Le concept de performance, longtemps réservé au milieu très spécifique du sport de haut niveau, se voit actuellement élargi à des secteurs de plus en plus variés. Que ce soit dans les domaines du sport, du travail, de l’éducation ou encore des interventions militaires, la question de la performance est devenue incontournable dans une société contemporaine qui lui voue un véritable culte (Ehrenberg, 1991). Toutefois, les enjeux de performance ne doivent pas s’opérer au détriment de la personne et de son bien-être. Car il nous semble que cette performance s’inscrit en filigrane du bien-être individuel et d’une cohésion de groupe. Nous défendrons ce point de vue dans une approche psychologique essentiellement individuelle, en soulignant la contribution de la psychologie du sport appliquée et plus précisément celle de la préparation psychologique pour que soient conciliés la performance et le bien-être.
La psychologie du sport, porte une attention toute particulière aux facteurs psychologiques qui agissent directement ou indirectement sur toute performance. Dans la dynamique de l’action, le rôle de la dimension psychologique et son influence sur la performance sont maintenant largement reconnus. Les facteurs psychologiques sont d’ailleurs de plus en plus fréquemment mis en avant pour expliquer en partie la performance ou la contre-performance, quel que soit le domaine d’action dans lequel elle est réalisée. Au-delà de la question de performance, il est à noter un autre point commun entre compétition sportive et intervention militaire : elles renvoient toutes deux à des situations extrêmes dans le sens où elles soumettent l’individu à des environnements ou à des situations qui peuvent dépasser ses capacités d’adaptation. Sportifs et militaires doivent en effet réaliser des performances dans des conditions hostiles ou à risque, dangers réels pour le militaire, risques plus imaginaires et symboliques pour le sportif. Comment appréhender, dans une perspective psychologique d’orientation clinique, cette notion spectaculaire d’extrême et ces conséquences sur le psychisme de l’individu ?
Le trauma survient comme une effraction du réel dans l’espace psychique du sujet qui ne peut retrouver la voie d’une symbolisation quand le réel a laissé place au non-sens. Le sens en tant qu’orientation et signification des actions menées se perd alors dans l’extrême de la situation qui peut dans ce cas avoir des répercussions sur l’organisme physique et l’organisation psychique du sujet, et ainsi engendrer des traumatismes. Traumatisme qui peut être perçu comme « un événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique » (Laplanche et Pontalis, 1967). Il est identifié à une situation spécifique, justement en ce sens que celle-ci place le sujet aux limites de ce qu’il peut psychiquement affronter, notamment quand il est confronté à la mort ou lorsque son intégrité physique ou psychique sont menacées. Face à une situation ingérable devant laquelle ses défenses habituelles sont dépassées, le sujet se trouve incapable de donner du sens à l’expérience vécue et d’élaborer psychiquement cet événement traumatisant. Son équilibre est attaqué, à la fois du dehors par la situation extrême en tant qu’événement objectif, et du dedans par l’intensité de l’excitation pulsionnelle que celle-ci provoque subjectivement. La tension interne est alors si forte que le moi est débordé : il y a effraction du pare-excitation (c’est-à-dire du mécanisme de défense) et débordement des capacités de contenance. L’excitation ne pouvant être symbolisée, le sujet se retrouve alors dans un profond état de détresse. Pourtant, ce n’est pas la situation en elle-même qui génère le traumatisme étant donné que différentes personnes impliquées dans une même situation ne réagissent pas de la même façon. La survenue d’un traumatisme dépend moins de l’intensité de l’agent traumatisant (la situation extrême) que du niveau de préparation de l’appareil psychique du sujet.
Ainsi, il devient essentiel d’offrir un dispositif de prise en charge psychologique aux sujets susceptibles d’être confrontés à des situations extrêmes afin d’optimiser la disposition du sujet à gérer les risques dans la dynamique de l’action, pour maintenir par exemple le moral des troupes, ou encore développer les stratégies de gestion des sportifs en compétition. Si des actions de soutien sont proposées à l’intention des personnes traumatisées par une situation extrême, il nous apparaît aujourd’hui primordial d’associer à ces temps de réparation psychique, des actions à visée préventive permettant de préparer les sujets à faire face aux risques éventuels d’une exposition à des événements potentiellement traumatiques et ainsi réduire l’impact traumatogène de ces événements.
