Dès qu’en France le souvenir de l’Occupation et, plus largement, celui de la Seconde Guerre mondiale est en jeu, s’affiche la volonté de lutter contre l’oubli pour exorciser un passé « qui ne passe pas »1. Les derniers acteurs et témoins, les plus hautes autorités de l’État, les associations, les collectivités locales hantent les lieux de mémoire et les mémoriaux2, les classes et les centres culturels, les places publiques et les écrans. Le « plus jamais ça ! » bat son plein. Jusqu’aux années 1970, l’« ardente obligation » française, c’était la modernisation, la croissance et le mieux-être. Quarante ans plus tard, nous voyons l’emprise d’un nouvel impératif catégorique pour société défaite et divisée qui voudrait bien se reconstruire : le « devoir de mémoire »3.
- L’heure indécise
Nul, au demeurant, n’a songé à s’entendre un peu mieux sur l’objet, les attendus et les effets de cette injonction, ni même à faire un bilan des politiques du souvenir : il a fallu attendre 2008 pour qu’une mission d’information parlementaire amorce utilement une réflexion4. Or, sur l’entrefaite, les « années noires », tenues longtemps pour le point d’orgue de notre « guerre franco-française », sont devenues le point nodal d’une évolution de l’humanité ravagée par le « désastre le plus paradigmatiquement antihumain »5, par l’événement unique et universel « qui n’a pas trouvé sa fin » : l’extermination des juifs programmée par le nazisme, hier « génocide » ou « Holocauste » et aujourd’hui « Shoah ».
Cette nouvelle dimension mémorielle du conflit mondial a investi puis dépassé sa dimension antérieure, plus idéologique, plus politique et plus nationale. Elle a doublé l’empathie pour les vainqueurs par la compassion pour les victimes. Après les procès d’Eichmann en 1961 et surtout celui de Barbie en 1987, le « devoir de mémoire » l’a emporté sur son antécédent de 1945, le « plus jamais ça ! ». Si bien que le témoin prophétique et la victime exemplaire ont été mis en compétition avec l’acteur engagé et le vainqueur, avec le héros résistant et le salaud « collabo ». La « victimisation » a rattrapé puis réélargi la nationalisation franco-française de l’enjeu.
Cette évolution a été reconnue et légitimée par le président Jacques Chirac le 16 juillet 1995 dans son allocution lors de la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv des 16-17 juillet 1942. « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions, a-t-il déclaré. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. […] La France, patrie des Lumières et des Droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. » Dès lors, il faut collectivement « transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé et les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures sans cesse à l’œuvre ».
La vanne ouverte en 1971 par le film accusateur de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, puis en 1973 par la publication de La France de Vichy de Robert O. Paxton, a de surcroît permis de laisser s’imposer plus librement toutes les formes du « devoir de mémoire ». La mise en cause de Vichy et de sa collaboration avec les nazis, et surtout de son rôle dans l’extermination des juifs, a débouché de 1979 à 1994 sur des inculpations et des condamnations de certains de ses hommes de main comme Paul Leguay, René Bousquet ou Paul Touvier. En 1985, la Cour de cassation a inscrit le crime contre l’humanité dans le droit français à titre imprescriptible et, pour la première fois depuis certaines tentatives au temps de… Vichy, rétroactif. En 1987, le procès de Klaus Barbie a eu un effet pédagogique certain, qu’on a cru pouvoir renouveler, dix ans plus tard, avec celui de Maurice Papon. En 1990, la loi Gayssot a permis de condamner plus sévèrement la contestation des crimes contre l’humanité et la négation du génocide juif.
Le conflit de mémoire semble certes marquer le pas depuis l’intervention de Jacques Chirac en 1995 : la France a convenu que la remémoration et même la repentance étaient nécessaires puisque l’État avait failli entre 1940 et 1944. Mais elle sort péniblement du « syndrome de Vichy », ne songe guère à l’apaisement dans la remise au net de la Résistance6, et ses tribunaux restent évidemment incapables de panser les plaies nationales. Rappeler des crimes et faire repentance ne fait pas renouer le fil et ne réinstalle pas la communauté française dans la confiance en soi. La piété mémorielle et l’interpellation justiciable semblent n’avoir été ni consolantes ni prophylactiques.
Tant et si bien, comme l’a si justement dit Paul Thibaud, que la « mémoire instituée fonctionne comme un disque rayé, butant toujours sur les mêmes points, symptôme d’un détraquage de la politique et de la culture. Comme certains vieillards, nous cultivons les émotions rétrospectives. Si la croyance prévaut que plus on avoue plus on s’améliore, c’est que nous manque la force de reformuler une identité éclairée par l’expérience »7. « Identité », nationale, collective, communautaire ou personnelle : le grand mot a été lâché, qui rend compte si confusément mais si sincèrement de la perte d’une image de soi et du souci de trouver dans le passé les bribes d’une confiance à renouveler. La mémoire collective dûment convoquée, sondée mais non débridée depuis un quart de siècle, n’a pas fait renouer avec la continuité temporelle ni régénéré les mécanismes de la transmission8.
Voici pourquoi nous en sommes venus à ne plus savoir comment lire cette heure indécise où, par exemple, l’Office national des anciens combattants a créé des emplois-jeunes nommés « emplois-mémoire » ; où le secrétaire d’État aux mêmes Anciens Combattants a décrété, sans justification politique, sans débat public mais sous la pression directe d’associations d’anciens combattants et victimes de toutes les guerres9, que faire son « devoir de mémoire » contribuerait à refonder la citoyenneté.
