N°6 | Le moral et la dynamique de l’action – I

Samuel Majou

À l’école du moral

À l’époque moderne, la foi en la science et l’évolution des techniques nous ont un temps laissé penser que la possession et la maîtrise d’armes toujours plus puissantes, élaborées, destructrices, seraient l’unique clé du succès dans la bataille. Cette utopie a été balayée par les faits.

Aujourd’hui, les terroristes et fanatiques en tout genre, défiant les règles classiques de l’affrontement armé dans une stratégie du fou au fort, ébranlent violemment nos certitudes et nos modèles de société, nous obligeant à réinventer, pour les combattre, des modes opératoires efficaces et versatiles pour des engagements qui s’effectuent dans le contexte d’une différenciation très étroite entre les états de crise, de conflit et de paix.

Dans ce cadre nouveau et confus, la valeur des hommes, leur intelligence, leurs ressources morales et physiques, constituent bien davantage un facteur déterminant du succès tactique.

En particulier, le cadre d’emploi des forces spéciales, qui les conduit à opérer, dans la durée, par petites équipes autonomes, en territoire hostile ou considéré comme tel, parfois très isolément, peut en servir d’illustration. La surprise, un effet choisi et adéquat appliqué au bon moment, au bon endroit et sans bavure, sont la marque et la plus-value de leur action tout autant que les clés de la réussite de leur mission.

L’on perçoit ici ce que cela peut requérir de rigueur et de minutie dans la préparation, de précision et de maîtrise dans l’exécution. On imagine alors qu’un entraînement assidu, l’usage de matériel ad hoc et dernier cri doivent permettre d’arriver à ce résultat. C’est oublier que dans ce créneau des opérations militaires notamment, l’homme, et lui seul, constitue le système d’armes. Nous ne pouvons nous tromper sur sa valeur et risquer l’échec pour n’avoir pas choisi les meilleurs d’entre eux.

Les « commandos marine1 » possèdent à Lorient une structure de sélection et de formation destinée à fournir aux unités des commandos les personnels, de tous niveaux de qualification, des quartiers-maîtres aux officiers, dont elles ont besoin.

Recrutés essentiellement parmi le vivier des fusiliers marins, les candidats aux « commandos marine » viennent suivre en son sein un stage de formation initiale de presque quatre mois, dont les rescapés coifferont le béret vert avant de parfaire leur savoir-faire en unité.

Loin d’être une école de la performance sportive ou de l’aventure encadrée, et tout autant qu’elle délivre un bagage tactique et technique complet, cette école des commandos s’attache en premier lieu à éprouver la volonté, le caractère, en somme les forces morales des candidats, avant de décider s’ils possèdent ou non les qualités pour poursuivre la formation.

Pousser aux limites, balayer les repères, susciter la peur et solliciter les ressources profondes, voilà notre objectif pour forger, à travers un parcours initiatique ardu, le savoir-être indispensable à l’engagement en opérations dans des conditions sévères, là où le moral sans faille de chacun sera l’une des armes les plus sûres du groupe.

Je tenterai ici de décrire et d’illustrer la manière dont nous mettons, à cette école des « commandos marine », les forces morales des candidats à l’épreuve, dont nous nous attachons à les affermir, comment nous cherchons à les doter d’un « fond de sac » d’attitude positive et pugnace, et sur quels fondements, certains rationnels, d’autres moins, repose à cet égard notre méthode propre de formation.

Du soleil dans le sang

Il y a longtemps déjà que les auteurs classiques ont mis en évidence l’importance des forces morales dans l’issue d’un combat. En nous référant à la définition du mot « moral », « disposition temporaire à supporter plus ou moins bien les dangers, les difficultés », et la confrontant à la nature même des opérations spéciales, engagement, durée, rapport de force souvent défavorable, risque élevé, il nous semble utile d’essayer d’en faire une disposition durable, peu volatile, et d’en créer en premier lieu les conditions pérennes à l’échelle individuelle, de faire en quelque sorte tomber nos commandos dans une marmite de moral dès leur plus jeune âge, ne doutant pas que plus tard, au moment de l’épreuve, il faille s’appuyer largement sur ces acquis pour la surmonter.

Clausewitz a introduit, en plus de la notion de facteurs moraux, celle de frictions de la guerre, pour expliquer que celle-ci ne consistait pas qu’à décompter arithmétiquement les forces en présence pour estimer l’issue de la bataille ; l’auteur contemporain William H. MacRaven, dans son ouvrage Spec Ops2 paru en 1996, expose sa théorie des opérations spéciales : il introduit la notion de « supériorité localisée », qui s’établit lorsqu’une force inférieure en nombre ou en force prend l’avantage sur une force plus grande. Il poursuit en expliquant que cette supériorité nécessite entre autres la réduction des frictions de la guerre à un niveau plus maniable et la maîtrise des facteurs moraux.

