La question du « dire » des militaires vu des médias est centrale. Les points de contact entre les Français et leurs armées se sont en effet peu à peu réduits à la portion congrue depuis que les évolutions successives du service militaire devenu service national, jusqu’à la suspension de 1997, ont mis fin à l’appel généralisé de chaque classe d’âge sous les drapeaux ; c’est donc par les médias qu’ils peuvent entendre une parole militaire et qu’ils peuvent tenter de saisir comment s’articule la relation entre les politiques et les militaires. Ce « dire » des militaires dans les médias recouvre en effet ces deux enjeux : celui de la manière dont les militaires s’adressent à leurs concitoyens, d’une part, et celui dont les médias, dans leur très grande diversité, racontent le dialogue entre les militaires et les responsables politiques d’autre part. Deux enjeux qui sont en fait indissociables tant il y a de cohérence entre la parole médiatique contrainte et rare des militaires d’active et la mise en scène médiatique de la relation politico-militaire. Et qui sont en outre étroitement liés par le fait que lorsque les militaires parlent aux politiques, ils s’adressent aux représentants de l’ensemble de la communauté nationale, civils et militaires confondus. Or la médiatisation de ce « dire » s’inscrit dans un paysage de représentations collectives très cohérent, qui articule, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, le retour du fait militaire comme un élément structurant de l’espace public avec une mémoire collective qui reste très encombrante.
- Une parole présente, mais rare et contrainte
La parole tenue par des militaires dans les médias est rare, mais pas inexistante. Elle apparaît cependant dans des formes contraintes et répétitives. Elle est en fait de trois types. Le premier, le plus présent quantitativement, est celui de la prise de parole médiatique d’anciens militaires, en général d’anciens officiers supérieurs. Cette présence est cependant récente. L’année 2008 a été révélatrice d’une habitude bien ancrée parmi les journalistes, mais plus encore chez les programmateurs des émissions : parler de l’actualité militaire sans avoir recours à ceux qui la connaissent de l’intérieur. Entre janvier et août 2008, se sont succédé une réforme de la carte militaire, la publication d’un Livre blanc, un accident lors d’une démonstration au 3e rpima à Carcassonne1 et, enfin, l’embuscade d’Uzbeen en Afghanistan qui causa la mort de dix soldats et d’où sont revenus blessés vingt et un autres. Pendant cette période, six émissions C dans l’air (France 5) sont consacrées au fait militaire français. Une fréquence inédite et qui ne se reproduira plus. Les panels d’invités sont révélateurs : au fil des semaines sont conviés les journalistes Pierre Servent (indépendant), Frédéric Pons (Valeurs actuelles), Jean Guisnel (Le Point), Jean-Dominique Merchet (Libération) et les chercheurs Yves Boyer (Fondation pour la recherche stratégique) et Pascal Boniface (iris). Pierre Servent et Frédéric Pons sont tous deux officiers de réserve, mais cette qualité n’est pas mise en avant. Très ponctuellement, un ancien officier est sur le plateau : le 19 juillet, le général Jean-Vincent Brisset est invité au titre d’une double qualité d’« ancien de l’armée de l’air » et d’« expert des questions géostratégiques à l’iris ». Il faudra attendre le 14 juillet 2011 pour que l’émission sollicite à nouveau un officier supérieur2.
La donne change après 2008. L’idée qu’il peut être utile de bénéficier d’une expertise militaire, en complément d’autres analyses, a fait son chemin. L’expérience des journalistes officiers de réserve devient une qualité plus facilement affichée. Alors que l’opération Sangaris est lancée en République centrafricaine (5 décembre 2013), les premiers experts invités dans les médias sont, comme à l’accoutumée, des journalistes et des humanitaires spécialistes de l’Afrique. Mais le mardi 10 décembre, lors du journal de milieu de journée sur Europe 1, le général Vincent Desportes répond aux questions des auditeurs3. Et bientôt à son nom s’ajoute celui de Michel Goya, d’abord comme colonel d’active puis comme ancien colonel à partir de 2015. En 2015, celui-ci estime avoir été contacté quatre cent trente-huit fois par des médias (écrits ou audiovisuels) et avoir répondu à environ un quart des demandes ; dans la semaine qui suit le 13 novembre, il est ainsi intervenu au moins vingt-deux fois. La parole de ceux qui peuvent se prévaloir d’une expérience militaire a donc bien acquis aujourd’hui une place dans le paysage médiatique. Cependant, si elle a augmenté, elle repose sur un nombre très restreint d’experts, Vincent Desportes et Michel Goya couvrant à eux seuls un très large spectre médiatique. Si l’on exclut du sujet les anciens gendarmes et anciens des services de renseignement, seules quelques autres rares voix se font entendre, celle du général Dominique Trinquand par exemple.
