N°40 | Patrimoine et identité

Antoine Champeaux

Musée militaire : un supplément d’âme

Les collections des musées de l’armée de terre constituent un conservatoire d’art et de traditions militaires, de sciences et de techniques, d’aventures humaines aussi... Elles sont constituées d’uniformes, d’armes, de coiffures, de marques symboliques, d’insignes et de décorations, d’affiches, de dessins, de peintures, d’objets d’art, de documents photographiques, de pièces d’archives, de souvenirs de personnages illustres ou bien moins célèbres, bref, un patrimoine d’objets ou de documents uniques comme produits en grande série, généralement de dimensions modestes. Elles rassemblent également des véhicules, des engins, des pièces d’artillerie comme des aéronefs, un patrimoine technique et industriel de renommée souvent internationale grâce aux matériels d’origine étrangère comme au musée des Blindés à Saumur.

Racontant le plus souvent l’histoire de la France au travers des composantes de ses armées, ces musées d’histoire sont destinés à la fois au grand public et à la communauté militaire. Dès leur création, dans les années 1960 pour les plus anciens et jusqu’aux années 1980 pour les plus récents, plusieurs officiers qui en avaient la responsabilité prennent le parti, révolutionnaire à l’époque, de sortir de la sphère spécifiquement militaire et de s’installer hors des quartiers (musée des Parachutistes, musée des Troupes de marine, musée des Blindés), ou de créer des ouvertures dans l’enceinte de ceux-ci afin de permettre au grand public un accès plus aisé, sans passer par un poste de police (musée de l’Aviation légère de l’armée de terre, musée de l’Infanterie, musée des Transmissions, musée du Génie). Par la suite, sous l’impulsion des premiers officiers conservateurs formés au ministère de la Culture, il est acté d’« ouvrir les musées vers la ville », en même temps que de les mettre aux normes personne à mobilité réduite (pmr) et établissement recevant du public (erp), et de les moderniser. Gestion des collections permanentes, expositions temporaires, salons de peinture ou de photographie, conférences, journées d’étude ou colloques, publications, autant d’activités programmées par ces officiers qualifiés, dont l’expertise est reconnue et qui s’attache à faire vivre leur musée comme tout autre établissement culturel.

Le grand public et les touristes visitent en général les musées de l’armée de terre pendant les vacances scolaires, cédant à l’envie d’une promenade enrichissante ou en quête de divertissement, parfois aussi, soyons honnête, d’un espace confortable et climatisé pour une pause régénératrice.... Le citoyen y trouve une illustration de l’histoire de France, de l’armée ou encore de la conscription, articulée autour des grandes dates ou des grandes périodes : le musée informe alors sur l’histoire et l’esprit de défense. Le jeune public y découvre le monde militaire et peut parfois envisager une vocation au service des armes de la France : le musée est alors élément de la chaîne de recrutement en vue d’un engagement professionnel. L’écolier, le collégien ou le lycéen y approfondissent des notions d’instruction morale et civique (imc) définies dans les programmes de l’Éducation nationale, mais également une ouverture sur le monde, d’autres cultures, parfois d’autres civilisations comme avec les collections d’outre-France rassemblées par l’armée d’Afrique ou les troupes coloniales et de marine. Par le partage des valeurs républicaines de la citoyenneté, de la tolérance, du patriotisme, de la démocratie, de l’idéal républicain, des vertus civiques, du combat pour la liberté, le musée devient complément de pédagogie et d’éducation. Enfin, le collectionneur ou l’érudit effectuent plutôt des visites de détail, tandis que le chercheur approfondit ses travaux personnels, vérifie des hypothèses en consultant la documentation conservée par le musée : la curiosité, la recherche, l’approche scientifique ou méthodologique, le goût du patrimoine ou du débat scientifique les conduisent le plus souvent à demander à rencontrer le conservateur ou un membre de l’équipe de la conservation pour un moment d’échange et de dialogue. Toutes ces approches possibles des collections ainsi que les activités proposées par le musée permettent d’attirer différents publics et de leur donner envie de revenir pour revoir, approfondir une première visite ou découvrir de nouveaux centres d’intérêt.