Comme moyen de prévention, la préparation psychologique peut contribuer à la fois à une mise en sens du vécu et du traumatisme et au développement des habiletés mentales favorisant l’adaptation des sujets à ces situations contraignantes. La préparation psychologique est un des secteurs d’activité de la psychologie du sport appliquée1. Elle supporte différentes appellations qui sont fonction des références théoriques, des modèles utilisés ainsi que des données culturelles et des représentations des acteurs concernés. Ces modalités d’intervention recouvrent souvent diverses acceptions intéressantes à préciser car elles sous-tendent des pratiques d’intervention différentes (Nicolas, 2004). L’apport de la psychologie du sport et des dispositifs de préparation psychologique semblent dorénavant être reconnus par les différents protagonistes sportifs (Weinberg & Gould, 1997). Malgré tout, les interventions sur le terrain restent encore ponctuelles et circonscrites à quelques cas ou disciplines sportives. Et pourtant, la psychologie du sport s’est défini un champ disciplinaire et offre progressivement des méthodologies éprouvées étayées sur des fondements théoriques approuvés.
La psychologie du sport appliquée s’est dotée de méthodes et de techniques de prise en charge de préparation mentale validée dans le cadre de dispositifs de préparation psychologique de plus en plus adaptés à la problématique spécifique de la compétition sportive de haut niveau (Gould et coll., 1999). Ces méthodes et techniques sont mises à l’épreuve dans des conditions réelles avec de véritables athlètes à l’aide de techniques d’évaluation qui se proposent de questionner la validité de ces modèles. Au cours de ces deux dernières décennies, de nombreuses études sur les effets de dispositif de préparation psychologique sur des variables psychologiques et sur la performance ont été réalisées (pour revues : Singer, Hausenblas, & Janelle, 2001 ; Cox, 2002). Nous tenterons d’éclairer la prise en charge des facteurs psychologiques dans le cadre de la préparation des sportifs. Avant même de mettre en place un travail de préparation psychologique, il apparaît primordial de proposer en premier lieu une évaluation psychologique permettant d’instaurer un contact privilégié avec les acteurs sportifs (joueurs et cadres) et de dégager les bases nécessaires à une préparation psychologique adaptée.
L’évaluation psychologique
en préambule à la préparation psychologique
Au cours de cette étape préliminaire, le psychologue articule son travail d’évaluation autour de cinq objectifs principaux :
accueillir la demande manifeste (explicite mais secondaire) du sujet, identifier ses besoins et ses attentes et dégager ainsi sa demande latente (implicite et centrale) ;
repérer les caractéristiques du sportif par rapport à ses qualités cognitives, émotionnelles et sociales au regard de ses motivations, son expérience, son expertise et sa marge de progression ;
mesurer les habiletés et potentialités mentales du sportif, ainsi que les stratégies de performance qu’il utilise pour contrôler ses pensées et ses émotions dans la dynamique de l’action ;
évaluer le retentissement des facteurs de vulnérabilité et la présence de facteurs de protection, en référence à la personnalité (facteurs dispositionnels) et à l’environnement (facteurs situationnels) ;
détecter l’existence potentielle de fragilités d’ordre psychopathologique et prévenir les difficultés liées à la pratique sportive intensive et aux exigences de performance.
L’évaluation psychologique prend la forme d’un entretien clinique de bilan et de repositionnement afin d’apporter un éclairage sur les différentes modalités de conduites psychiques dont dispose le sujet, sur la façon dont il s’organise pour faire face à son monde intérieur (réalité psychique) et à son environnement (réalité externe). Elle amène le sportif à faire le bilan du présent au regard du passé et du futur en prenant en compte les différentes dimensions de la personne, ainsi que tous les aspects singuliers, anamnestiques (relatifs à l’histoire du sujet), récents et actuels de la difficulté présentée par le sportif.
Dominique se présente à l’entretien avec beaucoup d’aisance parce que, dit-il, tout est bon à prendre et ça peut éventuellement lui apporter un plus dans sa préparation à la compétition. Au cours de la prise d’anamnèse, (évocation volontaire du passé, Le Robert) il met rapidement en évidence qu’il n’était pas jusqu’à présent dans une optique de professionnalisme et que tout son parcours est une suite logique d’événements successifs qui l’ont amené naturellement dans cette structure sans qu’il l’ait vraiment décidé. L’entretien est l’occasion pour lui de faire un bilan de son parcours sportif et d’envisager tour à tour les difficultés qu’il rencontre et les ressources psychologiques dont il dispose. D’un côté, l’augmentation des exigences et des contraintes l’amène à avoir « l’impression d’être une orange pressée » : il doit toujours s’entraîner plus, rentrer dans un jeu de concurrence où tous les moyens sont permis pour avoir sa place, aller aux séances de plus en plus fréquentes de préparation physique, faire face à la fatigue et aux blessures dans l’indifférence apparente de ses entraîneurs… Du coup, il n’a plus vraiment le temps de se consacrer à d’autres activités sociales, universitaires et récréatives qu’il a privilégiées jusqu’à présent et ne sait même plus s’il prend encore du plaisir sur le terrain. De l’autre côté, il prend conscience de la nature de sa motivation et de ses ambitions : il se sent à sa place dans cette ambiance où il peut se dépasser grâce à l’émulation collective, aime l’esprit de compétition et les sensations intenses du jeu dont il ne pourrait pas se passer.