À propos des camps d’extermination nazis, ce devoir devenu très impératif a même pu culpabiliser quelques représentants des nouvelles générations jusque dans les établissements scolaires et les voyages-pèlerinages dans les camps, où des témoins en viennent quelquefois à vouloir convaincre de jeunes innocents d’aujourd’hui qu’ils participeraient d’une catégorie inconnue de l’histoire : la culpabilité collective, éternelle et imprescriptible10. Comme si Auschwitz, fait historique si affreusement singulier, pouvait « revenir », se répéter ou être calqué. Comme si le racisme et l’antisémitisme ne pouvaient pas s’inventer d’autres formes criminelles affreusement inédites. Comme si chaque crime contre l’humanité reproduisait un abominable modèle conforme. Comme si le « devoir de mémoire » pouvait l’emporter sur la connaissance explicite et sur la raison qui fondent la citoyenneté. Comme si la mémoire était de meilleur rendement probatoire, moral et civique que le récit construit par les historiens en croisant toutes les traces sans en privilégier ni sacraliser aucune. Comme si le culte des morts et le souvenir n’étaient que les pièces d’un dossier d’instruction, et comme s’il fallait, décidément, « vampiriser l’histoire par l’édification », comme l’a dénoncé courageusement Emma Shnur11.
- Une nouvelle religion civique
Si bien qu’il faut s’interroger – on s’y emploie12 – sur l’évolution de ce terme de « devoir de mémoire » qui, après avoir pris forme au vu de l’horreur des camps13, a glissé des rescapés à tous les témoins, via leurs associations, puis a irrigué au fil des ans le dispositif médiatique, judiciaire et même civique, jusqu’à être tenu non seulement pour l’élément moteur d’une mémoire collective, mais aussi, quasiment, pour une « nouvelle religion civique »14.
Ce souci n’est pas nouveau. Dès après 1945, les premières amicales de déportés ont voulu à la fois honorer la mémoire des disparus, maintenir présents dans l’esprit des Français les actes de barbarie dont ceux-ci avaient été les victimes et plaider, en termes de militance, pour empêcher tout retour de cette barbarie-là. Après quelques troubles aux heures chaudes de la guerre froide, depuis les années 1960 qui ont vu la création du Concours de la Résistance en 1961, lequel s’ouvrira en 1972 à la déportation, ce réseau du souvenir a tenu à signaler plus attentivement et plus massivement aux jeunes générations l’urgence d’un combat pour l’« impossible oubli », à l’heure où l’histoire du second conflit mondial était inscrite dans les programmes des classes de terminale et où se souvenir passait d’abord, de l’avis général, par la connaissance, qui seule permettrait de ne pas laisser retomber l’opinion dans la xénophobie et le racisme par ignorance. C’est alors aussi que la formation des enseignants est devenue une préoccupation première et un enjeu stratégique, via notamment l’Association des professeurs d’histoire et de géographie, tandis que les pouvoirs publics et les autorités de l’Éducation nationale entérinaient et relayaient maintes initiatives qui toutes voulaient faire attester à la fois par la connaissance historique et par le rapport direct des jeunes élèves avec les survivants et les combattants.
Dans ce trend du souvenir, le passage de l’héroïsation à la « victimisation », au recours à la voie judiciaire et à l’ostension des valeurs a été scandé dans les années 1970 et 1980 par plusieurs autres facteurs grâce auxquels le « devoir de mémoire » s’est légitimé un peu plus. D’abord, on l’a dit, l’affirmation très haute d’une mémoire autonome et archétypale de la Shoah, appellation nouvelle de l’extermination, qui, en judaïsant le phénomène concentrationnaire, a non seulement complexifié le discours du souvenir et parfois bousculé les termes anciens de la militance antinazie, mais a mis au premier plan de la revendication mémorielle et morale les victimes par excellence, les innocents gazés au seul motif d’être juifs. Cette singularité sacrale et sacrée de la Shoah, exemplairement filmée par Claude Lanzmann en 1985, a ressuscité l’expérience face à la connaissance et la transcendance morale et religieuse face à la militance. Elle a pu conduire certains, et Claude Lanzmann notamment, à dévaloriser les registres de la compréhension et de l’explication. En 1997 comme en 1988, rappelons-le, ce dernier a pu déclarer que « face à la Shoah, il y a une obscénité absolue de comprendre »15.
Vint aussi l’action, dès la fin des années 1960, de Beate puis, dès 1978-1979, de Serge Klarsfeld, dont la pugnacité et l’exemplarité, bientôt reconnues par les médias et acculant les pouvoirs publics en Europe et en France, ont joué sur trois éléments nouveaux dont la mise en synergie fit beaucoup pour l’affichage du « devoir de mémoire ». Le premier fut un grand travail d’érudition et d’investigation d’archives, de connaissance et de reconnaissance par la preuve archivistique – une vraie œuvre d’histoire qui se voulut aussi « de piété et d’hommage » – en droite ligne avec celui qu’avait entrepris Joseph Billig après 1945, indispensable à l’heure des offensives des négationnistes mais utile aussi pour mettre devant leurs responsabilités les pouvoirs publics trop myopes et les historiens trop nonchalants, et dont est d’abord sorti le Mémorial des déportés juifs de France, publié en 1978, suivi par Vichy-Auschwitz en 1983-1985, avant quantité d’autres publications et, surtout, l’édification à Paris d’un Mémorial de la Shoah ouvert en 2005. Le deuxième jouait pour la première fois sur l’ardent relais d’une génération à l’autre, avec le lancement en 1979 de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France, elle-même au centre de nombreuses interrogations identitaires des nouvelles générations juives. Le troisième, autrement plus visible et qui servit d’aiguillon sur les pouvoirs publics, fut la dénonciation par tous les moyens médiatiques du passé nazi de responsables ouest-allemands puis d’hommes de Vichy complices de la Shoah, suivie, après constitution de solides dossiers puisés en archives, de leur traduction devant des tribunaux pour crimes de guerre puis pour crimes contre l’humanité.