Comme les autres musées, ceux du ministère des Armées sont également une composante de l’aménagement culturel de territoire dans lequel ils sont situés. L’implantation géographique des musées de l’armée de terre couvre assez bien l’espace français, à l’exception du quart nord-est, où existent d’autres structures – musées, fortifications, champs de bataille, nécropoles – permettant de découvrir l’histoire militaire de la France. Ils attirent les touristes et génèrent des retombées économiques évidentes pour les villes ou communautés d’agglomération qui les accueillent. Ils sont au cœur des Chemins de mémoire définis par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (onacvg) en liaison avec ceux du tourisme. Pour preuve : dans la mise en œuvre, à partir de 1995, du premier schéma directeur des musées visant à moderniser la présentation des collections, l’état-major et la Délégation au patrimoine (delpat) se sont appuyés avec succès sur les collectivités territoriales et les associations qui ont investi huit millions d’euros sur les vingt-cinq nécessaires.

Les musées s’inscrivent également dans une histoire locale et régionale. Ceux du Sud-Est, par exemple, sont situés à proximité des plages du débarquement de Provence d’août 1944. Parfois, la présence d’une nécropole ou d’un mémorial non loin (Draguignan, Fréjus, Saint-Raphaël1) renvoie à l’histoire du monde et des grands conflits du xxe siècle : ainsi les combats pour la libération des Alpes dans le cas du musée des Troupes de montagne à Grenoble.

En ce sens, ces musées sont fondamentalement un carrefour où se rencontrent le monde des armées et la société civile – non pas la nation, car l’armée fait partie de la nation. Depuis la suspension du service national et l’adoption des mesures de sécurité liées aux attentats, ils sont parmi les rares lieux militaires ouverts au grand public. Ils sont un lieu d’échange où on tente de ne pas déroger à l’une des exigences du monde muséal : provoquer la « délectation » du public2. Leurs collections invitent ainsi de façon agréable, voire ludique dans le cadre d’ateliers pédagogiques, à découvrir des mondes, des milieux et des cultures différents, et à réfléchir aussi à des questions plus ou moins importantes, voire graves ou fondamentales. Des milliers de jeunes et d’adolescents les fréquentent chaque année, notamment à l’occasion de visites guidées organisées pour leur classe et animées parfois par d’anciens combattants qui témoignent de leur engagement. En 2018, la très grande majorité des visiteurs des musées de l’armée de terre était des civils : cent quatre-vingt-onze mille sur deux cent vingt-huit mille, dont dix mille scolaires et dix-sept mille jeunes participant à la journée défense et citoyenneté (jdc). Preuve supplémentaire de l’intérêt du grand public pour ces musées, le ministère de la Culture a délivré l’appellation Musée de France à trois d’entre eux : Troupes de marine ainsi qu’Artillerie en 2006, et Légion étrangère en 2011. Pour les années à venir, la delpat prépare la présentation à cette appellation de cinq autres établissements et de l’ensemble de la collection de l’armée de terre.

