Aborder le thème de la résistance conduit tout naturellement en France à évoquer le temps de la Résistance, ce moment magique de notre histoire qui vit entre 1940 et 1945 une poignée de Françaises et de Français refuser la défaite, l’occupation de notre territoire et l’installation d’un gouvernement à la solde de l’occupant, pour poursuivre, aux côtés de nos Alliés, le combat jusqu’à la victoire finale et le rétablissement de la république sur notre sol. Une poignée, s’entend quelques dizaines de milliers de combattants de l’ombre et de la France libre qui, au milieu d’un peuple dans sa grande majorité résigné, et pour un certain nombre ouvertement engagé dans la collaboration, sauvèrent l’honneur et la démocratie. Cette résistance, à la fois dressée contre l’occupant et les autorités de fait tolérées par celui-ci, toutes les nations d’Europe qui connurent la défaite et l’occupation en furent le théâtre. Et l’Allemagne, puissance victorieuse et conquérante ? Sans doute n’eut-elle pas jusqu’au désastre final à connaître l’occupation étrangère, mais elle vit elle aussi naître dès les années 1930 une résistance intérieure, tout entière attachée à combattre le système totalitaire mis en place à partir de 1933 par le régime nazi.
On sait que dès l’accession d’Hitler à la chancellerie, les forces de gauche, les Églises, les organisations syndicales tentèrent de faire obstacle à la mise à mort de la République de Weimar. En vain : violemment combattues par le régime, elles ne furent jamais en situation, à de très rares exceptions près, de le mettre en péril. De fait, la seule résistance qui constitua pour le pouvoir hitlérien une menace réelle, jusqu’à assembler tous les éléments d’un coup d’État, fut militaire. Et l’attentat du 20 juillet 1944, souvent évoqué, fut en réalité le moment le plus fort, sinon l’aboutissement, d’une résistance longtemps mûrie au sein des forces armées. Cette résistance n’a cependant fait l’objet, en France comme en Allemagne, que de très rares publications. La « confession d’un officier antinazi », parue en Allemagne en 1976 et dont la traduction française a attendu trente-six ans, est l’occasion de revenir sur cette résistance allemande très particulière1.
Tuer Hitler : tel est le titre français, selon moi quelque peu accrocheur, de ces « mémoires » de Rudolph-Christoph von Gersdorff, traduits par Jean-Louis Thiériot ; le titre allemand Soldat im Untergang pourrait se traduire par « Un soldat dans le désastre ». Ainsi que le définit Jean-Louis Thiériot, Gersdorff, originaire d’une Silésie aujourd’hui polonaise, est le symbole d’une résistance « militaire, conservatrice chrétienne, majoritairement aristocratique, souvent monarchiste ». Son témoignage est rare, car la plupart des acteurs de cette résistance n’ont pas survécu à l’échec final de leur entreprise.
Comme le note encore l’auteur de la traduction dans la préface de l’ouvrage, Gersdorff peut choquer aujourd’hui par son esprit de caste : entré à dix-huit ans, en 1923, au 7e régiment de cavalerie, régiment de tradition dans lequel il fait, comme son père, ses premières armes, il écrit : « L’homogénéité de mon régiment et ses origines silésiennes contribuèrent largement à l’extraordinaire état d’esprit qui y régnait. [...] Presque tous les officiers appartenaient à l’aristocratie. Le 7e régiment de cavalerie comptait essentiellement des officiers issus de la noblesse silésienne. La plupart étaient parents : j’eus à mes côtés jusqu’à cinq cousins Strachwitz et deux cousins Lüttwitz. »
On ne doit cependant pas oublier le contexte, explique Jean-Louis Thiériot : « Gersdorff est né en 1905. La Prusse n’existe comme royaume que depuis tout juste deux siècles, depuis 1701. Pour édifier un État moderne, ses souverains successifs se sont appuyés sur une noblesse de soldats et d’administrateurs totalement dévoués à la couronne. La Prusse n’a pas connu la cour de Versailles. Et si est vraie la parole de Chateaubriand selon laquelle “l’aristocratie a trois âges successifs, l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités : sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier”, le royaume sur la Spree en est encore largement à l’âge des supériorités. Les officiers tombés sur les champs de bataille de la campagne de 1870-1871 où s’est forgé l’Empire allemand sont là pour en témoigner. Leur obituaire se lit comme un extrait de l’almanach de Gotha. L’impôt du sang n’est pas un vain mot. Aux yeux de Gersdorff, il légitime le rôle éminent de l’aristocratie. »
Et pour compléter le tableau, notre traducteur rappelle que la Silésie, la Prusse orientale, est « le pays de la Réforme et de l’impératif catégorique kantien ; le pays où l’on lit la Bible en famille à l’ombre tutélaire du presbytère protestant ». Concluant le chapitre où il évoque ses origines (« la lignée des comtes, barons et seigneurs von Gersdorff remonte vraisemblablement au xe siècle »), Gersdorff note que « l’abdication de l’empereur et roi me fit une impression plus forte que la perte de la guerre ou de ma deuxième patrie, la province de Poznan, au profit de la Pologne. [...] Convictions monarchistes et amour de la patrie allemande furent les facteurs déterminants de ma vie ».