Ce temps d’évaluation qui au prime abord laissait entrevoir la possibilité de mettre en place un dispositif de préparation psychologique a permis à Dominique de réfléchir aux difficultés liées à sa pratique sportive et à les dépasser avant même l’apparition d’une crise. Grâce à l’écoute et à la qualité de la relation qu’un tel entretien propose, Dominique a pu mettre en mots son vécu et ses ressentis, effectuer un travail d’élaboration et de prise de conscience et ainsi organiser ce qui était jusque-là non symbolisé. Il a ainsi commencé à structurer son projet sportif, affiné son plan de carrière, donné du sens à son implication et consolidé son engagement dans la compétition et dans l’accession au haut niveau.
Comme Dominique, le sportif est invité à identifier de manière plus juste non seulement la nature de ses difficultés et leur impact sur ses performances sportives et sur son épanouissement personnel et professionnel, mais aussi ses capacités à faire face aux contraintes, aux obstacles et à l’imprévu, ses compétences à gérer les émotions et les situations, ainsi que le rôle qu’il a à jouer dans la résolution du problème. Il peut ainsi entamer un travail d’élaboration et de prise de conscience et devenir, par-là même, acteur de sa préparation psychologique. L’évaluation psychologique constitue donc l’étape incontournable préliminaire à l’instauration d’un dispositif de préparation psychologique adaptée aux besoins et attentes du sujet. Si l’évaluation psychologique mise en place pour accueillir une demande manifeste de préparation psychologique peut remplir une fonction à part entière comme dans le cas de Dominique ou déboucher sur un suivi psychologique pour quelqu’un d’autre, elle mène le plus souvent à la mise en place d’un dispositif de préparation psychologique prenant la forme soit d’un suivi psychologique soit d’une préparation mentale de manière particulièrement adaptée au sujet lui-même et au contexte dans lequel il évolue. Ainsi, une demande manifeste de préparation psychologique peut mener à des modalités d’intervention variées et à l’ouverture de divers cadres d’intervention psychologique : principalement la préparation mentale et le suivi psychologique.
La préparation psychologique
dans le sport de haut niveau
En général, la préparation renvoie aux moyens de prévention qui ont pour but de préparer les sujets à agir en situation. La préparation peut être définie comme l’ensemble des opérations à effectuer en vue d’une action à venir. Elle s’appuie sur l’élaboration d’un programme à mettre en œuvre afin de favoriser le développement des potentialités individuelles et collectives et faciliter leur utilisation en cours d’action par le sujet ou le groupe. La prévention, quant à elle, consiste à anticiper des phénomènes susceptibles d’entraîner ou d’aggraver des difficultés personnelles ou sociales, par un ensemble d’actions à mettre en place et de mesures à prendre, afin d’éviter certains risques ou de diminuer les conséquences d’un problème. Ces notions communes de prévision, d’anticipation et d’actions préalables mettent en évidence un lien étroit entre préparation et prévention, lien qui donne toute sa valeur à la préparation psychologique comme moyen pertinent de garantir le bien-être des sujets.
Dans ce type de situations éprouvantes que peuvent représenter les situations extrêmes, les intérêts de la préparation psychologique en tant qu’intervention à visée préventive sont pluriels.
Elle permet au sujet de disposer des moyens nécessaires pour l’action à venir, ce qui, par voie de conséquence, favorise leur utilisation dans la dynamique de l’action et optimise les performances réalisées, tout en garantissant le bien-être du sujet (prévention primaire : développer les capacités d’adaptation et les stratégies à faire face dans le but de réduire les facteurs de risques et d’éviter l’apparition d’un problème).
Elle permet en même temps au sujet de réfléchir à son implication et de relativiser son engagement dans la pratique sportive : ne considérant plus le sport comme son seul lieu de réalisation, le sujet ne risque plus de tout perdre en compétition et peut alors gérer de manière plus appropriée les aléas de sa pratique sportive (prévention secondaire… détecter précocement les risques encourus et réduire le retentissement des facteurs de vulnérabilité).
Enfin, elle permet au sujet d’envisager son parcours de vie dans ses différentes dimensions, de construire un projet global de vie : le sportif peut alors anticiper une réalisation personnelle et professionnelle cohérentes et planifier une reconversion réussie (prévention tertiaire… tendre à éviter les complications consécutives du problème inévitable de la fin de carrière).