Pour autant, ces musées sont également destinés aux militaires, en particulier aux jeunes engagés et aux jeunes cadres, officiers et sous-officiers, qui viennent y trouver l’identité de leur arme d’appartenance. C’est une composante fondamentale de ce que l’on a longtemps appelé l’esprit de corps et que l’on qualifie aujourd’hui de culture d’arme. Le musée est donc d’abord un outil de formation. Sa visite permet aux jeunes militaires de découvrir les grandes lignes de cette réalité. Tous y ont été sensibilisés au préalable par la visite de la salle d’honneur du régiment dans lequel ils se sont engagés, où ils ont découvert l’histoire, parfois l’épopée de celui-ci. Le musée, lui, présente une histoire dans la longue durée et un éclairage sur l’ensemble des spécialités d’une arme ou d’une subdivision d’arme replacé dans le contexte large de l’histoire de la France et du monde, en paix et en guerre. Commentées dans ce but sans être instrumentalisées, les collections du musée d’histoire grand public deviennent alors les collections d’un musée militaire à usage interne, conçu par des militaires pour des militaires. Au musée des Troupes de marine de Fréjus, par exemple, l’évocation de la guerre de 1870 n’est pas la présentation d’une énième guerre franco-allemande, comme dans les autres musées dédiés à ce conflit en France ; elle permet de présenter la cohésion d’une troupe professionnelle, son aguerrissement lors des campagnes coloniales, son fier esprit de corps, sa forte cohésion, autant de faits qui expliquent qu’en situation opérationnelle, lors de la bataille de Sedan, à Bazeilles les 31 août et 1er septembre 1870, les troupes de marine regroupées au sein de la « division bleue » ont fait preuve d’une très forte valeur combative et d’un esprit de sacrifice exemplaire – pesant à peine 15 % des effectifs de l’armée impériale à Sedan (dix mille hommes sur soixante-dix mille), elles infligent aux armées allemandes 50 % de leurs pertes3 –, au point d’entrer dans la légende, avec le concours du fameux tableau d’Alphonse de Neuville, Les Dernières Cartouches, qui allait partager sa célébrité avec ce fait d’arme. Dans la même perspective, on pourrait citer Austerlitz (1805), Dantzig (1807), Wagram (1809), Sidi-Brahim (1845), Camerone (1863), Verdun et la Voie sacrée (1916) et tant d’autres faits d’armes ou batailles, matrices des traditions militaires de l’armée de terre4.

En allant au-delà de cette présentation d’un musée de l’armée de terre comme une structure didactique et pédagogique, on peut affirmer qu’il est également un mémorial. Cette fonction se trouve matérialisée par un espace spécifique, souvent nommé crypte par assimilation évidente à la sphère religieuse, sacrale. L’histoire ne se conjugue plus alors avec le verbe savoir mais avec le verbe croire. Nombre d’historiques régimentaires ont commencé à être rédigés entre 1839 et 1900 par le dépôt de la Guerre, qui publia un volume de référence5. Ce travail s’est poursuivi dans les unités, en particulier pour la Grande Guerre, et se poursuit de nos jours.

Christian Benoit commente : « Destiné avant tout à répondre à un besoin interne, l’historique se doit d’être établi de façon fixe et connue. Évocation du passé pour le présent, parlant des “hommes dans le temps”6, les historiques contribuent à forger des hommes confiants dans la solidité de camarades communiant comme eux dans les mêmes convictions profondément ancrées. Conçus pour l’édification des soldats, ils ne sont jamais critiques. Ils tendent à la glorification des anciens donnés en exemple. Ils s’adressent à des soldats qui du jour au lendemain deviennent des hommes de guerre. […] Le soldat n’est pas un historien, il a besoin de certitudes qui lui servent de religion, il faut lui donner à lire une Légende dorée7 faite de héros accomplissant des exploits hors du commun. […] Même s’il est rédigé en respectant la méthode de travail propre à l’historien définie par Tzvetan Todorov8, l’historique d’évidence ressort plus de la mémoire que de l’histoire9. […] L’historique régimentaire suivant ce schéma décrit des situations choisies dans lesquelles un héros se sacrifie. Le choix de défaites rituellement commémorées ou de batailles inscrites sur les emblèmes et qui correspondent toutes à de très lourdes pertes subies n’a d’autre but que de proposer un idéal de dépassement de soi, de sacrifice par-delà la peur de la mort, et de comportement conforme au modèle imposé, […] comportement qui après s’être imposé (à certains soldats) est ensuite donné en modèle à d’autres qui le suivent à leur tour. […] En ce sens, l’historique régimentaire reste pertinent pour les armées10. » Il en découle évidemment que le soldat vivifie tout autant ses forces morales par la lecture des historiques régimentaires que par la visite des collections muséales militaires et l’appropriation qui en résulte, comme nous l’avons déjà souligné.

Cette notion de credo est importante dans la constitution de l’esprit de corps11. Dans la crypte sont conservées les pièces les plus prestigieuses : les emblèmes des unités dissoutes, drapeaux et étendards, qui sont pour les militaires bien plus que de simples carrés de soie brodée12, mais bien la matérialisation des valeurs ou d’un idéal pour lesquels ils ont choisi un métier à risque – ils ne sont pas les seuls, bien entendu – qui conduit encore quelques-uns d’entre eux à « faire le sacrifice de leur vie », selon l’expression consacrée.