Pour la première des deux conditions nécessaires, la réduction des frictions de la guerre, il s’agit pour nous d’agir avec méthode : s’appuyant sur un entraînement sévère et des moyens adaptés, faire une analyse rigoureuse et exhaustive de la mission et de son environnement, imaginer un plan viable et simple, le garder secret, en répéter les séquences critiques jusqu’à l’automatisme, prévoir l’imprévisible. Jusqu’à devenir, son équipe et soi-même, une friction de la guerre pour l’adversaire.

Pour la deuxième, héritiers en cela de l’illustre tradition des commandos français débarqués sur les plages normandes en juin 1944, nous cherchons, en plus de délivrer le solide et indispensable bagage tactique et technique, à mettre du soleil dans le sang des hommes.

Ne pas subir

Il gèle en ce matin de janvier, le temps est sec, les quelques dizaines de marins candidats au béret vert se tiennent en rangs serrés, en tenue de sortie, impeccables. Du matelot au jeune officier, les visages sont tendus, les regards plutôt noirs, mais déterminés. S’ils ont froid, ils paraissent surtout anxieux, dans l’attente de l’entame de festivités dont ils savent par quelques-uns qui se sont déjà présentés sans succès qu’elles ne seront pas une partie de plaisir. Tous sont volontaires, portés par le désir et l’espoir de gagner ce béret vert si singulier, porté incliné à droite, marque indélébile de nos racines maritimes et britanniques.

Disposés à endurer ce dont ils n’ont pas encore idée, ils semblent motivés pour une vie d’aventure et de risque.

Le maître instructeur leur fait face. L’accueil est bref, les candidats rompent les rangs en silence et en courant, se précipitent revêtir une tenue de combat et chercher leur sac à dos. La sélection commence.

Montres, cigarettes, téléphones, portefeuilles et autres ustensiles de confort ou qui les rattachent au monde qu’ils viennent de quitter sont confisqués. Rien qui puisse apporter un quelconque soutien moral.

S’enchaînent les nages en mer, en rivière, les franchissements, dans l’eau toujours trop froide, les parcours d’obstacles, toujours sans assurance pour éprouver la concentration et la sensibilité au vertige, les marches forcées sans idée (pour les candidats) de distance et en temps évidemment limité, mais sans le recours d’une montre pour gérer l’effort, les exercices d’orientation, les nuits trop courtes au bivouac à attendre sans presque dormir le réveil brutal qui surviendra comme un soulagement après des heures à grelotter sous la lune ou la pluie. Le point du jour, un repas frugal avalé en quelques minutes, et c’est reparti.

Le tempo, l’enchaînement des épreuves est savamment étudié ; il s’agit de créer l’incertitude, de supprimer les repères, d’abolir tout confort, de bouleverser les habitudes, de réveiller l’instinct dans un seul but : évaluer les capacités, tester la volonté, jauger la combativité.

La première quinzaine est rude : toujours dehors, par tous les temps, les stagiaires restent la plupart du temps mouillés, fatigués, nourris sans excès, à enchaîner sans temps mort les épreuves, sans être instruits de techniques qui leur permettraient d’améliorer leur situation. Ils ne doivent compter que sur leurs ressources propres, leur bon sens et leur intelligence aussi. L’homme face à lui-même, à ses doutes, ses peurs, ses limites, observé en permanence par les instructeurs, qui s’échine vers l’objectif qu’il s’est librement choisi.

Certains se blessent, d’autres, trop peu performants, sont éliminés. Pas d’encouragement « fais ce que tu as à faire, et tâche de bien le faire », pas de place pour l’autojustification « tu es seul responsable de ce qui va t’arriver, assume ton choix », pas de salut collectif mais une évaluation individuelle, même si le fonctionnement de la période permet le partage furtif des impressions et le soutien mutuel entre candidats. Néanmoins, chaque nuit dans l’obscurité, chacun fait son examen de conscience et remâche ses difficultés. Ainsi que le décrit le capitaine de corvette Philippe Kieffer, commandant du commando du même nom débarqué à Ouistreham à l’aube du D-Day, dans son livre Béret vert, lorsqu’il relate la dure formation reçue à l’école des commandos d’Achnaccary en Écosse en 1942 : « Une nuit, j’ai entendu, dans l’obscurité de la salle [où les candidats commandos dormaient], un officier sangloter : sanglots de fatigue morale et physique, sanglots fiers qui soulageaient, mais qui disaient aussi le refus de se rendre, d’avouer – “je n’en peux plus, je m’en vais” – ».

Cette période opère une clarification des objectifs et seuls ceux qui sont venus pour de bonnes raisons, le métier et les opérations, et non à la poursuite d’un mythe quelconque ou d’une gloire personnelle, trouvent en eux-mêmes, et par eux-mêmes, les ressources pour continuer.