Que la montée du nazisme n’ait pas suscité l’enthousiasme au sein de ce corps militaire ne saurait donc surprendre. En témoignent les propos tenus devant ses officiers par le colonel commandant le 7e de cavalerie au lendemain de la nomination d’Adolf Hitler à la chancellerie : « À mon avis, cet Hitler n’est pas un gentleman, mais un gredin. Et pour cela, son mouvement ira tôt ou tard à sa perte. » Et Gersdorff de commenter : « Sur le coup, je ne trouvai pas très pertinente la formule finale du colonel. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il m’apparut clairement que d’instinct il avait discerné l’essentiel. Quelle que soit l’immensité de son génie criminel, Hitler était et resterait un petit-bourgeois souffrant d’un complexe d’infériorité à l’égard des gentlemen qu’incarnaient les chefs du corps des officiers. »
Survint l’année suivante l’incident du serment qu’après la disparition du président Hindenburg le régiment fut invité à prêter, serment par lequel la Reichswehr s’engageait à « servir toujours mon peuple et ma patrie avec honneur et fidélité » et auquel fut inopinément substitué le serment de « servir le Führer du Reich et du peuple allemand, et d’obéir aveuglément à Adolf Hitler, commandant en chef de la Wehrmacht ». Gersdorff ajoute : « Cette façon de nous arracher un serment en fraude fut quelques années plus tard, pour les soldats décidés à entrer en résistance, la principale justification qui les poussa à se délier de leur parole d’honneur. »
Après la campagne de France (durant laquelle il constate « une fois de plus qu’outre le soldat allemand, il n’y avait pas meilleur soldat au monde que le poilu français »), peu avant l’ouverture du front à l’Est, Gersdorff est nommé auprès d’Henning von Tresckow, chef d’état-major du groupe d’armées centre. Cet officier sera l’âme du groupe de résistance qui préparera le coup d’État contre Hitler. Dans ses nouvelles fonctions, Gersdorff prend connaissance de deux ordonnances « criminelles », l’une relative à la réduction du rôle des cours martiales (les soldats de la Wehrmacht qui commettraient des crimes contre la population civile en Union soviétique ne devraient plus être jugés par une cour martiale), l’autre qui disposait que tous les commissaires politiques de l’Armée rouge faits prisonniers seraient exécutés sommairement.
Tresckow pressera le maréchal von Bock, commandant le groupe d’armées centre, de se rendre sur le champ à Berlin, avec les commandants des groupes d’armées nord et sud, pour exiger d’Hitler, « un pistolet sur la poitrine, le retrait immédiat des ordonnances scélérates ». Dérobade de von Bock, qui choisit d’envoyer Gersdorff à Berlin protester en son nom. Évidemment peine perdue. Sans doute von Bock ordonnera-t-il que dans son secteur la mise en œuvre des ordonnances soit tempérée. Cet épisode convaincra néanmoins Tresckow et ses proches que « le commandement militaire avait perdu sa dernière chance de conserver son indépendance vis-à-vis de l’idéologie folle d’Hitler. [...] L’attentisme du haut commandement militaire est une tache sur l’honneur de l’armée allemande : il la rend complice de la suite des événements. De plus, la capitulation des généraux fut pour Hitler un formidable succès de prestige. Il savait désormais qu’il pouvait tout se permettre à l’égard des plus hauts gradés de l’armée ».