La crypte du musée est donc le lieu de l’hommage aux soldats « morts pour la France ». Cette fonction est parfois matérialisée par la présence d’un objet particulier : urne contenant des reliques prélevées dans l’ossuaire de Bazeilles à Fréjus ; souvenir de Diên Biên Phu (1954) ou de l’immeuble Drakkar (1983) à Pau ; main du capitaine d’Anjou à Aubagne… Comme toute relique, ces objets apportent une forte valeur ajoutée à l’émotion ressentie en leur présence. La crypte est donc le lieu de la méditation, de la commémoration et du souvenir. Chefs militaires en activité, anciens combattants ou jeunes engagés y organisent des cérémonies militaires, sobres et réduites à l’essentiel : dépôt de gerbes, sonnerie aux morts et minute de silence.

Il s’agit là du cœur de la spécificité des musées du ministère des Armées. Ils participent à la conservation et à la transmission des traditions qui sont pleinement intégrées à l’esprit guerrier et tournées avant tout vers l’efficacité opérationnelle. Cette dimension singulière, qui en fait les dépositaires d’un patrimoine immatériel, leur confère évidemment un statut particulier, un supplément d’âme. Contribuant à la formation militaire générale, source d’exemplarité, lieu propice au recueillement, à la méditation, à l’inspiration, le musée permet la réflexion sur le sens de l’engagement… En outre, le musée est un lieu de transmission de valeurs, notamment entre générations. Les anciens combattants y ont déposé leurs souvenirs dans les vitrines13. Ils reviennent ensuite au musée pour témoigner, partager une expérience et revivre des souvenirs dans la commémoration, le recueillement, la transmission de valeurs, le témoignage. Victorieux, les soldats exposent dans la salle d’honneur du régiment ou dans leur musée d’arme les trophées récupérés sur l’adversaire, vieille tradition qui se perpétue encore aujourd’hui14. Par ce geste, ils ont également confié au musée le souvenir du sacrifice de leurs camarades de combat15, leurs convictions, leur engagement au sens propre comme au sens figuré, leur idéal de fraternité d’armes et de liberté, ce qui pourrait se résumer en parlant de patriotisme, mais aussi de valeurs républicaines et démocratiques.

Au travers de l’exemple des grands anciens, dont on cultive en quelque sorte le culte par la présentation des souvenirs leur ayant appartenu, le musée transmet aux jeunes militaires une part essentielle de cette culture d’arme définie plus haut. Aux jeunes cadres et soldats ensuite d’en approfondir la connaissance dans l’exercice quotidien de leur métier : l’activité opérationnelle, la projection sur le territoire national, outre-mer ou à l’étranger et les difficultés des situations extrêmes leur permettront de faire le lien. Ils puiseront alors dans les exemples découverts au musée comme dans la salle d’honneur de leur régiment les forces morales nécessaires pour remplir à bien leur mission, premier devoir du soldat.

En évoquant cette spécificité d’un musée du ministère des Armées, est-on si loin du musée d’histoire grand public ou du pôle d’activités culturelles évoqués auparavant ? En fait, non. Cette dimension purement militaire n’est pas exclusive des autres. Cette interprétation des collections, cette lecture à l’attention des personnels militaires, n’est pas exclusive du récit historique grand public. Et le public civil peut évidemment s’intéresser aux différentes cultures d’arme exposées dans les musées. Comme pour le patrimoine matériel, on peut « conserver » des valeurs, les entretenir, les réhabiliter, voire les restaurer. Et cela n’a de sens que si elles sont utiles et médiatisées pour être transmises à d’autres et finalement adoptées comme peuvent l’être des collections d’objets. Le public des musées de l’armée de terre est donc invité à s’approprier le patrimoine matériel mais aussi le patrimoine immatériel des musées.

