Parler des enfants de troupe dans un numéro d’Inflexions consacré aux enfants et la guerre a quelque chose d’a priori saugrenu, mais puisque certains pourraient, par ignorance, être tentés de faire un amalgame entre enfant de troupe et enfant-soldat, autant y consacrer quelques lignes. Pour avoir été des premiers pendant neuf ans et avoir approché les seconds à l’occasion d’au moins trois opérations extérieures (Tchad, Cambodge et Côte d’Ivoire), je suis convaincu qu’il n’y a vraiment aucun parallèle possible entre l’une et l’autre de ces conditions humaines. La première pourrait se résumer d’un mot, construction, la seconde de son pendant, destruction. Je ne reviendrai pas sur les aspects moraux et légaux de la condition peu enviable de ces enfants-soldats arrachés à leurs rêves de jeunesse et trop tôt plongés dans un monde d’une violence à faire frémir ; d’autres articles y pourvoiront. Je me concentrerai donc sur ce qui permettra de mesurer à quel point toute tentative de comparaison est stupide en témoignant de ce que je connais le mieux, c’est-à-dire ce que j’ai vécu.
- Pourquoi et comment devient-on enfant de troupe ?
À vrai dire, rien ne me destinait à intégrer une école militaire préparatoire. Initialement créées pour mettre un terme à l’enrôlement des enfants de sous-officiers, en 1875 pour l’école de Rambouillet puis en 1884 pour les cinq suivantes, ces écoles ont eu d’emblée un seul objectif : fournir une éducation stable et digne à des gosses ballottés à la suite des forces depuis des siècles avec plus ou moins de bonheur et sans doute plus de malheur. Naturellement, comme dans beaucoup d’internat, on n’y faisait pas dans la dentelle, au point que très vite la perspective d’y être envoyé relevait plus de la menace que de la perspective éducative : « Si tu continues comme ça, je vais te coller aux enfants de troupe ! » Mon père étant maçon et moi n’étant pas spécialement récalcitrant aux quelques principes d’éducation que nous inculquaient ma mère et l’instituteur du village, je n’avais donc aucune raison de me faire du souci, d’autant qu’on ne m’avait jamais menacé de cette angoissante perspective.
En fait, c’est la nécessité qui, une fois de plus, a fait loi. Une vie quotidienne difficile, une mère qui se démenait tant bien que mal pour trouver des solutions d’avenir pour ses cinq enfants, le souvenir d’un de ses cousins ayant fait Saint-Cyr dans les années 1940, un instituteur plutôt allant et me voilà inscrit au concours d’entrée en sixième. Franchement, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait, mais comment ne pas faire confiance à sa mère et à son instituteur ? Pour la petite histoire, j’ai passé le concours d’entrée à la caserne du Chaffault à Fontenay-le-Comte, dans un organisme de formation professionnelle pour ressortissants des DOM-TOM, héritier du patrimoine de traditions du 137e régiment d’infanterie, celui de la tranchée de baïonnettes. J’y pense à chaque fois que je vais à Verdun. Pour un gamin de dix ans, cet épisode glorieux de notre roman national avait déjà de quoi impressionner...
Pour concourir, il suffisait que le père soit Français et ait satisfait à ses obligations militaires. Restait à attendre des résultats que j’accueillis avec bonheur autant pour avoir surmonté l’épreuve et fait plaisir à mon instituteur que pour la perspective de changer d’horizon à la rentrée suivante. Évidemment, les clichés ayant la vie dure, je ne fus pas exempt de remarques plus ou moins inquiétantes : « Mon pauvre, tu ne sais pas ce qui t’attend ! » Ni ma mère de remarques désagréables : « C’est-y pas malheureux de se débarrasser d’un gosse comme ça ! »
En fait, des gamins comme moi, à l’École militaire préparatoire d’Autun, il y en avait bien plus qu’on ne le pense aujourd’hui. Nous nous répartissions sensiblement par moitié entre fils de civils et fils de militaires. Beaucoup étaient orphelins d’un père tué en Indochine ou en Algérie, et certains d’entre eux, qui arrivaient tout droit de l’École militaire enfantine Hériot, avaient déjà une solide expérience de ce genre d’internat. Quelques fils de gendarmes, très peu de fils d’officiers que l’on envoyait plutôt au Prytanée national militaire de La Flèche, mais de cela je n’avais alors aucune notion.