Aux côtés de ces francs-tireurs, il faut désormais compter avec des généraux en deuxième section officiellement missionnés par le ministère des Armées. En mai 2017, la communication de la Défense a en effet annoncé se doter d’un comité de généraux en deuxième section « référents » pour s’adresser aux médias4. Il faudra du temps pour évaluer la manière dont ils entrent réellement dans le paysage médiatique et dont les journalistes se positionnent face à ce qu’ils peuvent percevoir comme de « vrais faux porte-parole ». À quelques reprises déjà, certains d’entre eux ont été sollicités, comme le général Paloméros sur France Info le samedi 14 avril 2018 pour expliquer la nature de l’action menée par la France en Syrie avec les frappes aériennes sur des sites présentés comme faisant partie d’un programme clandestin d’armes chimiques.
Cette parole sur les opérations vient prendre place aux côtés de celle portée par l’ema com, l’entité chargée de la communication à l’état-major des armées. Dans la réforme qui, en 1998, a mis en place les actuelles structures de communication, il était prévu que ce rôle soit tenu par un colonel seul, qui n’avait pas de fonction de porte-parole, mais un simple rôle de liaison entre l’ema et la dicod qui coordonne l’ensemble de la communication de défense. Aujourd’hui, en raison de la montée en puissance des opérations autant que d’habitudes prises au gré des pratiques des responsables successifs de la dicod et de l’ema com, ce colonel pilote une cellule d’une vingtaine de communicants militaires. En fonction des choix et de la personnalité de celui qui occupe le poste, la visibilité de cette entité varie : elle peut n’être perceptible que par ses interlocuteurs directs, les journalistes, ou plus largement par l’ensemble des Français lorsque le colonel qui la dirige porte une parole publique dans les médias. Sa montée en puissance au fil de ces vingt années de pratique a en tout cas donné à la parole militaire toute légitimité sur les opérations, même si elle demeure contrainte par la manière dont le politique se positionne lui aussi sur ces sujets.
- La mise en scène médiatique
de la relation entre politique et militaires
Il demeure en effet des habitudes bien ancrées dans la manière dont la relation entre le politique et le militaire est mise en scène médiatiquement. La complexité des rouages de la fabrique de l’information ne permet pas toujours de déceler qui du politique, du militaire et des journalistes eux-mêmes sont les artisans les plus décisifs du résultat final visible par l’ensemble des Français.
Quoi qu’il en soit, le récit médiatique global de la relation politico-militaire repose sur une trame qui souffre peu de variation majeure depuis la fin de la guerre d’Algérie : le politique décide et ordonne, le militaire exécute. Quand la part du militaire dans la prise de décision apparaît, elle est essentiellement cantonnée à un rôle de planificateur et de conseiller technique. La médiatisation de l’opération Serval, au Mali, a été emblématique de cette répartition systématique des rôles. En 2015 et 2016, deux documentaires lui ont été consacrés sur France 2 : La France en guerre, de Martin Blanchard et Jean-Christophe Notin, le 20 octobre 2015 dans Infrarouge, puis Quand la France entre en guerre, de Jean-Marc Philibert et Claire Tesson, dans Cellule de crise le 2 octobre 2016. La parole du chef de l’État, des ministres de la Défense et des Affaires étrangères y était omniprésente. Dans le second film, Cédric Lewandowski, l’influent directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, apparaissait comme le chef des opérations : le spectateur apprenait ainsi par la voix off que les chefs militaires avaient été convoqués trois fois par jour dans son bureau pour rendre compte de l’évolution de la mission. Les officiers supérieurs interviewés participaient face à la caméra au récit des opérations, mais ils occupaient un rôle d’exécutant. Le chef d’état-major des armées (cema), le général Pierre de Villiers, n’apparaissait pas dans ce documentaire. Certains argueront que le contexte était singulier, et que le cabinet de Jean-Yves Le Drian a été particulièrement à la manœuvre des opérations et de la communication qui en découlait. Ils n’ont pas tort, mais cette trame médiatique n’est pas radicalement différente de celle déployée lors des décennies précédentes ; certains de ses traits s’en sont simplement trouvés renforcés. Il est d’ailleurs révélateur que, depuis la professionnalisation, les évolutions des périmètres de compétence des ministres et des cema, au gré des décrets, ne produisent que peu d’effet sur cette trame de récit médiatique.
