N°46 | S’engager

Emmanuel Chanudet

Pédagogie équestre

Inflexions : Qu’évoque pour vous le mot engagement ?

Emmanuel Chanudet : L’engagement, c’est quotidien, parce que je suis militaire, soldat, et que je sais ce qu’aller au bout veut dire. Mais en cavalier « pratiquant », c’est-à-dire quelqu’un qui monte plusieurs fois par jour des chevaux différents, j’ai envie de vous donner deux définitions. La première est celle de l’engagement du cheval. On dit qu’un cheval s’engage quand il propulse ses membres arrières sous son corps pour effectuer différentes figures ou simplement pour se déplacer. Donc l’engagement, c’est le mouvement, l’impulsion. Celle-ci, seconde définition, est un état d’esprit, un désir mental et physique, qui pousse un cheval à se porter en avant naturellement avec plus ou moins d’énergie, de constance et même de plaisir. L’engagement et l’impulsion traduisent donc la volonté de l’animal d’aller de l’avant, soit de façon naturelle quand celui-ci est peu timide ou plutôt curieux, soit acquise par le travail parce qu’au cours de sa formation on a suscité chez lui cet intérêt. Dans ce second cas, l’instructeur explique à sa monture qu’elle peinera moins, mentalement et surtout physiquement, en étant volontaire.

Inflexions : Peut-on faire un parallèle avec l’homme ?

Emmanuel Chanudet : Quand on suscite leur intérêt, ou lorsqu’ils comprennent ce qu’ils ont à faire, tant individuellement que collectivement, le soldat comme le cheval vont d’eux-mêmes de l’avant. Le cheval a des difficultés à travailler de nuit en terrain varié, mais quand il a compris que ce qui lui est demandé est identique à ce qu’il fait le jour, il est plus réactif, profitant de ses qualités spécifiques : ses yeux ne connaissant pas les ombres, il voit mieux que nous la nuit – celui qui trébuchait le jour ne le fera plus la nuit. Il devient plus responsable de lui-même mais aussi de son cavalier. Tout passe par la compréhension de la tâche à accomplir. Ainsi, à chaque étape du dressage correspondent des objectifs simples qu’il faut faire comprendre au cheval pour que celui-ci garde son intérêt pour le travail, mais aussi sa vivacité. À chaque fois, il s’agit de lui apporter de nouvelles compétences, tout en prenant en compte son aptitude physique. À chaque âge du cheval correspond un type de cavalier. Vers dix ans, par exemple, il peut devenir cheval « moniteur », c’est-à-dire qu’il va participer à la formation des cavaliers d’un certain niveau, en particulier les instructeurs, nous les sous-officiers sous-maîtres et maîtres de manège.

Inflexions : L’engagement du cheval est donc essentiel.

Emmanuel Chanudet : Oui, mais pas seulement. Je mettrai la compréhension sur un même pied d’égalité. L’engagement du cheval, du fait de sa formation, devient une compétence. L’animal qui est volontaire doit être canalisé et son engagement doit être codifié, de la même façon que l’on forme le soldat au combat pour le franchissement d’un carrefour avec appui mutuel.

Inflexions : En quoi cette dynamique du cheval peut-elle être utilisée au profit du soldat ?

Emmanuel Chanudet : Quand on met un soldat en selle pour la première fois, on ne va pas agir tout à fait de la même manière qu’avec un cheval. La grande différence réside dans l’échange verbal. Avec l’animal, on travaille avec des gestes puis des sons, plus exactement avec l’intonation de la voix. Plus sa compréhension s’améliore, plus on peut lui demander de choses. La formation donne les acquis. Elle est essentielle. On construit un mode de communication, une codification technique que tout le monde pourra utiliser. Le drill, c’est-à-dire la répétition, débouche sur des automatismes qui deviennent une seconde nature. On rencontre les mêmes phénomènes chez les soldats : il y a ceux qui vont naturellement de l’avant, qui sont demandeurs, qui ne se sont pas trompés de porte au moment de la signature du contrat, qui sont dans la bonne affectation, la bonne arme, la bonne spécialité, et ceux pour lesquels les choses sont moins claires. C’est alors à l’instructeur, qu’il soit cavalier ou non, d’opérer.

