Qui ne connaît pas les aventures tumultueuses de Charles Geneviève de Beaumont dit chevalier d’Éon, qui cultiva son ambiguïté sexuelle longtemps et à dessein ? Certains organisèrent même des paris sur son sexe. Cet espion de Louis XV fut probablement l’un des travestis les plus célèbres, posant la question de la confusion des sexes.
Depuis la seconde moitié du xxe siècle, la question de la différence entre les sexes n’a de cesse d’agiter le monde occidental au travers de débats sociétaux, politiques, éthiques et scientifiques. Thomas Beatie, assigné femme à la naissance, est ainsi devenu légalement un homme en 2002, mais a conservé ses organes génitaux internes et externes. En 2008, il a donné naissance à une petite fille. La photo de cet homme enceint a fait le tour du monde et a été reprise par les lobbies de défense des transsexuels. En 2017, l’Américain Tristan Reese est, lui, allé jusqu’à médiatiser son accouchement. Dans la mouvance actuelle de remise en question des nosographies et de tentative de « dépsychiatrisation » de cette clinique, cet article souhaite pouvoir éclairer cette question sociétale qui nous conduit à également l’interroger au sein de l’institution militaire.
- Le genre en étude
- « Tu seras un homme, mon fils »
Le sexe biologique, celui du caryotype, donne le sexe de l’enfant et, donc, pour certains, le genre de ce dernier, comme une évidence. D’autres considèrent que la société pousse les parents à faire correspondre le sexe biologique au genre : on offre des poupées à une fille, des voitures et des fusées à un garçon. Qui habille son « petit gars » avec de la layette rose ? Dans cette approche, qui met en exergue l’existence de deux genres, nous sommes soit des hommes soit des femmes. Le sexe biologique figerait le genre dès la naissance, et même dès la vie in utero. Ce genre se refléterait dans les organes génitaux visibles. La culture se colle à la nature. Les apprentissages sont orientés pour correspondre au sexe génétique.
Mais cela n’est pas si simple. Nature et culture ne sont ni diamétralement opposées ni complètement analogues en matière de genre et de sexe. Certains mouvements revendiquent la question des intersexes, qui jusqu’à présent étaient essentiellement représentés par les enfants naissant avec une ambiguïté sexuelle, mais auxquels on assignait un genre en fonction des caractères sexuels prédominants. Ils demandent un droit à l’autodéfinition en dehors de la dichotomie homme/femme. Faites un visa pour l’Inde et s’ouvre à vous d’autres possibilités : no genre, transgenre…
La question du genre n’est pas celle du sexe et encore moins celle de la sexualité. Très souvent est fait l’amalgame transgenre/homosexualité. Peut-être aussi du fait d’une médiatisation et d’une défense du droit à vivre son genre et sa sexualité portées par les lgbt1, mais également par les mouvements féministes qui luttent contre l’« oppression patriarcale ». Le concept de genre tel qu’il est utilisé aujourd’hui est en effet directement issu de l’anglo-américain Gender, le ramenant aux luttes idéologiques des années 1960. Les Gender Studies prospèrent autant en sciences humaines que sur le plan médiatique. Dans ce domaine, le sexe renvoie à une notion très anatomique alors que le genre, lui, se rapporte à un domaine plus complexe renvoyant à l’assignation de l’identité de genre, au rôle des statuts ainsi qu’au stéréotype homme/femme.
Les Gender Studies ont amené à définir la transidentité, concept que nous utiliserons largement et qui se définit comme le fait d’avoir une identité de genre différent du sexe assigné par l’état civil. Il est important de préciser que la transidentité est indépendante de l’orientation sexuelle. Une personne dont l’état civil est masculin peut très bien se revendiquer comme femme homosexuelle. Le transgenre renvoie plutôt à une notion sociale d’assignation et de construction des genres ; le transsexualisme concerne lui les aspects physiques du sexe. Il faut rappeler que la transidentité ne relève pas de la psychiatrie, mais que les conséquences sur l’individu oui : acceptation par le sujet, tolérance de l’entourage et réassignation lourde pouvant conduire à des complications médicales.