L’objectif de la préparation psychologique est de fournir au sujet des moyens ou des stratégies mentales pour qu’il donne le meilleur de lui-même, en utilisant toutes ses ressources ou en en acquérant de nouvelles. Dans cette orientation qui pose une de ses spécificités, le psychologue du sport cherche à favoriser à la fois l’équilibre psychologique du sujet sportif, mais également le développement de ses capacités psychologiques et l’optimisation de la performance sportive.
La préparation mentale dans le sport de haut niveau
Des précisions essentielles sont à apporter quant à l’intégration de techniques de préparation mentale dans un dispositif de préparation psychologique. Ces techniques n’ont pas de valeurs intrinsèques. Ce sont les objectifs qui déterminent leurs choix en fonction de l’évaluation des caractéristiques de l’individu et de la situation. L’efficacité de leur application dépend de certaines conditions partagées entre les caractéristiques du sujet et celles du contexte sportif. « Adapter les principes des théories comportementales et cognitives demande de l’adapter à la réalité clinique du patient. » (Cottraux, 1990). De ces conditions d’efficacité dépendent non seulement l’efficience de leur application mais aussi l’éthique d’une pratique respectueuse du sujet sportif. Elles sont exposées ci-dessous avec le cas de Chris dans le but de mieux montrer les principes et la procédure d’une préparation mentale dans le sport de haut niveau.
Chris est un joueur professionnel qui utilise dans sa préparation à la compétition des techniques d’aide à la performance, notamment la visualisation. Lors de l’évaluation psychologique, il signale un manque de concentration et des problèmes pour rentrer dans le match. Il explique l’apparition de ces difficultés par son impossibilité récente à pratiquer la visualisation autant qu’il le souhaite. Il souhaite à présent organiser son temps de préparation et optimiser ses séances d’imagerie afin de pallier la réduction de la quantité par l’augmentation de la qualité. Étant donné l’absence de difficultés d’ordre psychopathologique, il lui est proposé de mettre en place un dispositif de préparation psychologique intégrant l’utilisation de la technique d’imagerie mentale.
La procédure de préparation mentale doit répondre aux besoins et aux attentes du demandeur. Comme nous l’avons abordé, l’analyse de cette demande est un aspect essentiel de l’intervention. Elle est réalisée lors de l’évaluation psychologique, la phase primordiale du dispositif. Si une technique peut convenir à différentes problématiques, son choix est déterminé en fonction d’un objectif précis et identifié ; selon le but particulier défini lors de la première phase d’investigation, l’apprentissage des habiletés mentales diffère.
Suite au bilan psychologique, un temps est accordé à l’évaluation des capacités de Chris à imager. Il apparaît alors qu’il a une capacité à imager de qualité relativement bonne ; cependant, les informations imagées sont uniquement de nature visuelle. Chris repère un manque qualitatif au niveau de ses images mentales qu’il décide de pallier en priorité : le programme d’entraînement mental mis en place est alors centré sur l’enrichissement des informations imagées (et non sur l’organisation de ces temps de préparation comme il l’a formulé dans sa première demande). L’adhésion de Chris à ce programme trouve son origine dans la pertinence d’un tel travail vis-à-vis de sa problématique et ses objectifs : la visualisation devient efficace à partir du moment où l’image mentale a les mêmes propriétés que le mouvement réel, que le sportif prend plaisir à imager grâce à l’intégration de sensations kinesthésiques, que les objectifs fixés sont réalistes et la pratique de la visualisation régulière.
Comme dans le cas de Chris, les utilisateurs doivent comprendre les objectifs des techniques utilisées mais aussi leurs limites car seule une implication volontaire et éclairée peut induire les résultats escomptés et favoriser l’autonomisation. Une technique est efficace si elle est utilisée avec sens pour et par le sujet. Dans le cas contraire, le risque est d’observer une amélioration temporaire et ensuite de constater une baisse et un retour au niveau initial, voire le déplacement de la problématique psychologique à d’autres situations sportives.
Après l’acquisition des habiletés de base accompagnée au début par le psychologue, l’athlète se retrouvera seul en situation concrète. Il doit donc pouvoir opérationnaliser ses compétences psychologiques en fonction des diverses conditions auxquelles il sera confronté.