Enfin, le facteur social décisif fut sans doute la reconnaissance publique, par les médias mais aussi par une capillarité toute nouvelle dans l’ensemble de la société qui a évidemment un rapport étroit avec nos crises, de la fonction sociale du témoin porteur d’authenticité, d’identité, de vérité et donc d’histoire, dont Annette Wieviorka a fait l’analyse16 et dont elle date l’émergence en 1961 avec le procès d’Eichmann et l’affirmation à la fin des années 1970 après la diffusion du feuilleton télévisé américain Holocauste. Cette promotion si spectaculaire du témoignage des survivants, généralisée depuis 1994 par la fondation Spielberg qui a convoqué à la barre jusqu’aux petits-enfants du témoin filmé, tend à concurrencer victorieusement dans l’opinion le travail « réfrigérant » des historiens. Elle a surtout contribué fortement à rendre plus sensible et émotionnelle et, surtout, à moraliser l’approche de la Seconde Guerre mondiale et du génocide.
Dès lors, le « devoir de mémoire » a pris une densité sociale proportionnée aux hantises du présent autant qu’à la vivacité d’un passé qui ne « passe pas ». Le vieillissement des derniers témoins directs intéressés au premier chef, l’entrée en lice de leurs descendants et de leurs proches, l’activisme des médias qui ont cru compenser ainsi la recrudescence d’un présent qu’ils actualisent inlassablement, la crise des valeurs qui bouche l’avenir, les mutations technologiques et sociales qui décrochent culturellement le train des générations, la recherche par les anciens combattants d’un relais civique chez les jeunes à l’heure où ceux-ci ne sont plus astreints au service militaire ou civil, le souci des pouvoirs publics de rafraîchir en urgence la citoyenneté : tout s’est mêlé pour faire de ce « devoir » une occasion favorable, une évidence à bon compte, un substitut à la mise en perspective, un recours contre les désaveux, les pannes et les ruses de l’histoire présente ; une sorte de quasi-historicité, à l’heure où l’individualisme, l’instantanéité et la mondialisation semblaient l’emporter.
Dès 1986, la Commission à l’information historique pour la paix du secrétariat d’État aux Anciens Combattants a donc autoproclamé qu’il y aurait un « devoir de mémoire » de tous les conflits et de leurs acteurs, les vivants comme les morts. En 1993, une « Marche du siècle » télévisée a vulgarisé le terme. Peu à peu les associations d’anciens combattants ont voulu « faire vivre la mémoire » en faisant leur propre histoire et en visitant des classes et des établissements scolaires. La direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du ministère de la Défense a multiplié pour sa part les recensions et les enquêtes, lancé un journal significativement titré Les Chemins de la mémoire qui signale les récits aussi « complets » qu’« irréfutables », les traces tangibles de « ce qui a été accompli », les appels à modifier, voire à régenter les programmes d’enseignement et à remplir d’ouvrages « définitifs » les centres de documentation et les bibliothèques publiques, pour convaincre chaque jour un peu plus les « jeunes générations », leur transmettre un flambeau sans désespérer. En 1995, petit signe d’un imperium du « devoir » en bon état de marche, l’interview exceptionnelle de lucidité accordée par Primo Levi à Anna Bravo et Federico Cereja en 1983 a été publiée en français sous le titre Le Devoir de mémoire17 : le témoin des témoins restait fidèle à lui-même et à son œuvre en expliquant pourquoi il ne parlait plus devant des élèves, mais son témoignage était néanmoins inscrit dans le nouveau cours de l’obligation.
Que faire dès lors18 ? Refuser de dire l’indicible ? Certes non. Mais préférer poursuivre la réflexion, chercher du sens, réfléchir au choc des images, examiner les traces, les signes et les symboles polis par le temps, s’interroger sur le témoignage : rester fidèle à l’exigence de connaissance des faits et de leur agencement, pour se permettre ainsi, ensuite, d’envisager la part d’indicible que ce génocide a si tragiquement inscrite dans l’Histoire. Surtout, dire bien haut et en tous lieux que nos filles et nos garçons n’ont en aucune manière à porter le poids de ce dont ils sont innocents. Gardons-nous de vouloir en faire, au nom d’une fidélité mémorable, de nouveaux témoins des témoins, des acteurs par défaut ou des Justes par prétérition ! Contentons-nous, obstinément, de leur apprendre et d’apprendre nous-mêmes, individuellement et collectivement, l’impératif du droit ; de faire vivre en nous tous la seule fidélité, la seule identité, le seul héritage dont nous avons la charge : connaître et reconnaître, sans trêve et à raison.
Il est vrai que maintenir le cap de la transmission par la connaissance ne suffit sans doute pas. Car le transfert sur le « devoir » de mémoire accompagne ou annonce, selon les cas, les lieux, les confessions, les origines, un localisme identitaire dont nous participons tous plus ou moins confusément à bien d’autres titres. Et ce localisme, social, religieux, culturel, revendique souvent la pluralité des valeurs, la singularité d’appartenance, le souvenir impétueusement constitutif, la revanche de la mémoire sur l’histoire, la bataille en mémoire avant toute concertation et instruction.
C’est dire que le « devoir de mémoire » accélère la mise à jour de la contradiction où se débat une société qui ne veut pas encore tout à fait dissocier transmission et formulation de l’avenir19. La mémoire polymorphe, parcellisée, désunie de la construction collective, prend sa revanche, s’installe sans jamais songer à accélérer puis accomplir un travail de deuil. Pire : les regains antisémites depuis quelques années en France et les refus de certains élèves d’avoir à apprendre ce qu’a été la Shoah peuvent être lus aussi comme une faillite du « devoir de mémoire ». « Peut-être trop de mémoire a-t-il provoqué sélection et oubli chez les récepteurs, au lieu de les prémunir contre l’antisémitisme », a noté Esther Benbassa20.