- De La Cage aux folles à la dysphorie de genre
L’image populaire de la transsexualité et de la personne transsexuelle demeure assez caricaturale, à l’image des spectacles populaires de transformisme2 ou de films comme Tootsie ou La Cage aux folles. Reste l’idée qu’un homme convaincu d’appartenir au sexe opposé va pousser la féminité jusqu’à la vulgarité. Notre société est porteuse d’un système d’opposition binaire homme/femme, masculinité/féminité. Sur une carte d’identité ou un passeport, il n’y a que deux choix : H ou F. Donc, si vous ne pouvez vous percevoir en tant qu’homme, votre féminité devrait être exacerbée. Que l’on parle de transsexualisme, de dysphorie de genre, de transgenre, de « syndrome de Benjamin »3, le vécu des personnes persuadées d’appartenir à l’autre sexe vient interroger non pas la notion de sexualité, mais la question de l’identité même du sujet.
Dans notre société, « vivre dans l’autre sexe », vivre un genre de préférence différent du genre génétique ou biologique, conduit le sujet à changer de sexe médico-chirurgicalement. Le sujet devient Female to Male (ftm) ou Male to Female (mtf) : l’opposition binaire homme/femme, féminité/masculinité, persiste même au-delà de la transformation. Le transsexualisme, dans son sens premier de « trans » ou « entre », n’est perçu que comme un état « trans-itoire ».
Cependant, une dysphorie de genre peut être présente et plus ou moins marquée indépendamment de la nécessité et du souhait de recourir à des mesures médicales de réassignation de sexe. Mais le sujet devra renoncer à se définir par un concept d’entre-deux, qui n’existe pas dans notre culture en matière de genre.
À l’état civil français, peuvent être modifiés le prénom et la mention de sexe soit successivement, soit conjointement, soit indépendamment. Jusqu’à très récemment, la personne qui souhaitait une rectification d’identité devait subir une transformation hormono-chirurgicale complète, qui menait à une stérilisation. La loi du 18 novembre 2016 a assoupli les conditions du changement de la mention du sexe à l’état civil. L’intervention chirurgicale, ou même l’observance de traitements médicaux de type hormonothérapie, n’est plus une condition sine qua non ; mais l’apparence physique et l’apparence sociale choisies par le demandeur doivent correspondre au sexe qui figurera sur l’état civil.
- Transsexualismes et engagement dans l’armée
Dans notre imaginaire, le guerrier est l’hoplite, le samouraï, le janissaire, le centurion, le chevalier, le fantassin… Autant de représentations marquées par des attributs masculins de virilité permettant de donner une image de force, d’agressivité... Les rôles sociaux et sexués aujourd’hui restent marqués au sein des unités de combat. Il y a encore vingt-cinq ans, être militaire était une affaire d’homme et d’homme seulement. Les cas de variance d’identité de genre sont perçus comme de l’ordre de l’exception et largement relayés par les médias. Citons le cas de Christine Jorgensen, premier homme américain opéré en 1952, ancien gi, devenue une égérie féminine à la suite de son changement de sexe. Mais c’est de moins en moins le cas du fait d’une banalisation, relative, de la transidentité. Si on a beaucoup parlé du lanceur d’alerte Chelsea (ex-Bradley) Manning, c’est qu’il a demandé la possibilité de bénéficier d’un traitement hormonal et d’une chirurgie de transformation au cours de sa détention.
Même si le nombre de demandes y reste anecdotique4, l’armée française, comme les autres armées occidentales, est amenée à s’interroger sur l’intégration ou le maintien en son sein de personnes pouvant présenter un trouble de l’identité de genre. La position de ces armées est d’abord dictée par le droit, mais dans l’ensemble, elles ne pratiquent aucune discrimination envers des individus ayant été réassignés. Ce qui est plus problématique, c’est la prise en charge du traitement et le sujet demandant une réassignation lors de son engagement.
À l’automne 2017, la question de l’engagement des transgenres a agité l’armée américaine : en août, Donald Trump a signé un décret lui interdisant de recruter des personnes transgenres ; quelques semaines plus tard, le tribunal fédéral de Washington s’est opposé à l’entrée en vigueur de cette décision. Rappelons que le Service de santé américain prenait jusque-là en charge la réassignation. La décision, particulièrement critiquée, l’a été semble-t-il pour des raisons morales allant à l’encontre de ce qui se faisait depuis la présidence de Barach Obama, et pour des raisons politiques, afin de plaire à l’aile conservatrice de l’opinion.
Il ne s’agit pas dans cet article d’alimenter un débat sur la question du droit d’un transsexuel à s’engager dans l’institution militaire ou pas. Il n’existe aucune interdiction. L’autorité militaire ne peut discriminer une personne en raison de son genre. Les seuls critères ne peuvent être que de ceux relevant de la capacité ou non à être militaire ou à tenir certaines spécialités. Ne pas prendre un aveugle comme pilote de chasse ne relève pas d’une discrimination envers les malvoyants par exemple. En revanche, dans le cas de la transidentité, il s’agit de pouvoir raisonnablement réfléchir, au cas par cas, sur le bien-fondé et la pertinence d’une demande d’engagement d’une personne qui est potentiellement en souffrance et qui cherche sa place professionnelle.