Pourtant, indépendamment du cadre fixé par les institutions et les décrets, des habitudes d’expression publique ont été prises par certains grands chefs militaires, dans des équilibres de relation subtils avec les ministres et les chefs d’État successifs qui dépendent pour une part importante des personnalités de chacun. Le décret fixant le périmètre d’exercice de Jean-Yves Le Drian lui donnait un rôle crucial dans cette relation à trois5, mais le général de Villiers a été un cema qui s’exprimait, essentiellement par la plume, sans demeurer cantonné dans un rôle technique. Il a régulièrement publié des tribunes dans la presse et plus régulièrement encore diffusé sur Facebook des « lettres à un jeune engagé »6. Avant lui, d’autres chefs d’état-major ont aussi eu une parole publique régulière, sous des formes différentes. Le général Georgelin, par exemple, ne dédaignait pas s’exprimer au micro. L’actuel chef d’état-major des armées, le général Lecointre, a lui aussi tenu à affirmer le caractère nécessaire de la parole publique militaire dans une tribune publiée dans Le Figaro le 17 janvier 2018 et intitulée : « Oser écrire pour renouveler la pensée sur l’action militaire »7. Il s’exprime également régulièrement dans les médias audiovisuels. Certains chefs d’état-major d’armée œuvrent aussi en ce sens. Le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre (cemat), a ainsi déjà signé plusieurs tribunes. Celle publiée dans Le Figaro le 1er mars 2018 est venue rappeler fort à propos que « la singularité du métier de soldat » (ces mots en constituent le titre) repose sur « la défense de la nation par les armes, de façon méthodique et organisée », au service de la paix des Français et dans un cadre éthique qui prémunit de toute esthétisation et idéalisation de l’acte combattant.
Cette parole joue un rôle nécessaire dans la relation que les Français entretiennent avec leurs armées. Elle continue cependant de s’inscrire dans un récit plus vaste de la relation politico-militaire qui cantonne les chefs militaires dans le rôle d’exécutants. L’historien Philippe Vial a déjà montré dans un numéro antérieur d’Inflexions8 que l’expression envahissante d’« outil militaire » recouvre une réalité bien plus riche que ce que ces mots laissent entendre ; pour autant, son omniprésence dans la bouche de tous ceux qui portent une parole publique s’inscrit précisément dans un système de représentations récurrent et durable. Le professionnalisme des militaires est raconté, mais la subtilité et la richesse potentielle des relations politico-militaires et du « dire » entre politiques et militaires n’apparaissent que très peu.
- Un grand vide sur les réalités subtiles du « dire » militaire
Ces systèmes de représentations durables s’ancrent dans l’immédiat après-guerre d’Algérie. Les uns et les autres, politiques ou militaires, y ont trouvé leur compte pendant de longues décennies. Les premiers ont pu renforcer par la médiatisation leur rôle régalien, déjà largement octroyé par la Constitution ; les seconds ont pu s’abstenir de tenir une place sur la scène publique alors que le traumatisme du putsch d’avril 1961 laissait des traces profondes et douloureuses dans la mémoire militaire. Cette histoire longue explique la surprise feinte par certains commentateurs et éditorialistes lorsque des militaires osent une parole publique un peu moins policée que d’habitude. Elle permet également de comprendre les surgissements médiatiques réguliers du fantasme d’un putsch alors que plus personne ne soupçonne vraiment un chef militaire en exercice de caresser un tel projet.
Dans Libération du 13 avril 2016, Christophe Forcari publie un article intitulé « Grande Muette : les gradés ouvrent la boîte des pandores »9. Quatre généraux en sont les stars : le général Soubelet, « l’iconoclaste », le général Desportes, « l’intello », le général Tauzin, « un chef dans l’arène », et le général Piquemal, « l’agité ». L’article trouve sa justification dans la concomitance de leurs prises de parole ou actions publiques. Le général Desportes est alors un auteur prolixe et une figure médiatique récurrente. Le général Soubelet a déjà fait parler de lui en exprimant très clairement ses réserves sur la politique pénale du gouvernement envers les délinquants lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 18 décembre 2013. Alors qu’il a été muté au commandement de la gendarmerie d’outre-mer, il publie en mars 2016 Tout ce qu’il ne faut pas dire (Plon). La sanction tombe : il perd son commandement par un décret publié le 24 avril au Journal officiel. Le général Piquemal a été placé en garde à vue le 6 février 2016 et mis en examen10 suite à sa participation à une manifestation organisée à Calais par des affiliés français du mouvement allemand Pegida. Le général Tauzin a annoncé en mai de la même année sa candidature à l’élection présidentielle – il n’obtiendra finalement pas les cinq cents signatures nécessaires. Le journaliste trouve ainsi prétexte à un article opposant une supposée tradition de silence des armées, la fameuse « grande muette », à un hypothétique regain d’une parole publique tumultueuse des militaires.