Inflexions : Expliquez-nous comment vous utilisez le cheval pour transformer un peloton.

Emmanuel Chanudet : Tout part d’un constat initial à partir duquel on construit, on travaille sur la connaissance de soi, en ayant à l’esprit que le meilleur ennemi de chacun est soi-même. Plus on se connaît, moins on se craint, plus on se fait confiance. Et c’est là que le cheval est utile : il aide à se connaître et à connaître le groupe. Après quelques séances, l’animal révèle que l’individu est plus fort quand il se regroupe dans un collectif grâce à la cohésion, la confiance mutuelle, la confiance dans le chef, dans le binôme. Grâce à cet « outil », le soldat se découvre, prend confiance en lui, et en même temps découvre ses camarades, ses chefs sous un autre jour. Apparaissent alors de nouvelles relations.

Inflexions : Vous insistez beaucoup sur la confiance.

Emmanuel Chanudet : Oui, parce que la confiance en soi permet l’ouverture aux autres. Et avec la confiance dans les autres, on arrive à trouver sa place dans le groupe. La cohésion s’en ressent très vite. Au cours des trois premières séances d’équitation, la formation cible l’individu : chacun fait face à ses émotions, des émotions nouvelles, non maîtrisées. Il s’agit d’enregistrer toute une série de codes, ou plus exactement d’apprendre pour utiliser un nouvel outil. Le cavalier novice est intéressé par la mise en mouvement de son cheval, mais aussi par son arrêt. Une fois qu’il est capable de se mettre en sécurité, qu’il a appris l’« arrêt d’urgence », une fois qu’il sait tourner, mais aussi accélérer en découvrant la boîte de vitesses des jambes, il sait tout. Comme chez le jeune conducteur, apparaît alors une sorte de jubilation qui le pousse à se confronter à ses limites. J’observe cela particulièrement chez les jeunes maréchaux des logis qui sortent de Saint-Maixent1 et viennent à Fontainebleau se spécialiser. C’est l’heure des cascades. Entre la sixième et la dixième heure, le jeune cavalier est grisé, il découvre les allures et le confort du galop. Mais l’analyse de situation ne se fait pas encore assez rapidement. Il lui faut apprendre à se situer dans l’espace et à prévoir l’action suivante, anticiper les gestes qu’il ne maîtrise pas encore totalement, trouver un nouvel équilibre et se l’approprier, le ressentir physiquement et se situer par rapport aux autres.

Inflexions : À chaque étape on se remet en question pour trouver une nouvelle confiance en soi.

Emmanuel Chanudet : Le cerveau et le corps humains sont une banque de données alimentée par la séance précédente, et dans laquelle il faut aller puiser pour ouvrir la porte suivante et accéder au niveau supérieur. L’oubli d’une connaissance fondamentale, « ça se compte en grains de sable sur le pull », c’est-à-dire qu’il y a risque de chute, heureusement rare. C’est plus souvent une alerte qui fait augmenter les pulsations cardiaques, mais qui facilite la mémorisation, l’humilité. Une bonne alerte, comme un platane qui passe un peu près du visage ou une perte d’équilibre, remet vite les choses en place. Alors le cavalier repart, mais plus calmement. C’est ce que j’appelle la réflexion. Le chef, en retrait, peut observer, analyser et mieux comprendre ses subordonnés, percer les personnalités.

