou, plus sûrement encore, dans la mondialisation des enjeux de toutes sortes ; voire même d’être privée de sens et prise en otage sous l’assaut de multiples effets-mémoire aisément transformables en « devoir ».
Car, parallèlement à l’affaissement du récit national des origines et de son enseignement, des groupements, des associations, des collectifs et des militants nous ont sommés d’avoir à nous souvenir et à devenir à notre tour des « témoins » et des « descendants » en participant au sauvetage d’une mémoire généalogique du groupe, de la communauté ou de la localité que chacun tient, il va de soi, pour universelle, exemplaire, probante et donc salvatrice (ainsi, la mémoire de l’esclavage à Paris, Nantes ou Bordeaux). L’État, les collectivités locales et l’Éducation nationale ont officialisé cette généralisation d’un « devoir » de mémoire. Patrimoine, mémoire et identité se sont coagulés, coalisés pour tenter de faire encore sens. Si bien que la notion de patrimoine n’a pas résisté à tant de sollicitudes. Elle a implosé, minée par l’absence de hiérarchie entre les signes et les traces toujours plus nombreux (l’archéologie de sauvetage, par exemple, tient davantage du stockage que de l’inventaire et de la promotion culturelle), dilapidée par la démultiplication de son exhibition médiatisée et l’individualisation de sa consommation sur le pouce. Et les politiques culturelles publiques n’ont pas su formuler une régulation citoyenne de ses usages.
Tant et si bien que nous n’examinons plus assez attentivement des notions aussi inadaptées ou redoutablement complexes que, par exemple, l’inventaire d’un patrimoine inné comme le « patrimoine géologique ». Ou comme ce Patrimoine culturel immatériel (pci) défini par l’unesco, qui doit produire des « archives du sensible » et qui appelle à « inventer l’inventaire » ; qui est mis en œuvre par la France depuis 2006 et qui, si on lit bien l’article 2 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel du 17 octobre 2003, s’adresse d’abord, voire exclusivement, aux « communautés » auxquelles il appartiendrait indivis. Il faudra, c’est l’évidence, suivre de très près les bouleversements scientifiques, culturels, pédagogiques et nationaux que l’application de cette convention a introduits.
Concluons, provisoirement. Le patrimoine est un outil, un support, un levier mis au service de nos ambitions collectives, ou de ce qu’il en reste. Mais il n’est plus la marque intangible d’un sillage d’histoire dont la transmission, enfin assurée et de nouveau valorisée, nous sortirait de nos embarras mémoriels, identitaires, communautaires et civiques. Ainsi il ne pourra plus être ni instrumentalisé ni sacralisé. Et pourtant, il doit rester une invite, un langage unificateur et créatif, un message d’avenir lancé à toutes les générations. Il peut ainsi nous aider à courir le risque du monde sans oublier notre passé national et européen, et donc à transmettre encore, pour garder l’envie d’innover ensemble.
1 Je m’inspire ici du chapitre « Le fil d’Ariane du patrimoine », in, J.-P. Rioux, Ils m’ont appris l’histoire de France,
Paris, Odile Jacob, 2017, pp. 148-156. Pour des généralités, voir J.-Y. Andrieux (dir.), Patrimoine et société, Presses universitaires de Rennes, 1998 ; J.-P. Babelon et A. Chastel, La Notion de patrimoine, Paris, L. Levi, 1994 ; N. Heinich, La Fabrique du patrimoine, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2009 ; Ch. Hottin, « Présent et devenir du patrimoine immatériel », Le Débat n° 194, mars-avril 2017 ; J.-M. Leniaud, Les Archipels du passé. Le patrimoine et son histoire, Paris, Fayard, 2002 ; D. Poulot, Musée, Nation, Patrimoine, Paris, Gallimard, 1997 ; « Patrimoine, une histoire politique », numéro spécial de Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 137, janvier-mars 2018.