Ces quatre généraux n’ont pourtant ni le même statut ni la même manière d’agir dans la sphère publique. Les velléités militantes du général Piquemal ne reçoivent aucun écho dans les rangs des armées et la carrière politique du général Tauzin n’a jamais obtenu de résultat probant. Les généraux Desportes et Soubelet, eux, ont pris le risque d’une parole publique alors qu’ils exerçaient encore des fonctions de commandement et ils en ont subi les conséquences. Cette parole, qu’elle rencontre ou non l’approbation, était moins militante qu’assise sur des compétences reconnues. Une enquête sérieuse mène sans ambiguïté à la conclusion que les cas personnels des généraux Piquemal et Tauzin ne sont pas représentatifs d’une tendance lourde qui mènerait plusieurs chefs militaires à vouloir jouer un rôle de leader politique partisan, tandis que les prises de parole des deux seconds, alors qu’ils exerçaient encore des responsabilités de chef11, méritent analyse afin d’éclairer les rapports entre le politique et le militaire. Malgré ces écarts de situation, qui sont plus que des nuances, les ressorts des représentations sur le « dire » du militaire sont bien trop ancrés pour que l’auteur de l’article puisse résister à la tentation de rejouer cette histoire.
Les médias constituent aussi une caisse de résonance pour les prises de parole des politiques qui contestent aux militaires la possibilité d’avoir une parole publique utile et constructive. L’exemple en a été donné, à Bordeaux, le 25 avril 2016, avec la déclaration tranchante d’Alain Juppé, alors candidat à la primaire des Républicains, devant les étudiants de Sciences Po : « Un militaire, c’est comme un ministre : ça ferme sa gueule ou ça s’en va. […] Si on laisse à chaque militaire la possibilité de critiquer les gouvernements, il n’y a plus de gouvernement. […] Certes, tous les militaires ont le droit de penser, mais il y a quand même des limites à ne pas dépasser12. » Il fait machine arrière sur rtl le 12 mai, exprime ses regrets et précise : « Le droit d’expression dans les armées, il existe. Il est normal que les chefs militaires disent leur vérité aux pouvoirs publics, au Parlement, au gouvernement, au président de la République. Ce que je conteste en revanche, c’est l’utilisation médiatique, parce qu’il y a aussi un devoir de réserve. Cela dit, j’ai toujours eu pour les militaires le plus grand respect13. » Malgré cette précision à retardement, les tribunes et les réactions ont déjà abondé14. Le public large, qui ne suit légitimement cette actualité que de loin en loin, garde finalement en mémoire l’idée que la parole publique des militaires demeure un sujet de tension politique et un objet de polémique.
- Conclusion
Il est vrai que ces difficultés de compréhension du sujet sont aussi alimentées par les marges d’appréciation qu’offrent le cadre légal et l’interprétation des mots « devoir de réserve », et dont cette revue se fait précisément l’écho. Il est cependant révélateur que ces marges ne permettent que difficilement que s’épanouisse sereinement un « dire » des militaires vers l’ensemble de leurs concitoyens et, parmi eux, les responsables politiques, alors qu’elles sont le terreau, depuis la fin de la guerre d’Algérie, de bien des fantasmes et crispations sur le sujet. Cette trame envahissante du récit médiatique ne permet pas que les Français dans leur ensemble puissent saisir la subtilité du « dire » militaire. Les échanges qui ont lieu, par exemple, lors des auditions devant les commissions à l’Assemblée nationale ou au Sénat sont les grandes absentes de ce traitement médiatique, si on laisse de côté les blogs et les posts sur les réseaux sociaux des spécialistes qui s’attachent à suivre cette actualité. L’enjeu n’est pourtant pas mince : parce que les militaires sont les seuls à avoir l’expérience de la guerre, leur parole est nécessaire à l’ensemble de leurs concitoyens.
1 Le 26 juin, des militaires du 3e rpima utilisent des balles réelles au lieu de munitions à blanc lors d’une démonstration publique. Le bilan est lourd : un militaire et quinze civils, dont quatre enfants, sont blessés.
2 Le 14 juillet 2011, le général Vincent Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air entre 1991 et 1994, est sollicité alors que plusieurs militaires français viennent de perdre la vie en Afghanistan.