Au bout d’une dizaine d’heures, le soldat commence à avoir suffisamment d’aisance pour regarder à côté, pour se détacher de ses problèmes en faisant attention aux autres. On peut alors commencer à travailler en binôme ou en trinôme, le plus souvent en carrière, puis dans « la verte » pour effectuer des manœuvres. On leur apprend à gérer la vitesse en groupes de plus en plus importants, au pas, au trot. On les fait se croiser, laisser des intervalles, aller à contresens. Au bout de trois ou quatre séances, en fonction des attentes du commandement, il est possible de passer au niveau supérieur. Ainsi, par exemple, chaque chef de peloton formé à Saumur est capable d’être un « opérateur » de l’outil cheval, puis un « initiateur », avec un maître de manège, d’une formation adaptée à ses propres besoins sportifs et tactiques tout en se mettant d’abord en observateur, puis en chef qui commande sa troupe à cheval, le maître de manège devenant un conseiller technique. C’est très utile avant de partir en opérations.

Inflexions : Le cheval est un révélateur de personnalité.

Emmanuel Chanudet : Je dirai même un révélateur de personnalité profonde. Avec un peu d’expérience, un lieutenant peut mieux structurer son peloton en sachant rapidement sur qui il pourra s’appuyer dans différentes situations. Il saura qui est le « sang-froid », le « sang-chaud », qui sont les éléments sérieux, les leaders dans la difficulté. L’observation a lieu au cours de la séance, mais aussi avant, lors de la préparation des chevaux, puis après, quand il s’agit de s’occuper du pansage et du matériel. Le rapport à l’animal permet de créer une cartographie du peloton. Les statistiques mesurées sur le terrain prouvent qu’il faut trois mois de terrain à un chef pour bien connaître la personnalité de ses soldats ; avec l’outil cheval, cette lecture s’effectue en moins d’une heure.

Inflexions : Combien de chefs de peloton utilisent ce procédé ?

Emmanuel Chanudet : Aujourd’hui, un peu plus de 80 % de nos chefs de peloton de cavalerie. Quand ils n’ont pas de section équestre dans leur garnison, ils profitent d’un retour à Saumur dans le cadre d’une formation collective pour organiser une formation adaptée à cheval. Toute la phase préparation, de l’équipement du cheval jusqu’au montoir, est de la responsabilité de l’encadrement du peloton. À partir du montoir, c’est-à-dire du moment où les soldats montent sur leurs chevaux, c’est le maître de manège qui prend la direction des affaires, jusqu’à ce que le peloton ait suffisamment d’expérience ; le chef de peloton peut alors reprendre la formation, épaulé techniquement par un maître de manège. Ces deux phases correspondent à des phases de découverte puis d’accoutumance. La phase d’aguerrissement permet de sortir de la carrière et d’aller en terrain ouvert. Mais le plan de formation est alors beaucoup plus long. Il est rare de voir des escadrons ou des pelotons aller si loin. Les résultats en matière de révélation des tempéraments, des caractères, sont probants. Il arrive que l’on découvre réellement certaines personnalités qui étaient jusque-là restées effacées. Lors des premières séances, le maître de manège doit apporter de la confiance par le dialogue et par la démonstration des sous-officiers adjoints, et souvent du chef de peloton qui a appris à monter à Saumur (il a été débutant et connaît donc la difficulté !).

Inflexions : Le cheval permet donc de valoriser l’encadrement.

Emmanuel Chanudet : Ou de le dévaloriser… mais c’est rare. L’équitation est un sport qui fait cultiver l’humilité. Un lieutenant formé à Saumur est capable d’expliquer ce qu’il fait et de suivre les conseils d’un cavalier plus expérimenté. Mais attention, il ne s’agit pas de dire « faites parce que je peux le faire », mais plutôt « voilà l’objectif et faites avec vos moyens ». Il faut en effet prendre le temps de la compréhension, le temps de l’expérimentation, éviter absolument que le doute ou la peur s’installe. Le cavalier doit avoir conscience de ses limites et apprendre progressivement à les repousser. Les phases que l’on vient de décrire au plan individuel vont se retrouver avec un groupe ou une escouade, un peloton voire un escadron. Si nous avions les ressources, nous pourrions même faire des exercices régimentaires.

Inflexions : On apprend à travailler sur une interaction et donc sur une anticipation de ce que peut faire l’autre.