Face à l’absence d’informations auditives, tactiles et kinesthésiques dans les images mentales, le psychologue propose un travail permettant à Chris d’acquérir les habiletés manquantes et d’enrichir ses images mentales. Pour ce faire, une série d’exercices est mise en place dans les séances pour travailler sur les différentes sources de prise d’informations et intégrer le geste dans son contexte. Il est demandé ensuite à Chris de répéter régulièrement ces exercices de manière autonome (pendant quinze minutes tous les jours, fréquence et durée négociées avec Chris en fonction de ses disponibilités et de la faisabilité). Les répétitions se déroulent dans des conditions de détente provoquée (exercice de respiration) ou naturelle (juste avant de s’endormir) jusqu’à ce qu’il réussisse à se représenter le geste le plus précisément et le plus correctement possible.
Si les techniques de préparation mentale peuvent être efficaces et avoir des effets bénéfiques, le non-respect de ces quelques règles implique souvent des effets néfastes. L’utilisation d’une procédure planifiée induit d’être toujours centré sur le sujet et non sur la technique. Les prescriptions sont donc nécessairement individualisées. Ce qui peut être efficace avec l’un ne le sera pas obligatoirement avec un autre, et de plus ne fonctionnera pas avec le même sujet à des périodes différentes, d’où la nécessité d’évaluations régulières.
Une fois la qualité des images mentales de Chris améliorée, il est devenu possible dans un second temps d’établir un programme d’entraînement mental individualisé dans lequel visualisation, dialogue interne et relaxation sont associés de manière cohérente et réaliste au regard des caractéristiques de Chris, du contexte et des objectifs fixés. De plus, des bilans réguliers sont planifiés afin d’évaluer le ressenti général de Chris dans sa préparation à la compétition, son impression quant à la charge de travail induite par le programme et les effets obtenus sur les performances, la concentration et la confiance en soi.
Cependant, il n’est pas toujours nécessaire d’employer des techniques de préparation mentale. Un autre type d’intervention comme le suivi psychologique peut mieux convenir aux besoins de l’athlète.
Le suivi psychologique
L’intervention psychologique veut dans un premier temps, faire émerger de nouvelles significations nécessaires à de possibles remaniements et dans un deuxième temps, provoquer un changement à l’aide si nécessaire de techniques de préparation mentale individualisée et circonstanciée. Dans ce premier temps, le suivi psychologique s’intègre dans un cadre qui veut favoriser l’échange, introduire ou réintroduire le dialogue avec soi-même, établir la communication entre les différents acteurs et favoriser le lien d’une part, entre le sujet et son environnement, et d’autre part, entre le sujet sportif et le sujet social. S’inscrivant dans un axe de prévention, ce dispositif a pour objectif de favoriser l’ajustement permanent du sportif dans sa pratique, sa motivation et ses objectifs. Il s’appuie sur des rencontres régulières qui permettent au sportif de réfléchir aux difficultés liées à sa pratique sportive et ainsi de les dépasser avant l’apparition d’une éventuelle crise.
Dans cet espace d’écoute et de parole, le sportif est invité à mettre des mots sur ce qu’il vit et ressent. Le psychologue facilite l’expression des ressentis en trouvant une traduction verbale du vécu sportif. Il permet de faire émerger une mise en mots de ce qui peut être contenu par le surinvestissement de la sphère motrice (le sportif agit plus qu’il ne parle) afin de faire advenir ce qui ne s’est pas dit ou ce qui n’a pu être entendu. Parce qu’il peut parler et être écouté, le sportif peut ainsi retrouver le sens de son histoire et de ses désirs et ainsi amorcer un travail d’élaboration psychique. De ce lieu et de ce temps privilégiés émerge alors une demande plus intime du sujet, qu’il pourra relier à des affects pas toujours explicites.
Dans ce type d’intervention, le matériel clinique est fourni par la problématique sportive et sa signification préconsciente. Cependant, dans le cadre du suivi psychologique, la complexité du matériel ne sera abordée que sous un angle permis par les limites du cadre instauré. En effet, le travail se focalise essentiellement sur les problématiques sportives (même si elles sont reliées et éclairées par les autres sphères de la vie du sportif) qui renvoient à des difficultés récentes et ponctuelles. Dans le cas où ces difficultés sont anciennes et généralisées à l’ensemble de la vie du sujet, il est nécessaire d’orienter le sportif vers une prise en charge psychothérapeutique de longue durée. Les rencontres ont lieu dans un cadre nécessaire à toute analyse clinique qui repose sur l’aménagement d’un espace sécurisant, confidentiel, neutre et bienveillant. Dans cet espace commun et partagé entre le sujet et le praticien, « l’action » est une mise en acte contrôlée. Quand les peurs, les craintes, la souffrance sont parlées au sein d’une relation de confiance, les pulsions s’apaisent du fait de la rencontre d’un autre qui écoute. Les mots permettent à l’émotion de se décharger sans qu’il y ait passage à l’acte. Le suivi psychologique permet de dire les mots pour éviter les maux dans ce cadre contenant exempt de tout jugement. Le sujet peut alors mettre en sens son expérience vécue sur le terrain sportif.