De cette répartition approximative je retiens une certitude : si les règles qui prévalent aujourd’hui et qui font la part belle, au titre de la condition militaire, aux enfants de militaires avaient existé à cette époque, je n’aurais eu quasiment aucune chance d’intégrer l’une de ces écoles devenues collèges en 1974, puis lycées en 1982.
- Comment vit-on enfant de troupe ?
Évidemment la rupture a été un peu brutale, mais je le dis d’emblée : je n’ai jamais été malheureux pendant les sept ans passés à Autun, de 1961 à 1968. Nous étions répartis en section d’une trentaine en fonction des options que nous avions choisies ou qui avaient été choisies par je ne sais trop qui. J’ai donc appris sans grand succès l’allemand en première langue, fait du latin pendant quatre ans avec un enthousiasme mesuré, et essayé de comprendre quelque chose au solfège pendant le même laps de temps. Vous me direz que tout cela n’a pas grand intérêt. Si, au moins celui de montrer que nous vivions notre scolarité comme les autres collégiens de notre âge, avec des professeurs que je porte encore aujourd’hui au pinacle et d’autres que je voue toujours aux gémonies en utilisant le même vocabulaire, à quelques nuances près, que celui qu’employaient mes enfants en rentrant de l’école. Une petite différence tout de même : à la fin de chaque trimestre, le proviseur faisait le tour des classes, la mine grave, pour distribuer les félicitations, les encouragements, mais aussi les avertissements voire les blâmes. Si les premiers s’accompagnaient d’une gratification d’un à deux jours de vacances, les derniers entraînaient une retenue de durée strictement symétrique. Comme tout cela pouvait s’ajouter aux sanctions infligées par ailleurs, on ne rigolait pas trop !
En effet, la vie extrascolaire répondait à des règles plus strictement militaires. Un emploi du temps rigoureusement minuté, et des règles de vie en collectivité qui s’accommodaient mal du manque de respect et de ce que nous appellerions aujourd’hui des incivilités, sanctionnées sans faiblesse par des retenues puis des jours de privation de vacances. Quatre jours au maximum par trimestre. Lorsque le départ normal tombait le 21 ou le 22 décembre, vous arriviez inévitablement après le réveillon... Pas terrible !
Respect de l’autre d’abord. Difficile d’imaginer que l’on puisse vivre les uns sur les autres pendant des années sans un minimum de règles de comportement et bien sûr d’hygiène. Les corvées, progressivement devenues travaux d’intérêt général (les fameux tig), compensaient alors la seule douche collective prise une fois par semaine. À trois ou quatre séances de sport par semaine, nous n’étions pas toujours très nets, mais les locaux dans lesquels nous vivions étaient toujours impeccables et notre linge lavé régulièrement. Bien évidemment, cohabiter à trente voire plus dans une même chambre (jusqu’à quatre-vingts sous les combles dans le célèbre sous-marin) ne se faisait pas toujours dans une ambiance de parfaite camaraderie, mais globalement on s’en sortait plutôt pas mal entre les sorties de plein air, les activités sportives, les sorties en ville du week-end à partir de la seconde et les âneries en tous genres.
Ce qui m’a le plus surpris par la suite, c’est l’éclosion dans ces établissements d’activités de bahutage au nom de je ne sais quelle tradition. Mais quelle tradition ? Je n’ai jamais été bahuté par qui que ce soit. Certes, il y avait des chahuts dont les classes de niveau inférieur faisaient le plus souvent les frais, mais nous étions à des années-lumières de ces pratiques initiatiques désormais strictement interdites dans tous les établissements scolaires quels qu’ils soient et que je fustigerai plus tard sans aucune faiblesse. À Autun, la seule tradition qui prévalait, c’était que les plus grands s’occupent des plus petits et je forme le vœu qu’elle perdure.