« Dans les mois qui suivirent, note Gersdorff, différents événements militaires, politiques et personnels détermineront mon passage de l’opposition passive à la résolution assumée de me rendre coupable de haute trahison. Il me fallait surmonter les inhibitions qu’avaient nouées mon dressage à l’obéissance militaire, mes préjugés de caste, mes principes religieux et surtout mon serment à Hitler. » Il évoque longuement les erreurs stratégiques majeures du Führer dans la guerre à l’Est, commises contre l’avis du haut commandement militaire et qui entraîneront inutilement des pertes considérables en hommes et en matériel ; les massacres des juifs par les Einsatzgruppen ss ; les mauvais traitements que subissaient les prisonniers de guerre russes et plus généralement la population russe ; enfin, les informations qui commençaient à filtrer sur les déportations massives de juifs allemands vers les camps de concentration.
C’est à partir de l’été 1942 que le groupe Tresckow prit la décision d’éliminer Hitler par un attentat à la bombe. La première tentative eut lieu le 13 mars 1943, lors de la dernière visite du Führer au qg du groupe d’armées centre, mais la bombe placée dans l’avion de retour fit long feu. Huit jours plus tard, le 21 mars, Gersdorff lui-même se porta volontaire pour une opération suicide. Désigné pour accompagner Hitler lors d’une visite de matériel soviétique à Berlin, il devait déclencher deux mines Clam dissimulées dans chacune des manches de son manteau. La visite étant prévue pour une demi-heure, il disposait de deux détonateurs de dix minutes pour provoquer l’explosion. Or Hitler traversa l’exposition en moins de cinq minutes, et Gersdorff n’eut que le temps de désamorcer sa machine infernale.
Malgré ce nouvel échec, Tresckow tira de nouveaux plans et s’efforça de gagner à sa cause le maréchal von Kluge, qui avait remplacé von Bock à la tête du groupe d’armées centre et qu’il savait hostile au Führer. Bien que très hésitant, von Kluge accepta de prendre contact avec différents dirigeants de la Résistance (Beck, Goerdeler, d’autres chefs militaires). Gersdorff se rendit auprès du maréchal von Manstein, commandant le groupe d’armées sud, pour tenter de le convaincre de faire comprendre à Hitler que l’on courait à la catastrophe en Russie. Totalement de cet avis, Manstein refusa toutefois d’affronter le Führer : « Les maréchaux prussiens ne se mutinent pas ! » Gersdorff lui ayant objecté que faute pour les maréchaux de faire bloc contre Hitler, le salut de l’Allemagne exigerait la mort du dictateur, Manstein rétorqua qu’une telle entreprise conduirait inévitablement à une guerre civile au sein de l’armée, nombre de jeunes officiers restant fascinés par Hitler. Il campa sur ses positions, mais en resta là. « En vertu des lois de la guerre, le maréchal aurait pu me faire condamner à mort après une procédure expéditive et me faire aussitôt fusiller. Je dois la vie sauve à son silence, même après le 20 juillet 1944. »
Gersdorff conclut : « De mon point de vue, les commandants en chef des armées allemandes de la Première Guerre mondiale ne pouvaient rivaliser avec le génie stratégique d’un maréchal von Bock, von Manstein ou von Runstedt. En revanche, en termes de force de caractère, les premiers étaient infiniment supérieurs aux seconds. [...] Dans une telle situation, les officiers impériaux auraient réagi avec plus d’énergie et plus de résolution que les officiers de la Wehrmacht. Je crois que l’esprit de résistance, c’est-à-dire l’obligation de subordonner le devoir d’obéissance aux exigences de la conscience, était plus fort sous l’empire que durant le IIIe Reich. L’histoire prussienne est pleine d’exemples où la résistance s’est concrétisée dans l’action. Le système de valeurs des généraux de haut rang a certainement été perverti par les prestations de serment à répétition à l’empereur et roi, à Ebert, à Hindenburg et, finalement, à Hitler. »
En février 1944, Gersdorff est envoyé sur le front ouest. C’est là qu’il apprendra l’échec de l’attentat du 20 juillet, échec qui « signifie non seulement la fin de l’opposition, mais aussi le crépuscule de l’esprit militaire allemand. Dans l’action du comte Stauffenberg, il n’était pas seulement question de réussir un coup d’État. Le plus important était que les Allemands, et plus particulièrement les soldats allemands, révèlent au monde entier leur volonté de rétablir l’honneur de leur peuple. [...] Après que notre combat contre l’arbitraire fut devenu sans espoir, la seule chose qui nous restait était de conserver une posture militaire convenable afin d’épargner le pire au peuple allemand et aux soldats qui nous avaient été confiés ».