En revanche, pourquoi ne pas reconnaître que la « guerre franco-française » commence à désarmer, que le procès de Maurice Papon a pratiquement levé l’hypothèque de Vichy sur la mémoire collective et que la Résistance symbole d’une flamme nationale point trop vacillante, bien abritée sans doute sous l’ombre portée de la mémoire souveraine du général de Gaulle, n’est menacée ni d’oubli las ni d’offensive révisionniste ? Signe supplémentaire d’une chute de tension bien perceptible et largement souhaitée : en 2004, les nouveaux programmes d’histoire au lycée ont « rétrogradé » l’étude de cette guerre à la fin de l’année de Première mais recommandé d’inaugurer l’année de Terminale par un rappel intitulé « Bilan et mémoires de la Seconde Guerre mondiale » (on notera le pluriel de « mémoire ») : ce compromis a été entériné à la satisfaction générale.
La tâche collective à propos de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de revanche sociale des mémoires les plus diverses, les plus contradictoires et les plus antagonistes, mais aussi d’oubli galopant et d’impuissance à transmettre, paraît pourtant toujours aussi claire aujourd’hui. Il s’agit de rappeler et de convoquer les années 1939-1945 dans les consciences pour faire admettre qu’il n’y a pas de transmission sans reconnaissance d’une autorité de l’esprit ; pas de valeur éthique qui doive échapper à la conscience individuelle mais, en revanche, pas d’universalisme qui ne transcende la somme des options philosophiques ou religieuses et des appartenances mémorielles ; pas de civisme qui ne soit une dure victoire de l’acquis sur l’inné ; pas plus de devoir collectif que de responsabilité collective, sauf le devoir de répandre, enseigner, raisonner et partager un savoir, de prolonger la mémoire en vérité. Rude tâche. Mais, après tout, les plus nobles des témoins eux-mêmes ont convenu que toute transmission utile et véridique passait d’abord par l’intelligence et la connaissance, et ensuite par la reconnaissance. « Je pense que, pour un homme laïque comme moi, l’essentiel c’est de comprendre et de faire comprendre », n’a pas cessé de dire Primo Levi.
1 Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, « Folio », 1996.
2 Conseil français de l’Association internationale des musées d’histoire, Mémoriaux, 2006.
3 Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire, Paris, Perrin, 2006 (nous en reprenons ici quelques extraits) et « Devoir de mémoire, devoir d’intelligence », Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 73, janvier-mars 2002..
4 Assemblée nationale, Rassembler la Nation autour d’une mémoire partagée, Rapport d’information n° 1 262, novembre 2008
5. Claude Lanzmann, « Universalité des victimes, singularité des événements historiques »,
Les Temps modernes n° 635-636, novembre-décembre 2005-janvier 2006.
6 D’autant que les derniers acteurs n’aseptisent rien : voir, exemple notoire, les mémoires de Daniel Cordier, Alias Caracalla, Paris, Gallimard, 2009.
7 Paul Thibaud, « Un temps de mémoire ? », Le Débat n° 96, septembre-octobre 1997.
8 Pour rapporter la transmission à la crise actuelle plutôt qu’à la Seconde Guerre mondiale : Semaines sociales de France, Transmettre. Partager des valeurs, susciter des libertés, Paris, Bayard, 2006, et Catherine Chalier, Transmettre, de génération en génération, Paris, Buchet Chastel, 2008. Sur la question, majeure, de l’enseignement, voir Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation, Paris, Stock, 2008.
9 Par exemple, Gilles Vergnon et Michèle Battesti, Les Associations d’anciens résistants et la fabrique de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, cahier n° 28 du Centre d’études d’histoire de la défense, 2006.
10 Sophie Ernst (dir.), Quand les mémoires déstabilisent l’école. Mémoire de la Shoah et enseignement, Institut national de recherche pédagogique, 2008.
11 Emma Shnur, « Pédagogiser la Shoah ? » et « La morale et l’histoire », Le Débat n° 96, septembre-octobre 1997.
12 Olivier Lalieu, « L’invention du ”devoir de mémoire” », Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 69, janvier-mars 2001.
13 Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible. Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité, Paris, Le Seuil, 1986.
14 Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, Paris, Mille et une nuits, 2003.
15 Le Monde du 13 juin 1997.
16 Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Paris, Plon, 1999.
17 Primo Levi, Le Devoir de mémoire, Paris, Mille et une nuits, 1995.
18 Jean-François Bossy, Enseigner la Shoah à l’âge démocratique. Quels enjeux ?, Paris, Armand Colin, 2007, et Dominique Borne, Enseigner la vérité à l’école. Quels enjeux ?, Paris, Armand Colin, 2007.
19 Jean-Pierre Rioux (dir.), Nos embarras de mémoire. La France en souffrance, Paris, Lavauzelle, 2008.
20 Esther Benbassa, « Regain antisémite : faillite du devoir de mémoire ? », Médium n° 2, janvier-mars 2005 et Claude Askolovitch, « Y a-t-il des sujets tabous à l’école ? », L’Histoire n° 301, septembre 2005.
1 Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, « Folio », 1996.
2 Conseil français de l’Association internationale des musées d’histoire, Mémoriaux, 2006.
3 Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire, Paris, Perrin, 2006 (nous en reprenons ici quelques extraits) et « Devoir de mémoire, devoir d’intelligence », Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 73, janvier-mars 2002..
4 Assemblée nationale, Rassembler la Nation autour d’une mémoire partagée, Rapport d’information n° 1 262, novembre 2008
5. Claude Lanzmann, « Universalité des victimes, singularité des événements historiques »,
Les Temps modernes n° 635-636, novembre-décembre 2005-janvier 2006.
6 D’autant que les derniers acteurs n’aseptisent rien : voir, exemple notoire, les mémoires de Daniel Cordier, Alias Caracalla, Paris, Gallimard, 2009.