Ces rencontres et ces confrontations entre le psychologue et le sujet s’organisent autour de relations intersubjectives et de leur dimension affective réactivée au cours des échanges. La dynamique interindividuelle qui s’instaure dans un lien de confiance mobilise les échanges affectifs et facilite la relation. Le sportif parle de ses émotions, dirige vers le psychologue des réactions affectives qu’il aurait pu avoir vis-à-vis des personnes qui sont importantes pour lui. Ce phénomène de transfert, qui ne survient que dans un cadre sécurisant, correspond à un lien affectif intense qui renseigne sur les problématiques auxquelles le sportif est confronté. Loin de les occulter, le psychologue doit investiguer ces réactions émotionnelles pour rejoindre la dynamique affective du sportif, la comprendre et essayer de dépasser la relation qui se rejoue dans le cadre du suivi psychologique.
À la demande de l’entraîneur, un suivi psychologique est proposé à l’ensemble des joueurs de l’équipe de rugby. Lors du premier entretien, Cédric se dit fortement sujet au stress et très angoissé. Pour faire face à cette difficulté, il utilise beaucoup la relaxation dans sa routine d’avant match mais constate que cela lui coupe complètement les jambes. Il souhaite effectuer un travail sur les stratégies de gestion de stress pour pouvoir optimiser sa prestation en compétition. Les entretiens suivants se centrent alors sur la description, l’analyse et la compréhension des difficultés rencontrées sur le terrain sportif. Il apparaît ainsi que la contre-performance2 de Cédric est à entendre comme un véritable symptôme, c’est-à-dire comme la manifestation d’un conflit psychique inconscient qui révèle l’écart entre le vouloir de la volonté consciente et le pouvoir du sujet de l’inconscient. Cédric veut être performant mais n’y arrive pas. Progressivement, il relie cette contre-performance à une cause psychologique interne (son besoin irrépressible de se sentir utile, d’être quelqu’un), puis à un conflit intrapsychique (sa volonté de pratiquer pour lui et son impossibilité de se dégager du regard de l’autre). Les difficultés peuvent être dépassées grâce aux réaménagements au niveau identitaire et motivationnel induits par les associations libres et l’aide interprétative du psychologue. Reprenant à son compte sa pratique sportive, Cédric voit baisser son niveau d’anxiété précompétitive, ce qui permet par la suite d’intégrer l’utilisation de techniques de préparation mentale pour développer ses potentialités, notamment par rapport à sa lecture du jeu et ses prises de décision.
Grâce au travail d’élaboration que permet le suivi psychologique, le sportif se rencontre lui-même, peut passer d’une position d’objet à résultat à une position de sujet de performance. Toutefois, il semble important de favoriser l’autonomie du sujet, et pour le psychologue de ne pas proposer une interprétation forcée et plaquée mais de jouer avec le temps et la maturation psychique afin de permettre au sportif de trouver son propre dénouement. Le psychologue doit s’abstenir de toute moralisation et de toute prescription, malgré parfois la demande pressante du sujet. Il doit lui faire comprendre qu’il n’y a pas de solution toute prête comme les consignes techniques en situation d’entraînement et que la meilleure solution, si elle existe, est la sienne, parmi celles qui émergent au cours et décours des rencontres, celles qu’il apportera au prochain entretien.
La préparation psychologique
dans une perspective multimodale et intégrée
Des divergences sur l’efficacité de ces pratiques amènent à reconsidérer quelques recommandations et à rappeler les principales précautions d’usage. Il nous semble qu’actuellement les perspectives à développer sont l’intégration des théories et des pratiques selon une approche multimodale, et la contextualisation des interventions dans un environnement sportif. La performance sportive est complexe : elle intègre de multiples dimensions de la plus biologique à la plus sociale et résulte d’un ensemble de fonctions qui interagissent. La réalisation d’une performance n’est pas déterminée par un facteur unique mais demande au contraire la combinaison d’habiletés psychologiques, physiques et techniques. Ce lien est important dans toutes les dimensions de la performance. Et pourtant les pratiques de terrain montrent une certaine segmentation entre les différentes préparations et les préparateurs qui, sans vouloir s’ignorer, ne se connaissent pas et ne peuvent donc pas mettre en commun leurs interventions dans l’intérêt du sportif.