3 Le cas du général Desportes est emblématique puisque c’est l’une de ses prises de parole médiatiques, précisément, qui a provoqué son départ de la direction du Collège interarmées de défense (redevenu École de guerre en 2011) en juillet 2010. Il quitte la direction de cette institution à la demande du ministre de la Défense Hervé Morin, après la parution d’une interview publiée dans Le Monde, le 2 juillet, dans laquelle il critiquait la stratégie américaine en Afghanistan.
4 Il s’agit des généraux Éric Bonnemaison, Alain Bouquin, Patrick Charaix, Jean-Paul Paloméros, Loïc Raffaëlli et Jean-Louis Vichot.
5 Le décret du 15 juillet 2009 (n° 2009-869) a renforcé les pouvoirs du cema : « Sous l’autorité du président de la République et du gouvernement, et sous réserve des dispositions particulières relatives à la dissuasion, le chef d’état-major des armées, responsable de l’emploi des forces, assure le commandement des opérations militaires. » La « doctrine Georgelin », du nom du chef d’état-major de l’époque, avait ainsi marginalisé le rôle du ministre dans les décisions, en particulier concernant les opérations extérieures. Cet équilibre est fortement modifié avec l’arrivée à l’hôtel de Brienne de Jean-Yves Le Drian après l’élection de François Hollande. Le décret du 12 septembre 2013 (n° 2013-816) précise que le ministre « est responsable de la préparation et, sous réserve des dispositions particulières relatives à la dissuasion, de l’emploi des forces », tandis que le cema voit ses attributions ainsi décrites : il « assiste le ministre dans ses attributions relatives à l’emploi des forces. Il est responsable de l’emploi opérationnel des forces. Sous l’autorité du président de la République et du gouvernement, et sous réserve des dispositions particulières relatives à la dissuasion, le chef d’état-major des armées assure le commandement des opérations militaires ».
6 Il a en tout publié trente-deux de ces lettres du 20 octobre 2016 au 14 juillet 2017.
7 Cette tribune a été publiée à l’occasion de la parution, dans la collection « Folio Histoire » (Gallimard), d’un ouvrage collectif dirigé par François Lecointre intitulé Le Soldat, XXe-XXIe siècle.
8 Ph. Vial, « De l’épée à l’outil : l’armée, communauté ou instrument ? », Inflexions n° 36, pp. 73-84.
9 Ch. Forcari, « Grande Muette : les gradés ouvrent la boîte des pandores », liberation.fr, 13 avril 2016.
10 Il est mis en examen pour « participation à un attroupement qui ne s’est pas dissout après sommation ».
11 Depuis qu’il n’est plus en fonction, le général Soubelet a à son tour choisi des formes d’engagement politique qui sortent du périmètre de cet article.
12 L. Besson, « Juppé désavoue le général Soubelet », lefigaro.fr, 25 avril 2016.
13 T. Quinault Maupoil, « Juppé “regrette” d’avoir demandé aux militaire de “fermer leur gueule” », lefigaro.fr, 12 mai 2016.
14 Celle du général Desportes d’abord, qui, dans une tribune publiée le 4 mai dans Le Monde, assène : « Vous avez tort, Monsieur Juppé ! » Le général Dary, à son tour, écrit dans Le Figaro, le 11 mai, « Pour un droit d’expression des militaires ». Dans L’Opinion, Jean-Dominique Merchet répond le 5 mai « Vous avez tort, mon général Desportes », et met en avant le point d’achoppement qui crée précisément un débat sur les rapports entre le politique et le militaire dans les jours qui suivent : « Dès le premier paragraphe de son article, le général Desportes écrit ceci : “La première loyauté d’un ministre au service d’une politique fluctuante, souvent politicienne, est envers son président. La première loyauté d’un militaire au service permanent de la nation, de ses intérêts et de ses valeurs, est envers la France.” Pour qui sait lire, le général Desportes oppose deux “loyautés”, et en quelque sorte deux légitimités. Dans l’esprit de l’auteur, il semble clair que la seconde est supérieure à la première, qualifiée de “fluctuante et souvent politicienne”. “La loyauté d’un militaire [...] est envers la France”, explique le général Desportes. Mais qui représente la France ? Le militaire, “structuré par l’éthique de conviction”, comme le général l’écrit ? Ou le ministre pour lequel il ne cache guère un certain dédain ? Or ce ministre est nommé par un président élu au suffrage universel direct et placé sous le contrôle d’un Parlement, également élu. »