7 Paul Thibaud, « Un temps de mémoire ? », Le Débat n° 96, septembre-octobre 1997.
8 Pour rapporter la transmission à la crise actuelle plutôt qu’à la Seconde Guerre mondiale : Semaines sociales de France, Transmettre. Partager des valeurs, susciter des libertés, Paris, Bayard, 2006, et Catherine Chalier, Transmettre, de génération en génération, Paris, Buchet Chastel, 2008. Sur la question, majeure, de l’enseignement, voir Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation, Paris, Stock, 2008.
9 Par exemple, Gilles Vergnon et Michèle Battesti, Les Associations d’anciens résistants et la fabrique de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, cahier n° 28 du Centre d’études d’histoire de la défense, 2006.
10 Sophie Ernst (dir.), Quand les mémoires déstabilisent l’école. Mémoire de la Shoah et enseignement, Institut national de recherche pédagogique, 2008.
11 Emma Shnur, « Pédagogiser la Shoah ? » et « La morale et l’histoire », Le Débat n° 96, septembre-octobre 1997.
12 Olivier Lalieu, « L’invention du ”devoir de mémoire” », Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 69, janvier-mars 2001.
13 Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible. Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité, Paris, Le Seuil, 1986.
14 Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, Paris, Mille et une nuits, 2003.
15 Le Monde du 13 juin 1997.
16 Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Paris, Plon, 1999.
17 Primo Levi, Le Devoir de mémoire, Paris, Mille et une nuits, 1995.
18 Jean-François Bossy, Enseigner la Shoah à l’âge démocratique. Quels enjeux ?, Paris, Armand Colin, 2007, et Dominique Borne, Enseigner la vérité à l’école. Quels enjeux ?, Paris, Armand Colin, 2007.
19 Jean-Pierre Rioux (dir.), Nos embarras de mémoire. La France en souffrance, Paris, Lavauzelle, 2008.
20 Esther Benbassa, « Regain antisémite : faillite du devoir de mémoire ? », Médium n° 2, janvier-mars 2005 et Claude Askolovitch, « Y a-t-il des sujets tabous à l’école ? », L’Histoire n° 301, septembre 2005.
1 Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, « Folio », 1996.
2 Conseil français de l’Association internationale des musées d’histoire, Mémoriaux, 2006.
3 Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire, Paris, Perrin, 2006 (nous en reprenons ici quelques extraits) et « Devoir de mémoire, devoir d’intelligence », Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 73, janvier-mars 2002..
4 Assemblée nationale, Rassembler la Nation autour d’une mémoire partagée, Rapport d’information n° 1 262, novembre 2008
5. Claude Lanzmann, « Universalité des victimes, singularité des événements historiques »,
Les Temps modernes n° 635-636, novembre-décembre 2005-janvier 2006.
6 D’autant que les derniers acteurs n’aseptisent rien : voir, exemple notoire, les mémoires de Daniel Cordier, Alias Caracalla, Paris, Gallimard, 2009.
7 Paul Thibaud, « Un temps de mémoire ? », Le Débat n° 96, septembre-octobre 1997.
8 Pour rapporter la transmission à la crise actuelle plutôt qu’à la Seconde Guerre mondiale : Semaines sociales de France, Transmettre. Partager des valeurs, susciter des libertés, Paris, Bayard, 2006, et Catherine Chalier, Transmettre, de génération en génération, Paris, Buchet Chastel, 2008. Sur la question, majeure, de l’enseignement, voir Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation, Paris, Stock, 2008.
9 Par exemple, Gilles Vergnon et Michèle Battesti, Les Associations d’anciens résistants et la fabrique de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, cahier n° 28 du Centre d’études d’histoire de la défense, 2006.
10 Sophie Ernst (dir.), Quand les mémoires déstabilisent l’école. Mémoire de la Shoah et enseignement, Institut national de recherche pédagogique, 2008.
11 Emma Shnur, « Pédagogiser la Shoah ? » et « La morale et l’histoire », Le Débat n° 96, septembre-octobre 1997.
12 Olivier Lalieu, « L’invention du ”devoir de mémoire” », Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 69, janvier-mars 2001.
13 Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible. Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité, Paris, Le Seuil, 1986.
14 Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, Paris, Mille et une nuits, 2003.
15 Le Monde du 13 juin 1997.
16 Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Paris, Plon, 1999.
17 Primo Levi, Le Devoir de mémoire, Paris, Mille et une nuits, 1995.
18 Jean-François Bossy, Enseigner la Shoah à l’âge démocratique. Quels enjeux ?, Paris, Armand Colin, 2007, et Dominique Borne, Enseigner la vérité à l’école. Quels enjeux ?, Paris, Armand Colin, 2007.
19 Jean-Pierre Rioux (dir.), Nos embarras de mémoire. La France en souffrance, Paris, Lavauzelle, 2008.
20 Esther Benbassa, « Regain antisémite : faillite du devoir de mémoire ? », Médium n° 2, janvier-mars 2005 et Claude Askolovitch, « Y a-t-il des sujets tabous à l’école ? », L’Histoire n° 301, septembre 2005.
In France, when the memory of the Occupation and, more generally, World War II is mentioned, the effort never to forget in order to exorcise a past “that did not happen” becomes apparent1. The last remaining actors and eyewitnesses, the most important state authorities, associations and local authorities haunt memorial sites and memorials2, classrooms and cultural centres, public places and screens. The cry of “never again!” is loud and clear. Until the 1970s, France’s “pressing need” was modernisation, growth and improved well-being. Forty years later, we see the influence of a new categorical imperative for a defeated, divided society that wishes to be rebuilt from scratch: the “duty of remembrance”3.
- The undecided hour
In fact, no one has considered reaching an agreement on the objective, expectations and effects of this injunction, or to assess policies of remembrance: it was not until 2008 that a parliamentary commission would begin a meaningful analysis of this issue4. Yet at the time, the “black years”, long seen as a pause in our civil war, have become the node of an evolution in humanity ravaged by the “most paradigmatically anti-human disaster”5, by the unique and universal event “that has not ended”: the extermination of Jews by the Nazis, formerly known as the “genocide” or “Holocaust” but now known as “Shoah”.