Dans un article paru en 2014 dans L’Express5, l’armée française était classée dixième, à égalité avec l’Espagne, pour l’intégration des personnes lgbt, la première étant la Nouvelle-Zélande. Cet article relevait que si la France appliquait tous les critères de non-discrimination dans ses armées, lui était reprochée l’absence de membres ouvertement militaires dans les associations lgbt. Il est par ailleurs intéressant de consulter ce site6 où une personne en cours de réassignation interroge un conseiller en recrutement. En France, la seule obligation est qu’il y ait une adéquation entre l’état civil et le genre revendiqué. Cela élimine donc d’emblée, mais de façon temporaire, un candidat à l’engagement en cours de réassignation.
Même si certaines associations manifestent avec plus ou moins de virulence en faveur d’une dépsychiatrisation voire d’une démédicalisation complète de ce phénomène, il n’en existe pas moins. Nous, psychiatres, pouvons être amenés à rencontrer des personnes concernées par cette problématique, qui nous sont adressées dans le cadre d’une expertise visant à évaluer leur aptitude militaire à l’engagement ou en cours d’engagement. En effet, il est légitime de s’interroger sur le sens à donner à cette volonté de changer de sexe et à celle de s’engager dans une profession combattante.
- La médecine face aux « hors normes »
La transidentité est une question sensible car souvent associée à la notion de « déviance » ; elle soulève nombre de débats éthiques sur l’écart à la norme ou sur la pathologie. Jusqu’au xixe siècle, elle relevait de la compétence des juristes et des hommes d’Église, et venait interroger les valeurs morales du bien et du mal. Le genre constitue une base de l’identité. Cette part identitaire est telle qu’imaginer que l’on puisse être de l’autre sexe paraît scandaleux et, par glissement, pathologique ou immoral. De plus, l’identité sexuée renvoie à l’orientation sexuelle. Jusqu’à une époque récente, être de sexe masculin impliquait d’être attiré par le sexe féminin et inversement. La notion est donc peu à peu entrée dans le champ médical, questionnant cette fois le normal et le pathologique. Certains auteurs évoquent un trouble psychotique, d’autres un délire partiel, d’autres encore une perversion.
Il ne semble pas qu’il n’y ait qu’un transsexualisme avec une origine commune, mais des transsexualismes avec des origines multiples. Les savants tentent alors de décrire une nouvelle entité clinique. Au début des années 1980, les « troubles de l’identité sexuelle » font leur entrée dans la catégorie des « troubles psycho-sexuels » au sein du dsm7. Ainsi, par raccourci, la transidentité devient une pathologie psychiatrique. La volonté actuelle de lutter contre une vision « pathologisante et stigmatisante » questionne la place des psychiatres dans le parcours des personnes en demande de changement de sexe. Longtemps attribué à des facteurs psychosociaux, le transsexualisme, comme toutes les questions d’orientation sexuelle ou d’identité de genre, anime la communauté scientifique. Les recherches médicales pour comprendre ce phénomène se servent des progrès en matière d’imagerie cérébrale, mais aussi de neurobiologie avec l’illusion de pouvoir définir le trouble.
Différentes spécialités médicales peuvent être consultées et interpellées sur la question de l’aptitude des personnes transgenres à être militaires. Des rencontres qui permettent de rechercher des pathologies pouvant amener une hypothèse, même partielle, de la survenue de ce trouble identitaire8. Les endocrinologues, les spécialistes du système hormonal, sont souvent les premiers convoqués. En effet, des troubles des hormones sexuelles peuvent entraîner des ambiguïtés sexuelles où le sexe assigné n’est pas le sexe génotypique. Dans le cas d’un individu transidentitaire, il s’agit non pas de faire un diagnostic, puisque ce n’en est pas un, mais plutôt d’exclure ce qui relève de la pathologie.