Pour avoir des effets bénéfiques et durables, la préparation psychologique devrait prendre en compte l’intrication des phénomènes cognitifs (perception, décision, résolution de problèmes…), conatifs (motivation, volonté, efforts consentis…) et affectifs (sentiments, émotions, ressentis…). La combinaison d’une approche clinique avec le suivi psychologique et d’une approche comportementale et cognitive avec des techniques de préparation mentale permet de travailler simultanément sur l’ensemble des facteurs psychologiques à l’œuvre et ainsi d’optimiser leurs retentissements sur la performance. De plus, la préparation psychologique devrait être intégrée dans la préparation générale du sportif. L’intégration de la préparation psychologique au sein du programme d’entraînement et des autres préparations notamment physique et technico-tactique permet de mieux appréhender les différentes dimensions de la performance. Intégrée dans la planification de l’entraînement, la répercussion des effets de la préparation psychologique concerne non seulement le domaine sportif aussi bien dans ses dimensions physique que technique, mais aussi les domaines personnel et relationnel de l’athlète.
Et pourtant, la logique classique de l’entraînement et de sa méthodologie (Platonov, 1988 ; Werchoshanski, 1992) repose sur un morcellement analytique qui pose le problème inhérent de la reconstitution en un ensemble cohérent. Les entraîneurs savent bien qu’un programme d’entraînement analytique doit se finaliser par une démarche synthétique au risque de provoquer une perte du sens de son action pour le sujet sportif. Cet éclatement des différentes composantes de l’entraînement n’est pas nouveau. Platonov (1988) cité par Lévêque (2005) considèrent que « L’un des grands problèmes de l’entraînement sportif est la combinaison de la démarche analytique qui tend à perfectionner chacune des qualités, et de la démarche de synthèse qui tend à intégrer toutes ces qualités dans un ensemble opérationnel. » Une conception plus intégrative de l’entraînement dépasse la vision d’un sportif exécutant fragmenté entre diverses préparations isolées. Cette fragmentation du sujet en facteurs multiples est bien loin du sportif concret en situation.
D’autre part, une des conditions d’efficacité de l’utilisation de techniques de préparation mentale est l’intégration et l’application en situation d’entraînement des techniques pour qu’elles puissent être appliquées en compétition, ce qui reste l’objectif final. Dans la procédure d’acquisition d’habiletés psychologiques, l’apprentissage implique nécessairement l’utilisation concrète en situation d’entraînement des techniques afin que ces habiletés soient opérationnelles en compétition (Perreault-Pierre, 2000). Cette intégration se fait au cours d’entraînements dirigés, avec le psychologue qui participe dans un premier temps à la mise en place des nouvelles habiletés en situation concrète couplée avec un entraînement personnel pendant lequel l’athlète s’exerce seul selon la planification des objectifs partagés entre le psychologue et l’athlète.
Suite à une évaluation psychologique, Malik, sportif de haut niveau, sollicite un suivi psychologique dans le but de faire les bons choix en attaque et développer une lecture du jeu plus efficace. Des entretiens lui permettant de se confronter à ses prestations en compétition sont alors mis en place systématiquement en milieu de semaine. Au cours de chaque entretien et sur la base de la vidéo du dernier match, Malik est amené à décrire précisément ses actions en mettant en évidence les informations qu’il a perçues, les communications et interactions qu’il a entretenues avec ses coéquipiers et ses coaches, ainsi que son dialogue interne et ses ressentis. Il a repéré pour chaque action analysée quels éléments de la situation ont déterminé ses choix, quelle décision lui semblait la plus adaptée au contexte et dans quel type de situation la mettre à nouveau en œuvre. D’une part, il a pris conscience des émotions et des sentiments que ces situations provoquaient en lui, compris ce qui se jouait affectivement dans ces moments-là. Il a pu ainsi réduire son niveau de stress et donner une dimension qualitative à sa motivation et son engagement dans la pratique. D’autre part, il a appris à mobiliser ses connaissances pour comprendre les situations singulières, prendre des décisions, résoudre des problèmes. Il a enrichi sa pratique non pas en établissant des procédures rigides d’action mais en construisant des plans d’action assortis de solutions de rechange et de stratégies de réajustement, permettant adaptabilité et créativité. Grâce à ce travail d’analyse intrinsèque de l’action, Malik a pu développer une pratique réflexive et un savoir-analyser transposables à de nouvelles situations. Ce travail a eu un impact important dans la construction de nouvelles compétences et l’optimisation des performances grâce à la collaboration des entraîneurs. Ce dispositif de préparation psychologique s’intégrait totalement au programme d’entraînement dans le sens où les objectifs poursuivis ont été fixés et négociés par l’ensemble des acteurs (Malik, coaches, préparateur physique, psychologue), que les solutions concrètes construites au cours de ces entretiens ont pu être testées sur le terrain, tant à l’entraînement avec le feedback des entraîneurs qu’en compétition.