Emmanuel Chanudet : Sur le plan tactique, le cheval a l’énorme avantage de ne pas être inerte. Il possède un cerveau qui dégage des émotions et une perception propre de la situation d’où découlent une « réflexion » particulière et des actes en conséquence. Son programme génétique étant celui d’une proie, il est rare qu’il fasse face en cas de difficulté. Si celui qui le monte ne sait pas agir, se « noie » dans les actions à mener, il va prendre l’initiative donc souvent la fuite, ou faire un écart pour éviter le danger. Cette caractéristique se découvre au contact de l’animal, avant même de monter dessus. Cela permet d’apprendre à avoir un « coup d’avance ». Au plan tactique, c’est l’apprentissage naturel de l’anticipation de ce que l’autre va faire. D’abord, le cheval, ensuite, l’ennemi qui, par essence, interagit avec le soldat. Le cheval aiguise le sens de perception de la situation, donc la réflexion et les ordres qui en découlent. Le mécanisme est valable pour le simple cavalier comme pour son chef. Dès l’entraînement, chacun est amené à analyser ce qui va et ce qui ne va pas. Cet aspect est à mon sens très important pour aller de l’avant, ou aller encore mieux de l’avant. Il n’y a pas de limite. À chaque fois, on va ajouter une couche, un module, une brique comme pour construire une maison, avec du temps et de la réflexion.

Innover pour s’engager

Le lieutenant Maximilien a l’allure juvénile. Il va bientôt être promu capitaine. Il s’est engagé en 2000 comme simple cavalier au 5e régiment de dragons, sur le plateau de Valdahon (25). Il a gravi tous les grades, occupé toutes les fonctions de militaire du rang et de sous-officier dans un escadron2 de combat dans un régiment de chars. Il aura bientôt la responsabilité du site équestre de Fontainebleau, là où sont formés les cavaliers à cheval de l’armée française, les logisticiens équestres (palefreniers, conducteurs…), mais aussi les chevaux qui seront affectés dans les écoles et les régiments.

Quand le lieutenant Maximilien a quitté le 1er régiment de chasseurs stationné à Verdun, son colonel a dit qu’il avait innové pour l’instruction en utilisant le cheval pour préparer son peloton au combat, le combat de reconnaissance en milieu sahélien. Pour lui, c’était la mission de sa carrière. Il s’y est préparé avec passion parce qu’il y voyait l’apothéose de son parcours, parce qu’il se sentait particulièrement responsable des hommes qu’il allait commander là-bas. C’est qu’en fait il se souvient très bien de sa formation initiale : des cours, des cours, des cours. Alors, comment susciter l’envie d’apprendre chez des soldats qui sont souvent des décrocheurs scolaires ? Comment les amener à progressivement se sentir responsables d’eux-mêmes mais aussi du voisin, de l’équipe à laquelle ils appartiennent ?

La difficulté est d’autant plus grande que les réorganisations des armées dans les années 2010 ont conduit l’armée de terre à regrouper la plupart des matériels majeurs des régiments (chars, vbl3…) dans des parcs adaptés en n’en laissant qu’un minimum dans les unités. Ce minimum est donc surexploité. Il n’y a plus de souplesse pour l’entraînement de base. Or, à Verdun, les enfants du lieutenant Maximilien apprennent à monter à la section équestre du régiment. Il sympathise avec le sous-officier maître de manège auquel il explique les problèmes auxquels il est confronté dans la perspective du prochain départ en opérations. Les deux compères établissent alors une progression. Tout d’abord, apprendre à tenir sur l’animal, sortir le plus rapidement possible du manège avec un objectif mêlant aspect militaire et aspect sportif, travailler les formations de combat à cheval, en manège puis à l’extérieur, puis effectuer un raid de trois jours.