This new memorial dimension of World War II has invested in, then surpassed, its earlier, more ideological, more political and more national dimension. It has replaced empathy with the victors with compassion for the victims. After the Eichmann trial in 1961 and, in particular, that of Barbie in 1987, the “duty of remembrance” prevailed over the past history of 1945, with its cry of “never again!” So the prophetic witness and exemplary victim were pitted against the engaged actor and victor, heroes from the Resistance and rotten “collabo”. “Victimisation” made up for, then broadened out, the French nationalisation of the issue.
This evolution was recognised and given legitimacy in an address at the commemoration of the Vél d’Hiv raid on 16-17 July 1942 by President Jacques Chirac on 16 July 1995. “These dark hours will stain our history forever, and are an injury to our past and our traditions”, he declared. “Yes, the criminal madness of the occupier was assisted by the French, by the French state. […] On that day, France, home of the Enlightenment and human rights, the land of welcome and asylum, did the irreparable.” Since then, our collective duty has been to “transmit the memory of the Jewish people, the suffering, the camps. Give evidence over and over. Recognise the mistakes of the past and the errors of the State. Not to hide anything from those dark hours in our history; rather, to defend an idea of man, his freedom and his dignity. It is to fight the forces of darkness at all times”.
The floodgates opened in 1971 by the accusatory Marcel Ophüls film, Le Chagrin et la Pitié, then in 1973 by the publication of Robert O. Paxton’s La France de Vichy, moreover allowed all manifestations of “duty of remembrance” to impose themselves more freely. The challenge to the Vichy and its collaboration with the Nazis, in particular its role in the extermination of Jews, ran from 1979 to 1994 and saw the pressing of charges against and the sentencing of some of its hired men, such as Paul Leguay, René Bousquet and Paul Touvier. In 1985, the Court of Cassation incorporated in an imprescripable manner crimes against humanity into French law and, for the first time since certain attempts were made during the Vichy regime, made retrospective. In 1987, the trial of Klaus Barbie had a certain educational effect which would be repeated with the trial of Maurice Papon ten years later. In 1990, the Gayssot law allowed for more severe penalties for crimes against humanity and Holocaust denial.
Admittedly, it would appear that memory conflict has been treading water since the intervention of Jacques Chirac in 1995: France agreed that recollection, and even repentance, was necessary, given the failure of the state between 1940 and 1944. However, it found it difficult to overcome the “Vichy syndrome”, and barely gives consideration to appeasement in the cleansing of the Resistance6, and its tribunals clearly remain incapable of healing the nation’s wounds. Recalling crimes and repentance do not make it possible to pick up on events or restore the self-confidence of the French people. Memorial piety and questions with answers appear to have had neither a consoling nor a prophylactic effect.
So much so that, as Paul Thibaud has said, “an instituted memory is like a broken record: always emphasising the same points, the symptom of a breakdown in politics and culture. Like some old people, we cultivate retrospective emotions. While the belief is that the more a person admits to the more they improve as a person, we do not have the power to reformulate an identity that has been made clearer with experience”7. “Identity”, whether it be national, collective, community or personal: the great word was let out, which provides a confused yet sincere account of the loss of an image of self and the concern with finding in the past the bits and pieces of a confidence to be rebuilt. The duly summoned collective memory, which has been probed but not unleashed for a quarter of a century, has not re-established a connection with temporal continuity or regenerated mechanisms for transmission8.
It is for this reason we no longer know how to interpret this undecided hour in which, for example, the Office of Veterans’ Affairs has created jobs created for young people called “emplois-mémoire”; where the Secretary of State for Veterans’ Affairs decreed, without any political justification or public debate but under direct pressure from veterans’ associations and victims of all wars9, that fulfilling one’s “duty of remembrance” would help reorganise the citizenry.
With regards to the Nazi extermination camps, this role, which has become highly imperative, has even been able to instil feelings of guilt among some representatives of younger generations even in schools and trips-pilgrimages to the camps, where eyewitnesses sometimes wish to convince the young innocent people of today that they are part of a group of people the likes of which have never been seen before in history: collective, eternal and imprescribable guilt10. As if Auschwitz, such a horribly unique historical event, could “return” or be repeated or copied. As if racism and anti-Semitism could not give rise to other hitherto unseen forms of criminal conduct. As if each crime against humanity would reproduce an abominable model. As if the “duty of remembrance” could overcome the explicit knowledge and reason that that bring the citizenry together. As if remembrance provided better outcomes in terms of morals and civics than the account constructed by historians by crossing all traces without favour or regarding any of them as sacred. As if the cult of the dead and remembrance were nothing more than parts of a file, and as if the intention was in fact to “suck the lifeblood out of history through enlightenment”, as courageously denounced by Emma Shnur11.
- A new civic religion
One may wonder—it is being done12—about the evolution of the expression “duty of remembrance” which, after having materialised in light of the horror of the camps13, went from the survivors to all witnesses, via their associations, then fed the media, judicial and even the civic system over the years to the point where it is not only seen as the driving force behind a collective memory, but also almost as a “new civic religion”14.
This concern is not new. Since 1945, the aims of the first friendly sporting contests were to honour the memory of the fallen, ensure the presence in French minds the acts of barbarism of which they had been victims and to plead, in terms of militance, that there not be a return to such barbarism. After problems during heated moments of the Cold War, since the 1960s, which saw the creation of the Concours de la Résistance in 1961, which would move on to deportation in 1972, this remembrance network sought to point out more carefully and in a more widespread manner to young people the urgency of a fight for the “impossible to forget” when the history of World War II was included in the syllabuses of upper sixth form and where in the opinion of most people, remembrance first and foremost requires knowledge, which on its own will prevent opinion from descending into xenophobia and racism as a result of ignorance. Thus, the training of teachers became a major preoccupation and a strategic issue, in particular via the Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie, whereas public authorities and national education authorities ratified and relayed numerous initiatives that everyone sought to attest to via both knowledge of history and the direct link of young students with survivors and veterans.
