Lorsque, dans la Bible, Dieu invite un patriarche, une matriarche, un prophète, un individu à l’action, la réponse est toujours : Hinéni, « Me voici ». C’est une forme d’engagement absolu, total, qui mobilise tout l’être, qui élève au-dessus de la condition de consommateur du monde et offre de devenir acteur de l’Histoire. Certes, Moïse va estimer qu’un autre que lui serait meilleur pour la mission hors normes qu’est faire sortir les Hébreux d’Égypte, en particulier son frère Aaron, mais il clame d’abord son engagement : « Me voici », Hinéni (Exode III, 4).
Dans la Bible, c’est Dieu qui le premier dit à l’Homme Hinéni, car Il est toujours présent pour lui. C’est donc avec ce même mot que les prophètes répondent à Dieu lorsqu’Il les interpelle. Ces femmes et ces hommes qui doivent brusquement tout abandonner, tout quitter pour répondre à un appel, disent simplement à Dieu Hinéni. Ils signifient par là qu’ils sont présents pour Lui, présents pour porter Sa parole, présents afin d’être au service des autres.
Abraham, Jacob, Joseph, Isaïe, Samuel, David… ont tous affirmé Hinéni, mais chacun à sa manière, car il y a autant de sens à cet engagement que de prophètes et de patriarches. Comme aujourd’hui il y a autant de façons de s’engager au cœur de la Nation qu’est l’armée au service des autres que de soldats. Certains sont cavaliers, d’autres artilleurs, d’autres chasseurs, et je le fus, d’autres sont pilotes ou tankistes, certains partent en opération extérieure, d’autres les font vivre. Certains participent à des exercices et d’autres assurent leur soutien, certains s’engagent pour trouver une fraternité, une famille, une unité, une histoire ou leur histoire, d’autres s’y retrouvent en défendant le drapeau partout dans le monde. Mais dans la diversité de leurs uniformes et de leurs modes d’opération, tous s’engagent. Pour leurs enfants, pour leur famille, pour la patrie, pour une idée d’eux-mêmes, pour la promesse d’un monde à réparer, pour le futur, pour donner vie à des moments de bonheur et de partage dans ce creuset de la Nation qu’est l’armée.
Dire Hinéni, c’est oser faire un pas en avant, non pas pour être sous les projecteurs, mais pour être responsable des autres. Hinéni, c’est ce que fait Nah’chon, fils d’Aminadav, lorsqu’il avance dans la mer Rouge, la forçant à s’ouvrir. Porter en soi ce viatique, c’est trouver la juste réponse à la question que pose l’Éternel à Caïn : « Où est ton frère ? » Alors que le meurtrier s’exonère de toute responsabilité par son fameux « Suis-je le gardien de mon frère ? », Hinéni est une façon d’être un frère pour l’étranger, un gardien pour le faible, un pilier pour celui qui chancèle.
Affirmer Hinéni, c’est permettre aux autres de s’investir à leur tour, de suivre notre exemple dans un véritable geste d’amour et de confiance. Lorsque Dieu scelle son alliance avec Aaron, le premier des prêtres, Il utilise ce même mot : Hinéni noten lo ète bériti chalom, « Me voici à lui donner mon alliance de paix ». S’engager, c’est donc pacifier la société en la décloisonnant et en la rendant solidaire donc juste. Mais ce qui est bouleversant pour nous, c’est que l’Éternel déclare cela après que Pinhas a transpercé d’un javelot deux personnes qui humiliaient Moïse et Aaron. C’est bien la seule force légitime, celle que détiennent les militaires, qui est source de paix.
Hinéni, c’est donc bien être, non plus un spectateur de ce que d’autres réalisent, mais un bâtisseur, un créateur de lien et de sens. Hinéni, c’est s’investir pour les autres et, peut-être, tout simplement être un homme debout, une personne engagée, un guerrier capable de secouer l’apathie du monde.