C’est ainsi qu’après quatre séances, les nouveaux cavaliers à cheval se sont retrouvés avec carte, boussole et moyens de transmission sur le terrain de La Chaume, le petit camp de manœuvre du régiment. Chaque trinôme progressait sur un axe déterminé, et s’arrêtait sur des points pour observer et rechercher l’autre moitié du peloton qui faisait la même chose en sens inverse à vtt (la section équestre n’avait pu fournir de montures adaptées pour tous). Donc perchés sur leurs chevaux, ils ont appris les rudiments du travail d’éclairage et de reconnaissance de la cavalerie, effectué des tours d’horizon avec leur carte et leur boussole et un cheval qui ne reste pas forcément en place, rendu compte à leur chef qui les orientait, les ralentissait ou les faisait accélérer, pendant que le maître de manège aidait à régler les détails techniques liés aux montures (l’après-midi, ceux qui étaient à vtt sont passés à cheval et vice versa). Lors de cette première séquence, le chef de peloton et son adjoint ont vu des personnalités s’affirmer, de « grandes gueules » devenir plus discrètes. Tout le monde aidait tout le monde en fonction de ses propres compétences. L’ambiance du peloton a changé progressivement, chacun ayant conscience de ses compétences et de ses limites, tout en découvrant l’intérêt de compter sur les autres en prenant en compte cet être étrange et peureux qu’est le cheval, sans lequel il n’est pas possible de remplir la mission.

La deuxième phase consistait à apprendre à se déplacer à cheval dans le même dispositif qu’à bord d’un véhicule, le conducteur à gauche, le chef de bord à sa droite et l’équipier derrière. Chacun a réalisé les tâches qui lui étaient attribuées. À un moment donné, le chef de peloton a décidé que l’un des membres de l’équipe était blessé, n’interfèrait plus dans le déroulement de la mission, mais suivait derrière à cheval. Chaque équipe a appris en solo puis en peloton constitué. À la fin de cette séquence, le lieutenant s’est aperçu que ses cavaliers avaient une meilleure compréhension de leur rôle au sein de l’équipe mais aussi au sein du peloton, chacun ayant à cœur d’être capable de poursuivre la mission malgré les nombreuses difficultés rencontrées.

Pour le lieutenant Maximilien, le cheval est un moyen pédagogique qui transforme un groupe et le rend capable de s’engager efficacement en opération. Chacun se connaît, est conscient de ses limites et de celles de son voisin, maîtrise son métier et sait ce que son voisin doit faire. Chacun a également appris à s’intéresser au rôle du chef. Le lieutenant a pris confiance en ses hommes et eux en lui. Le peloton a découvert un autre sport, exigeant, fatigant, un sport qui lui permet de travailler des savoir-faire et des savoir-être de cavalier et de militaire, une activité qui a développé la cohésion en travaillant la volonté de se dépasser individuellement et collectivement.

Le séjour en opérations s’est excellemment bien déroulé à bord des vbl et au sein d’un groupement tactique d’essence parachutiste. Ici, un chef, parce qu’il voulait être particulièrement opérationnel, s’est démené pour innover dans l’instruction de son peloton. Son engagement a conduit à l’engagement de la troupe. L’engagement opérationnel nécessite un engagement individuel et collectif important. Le plus difficile est de trouver les moyens pédagogiques pour susciter cet engagement. L’équitation en est un.

Inflexions : Que propose l’École militaire d’équitation pour faciliter l’engagement opérationnel ?