Le maréchal von Kluge ayant succédé à Rommel sur le front ouest, Gersdorff s’efforça de le convaincre d’engager sans attendre des négociations avec les Alliés aux fins d’obtenir un cessez-le-feu, le retrait de toutes les forces allemandes du front ouest derrière les frontières de 1939 et le renversement du régime nazi : « Monsieur le maréchal, vous êtes devant une alternative que tous les grands hommes ont connue : soit être condamné par l’histoire, soit être considéré comme le sauveur qui a agi aux heures des plus grands périls. […] Le maréchal von Kluge n’est pas un grand homme... »
Prisonnier de guerre à compter du 8 mai 1945, Gersdorff restera en captivité trente et un mois. Durant cette période, il sera appelé à témoigner au procès de Nuremberg. Ayant retrouvé dans les actes d’accusation le rapport qu’il avait rédigé pour le haut commandement de l’armée de terre sur le massacre des juifs par la ss à Borissov à l’automne 1941, et ayant constaté que les officiers généraux appelés comme témoins faisaient preuve d’une amnésie totale au sujet du sort réservé aux juifs, il parvint à convaincre le maréchal von Manstein de changer la stratégie de défense du haut commandement, poursuivi au titre d’« organisation criminelle », et de faire valoir que la plupart des généraux allemands de haut rang avaient combattu les ordres criminels d’Hitler. Le haut commandement de l’armée de terre fut acquitté de ce chef d’accusation.
Dans la dernière année de sa captivité, Gersdorff se retrouva dans un camp où les Américains avaient regroupé quelques centaines de généraux allemands. Lorsque fut connu, par des articles de presse, son rôle dans la tentative d’attentat contre Hitler en mars 1943, il fut tenu en quarantaine par la grande majorité des occupants du camp et même menacé de mort. « Après la mise au jour de l’ampleur des crimes nazis et la catastrophe de la fin de la guerre, je croyais que nous serions compris par la majorité de la population et tout particulièrement par les soldats. J’avais sous-estimé la mauvaise conscience qui travaillait ceux qui étaient aux affaires et qui auraient pu agir contre la tyrannie. »
Une fois libéré, Gersdorff fut en effet confronté à ce qu’il nomme le « complexe du 20 juillet ». « Dans mon intérêt personnel et professionnel, on m’a souvent recommandé de passer sous silence mon engagement dans la Résistance. » À plusieurs reprises, il fut approché par des proches du chancelier Adenauer pour l’inviter à prendre une part active à la constitution de la nouvelle armée allemande. Toutes ces propositions restèrent lettre morte, nombre d’intervenants, civils ou militaires, ayant fait valoir « qu’il n’était pas convenable de faire entrer dans la Bundeswehr un membre actif de la Résistance (coupable) de haute trahison ». Selon Gersdorff, l’inamovible secrétaire d’État à la Chancellerie, Hans Globke, auteur à l’époque nazie d’un rapport sur le statut des juifs, fut de ceux qui élevèrent les plus vives objections contre son retour au service actif, à la différence d’officiers généraux qui avaient été plus ou moins en contact avec la Résistance. Ce qui faisait de Gersdorff un criminel et un traître était sa participation directe à une tentative d’attentat contre Hitler, commandant en chef de la Wehrmacht. Le même opprobre frappait alors tous ceux qui avaient laissé leur vie dans l’affaire du 20 juillet 1944. Si Stauffenberg et quelques autres furent fusillés dans les heures qui suivirent l’attentat, certains choisirent le suicide (tel Henning von Tresckow et parmi les maréchaux, von Kluge ou Rommel), et plus de deux cents civils et militaires furent exécutés au camp de Plötzensee tout au long de l’année 1944 et dans les premiers mois de 1945. Ce n’est que dans les années 1990 que les résistants du 20 juillet ont enfin fait leur entrée dans les lieux de la mémoire allemande et dans les références de la Bundeswehr.
