L’idée de regrouper l’ensemble des états-majors, directions et services centraux du ministère des Armées est ancienne. Elle avait déjà été évoquée il y a plus de cinquante ans, à l’époque du général de Gaulle. Mais trouver un lieu adéquat tout en créant une forme innovante de fonctionnement d’entités de haut niveau, aux missions et aux prérogatives variées, était une gageure. En 2007, la perspective d’une restructuration en profondeur de l’administration centrale du ministère a fait ressurgir ce concept d’une concentration géographique.
Le choix du lieu s’est porté sur Balard, dont l’État possède le terrain. Le challenge est immense et les chiffres donnent le tournis. Pour proposer un lieu de vie et de travail à plus de dix mille personnes, militaires et civils, il faut bâtir près de cent quarante mille mètres carrés de nouveaux locaux et en rénover presque autant. Sur la parcelle ouest, l’enveloppe du bâtiment souligne les caractères saillants de cette modernité. La longue façade blanche, où se mêlent verre sérigraphié et céramique, évoque une falaise découpée par une faille monumentale. Au cœur, deux hexagones abritent le pôle opérationnel et les hautes autorités. Émergeant de la toiture couverte de panneaux solaires, trois hautes cheminées symbolisent les trois armées : terre, air, Marine. Sur la parcelle est, le choix de construction est fondé sur la valorisation du patrimoine architectural à travers la réhabilitation et l’extension de bâtiments existants. Le lien historique avec la Cité de l’air et avec l’ingénierie de l’armement est assuré.
Très vite, les armées et les services se sont approprié le site, validant d’emblée ses fonctionnalités. Cependant, le caractère générique des outils mis à disposition et la recherche initiale de communalité ont induit une forte normalisation de l’ensemble. La couleur unie et homogène des murs intérieurs et la standardisation du mobilier renvoient l’image d’un site uniforme. Un besoin identitaire a été exprimé, en particulier au sein du personnel des armées1.
L’armée de l’air était chez elle à Balard. Le boulevard Victor, qui rend hommage au maréchal Claude-Victor Perrin, donne son nom à la parcelle est. Les immeubles rénovés y conservent dans leurs murs les emblèmes des ailes, alors que de nombreuses plaques ou stèles rappellent les hauts faits des héros de l’aviation française. À l’ouest, la parcelle est très naturellement baptisée Valin, du nom du boulevard qui la borde. Le général Martial Valin, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air et ancien compagnon de la Libération, est une figure emblématique des aviateurs. Par ailleurs, l’édification de l’hexagone de Balard, avec la création d’une nouvelle rue, est l’occasion d’honorer un autre compagnon de la Libération en la personne du général Alain de Boissieu.
La Marine a fait le choix de « customiser » ses espaces en y apportant une partie du mobilier utilisé autrefois à son état-major de la rue Royale. L’effet est immédiat. Les couloirs, aux couleurs des coursives d’un bâtiment de la Marine, se ressemblent tous, mais l’habitude a très vite été prise de travailler porte ouverte. Aussi l’atmosphère est transformée simplement par la personnalisation des bureaux et le charme de l’ancien dans un environnement moderne. Des aménagements réalisés grâce aux prêts du Mobilier national que l’on retrouve dans les bureaux des très hautes autorités, telles que les chefs d’état-major d’armées, les majors généraux ou les directeurs.
L’armée de terre, quant à elle, a « marqué son territoire » en donnant des noms de baptême aux salles de réunion, aux zones de convivialité et même aux multiples couloirs qui, devenant autant de rues, offrent un nouveau mode d’orientation dans le dédale du bâtiment. Les noms sont choisis avec soin, savant mélange de tradition d’armes et de modernité des engagements récents. Une rue « Commandant-Damien-Boiteux », par exemple, rend hommage au premier mort au combat au Mali. Certains lieux sont baptisés en référence au bâtiment historique du ministère : comme à l’« îlot Saint-Germain », l’une des salles de réunion de l’état-major s’appelle la salle (général) Cann. La culture de l’armée de terre offre l’opportunité de mettre en valeur des acteurs de tous grades et d’honorer hommes et femmes qui ont servi dans ses rangs. Pour elle, il est important de rappeler le régiment, le niveau de commandement essentiel à son fonctionnement. L’impression de rentrer dans un monde singularisé est tangible.
Il existe également une forte aspiration à la création d’espaces de convivialité plus vastes à proximité des espaces de travail. L’agencement des lieux, tel qu’il a été décrit à l’origine dans l’expression de besoin, privilégie des zones dédiées au sein des pôles de restauration. Il est en effet difficile, pour des questions de sécurité et de nettoyage, d’envisager une multiplication de larges lieux personnalisés de regroupement. Dans le même ordre d’idées, sont souhaités des espaces de travail en collaboration. Une réflexion sur l’aménagement du site pourrait être entreprise afin de répondre à ces attentes.
Les extérieurs ouest et est, organisés comme des campus, ont également reçu leurs touches de personnalisation. La démarche la plus emblématique est celle de la mise en place des chars, un par parcelle. Dans la parcelle ouest, un char Renault ft 17 marque la tradition, en particulier l’engagement historique des blindés, qui ont contribué il y a cent ans à la victoire française de 1918. Dans la parcelle est, un char Leclerc apporte un signal fort d’outil opérationnel moderne. Les industriels (kmx et nexter) ne s’y sont pas trompés en insistant pour participer à cette installation. Un avion de combat Rafale viendra d’ici peu compléter ce tableau, créant un espace de présentation de certains des plus beaux fleurons des armées françaises. Pour la Marine, les projets concernent l’installation de l’hélice du porte-hélicoptères Jeanne d’Arc et d’une rosace d’empennage.
1 Toute modification des locaux, même relative à la décoration, qu’il s’agisse de poser un tableau ou d’aménager une pièce, doit s’inscrire dans les modalités du partenariat, qui exige que l’entretien des lieux reste sous le contrôle des prestataires auxquels il est confié. Cela a pu paraître pesant lors de la mise à disposition des lieux en 2015, mais aujourd’hui les demandes sont clairsemées et rapidement satisfaites.