Cela est évidemment bien loin d’un processus d’endoctrinement qui ne serait que nocif et même contre-productif. Et il convient de rester modeste dans l’évaluation des retombées d’une visite des collections ou d’une pratique culturelle sur le site d’un musée. À côté de la formation qui est dispensée pour les jeunes militaires, il s’agit plutôt, en ce qui concerne le grand public, d’une sensibilisation aux questions de défense, de la découverte des métiers militaires, voire, pour un public scolaire, de l’illustration concrète de leçons d’histoire – les guerres mondiales ou la décolonisation – ou de notions abstraites ou compliquées à appréhender – la trigonométrie et les trajectoires au musée de l’Artillerie, l’instruction civique ou l’éducation à la citoyenneté dans la crypte du musée. En fait, la visite d’un salon de peinture ou de photographie, une recherche dans la documentation conservée dans le centre de recherche du musée16, la découverte de collections d’armes présentées dans les vitrines sont autant d’occasions pour des publics différents de découvrir l’univers des armées et son histoire.

Par la richesse de la collection de l’armée de terre, l’engagement et la compétence de leur personnel, le dynamisme et le rayonnement des activités culturelles qui sont proposées au public, les musées contribuent, dans le domaine général de l’histoire de France comme dans les domaines particuliers de l’histoire militaire et coloniale de la France, à l’entretien de la mémoire des générations qui nous ont précédés, notamment des anciens combattants, dont nous sommes dépositaires des valeurs, et au devoir d’histoire nécessaire pour l’éducation, la formation et l’intégration des jeunes générations.

DE LA GESTE AUX GESTES.
L’ANIMATION D’UN RÉSEAU « CULTURE D’ARME »

Consciente de sa présence déterminante sur tous les champs de bataille depuis 1324, l’artillerie française s’appuie sur un socle historique solide, mais parfois confus dans les esprits. Aussi, le souci des officiers et des sous-officiers impliqués dans l’aspect technique de sa culture d’arme n’est pas de créer une histoire, mais de savoir rendre celle-ci lisible : la geste existe, le réseau culture d’arme a pour mission de la traduire en gestes concrets et utiles pour la capacité opérationnelle de chaque échelon. Cette traduction est à la fois un ensemble d’actes techniques et une synergie de bonnes volontés dont la tutelle est confiée à chaque père d’arme, le plus souvent le général commandant l’école correspondante, qui peut s’appuyer sur son officier culture d’arme, conseiller technique et animateur du réseau des otct. L’animation d’un tel réseau repose à la fois sur une connaissance d’un corpus de textes variés, qui encadrent des principes comme celui du patrimoine et de la symbolique, mais aussi sur un suivi permanent des traditions et des usages en vigueur ou en cours de création dans les corps de troupe. Des liens de confiance sont donc nécessaires entre cet officier culture d’arme et les otct, renforcés depuis la formalisation récente du stage de formation de ces derniers. Mais la cohésion d’un réseau de ce type repose aussi sur la réalisation d’œuvres communes, à l’initiative d’un des acteurs ou de plusieurs. C’est ainsi que l’artillerie se fédère avec succès depuis près de vingt ans, soit dans la cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides lors des cérémonies de sainte Barbe réalisées en collaboration avec le musée de l’Armée, soit sur la place d’armes du quartier Bonaparte à Draguignan pour l’évocation du combat de tradition de l’arme : la victoire de Wagram en 1809. À ces deux occasions, la complémentarité de l’école et des corps de troupe, régiments ou groupes, se concrétise avec autant de réussites en autant de prestations.

Philippe Guyot

En fin de compte, par l’étendue des publics diversifiés qu’ils accueillent, les musées de l’armée de terre sont sans doute des établissements particulièrement difficiles à aménager. En effet, l’agencement des collections et le discours qu’ils proposent pour donner à comprendre celles-ci doivent être reçus par chaque visiteur : la présentation des collections et les activités proposées doivent répondre à des exigences différentes et complémentaires, et non pas contradictoires. Dans la définition et la mise en œuvre d’une nouvelle « ambition » pour les musées de l’armée de terre, il conviendra de bien veiller à maintenir intact ce subtil équilibre qui les caractérise aujourd’hui et qui en fait l’intérêt : musées d’histoire formant des militaires et musées des armées largement ouverts à la société civile.