Demeure une question que Gersdorff ne soulève pas. À supposer que l’un des attentats ait atteint son but, c’est-à-dire la mort d’Hitler dès 1943-1944, peut-on affirmer que le coup d’État serait sans nul doute allé à son terme ? On le rappelle, une fois le dictateur éliminé, deux étapes s’ensuivraient : la prise de contrôle par la Wehrmacht des points stratégiques, de la ss et du parti, puis la formation d’un gouvernement rassemblant des personnalités civiles (Goerdeler, Leber, Hassel...) et militaires (général Beck, colonel Oster...). Le haut commandement militaire, en dépit de l’attentisme du plus grand nombre, aurait vraisemblablement pris ses responsabilités, l’obstacle Hitler écarté, et aurait concouru à la réalisation de la seconde étape. Mais l’état d’esprit du corps des officiers, particulièrement celui de la jeune génération, celle qui devait tout au régime nazi et restait fascinée par la personnalité du Führer, aurait certainement constitué un obstacle majeur pour le bon déroulement de l’opération. D’autre part, le rétablissement de l’état de droit ne signifiait nullement la fin des hostilités : l’effort de guerre aurait été poursuivi, le haut commandement reprenant en main la conduite des opérations. Sans doute certains contacts avaient-ils été pris avec les Alliés. Ils avaient toutefois peu de chance d’aboutir, ceux-ci ayant dès janvier 1943 pris position en faveur d’une capitulation sans conditions de l’Allemagne, ce que Gersdorff, de toute évidence, ignorait lorsqu’il faisait au maréchal von Kluge les propositions que l’on sait.
J’incline cependant à penser que si Gersdorff, trente ans plus tard, ne s’attarde pas sur les chances qu’avaient les conjurés de mener toute l’opération à son terme, c’est que là n’était pas pour lui l’essentiel. Ainsi qu’il le note, « la fin de la guerre ne fut pas pour moi un choc particulier, car je m’étais préparé depuis longtemps à la catastrophe. En 1941, Henning von Tresckow nous avait prédit le destin de l’Allemagne s’il ne parvenait pas à libérer le pays et la nation d’Hitler et de son régime. Il avait prédit à peu près tout ce qui arriverait, de façon détaillée. Après le 20 juillet 1944, quand se fut évanoui tout espoir de chasser la dictature par un soulèvement du peuple allemand, ce que j’avais le plus craint était une victoire d’Hitler, aussi invraisemblable qu’elle fût. La disparition complète du régime national-socialiste protégea l’Allemagne et l’humanité tout entière de la chute la plus terrible de l’histoire. [...] Nous, en tant qu’officiers, nous avons accompli notre devoir vis-à-vis des soldats qui nous étaient confiés, y compris jusqu’à la fin la plus amère. » L’essentiel, à mon sens, Rudolph-Christoph von Gersdorff l’exprime lorsqu’il inscrit en tête de l’avant-dernier chapitre de sa confession intitulé « Soldat au crépuscule du Reich » le soupir du Roi-Chevalier : « Tout est perdu, fors l’honneur. »
1 Rudolph-Christoph von Gersdorff, Tuer Hitler ! Confession d’un officier allemand antinazi, Paris, Tallandier, 2012, rééd. 2014.