Dans cette optique, l’entraîneur coordonne l’action des différents intervenants. Les préparateurs prennent en charge ces interventions en fonction de la préparation générale du sportif et des échéances du calendrier des compétitions. Pour l’entraîneur, intégrer la préparation psychologique au sein du programme d’entraînement et des autres préparations permet de mieux appréhender les différentes dimensions de la performance. Pour les autres préparateurs, coordonner leurs interventions potentialise leurs effets. Pour l’athlète, le principal intéressé, il est alors possible de s’approprier les préparations et de s’inscrire comme acteur de ce programme d’entraînement. En somme, la préparation psychologique, si elle est bien intégrée dans la préparation générale du sportif, peut contribuer à consolider les préparations physique et technique en permettant un travail qualitatif centré sur les besoins spécifiques de l’athlète à partir de son mode de fonctionnement individuel.
Conclusion
On le comprend peut-être mieux maintenant, l’objectif de la préparation est dès lors de prévenir des conséquences néfastes et délétères de ces situations potentiellement dangereuses, autrement dit, de mettre en pratique le fameux adage : « prévenir vaut mieux que guérir ». Dans cette perspective, il s’agit alors de privilégier la préparation psychologique pour éviter la réparation psychique, de développer les capacités des sportifs à faire face aux situations extrêmes de la pratique de haut niveau et aux exigences de performance. La préparation psychologique et ses composantes : évaluation psychologique, préparation mentale, et suivi psychologique, cherche à anticiper les problèmes plus graves et ainsi éviter la réparation. Elle s’inscrit dans une visée préventive et prophylactique qui s’efforce de prévenir les défaillances et d’aider à dépasser les difficultés d’adaptation psychologique inhérentes à la performance en situation extrême. Toutefois, le dispositif de préparation psychologique s’inscrit à la fois au sein d’une procédure planifiée, mais également flexible pour s’adapter à la demande évolutive et à la dynamique psychologique du sujet. Les pratiques se créent sur la base d’une trame technique répertoriée mais elles doivent rester créatives dans la confrontation et la collaboration des multiples acteurs de la préparation générale du sportif. Cette tentative de formalisation d’un dispositif de préparation psychologique explicité selon des phases pour rendre claire et plus accessible l’exposé ne se veut pas rigide et figée mais ajusté dans une application contextualisée par rapport au terrain.
Synthèse Michel nicolas Karine noger
Quel que soit le domaine d’intervention (sport, travail, éducation ou encore opérations militaires), la performance est devenue incontournable dans une société contemporaine qui lui voue un véritable culte. Toutefois, les enjeux de performance ne doivent pas opérer au détriment de la personne et de son bien-être. Notre hypothèse est que la performance s’inscrit en filigrane du bien-être individuel et dans une cohésion de groupe. C’est à partir de la psychologie du sport que sera appréhendé le rôle de la dimension psychologique sur la performance dans la dynamique de l’action. Les facteurs psychologiques sont d’ailleurs de plus en plus fréquemment mis en avant pour expliquer en partie la performance ou la contre-performance, quel que soit le domaine d’action dans lequel elle est réalisée. Cette performance devient particulièrement cruciale dans les situations extrêmes qui peuvent engendrer des conséquences néfastes et délétères sur le psychisme de l’individu confronté volontairement ou involontairement à de telles situations.
L’objectif de la préparation psychologique est de prévenir les conséquences néfastes et délétères de ces situations potentiellement dangereuses, et de préparer les sujets à faire face aux risques éventuels (et ainsi réduire l’impact traumatogène de ces situations). La préparation psychologique et ses composantes, évaluation psychologique, préparation mentale et suivi psychologique, cherchent à se prémunir d’effets plus graves et à éviter la réparation. Elle s’inscrit dans une visée préventive et prophylactique qui s’efforce de devancer les défaillances et d’aider à dépasser les difficultés d’adaptation psychologique inhérentes à la performance en situation extrême. Dans cette perspective, elle peut contribuer à la fois à une mise en sens du vécu et du traumatisme et au développement des habiletés mentales favorisant l’adaptation des sujets à ces situations contraignantes. Les conditions d’application d’un dispositif de préparation psychologique sont individualisées par rapport à chaque acteur. Le dispositif est intégratif. Il combine théories et méthodes multiples pour mieux s’adapter à la demande. Il intègre dans la préparation générale et opérationnalisée les exigences et les contraintes du terrain.
Traduit en allemand et en anglais.