Si la transidentité ne relève pas du pathologique, la prise de conscience de cette identité en rupture de ce qui avait été assigné peut mettre en difficulté l’individu. Des études épidémiologiques montrent que les populations de transsexuels ayant reçu un traitement hormonal présentent une plus grande vulnérabilité à certaines pathologies, entraînant une élévation de la mortalité. Tous ces éléments sont à prendre en compte lors de l’expertise médicale. Ainsi, l’endocrinologue évaluera les conséquences de la prise d’hormones et sa compatibilité à moyen et long terme sur les aptitudes médicales à servir en tout temps et tout lieu. L’urologue peut également être consulté pour évaluer les conséquences opératoires en termes d’aptitude. Un bilan médico-psychologique vient compléter l’expertise multidisciplinaire. Introduire le psychiatre dans la démarche de réassignation de sexe, mais aussi, pour ce qui nous intéresse plus particulièrement, dans la question de l’aptitude à servir dans les armées, n’y signifie pas que nous faisons de la dysphorie de genre une maladie psychiatrique, mais que nous interrogeons ce vécu d’« être un homme dans un corps de femme » ou d’« être une femme dans un corps d’homme ».
Sans pour autant réduire cette expérience à celle du délire ou de l’aliénation, il est important d’éliminer un trouble mental comme la schizophrénie. Même si peu d’études médico-psychiatriques sont accessibles, il serait trouvé dans la population transgenre plus de troubles dépressifs et de troubles anxieux. Ces personnes seraient plus en souffrance psychologique avant l’initiation de la première consultation spécialisée. La transformation hormonale et chirurgicale, si elle est effectuée en France, permet au transsexuel d’avoir une évaluation psychologique pendant les deux ans qui précèdent l’intervention, puis un suivi régulier pour l’accompagner dans le réinvestissement de son corps et de son identité sexuée en adéquation avec celui-ci. Cependant, même si dans leur majorité les patients expriment un bien-être psychologique et sexuel après opération, il n’en reste pas moins qu’il persisterait chez eux une plus grande vulnérabilité. En particulier, le taux de suicide serait plus important qu’en population générale. Ces considérations et l’hétérogénéité de la population « trans » nécessitent une analyse sémiologique fine. Le psychiatre doit s’assurer de la non-inscription de cette conviction et de ce désir dans l’évolution d’un trouble psychotique, d’une dépression sévère.
Il est important de pouvoir interroger le contenu de cette conviction d’appartenir à un autre sexe que celui du sexe biologique. Ce trouble de l’identité sexuelle débute le plus souvent dans l’enfance. Cela permet de bien définir ce vécu transgenre et de le différencier du transvestisme fétichiste9. Replacer ce questionnement identitaire dans le récit de vie du sujet permet d’aborder différentes dimensions psychopathologiques, mais aussi sociales, familiales et environnementales, afin de se faire une image de la personne dans son quotidien et au sein de ses interactions sociales.
Le travail du psychiatre n’est pas de conclure que chaque transsexuel est inapte, mais de définir le niveau de risque acceptable pour un engagement dans les forces armées. Lorsqu’une personne souhaite s’engager, elle doit en effet répondre à des critères physiques, médicaux et psychologiques qui lui permettront d’exercer son emploi au sein des forces en tout lieu et en toute circonstance. L’appréciation de l’aptitude psychologique pour exercer le métier des armes ne se limite pas au diagnostic des pathologies psychiatriques. Il est ainsi indispensable de posséder de bonnes capacités d’adaptabilité, d’anticipation, d’apprentissage et d’intégration au groupe. Cette question du rapport au collectif importe dans l’après-coup de la réassignation. Or le collectif et la cohésion sont d’une importance majeure dans les armées.
- Chambrée homme ou chambrée femme ?
Comment imaginer l’engagement d’un homme à l’état civil qui va avoir l’apparence d’une femme ? Doit-il être mis dans une chambre avec les personnes de son sexe social ou de son sexe à l’état civil ? Comment un jeune avec un prénom féminin, mais sans rectification du sexe à l’état civil, peut-il s’intégrer dans un groupe ? Fera-t-il partie des « féminines » ? Quel regard le groupe peut-il poser sur le sujet ? Quelle place pour le soldat en compagnie de combat qui s’engage en tant que femme et qui commence une démarche de transformation ? Comment devenir homme quand tout le monde nous a connu femme ? Comment gérer ce changement d’apparence physique au sein du groupe, pour les autres mais aussi pour soi-même ? Faut-il changer d’affectation à la fin de la transformation ? Toutes ces questions autour du pronostic d’intégration au groupe de la personne transidentitaire doivent se poser, même si certaines semblent anecdotiques, car elles peuvent être causes de souffrance pour le sujet. Ce camarade homme revient en tant que femme, ou vice versa. Il peut en avoir parlé, avoir expliqué sa démarche. Néanmoins, on peut légitimement s’interroger sur les réactions du collectif, de la section jusqu’au régiment, face à une modification qui peut troubler chacun.