In this trend of remembrance, the move from heroisation to victimisation, to recourse to the courts and the ostentation of values was accentuated by several factors in the 1970s and 1980s, thanks to which the “duty of remembrance” became a more legitimate concept. First of all, as mentioned, the affirmation at a very high level of an independent and archetypal remembrance of the Shoah, the new name for the extermination which, via the Judification of the use of concentration camps, has not only made more complex discourse on remembrance and at times shaken up the old terms of anti-Nazi militance, but brought to the forefront the demands for the remembrance of victims par excellence, the innocents gassed to death merely due to the fact that they were Jewish. This sacral and sacred uniqueness of the Shoah, which was filmed in an exemplary manner by Claude Lanzmann in 1985, brought back to life the experience faced with the knowledge and moral and religious transcendence in the face of militance. This led some, and Claude Lanzmann in particular, to devalue the registers of comprehension and explanation. In 1997 as in 1988, let us not forget, the latter could declare that “towards the Shoah there is an absolute obscenity to understand”15.
There is also to the action of Beate since the late 1960s, followed by that of Serge Klarsfeld since 1978-1979, the pugnacity and exemplary nature of which, which were soon recognised by the media and drove back the public authorities in Europe and France, have played on three new elements, the creation of synergies of which much was done to demonstrate the “duty of remembrance”. The first of these elements was a concerted effort at erudition and archive research, knowledge and recognition via archival evidence – a veritable work of history that also sees itself as “devotional and a tribute” – in step with what Joseph Billig undertook after 1945 and which is indispensable in the face of offensives by Holocaust deniers but also useful in highlighting the responsibilities of exceedingly short-sighted authorities and nonchalant historians. The first of these works was Mémorial des déportés juifs de France, published in 1978, followed by Vichy-Auschwitz in 1983-1985, before a number of other publications and, in particular, the building of a Shoah Memorial in Paris that opened in 2005. For the first time, the second played on the impassioned hand-down from one generation to another, with the launch in 1979 of the Sons and Daughters of Jewish Deportees from France, itself at the centre of numerous questions relating to the identity of younger generations of Jews. The third, which was otherwise more visible and served as an incentive for public authorities, was the denunciation by all media of the Nazi past of West German leaders and figures in the Vichy regime who were accomplices in the Shoah, followed, after the compilation of solid dossiers that drew on archives, by the translation of these dossiers before war crimes tribunals, then tribunals for crimes against humanity.
Thus, the decisive social factor was without doubt public recognition as well as recognition by the media, but also via a capillarity that was altogether new in society and which clearly had a close connection to our crises, the social function of the witness that embodies authenticity, identity, truth and therefore history, which has been analysed by Annette Wieviorka16 and which emerged in 1961 with the Eichmann trial and confirmation at the end of the 1970s after the distribution of the US television serial Holocaust. This spectacular promotion of the eyewitness accounts of survivors, which has become commonplace since 1994 by the Spielberg Foundation, which has summoned to give evidence even the grand-children of the witness filmed, tends to successfully compete in the opinion of the frosty work of historians. Above all, it helped render the approach to World War II and genocide more sensitive and emotional and, in particular, reform the approach to these two areas.
From then on, “duty of remembrance” assumed a social significance that was proportionate to the dreaded events of the present inasmuch as it relates to an intensity of a past that is not yet totally in the past. The aging of its last remaining first-hand eyewitnesses concerned, first and foremost, the inclusion on the list of their descendants and those persons close to them, the activism of the media, which has grown, thus compensate for the new wave of a present that they have tirelessly updated, the crisis of values that will act as a stumbling block in the future, technological and social changes that break the cultural ties between generations, the quest of veterans for a civic intermediary among young people when they are no longer forced to do military service or join the civil service, the concern of the authorities to refresh the sense of citizenship as a matter of urgency: all of these elements were brought together to turn this “duty” into a positive occasion, easy evidence, an alternative to putting events into perspective, recourse against the deniers, failures and ruses of current history; a sort of quasi-historicalness at a time when individualism, instantaneousness and globalisation seem to be overcoming it.
Since 1986, the Commission à l’Information Historique pour la Paix of the Department of Veterans’ Affairs has therefore proclaimed a “duty of remembrance” of all conflicts and participants in these conflicts, both those who survived and those who did not. In 1993, a televised “Marche du siècle” (“March of the Century”) made the term commonplace. Gradually, veterans’ associations sought to “bring memories to life” by writing their own story and visiting classes and schools. The Department of Remembrance, Heritage and Archives of the Ministry of Defence, for its part, has increased the number of recensions and surveys, launched a significantly-titled journal (Les Chemins de la mémoire) that point out accounts that are “complete” and “irrefutable”, the tangible traces of “what has been achieved”, calls to amend, and even regulate, school syllabuses and to fill public libraries and learning resources centres with “definitive” works so as to convince younger generations each day a little more, to pass on to them a torch without losing hope. In 1995, in a small sign of a imperium of “duty” in good working order, Primo Levi’s exceptionally lucid interview with Anna Bravo and Federico Cereja in 1983 was published in French under the title The Duty of Remembrance17: the accounts of eyewitnesses remained faithful to himself and his work, by explaining why he did not speak to students anymore, but his account was nevertheless recorded in the new core subject.
What can be done18? Refuse to say the unsayable? Of course not. Rather, give preference to continue to reflect, search for meaning, reflect on the shock of images, examine the traces, signs and symbols polished by time, ponder the eyewitness accounts: remain loyal to the need for a knowledge of the facts and their layout, so as to then be able to envisage the unsayable about the genocide that is such a tragic chapter in history. Above all, say it loud and clear that our sons and daughters should in no way bear the burden of that of which they are innocent. Let us be wary of making of these events, in the name of memorable accuracy, new witnesses to witnesses, actors by default or Righteous by paralipsis! Let us be obstinately content with teaching them and learning ourselves, both as individuals and as a group, the imperative of the law; to have within all of us the loyalty, the identity and the heritage for which we are responsible: to know and to recognise, unceasingly and with reason.