Respect de ses cadres ensuite. Là encore, il faut sortir du cliché de l’adjudant « Kronenbourg » distribuant des baffes à tout-va à des gamins qui n’avaient pas d’autre alternative que d’encaisser sans rien dire, sauf à prendre le risque de quelques taloches supplémentaires. Soyons honnêtes, j’ai connu cela de la part d’un officier que nous méprisions tous profondément sans pour autant broncher. Mais pour la grande majorité, nous avions affaire à de braves sous-officiers. Nous avions une petite préférence pour les anciens de la Seconde Guerre mondiale et d’Indochine. Certes, ils nous racontaient un peu leurs campagnes, mais la plupart d’entre eux, couverts de médailles, n’avaient plus grand-chose à prouver ou à gagner à nous encadrer. Ce que nous savions, c’est que l’âge aidant, ils étaient très souvent pères de famille et donc mieux à même de nous comprendre, voire de nous pardonner nos petites excentricités après une bonne remise dans l’axe. Ceux que nous redoutions le plus, c’étaient les jeunes sergents qui avaient été « mis au vert » à l’école pour préparer les écoles d’officiers. Pas d’expérience, une autorité formelle souvent abrupte. J’en ai croisé par la suite pour qui je n’avais guère d’estime, sauf un que je revois toujours avec une réelle amitié.
Ces chefs de section étaient flanqués d’un appelé du contingent dont l’essentiel du travail était de nous surveiller en étude et de veiller sur la chambrée la nuit. Ces appelés étaient pour la plupart enseignants ou en cours d’études et habitaient dans le coin. Comme toujours, il y en avait de remarquables, de ceux dont nous nous souvenons encore, comme ce libraire, de Besançon je crois. Officiellement, ils avaient tous le titre d’éducateur, mais bien peu l’étaient vraiment. Lui était mieux que ça : un grand frère unanimement respecté ! Chez beaucoup, le sentiment d’avoir bénéficié d’une affectation privilégiée leur épargnant les garnisons de l’Est ou d’Allemagne les incitait à une certaine pusillanimité. Et comme leur « pas d’embrouilles avec les élèves » s’accommodait parfaitement avec notre « pas d’embrouilles avec les pions », au bout du compte la cohabitation se passait plutôt bien. Après leur service militaire, certains sont restés professeurs à l’école pour ne la quitter que le moment de la retraite venu. Autant dire que si cela avait été l’enfer décrit complaisamment par certains, ils seraient rapidement partis vers d’autres horizons. Il est vrai que les classes étaient généralement calmes et qu’on y travaillait plutôt avec ardeur, faute, finalement, de n’avoir pas grand-chose d’autre à faire...
Respect des professeurs bien sûr. Puisqu’ils nous jugeaient à longueur de temps et maniaient les louanges parfois ou la réprobation bien souvent dans nos bulletins trimestriels avec un art consommé de la synthèse, nous ne nous privions pas d’en faire autant, comme je l’ai déjà souligné. Le spectre allait donc de brillants et passionnants à brouillons et rébarbatifs, pour rester correct. Mais ces jugements à l’emporte-pièce ne débouchaient jamais sur l’impertinence et l’indiscipline. Nous nous levions avec un bel ensemble à leur entrée, attendions qu’ils nous y aient autorisés pour nous rasseoir et écoutions la suite religieusement. Bref, l’ordre régnait en classe quels que soient les sujets abordés et les talents de ceux qui s’échinaient à nous instruire.