1morial du Rhône et cimetière américain de Draguignan, Mémorial des guerres en Indochine et nécropole de la
Lègue à Fréjus, nécropole nationale de Boulouris à Saint-Raphaël.

2 Le musée est défini par le Conseil international des musées comme « une institution permanente, sans but lucratif,
au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l’homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d’étude, d’éducation et de délectation » (statuts de l’icom, art. 2 § 1).

3 Opposées à la division bleue, les trois divisions d’infanterie bavaroises perdent 4 407 hommes, alors que les pertes totales de l’armée prusso-allemande sont de 9 860 hommes…

4 Voir A. Thiéblemont, « Comment comprendre la commémoration de combats sacrificiels ? », Inflexions n° 35, « Le soldat et la mort », 2017, pp. 144-156.

5 Historiques des corps de troupe de l’armée française (1569-1900), Paris, Berger-Levrault & Cie, 1900.

6 M. Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, « Cahier des Annales » no 3, 1949, rééd. 1993.

7 Vie des saints écrite en latin au xiiie siècle par le bienheureux Jacques de Voragine.

8 « Le travail de l’historien, comme tout travail sur le passé, ne consiste jamais seulement à établir des faits, mais aussi
à choisir certains d’entre eux comme étant plus saillants et plus significatifs que d’autres, à les mettre ensuite en relation entre eux » (T. Todorov, Les Abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1995).

9 Dans l’avertissement préliminaire d’un historique, l’auteur note : « Un historique n’a rien de commun avec un travail d’histoire. L’histoire véritablement sérieuse, fondée sur l’examen des sources et des documents, suppose en plus une critique impartiale des faits et des idées. Devant un historique comme celui-ci, il va sans dire qu’une pareille méthode était délicate et présentement inapplicable » (P. Paul, Le 114e au feu. Historique de la guerre 1914-1918).

10 Ch. Benoit, « Surmonter l’absence ou de la filiation des unités des troupes de marine », in J.-O. Boudon et A. Champeaux (dir.), Les Troupes de la marine et les colonies sous le Premier Empire, musée des Troupes de marine/chetom/Lavauzelle, 2005.

11 G. Aubagnac, « Fêtes et défaites sublimées dans l’armée française », in Ch. Benoit, G. Boëtsch, A. Champeaux et É. Deroo (dir), Le Sacrifice du soldat. Corps martyrisé, corps mythifié, Paris, Édition du cnrs/ecpad, 2009.

12 A. Champeaux, « Les emblèmes militaires : textiles sacrés, textiles profanes ? », Réflexions sur la présentation de collections de textiles, de costumes et d’uniformes, agccpf-paca/exos/Fage Éditions, 2006.

13 Le terme « ancien combattant » est souvent perçu de manière assez restrictive dans l’imaginaire collectif. Aujourd’hui, les anciens combattants sont majoritairement les soldats du contingent de la guerre d’Algérie : en 2016, 1 320 retraites du combattant sont versées au titre des combats avant 1939, 78 852 pour la Seconde Guerre mondiale et l’Indochine, 879 413 pour l’afn. Mais il ne faut pas oublier que plus de 153 000 militaires français sont titulaires de la carte d’ancien combattant au titre des opérations extérieures conduites depuis les années 1960 (loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, art. 109 ; arrêté n° 80066/def/daj/d2p/du 10 décembre 2010 fixant la liste des actions de feu ou de combat définies à l’article R.224 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ; loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, art. 87).

14 Ayant chassé l’adversaire de ses positions puis récupéré ses marques symboliques, plusieurs régiments exposent dans leur salle d’honneur des drapeaux de l’État islamique…

15 A. Champeaux, « Du champ de bataille au musée », Le Sacrifice du soldat. Corps martyrisé, corps mythifié, op. cit.

16 « La mission préconise de fédérer en réseau nos musées d’histoire, moins connus et moins fréquentés que les musées d’art, et de leur adosser chaque fois qu’il est possible un organisme de recherche, conformément à la loi d’orientation sur la recherche de 2006 », Rassembler la nation autour d’une mémoire partagée, Rapport de la mission parlementaire d’information sur les questions mémorielles, Assemblée nationale/Éditions du cnrs, 2009, p. 160.

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