Le pronostic d’intégration n’est pas le même si la transformation se passe après plusieurs années d’engagement chez quelqu’un de connu, de bien intégré et d’accepté pour son côté « hors normes », ou chez un jeune souhaitant s’engager. Il n’est pas non plus le même chez le sujet qui a achevé sa transformation physique et hormono-chirurgicale avec rectification du prénom et du sexe à l’état civil, et chez une personne en cours de transformation.
Si la capacité d’intégration est toujours prise en compte dans l’évaluation de l’aptitude en psychiatrie, dans le cas de la transidentité, elle devient un enjeu majeur pour l’individu mais aussi pour le groupe. C’est d’autant plus sensible que par la réassignation l’individu invite les autres à le regarder comme une personne différente. Il faut donc un collectif particulièrement bienveillant et tolérant pour accueillir à nouveau ce camarade. De plus, il s’agit pour la personne réassignée de comprendre les réajustements que le groupe va devoir consentir afin de la réintégrer. L’effort doit être partagé, mais encore faut-il que chacun consente à le faire. Alors la solution peut être de changer d’affectation, de recommencer ailleurs. Il est en effet évident qu’il sera plus facile de s’intégrer comme femme dans un nouveau groupe que comme ancien homme devenu femme, avec toutes les questions gênantes et déplacées que cela pourra susciter. Face à cette question sociétale épineuse, les armées ne peuvent plus être dans le rejet ou dans l’évitement. Il leur faut l’interroger pour ne pas être dans la discrimination tout en assurant le bien-être de l’individu et du groupe de militaires.
Le transsexualisme représente la forme la plus complète d’incongruence entre le corps sexué et l’identité de genre. Il existe des états intermédiaires de ce spectre qui viennent moins nous interroger socialement car moins visibles sur les apparences, mais pouvant également être sources de souffrance et nécessiter une attention particulière, même si les enjeux sont dans ces cas plus médico-psychologiques. La question de la transidentité n’est ni éludée ni minimisée, car il s’agit d’abord d’individus en souffrance. La réassignation résout en partie le problème de l’écart entre l’identité assignée et ressentie. Au-delà de la motivation, ce qui doit être interrogé est l’intégration dans un environnement fait de contraintes et où la promiscuité est plus souvent la règle que l’exception. Dire qu’une personne transidentaire pourra souffrir dans les armées, ce n’est pas l’exclure à cause de ce qu’elle est. Cela implique aussi que pour d’autres, la réintégration au collectif se fera sans problème. On ne peut donc conclure de façon univoque ou normative. Chaque cas doit être étudié avec bienveillance et lucidité par l’institution.
Il y a au musée du Louvre une statue d’hermaphrodite. De dos, on voit un corps de femme, de face, elle possède les attributs d’un homme. L’expérience est troublante car elle nous met face à notre désir et à l’ambiguïté. Ce trouble peut angoisser et provoquer même un rejet violent. La transidentité nous met face au même trouble. Il ne s’agit pas de traiter ce dernier du côté de la passion, mais bien de la raison.
1 Lesbiennes, gays, bisexuels et trans (lgbt) désigne les personnes non hétérosexuelles et/ou non cisgenres.
2 Néanmoins, l’existence, parfois ancienne, de ces spectacles montre qu’il existe des espaces de tolérance à la condition que ce soit limité. On peut se souvenir de la chanson d’Aznavour…
3 La transsexualité est évoquée pour la première fois par Harry Benjamin lors d’une conférence de 1953 sous le terme de « syndrome de Benjamin ».
4 Le nombre n’est pas évalué précisément par le Service de santé des armées, mais il est probablement inférieur à cinq cas par an.
5 Sur le site de L’Express https://www.lexpress.fr/actualite/monde/l-armee-francaise-parmi-les-plus-tolerantes-au-monde-envers-les-personnes-lgbt_1493938.html
6 https://www.recrutement.terre.defense.gouv.fr/les-conditions-administratives/sengager-quand-est-transgenre
7 Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie, qui regroupe et classe les différentes pathologies psychiatriques, et les associe à des critères diagnostiques.
8 Certaines pathologies endocriniennes pourraient entraîner des modifications en imprégnations hormonales tels l’hyperplasie congénitales des surrénales, le syndrome d’insensibilité à la testostérone (syndrome de Morris), des pseudo hermaphrodismes…
9 Le transvestisme est une forme de fétichisme (le vêtement est le fétiche) qui ne vient cependant pas interroger le sujet sur son identité de genre (un homme qui aime porter des vêtements féminins).