Respect des symboles attachés à son école enfin. J’ai toujours été surpris par l’attachement des élèves à leur ancienne « boîte », ce qui naturellement vaut aussi dans le civil. Mais aux bons ou moins bons moments passés intra-muros, venait s’ajouter une histoire glorieuse dont nous nous sentions un peu les héritiers. Tout commençait par le drapeau porté par les plus anciens de la corniche Mac-Mahon. Les médailles qui ornaient sa cravate nous racontaient ce que les murs du « nouveau » séminaire construit à partir de 1675 sur le terrain dit de la Corvée (cela ne s’invente pas...) ne disaient pas : la Légion d’honneur d’abord, qui synthétisait tous les mérites de générations d’enfants de troupe au service de leur pays ; la Croix de guerre de 1914-1918, qui en rappelait l’héroïsme poussé au sacrifice dans les tranchées ; la Croix de guerre de 1939-1945, qui nous renvoyait une image un peu plus trouble d’une époque dont les échos nous arrivaient encore, mais la médaille de la Résistance avec rosette ne laissait plus aucun doute dans nos esprits du fait que les enfants de troupe s’étaient battus comme des lions contre les Allemands. La Croix de guerre des théâtres d’opérations extérieurs nous rappelait qu’en cette année 1961 certains de nos anciens mouraient encore en Algérie quand d’autres, dont certains de nos cadres, se remettaient de leurs blessures d’Indochine ou d’AFN. Nous savions même dessiner ces médailles de mémoire et connaissions par cœur le texte des citations à l’ordre de l’armée. Alors, évidemment, certains trouveront là une preuve parmi tant d’autres de la militarisation de nos pauvres esprits de gamins de onze ans. Pourtant, nous n’avons vu dans les plis de notre drapeau, comme dans les bas-reliefs de notre monument aux morts, que le moyen de comprendre ce qu’avaient vécu nos anciens. Interroger son passé pour comprendre son présent et préparer son avenir reste décidément une constante !
- Qu’en reste-t-il un demi-siècle plus tard ?
Il en reste ce que nous en savons et malheureusement ce que les autres croient en savoir, c’est-à-dire des certitudes d’un côté et de vieux poncifs de l’autre. Parmi ces certitudes, celle qu’à ce moment-là de ma vie cette option a été une vraie planche de salut comme elle l’a été pour nombre de mes petits camarades. Avais-je la fibre militaire ? Sans doute pas et aujourd’hui encore, à chaque fois que je passe sur le pont de Millau, je me dis que j’aurais bien aimé construire un « truc » pareil. Alors n’ai-je finalement pas fait ce métier forcé contraint ? Bien sûr que non, car comme beaucoup de mes camarades, une fois le bac en poche ou plus tard dans la carrière, j’aurais pu choisir une autre voie... une fois remboursée ma dette à l’État qui avait subvenu à mon internat. J’ai d’ailleurs toujours été surpris par cette contrainte alors qu’il n’y en a pas de ce genre, à ma connaissance, pour les internes titulaires de bourses. Enfant, je n’ai jamais eu une âme de soldat. Il faut dire qu’à l’époque nous n’étions gavés ni de films ni de jeux vidéo et la lecture des magazines ou des livres n’offrait qu’une image assez floue de ce que pouvait être la vie sans doute trépidante de l’héroïque guerrier. Mais, avec la maturité, l’option s’est faite certitude : je serai soldat et servirai mon pays, ce pays qui m’a donné une chance à un moment où s’en offrait bien peu à moi.
Lors d’une de mes visites au lycée d’Aix-en-Provence, il y a quelques années, on a bien voulu me remettre mon dossier complet que je conserve précieusement et surtout bien à l’abri du regard de mes enfants pour éviter de m’entendre dire : « Nous, on n’a jamais eu “élève médiocre en allemand”. » Il est vrai que j’étais fâché avec la langue de Goethe. Mais au-delà de mes bulletins, j’y ai aussi trouvé les lettres que ma mère envoyait à mes chefs pour s’assurer que je me tenais comme il fallait ou s’étonner de résultats parfois bien en demi-teinte. Toute une jeunesse en quelques feuillets jaunis et la certitude, tardive sans doute, que l’on ne m’avait pas « collé » aux enfants de troupe pour solde de tout compte.