There is no doubt that a continuation of efforts at transmission via knowledge is not enough. The transfer of the “duty” of remembrance accompanies or announces, as the case may be, the places, the confessions, the origins, an identifying localism in which we participate in a more or less confused manner for other reasons. Often, this social, religious and cultural localism demands a plurality in values, a singularity of belonging, impetuously constituent remembrance, the revenge of memory on history, the battle in the memory before any consultation or instruction.
In other words, the “duty of remembrance” accelerates the update of the contradiction of a society that in fact still does not want to separate transmission and the creation of the future struggles19. The polymorphous, divided, disunited memory of the collective construct takes its revenge, becoming entrenched but without gathering hardly any momentum, then experiencing bereavement. Worse, the gains made by anti-Semites in the last few years in France and the refusal of some students to learn about the Shoah can also be seen as a failure of the “duty of remembrance”. “Perhaps too much remembrance has resulted in selection and omission among those in receipt of the message, rather than protecting them against anti-Semitism”, noted Esther Benbassa20.
Why, on the other hand, has it not been recognised that the “civil war” in France has begun to abate, that the trial of Maurice Papon has virtually lifted the burden of Vichy on the collective memory, and that the Resistance, the symbol of a national flame seen as too wavering, well arbitrated and no doubt under the shadow cast by the supreme memory of General De Gaulle, is neither under threat of being forgotten or under the threat of revisionism? Another sign of a noticeable and widely-sought easing of tensions: in 2004, new history syllabuses in lycées demoted the study of this war to the end of the first form but recommended that it be introduced in sixth form under the title “Assessment and memories of World War II” (note the use of the plural form of the term “memory”). This commitment has been ratified, to the general satisfaction of the public.
Thus, the collective task in relation to World War II, in a context of the social revenge of the most diverse, contradictory and antagonistic memories, but also of increasing omission and an inability to transmit, still seems as clear today. The objective is to recall and summon the years 1939-1945 in the minds of the public in order to ensure an admission that there is no transmission without the recognition of an authority of the spirit; no ethical value that must evade the conscience of the individual but, on the other hand, no universalism that cannot transcend the sum of philosophical or religious options and schools of remembrance; no civic responsibility that is not a hard-won victory by nurture over nature; no collective duty other than collective responsibility, other than the duty to disseminate, teach, reason and share knowledge, to prolong the memory, for sure. This is a tough task. But after all, the nobler witnesses themselves have agreed that any useful and genuine transmission would first and foremost require intelligence and knowledge, then recognition. “I believe that for a layman like me, the main thing is to understand and to be understood”, Primo Levi said on numerous occasions.
1 Éric Conan and Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, “Folio”, 1996.
2 Conseil Français de l’Association Internationale des Musées d’Histoire, Mémoriaux, 2006.
3 Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire, Paris, Perrin, 2006 (from which we have taken extracts) and “Devoir de mémoire, devoir d’intelligence”, Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 73, January-March 2002.
4 Assemblée Nationale, Rassembler la Nation autour d’une mémoire partagée, Report n° 1262, November 2008.
5 Claude Lanzmann, “Universalité des victimes, singularité des événements historiques”, Les Temps modernes n° 635-636, November-December 2005-January 2006.
6 All the more so since the most recent actors have not sanitised anything at all: see the infamous example of the memoirs of Daniel Cordier, Alias Caracalla. Paris, Gallimard, 2009.
7 Paul Thibaud, “Un temps de mémoire ?” Le Débat n° 96, September-October 1997.
8 To relate these lessons to the current crisis, rather than World War II: Semaines sociales de France, Transmettre. Partager des valeurs, susciter des libertés, Paris, Bayard, 2006, and Catherine Chalier, Transmettre, de génération en génération, Paris, Buchet Chastel, 2008. On the more important question of education, see Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation, Paris, Stock, 2008.
9 For example, Gilles Vergnon et Michèle Battesti, Les Associations d’anciens résistants et la fabrique de la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale. Counter n° 28 of the Centre d’Études d’Histoire de la Défense, 2006.
10 Sophie Ernst (dir.), Quand les mémoires déstabilisent l’école. Mémoire de la Shoah et enseignement. Institut National de Recherche Pédagogique, 2008.
11 Emma Shnur, “Pédagogiser la Shoah ?” and “La morale et l’histoire”, Le Débat n° 96, September-October 1997.
12 Olivier Lalieu, “L’invention du ‘devoir de mémoire’“, Vingtième Siècle. Revue d’histoire n° 69, January-March 2001.
13 Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible. Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité. Paris, Le Seuil, 1986.
14 Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire. Paris, Mille et une nuits, 2003.
15 Le Monde, 13 June 1997.
16 Annette Wieviorka, L’Ère du témoin. Paris, Plon, 1999.
17 Primo Levi, Le Devoir de mémoire. Paris, Mille et une nuits, 1995.
18 Jean-François Bossy, Enseigner la Shoah à l’âge démocratique. Quels enjeux ? Paris, Armand Colin, 2007, and Dominique Borne, Enseigner la vérité à l’école. Quels enjeux ? Paris, Armand Colin, 2007.
19 Jean-Pierre Rioux (dir.), Nos embarras de mémoire. La France en souffrance, Paris, Lavauzelle, 2008.
20 Esther Benbassa, “Regain antisémite: faillite du devoir de mémoire ?” Médium no. 2, January-March 2005 and Claude Askolovitch, “Y a-t-il des sujets tabous à l’école ?” L’Histoire n° 301, September 2005.