Emmanuel Chanudet : L’École militaire d’équitation (eme)4 est à l’origine de la création de l’outil global. Cela va du cheval, l’outil pédagogique – j’allais dire le simulateur (rire) –, jusqu’à l’instructeur. Tous les chevaux de l’armée sont formés ici ; une cinquantaine passe chaque année entre nos mains – il y a aujourd’hui cinq cent cinquante chevaux dans l’armée de terre. Nous formons également tous les enseignants sous-officiers ct1 et ct25, autrement dit les sous-maîtres et maîtres de manège. Sans oublier les cavaliers soigneurs, qui vont s’occuper des chevaux au quotidien et pour certains de la logistique, du transport, de la maréchalerie… La formation de nos cadres nous permet de leur donner toutes les connaissances nécessaires pour aider à réaliser ce que l’on a décrit depuis le début de notre entretien. Les objectifs de cette pédagogie sont complètement inconnus des jeunes sous-officiers qui sortent de Saint-Maixent. Ils peuvent avoir une culture équestre, mais certainement pas de culture opérationnelle équestre telle que je l’ai définie avec l’emploi des chevaux au profit de l’institution. Ici, le ct1 dure huit mois, c’est-à-dire deux de plus que dans les autres spécialités. Et nos jeunes sous-officiers ont la particularité de devenir immédiatement adjoints au maître de manège.

Inflexions : Quel est le rôle du sous-officier maître ou sous-maître par rapport au chef de peloton classique ?

Emmanuel Chanudet : Tout dépend de la culture du sous-officier, de l’environnement au sein du régiment. Mais globalement, un dialogue s’établit entre le chef de peloton, qui a un objectif et qui doit, avec l’aide du spécialiste équestre, s’adapter aux possibilités de la cavalerie. Plus les sous-officiers cavaliers sont formés tactiquement, plus ils peuvent aider techniquement. Il n’existe pas de qualification particulière pour les cadres des pelotons pour anticiper la formation du peloton dans son ensemble. Le sous-maître ou le maître de manège est un conseiller technique qui veille en plus à l’aspect sécurité.

Inflexions : La demande en formation équestre a-t-elle cru dans les unités ?

Emmanuel Chanudet : Oui. À Saumur, le cheval est utilisé dans tous les stages de formation, quel que soit le niveau ou la spécialité. On constate aujourd’hui dans l’armée de terre une meilleure connaissance de cet outil, de ses possibilités et de son intérêt tant du point de vue personnel que professionnel. Le 35e régiment d’infanterie, par exemple, a envoyé l’équivalent de deux compagnies apprendre à monter à Saumur. Je ne parle pas des forces spéciales, qui utilisent le cheval comme révélateur complémentaire… En fait, le cheval permet à chacun de mieux se connaître, pour se révéler, facilite la cohésion et souligne auprès de tous les caractéristiques humaines de chacun. En fait, tout le monde observe tout le monde, et chacun peut constater les forces et les faiblesses en présence. Donc, pour moi, le cheval est bien un outil de lecture de l’humain, sans filtre, un révélateur qui permet au chef et à chacun de mieux préparer son engagement opérationnel. Mais on peut aussi utiliser la technique équestre pour faciliter l’accessibilité au chef, pour revenir sur des émotions à l’issue d’une opération extérieure, en témoigne l’utilisation croissante de l’équithérapie au profit de nos blessés psychiques.

1 Saint-Maixent est une ville des Deux-Sèvres où est stationnée l’École nationale des sous-officiers d’active (ensoa), qui forme les jeunes recrues ou les meilleurs militaires du rang volontaires pour devenir sous-officiers et perfectionne les sous-officiers les plus anciens.

2 Un escadron est le pion de base tactique et organique de l’arme blindée et cavalerie. Il est commandé par un capitaine à la tête d’une petite centaine de soldats. Chaque escadron est composé de pelotons commandés par des lieutenants ou des sous-officiers supérieurs expérimentés.

3 Véhicule blindé léger. Petit véhicule blindé capable de transporter trois soldats dans sa version classique. Il équipe les unités chargées d’aller recueillir le renseignement au contact de l’ennemi.

4 L’eme est stationnée à Fontainebleau. Elle est subordonnée au Centre national des sports de la Défense et donc à l’état-major des armées.

5 À côté d’une formation militaire générale, chaque sous-officier reçoit une formation technique sanctionnée par un certificat. Le premier niveau (ct1) permet d’accéder au grade de sergent ou maréchal des logis, le second (ct2) au grade d’adjudant. Le sous-maître est ct1 avant de passer le certificat suivant.

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