Bien évidemment, à chaque réforme des armées se pose la question du maintien de ces établissements d’un « autre âge » qui ne servent qu’à embrigader une jeunesse qui n’a pas besoin de l’être, et à militariser l’esprit de gamins et gamines (depuis la généralisation de la mixité) qui auraient bien d’autres opportunités dans le monde d’aujourd’hui. Viennent en premier les considérations budgétaires, comme si ces lycées coûtaient horriblement plus chers que les internats d’excellence mis en place il y a quelques années. Pour contrer le reproche de militarisation de la jeunesse, on en a fait, en jouant des modes de recrutement, des établissements indispensables au maintien de la stabilité scolaire d’enfants de militaires professionnels bousculés par leur rythme d’engagement opérationnel. C’est une option louable à laquelle j’ai pleinement souscrit, mais je reste convaincu que leur finalité première est d’offrir l’excellence à tous ceux, fils de militaires ou pas, qui le souhaitent, et peu importe qu’ils deviennent par la suite militaires ou pas. L’essentiel, c’est qu’au bout du compte on ait de jeunes Français bien instruits et bien éduqués par des enseignants et des encadrants de qualité travaillant main dans la main avec pour seul objectif la réussite de leurs élèves aux examens bien sûr, mais surtout dans la vie. Ces lycées le font très bien en s’adaptant à leur époque. Alors pourquoi changerait-on quelque chose qui fonctionne au moment où nous nous interrogeons si souvent sur les dysfonctionnements de tant d’autres ?
Une anecdote pour terminer et nous faire prendre la mesure du temps qui passe. Je suis retourné seul à Autun pour la première fois, après les vacances de Noël, le 2 janvier 1962. J’ai d’abord pris le bus dans mon village puis le train au départ de Niort vers 23 h 30. Personne ne s’étonnait à cette époque de voir un gamin en uniforme voyager seul de nuit. Je pense qu’aujourd’hui je serais intercepté par le premier contrôleur venu et ma pauvre mère convoquée par des services sociaux indignés par son comportement. En tout cas, elle m’avait bien expliqué qu’il fallait changer à Saint-Pierre-des-Corps et surtout pas à Tours (où le train ne passait d’ailleurs pas...). Mais sur les panneaux lumineux, il y avait marqué « Tours Saint-Pierre-des-Corps ». Surtout pas Tours ! Et me voilà parti pour la gare d’Austerlitz. Là non plus, alors que le jour n’était pas encore levé et que nous étions quasiment en état de siège compte tenu des événements en Algérie, personne ne s’est inquiété de voir un gamin se renseigner pour aller à Autun après avoir loupé sa correspondance ; je suis donc parti à pied gare de Lyon avec mon petit sac et mes onze ans. Direction un guichet qui m’arrivait au menton et un guichetier compatissant qui a bien voulu me faire un nouveau billet au vu de mon titre de permission. Au moment de payer, il m’a fallu constater avec effroi que mon sac avait disparu et avec lui mes maigres ressources. Direction le poste de police de la gare, puis la caserne Dupleix entre deux gendarmes. On allait m’y refaire mes papiers, me prendre un nouveau billet, prévenir l’école – pas ma mère faute de téléphone à la maison – et me mettre dans le train accompagné de deux gendarmes jusqu’à Avallon, je crois. En attendant, et pour tuer le temps, je suis allé visiter la tour Eiffel entre deux gendarmes immenses aux guêtres reluisantes, puis les Invalides. Il y avait alors sur le terre-plein deux chars allemands, le canon tourné vers le pont Alexandre-III, prises de guerre évacuées depuis, sans doute avant la signature du traité de l’Élysée deux ans plus tard. Qui aurait pu prédire qu’un demi-siècle plus tard ce petit bonhomme flanqué de deux gigantesques gendarmes franchirait pour la dernière fois ces mêmes grilles après avoir été chef d’état-major de l’armée de terre ? Personne et surtout pas moi...
Dans ma vie professionnelle, j’ai été servi par deux choses : l’éducation et l’instruction reçues dans les écoles militaires, puis les événements qui ont fait que je me sois trouvé au bon endroit au bon moment. La théorie des circonstances chère à de Gaulle... et une bonne dose d’ardeur au travail. Rien qui me fasse accepter un quelconque parallèle avec les enfants-soldats. J’en ai souvent rencontré, de ces petits rebelles tchadiens ou ivoiriens couverts de gris-gris que la simple détention d’une kalachnikov mettait dans un état second, de ces petits Khmers rouges en treillis vert olive et krama à damiers grenat arborant fièrement leur rpg 7. Dans leurs yeux, rien d’autre que le vide résultant d’un endoctrinement mortifère uniquement créé pour détruire. Quant à moi, j’ai reçu une éducation et une instruction dont je suis fier et je suis reconnaissant envers tous ceux qui m’ont aidé à me construire. Non, décidément, cela n’a rien à voir !