N°49 | La route

Thomas Fressin

La maréchaussée et les grands chemins, 1720-1791

Après une création qui remonte à la guerre de Cent Ans1 et de multiples développements entre le xive et le xviie siècle, les maréchaussées font l’objet d’une grande réforme au début du siècle suivant. Par un édit du 9 mars 1720, les anciennes compagnies de différentes maréchaussées sont supprimées et de nouvelles sont mises en place dans le royaume2. Cette réorganisation vise à unifier l’organisation de ce corps, utile et nécessaire pour le bon ordre dans les villes et les campagnes.

Considérées comme unités de gens à cheval, les compagnies de la maréchaussée se trouvent établies dans chaque généralité et immédiatement subordonnées à la Cour de la connétablie et des maréchaux de France3. Commandées chacune par un prévôt général, aidé de lieutenants, elles sont constituées d’« archers »4 qui prennent rapidement le nom de « cavaliers ». Ces gens d’armes, réunis en brigades de quatre ou cinq hommes, ont vocation à parcourir les routes du royaume pour veiller à la sûreté publique.

Malgré l’importante refonte de 1720, Pascal Brouillet estime que la maréchaussée reste durant le xviiie siècle une institution relativement mal composée, mal dirigée et délaissée aux mains de bureaucrates. Toutefois, ajoute-t-il, la force de cet ancien corps a alors résidé dans sa capacité à se transformer avec réussite en force de police5.

Nous nous intéresserons dans cet article au lien consubstantiel qui a existé entre la maréchaussée et les routes. Après avoir présenté le maillage territorial fixé pour les unités de ce corps et leur lien avec les infrastructures de transport, nous mettrons en lumière la présence des hommes de la maréchaussée sur les différents types de route ainsi que les enjeux sécuritaires auxquels ils répondent jusqu’à la création, le 16 février 1791, de la gendarmerie nationale.

  • Le maillage territorial de la maréchaussée

Une année avant la réforme de 1720, le secrétaire d’État à la Guerre, Claude Le Blanc, transmet aux intendants du royaume une circulaire, en date du 16 février 1719, les informant de l’importance du changement projeté. En s’appuyant sur un système cartographique, il demande aux officiers provinciaux d’amender le projet de sédentarisation de leurs brigades « pour empêcher les désordres qui arrivent ordinairement sur les grands chemins et veiller à la sûreté publique »6.

Inspiré de la compagnie de maréchaussée d’Île-de-France, dont le maillage en brigades est déjà constitué, ce projet relève alors d’un intérêt opérationnel majeur, celui, pour chaque brigade, d’être le nœud d’un maillage territorial national, à portée d’exécuter les ordres des lieutenances, tout en permettant un contact plus fréquent et plus étroit avec les populations. Pour cela, le dessein de Le Blanc est que ces brigades soient placées chacune à « quatre ou cinq lieues sur une grand route à garder d’un côté et d’un autre, et autant à sa circonférence »7. Suivant les terrains, le district d’une brigade se voit parfois étendu lorsqu’elle se trouve dans une plaine ou un lieu peu dangereux, ou encore sur les chemins de traverse peu fréquentés.

Installées au cœur des villes, le long des routes principales, les brigades forment avec les lieutenances et les compagnies de la maréchaussée un maillage d’unités également réparties sur le territoire. Le principal mode d’action des cavaliers étant la chevauchée8, les lieux de résidence nouvellement fixés tiennent compte des différents types de voies de circulation aux alentours. Le Blanc en distingue de deux sortes : les « grand-routes », à savoir les « chemins par où passent les voitures publiques, messagers… », qui s’opposent aux « chemins de traverse », qui représentent les « autres chemins »9. Au final, les distances des routes reliant chaque unité sont connues et les déplacements entre unités rendus plus aisés afin d’améliorer la surveillance des axes principaux de circulation.

Les desseins de Le Blanc sont appliqués et de nouvelles réformes renforcent progressivement ce maillage. En effet, sur la base des données spatio-temporelles de l’Atlas de la gendarmerie10, nous constatons que l’augmentation du nombre de brigades, passant de cinq cent vingt en 1720 à huit cent soixante-neuf en 1790, a bien permis de resserrer intelligemment le maillage. La distance moyenne à vol d’oiseau entre chaque unité diminue significativement, pour passer de cinq lieues11 en 1720 à quatre virgule une lieues en 1790. En ce qui concerne la distance moyenne entre les brigades et leur lieutenance, elle finit par s’établir à neuf virgule deux lieues en 1790. Ainsi faut-il aux cavaliers en moyenne au moins une heure et quinze minutes de chevauchée au trot pour se rendre à l’unité la plus proche et près de trois heures pour leur lieutenance. Élongations tout à fait acceptables, qui leur permettent de répondre aux différentes missions confiées.

Évolution dans le temps des distances séparant les unités de la maréchaussée

1 Même si les maréchaussées découlent de la justice du connétable, avant la guerre de Cent Ans, cette cour ne correspondait pas alors à l’institution des maréchaussées.

2 Ce renouvellement concerne toutes les anciennes unités des différentes maréchaussées qu’a connues le royaume, à l’exception de quelques unités et de la compagnie de l’Île-de-France. Au sujet de cette compagnie particulière, dont l’organisation de la fin du xviie siècle a servi de modèle pour le reste de la France en 1720, voir P. Brouillet, « La maréchaussée dans la généralité de Paris au xviiie siècle (1718-1791). Étude institutionnelle et sociale », thèse de doctorat, ephe, 2002.

3 Siégeant à la table de marbre du parlement de Paris depuis la fin du xive siècle, la Cour de la connétablie et des maréchaux de France était issue du droit de haute justice que possédèrent le connétable, chef des maréchaux, et le maréchal de France sur le personnel et les affaires dépendant de leur charge. En matière judiciaire, cette cour s’occupait principalement de tous les excès commis ou subis par les militaires, ainsi que des cas prévôtaux (vagabondage, délits de repris de justice, crimes commis sur les grand-routes) et l’entérinement des lettres de rémission obtenues par les officiers de la juridiction. En matière administrative, elle enregistrait les lettres de provisions d’offices des personnels judiciaire et militaire.

4 Les « archers » sont alors de petits officiers de justice ou de police, qui sont armés pour prendre les voleurs, pour faire la garde dans les villes ou encore pour exécuter des ordres de justice et de police. Ils sont appelés cavaliers après 1720.

5 P. Brouillet, « La maréchaussée idéale : Les Essais historiques et critiques sur la maréchaussée de Cordier de Perney, 1788 », Les Mémoires policiers, 1750-1850. Écritures et pratiques policières du siècle des Lumières au Second Empire, Presses universitaires de Rennes, 2006, http://books.openedition.org/pur/7503.

6 Archives départementales du Puy de Dôme, C 6173.

7 Ibid.

8 É. Ebel et B. Haberbusch, « Le cheval dans la gendarmerie du xviiie au xixe siècle », Revue historique des armées, n° 249, 2007, p. 28.

9 Ibid.

10 Atlas historique de la gendarmerie, projet sous la direction de Thomas Fressin, 2021 : https://atlas-gendarmerie.fr/

11 Les lieues utilisées par la maréchaussée sont très variables. Ainsi, nous avons décidé d’exprimer nos conversions de distances à vol d’oiseau en lieues des postes (1 lieue = 4,288 km). Les distances sont exprimées à vol d’oiseau.

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