Le week-end qui sépare les deux semaines d’évaluation initiale est libre d’activités, mais les candidats sont tenus en un lieu isolé et assez spacieux mais dont ils ne peuvent sortir. Ils s’y installent très sommairement pour deux jours et se reposent. Étonnamment, même malgré la pluie, la plupart en ressortent tous maux oubliés, la rage au cœur, le moral gonflé à bloc. Un peu de sommeil, le partage des difficultés, l’échange des impressions, le réconfort des camarades d’infortune, tout ceci permet à chacun de relativiser sa situation, de se détourner de ses propres tourments, et de regagner confiance dans ses chances de succès et volonté de ne rien lâcher.

Enfin, le caractère individuel de la sélection, qui s’opère néanmoins en groupe, soutient, par la façon dont les activités s’organisent, un comportement honorable. On ne peut céder sans combattre, sous le regard des autres attendant leur tour de passage ; la fierté et l’orgueil sont là de puissants leviers de performance.

L’école de la mer

Les activités nautiques et aquatiques tiennent une place prépondérante dans notre système. Outre que la mer (et plus largement les éléments liquides) est notre domaine d’excellence, sinon d’exclusivité, elle est pour nous une formidable école.

Comme la montagne, le désert ou la jungle, la mer est un milieu peu familier de l’être humain, et celui-ci, pour y survivre et opérer, doit déployer des efforts importants et faire montre de savoir-faire. Rien ne s’y improvise, et puisque c’est le milieu qui dicte sa loi, la précarité de sa condition n’échappe pas au marin. Alors, humilité, lucidité, discipline, courage et persévérance sont les qualités requises pour y évoluer. On peut travailler un champ, en façonner le profil, y faire pousser du blé ou paître du bétail, mais on ne domestique pas la mer. Ce caractère d’éminente liberté forge l’état d’esprit, la conscience de sa faiblesse le sentiment d’humilité.

Naviguer est pour nous une école de rigueur et d’exigence, qui doit déterminer le comportement professionnel des « commandos marine ».

« Surgis du ventre de la nuit, ils sont porteurs des foudres de Neptune. »

Il nous faut aimer la mer aussi, comme nous aimons notre métier, dont elle est indissociable.

Apprendre à s’y mouvoir en économisant ses forces, à en connaître les humeurs, à ne pas en avoir peur.

Les raids en embarcations pneumatiques, les nages à la palme se multiplient donc, car être mouillé, avoir froid, douter de sa position mais toujours l’estimer, sentir que la houle grossit, que le vent fraîchit, mais demeurer concentré, tous sens éveillés, sur la mission à effectuer une fois le raid mis à terre, sur les gestes à accomplir, en somme ne pas subir, voilà la peine nécessaire du commando à la dure école de la mer, celle qui trempe le caractère autant que les os.

Celle qui affermit, par là même, la capacité à garder bon moral et à préserver intact son potentiel en situation dégradée, en vue des moments décisifs, car alors, en opération, le danger véritable viendra du combat bien plus que de l’environnement.

Apprendre l’espoir

La confiance est une, sinon « la », condition essentielle du moral. Elle ne se décrète pas, elle se bâtit d’abord, pour un soldat, par la connaissance de ses propres capacités et de leurs limites, par celle de ses camarades ensuite, enfin par la maîtrise des matériels à disposition et l’exercice assidu des savoir-faire collectifs.

Ce sentiment de confiance nourrit l’esprit d’engagement et aide à affronter l’inconnu. C’est en effet l’inattendu que nous supportons le moins bien.

« Unexpected is to be expected » profèrent nos homologues britanniques, et cet adage peut s’illustrer de deux façons.

Tout ce qui, dans la préparation d’une opération, est fait pour porter les capacités à leur meilleur niveau, être certain de leur efficacité, prévoir les cas non-conformes réduit le sentiment d’incertitude, favorise celui de sécurité et confère un ascendant psychologique car la foi en ses chances de succès, ainsi forgée et loin d’être un optimisme béat, libère l’initiative et décuple la volonté d’aboutir. Mais qu’en est-il lorsque survient l’inattendu, lorsque la machine se grippe ? Comment se préserver du moral qui flanche, de l’espoir qui s’évanouit de réussir la mission ?

Nous considérons que si collectivement, les plus solides sauront peut-être trouver les ressources pour entraîner le groupe derrière eux, relancer l’espoir, et bien que totalement convaincus que l’esprit d’équipage est une force morale importante, nous devons armer chacun pour cette éventualité.

Il est impossible de recréer les conditions réelles des opérations. Néanmoins, la situation de survie en solitaire, toute relative qu’elle soit à l’instruction, possède des vertus en ce sens. Si chacun sait se sortir seul d’une situation délicate, la capacité du groupe à faire de même ne fera pas de doute.

Au cœur de la nuit, le groupe d’apprentis commandos vient de disposer soigneusement les charges explosives sur les pièces névralgiques de l’objectif que la mission a prévu qu’ils devaient détruire. Le retard à l’explosion est réglé sur une heure, bien assez pour être déjà loin lorsque la détonation retentira et rejoindre sans encombre la plage puis le sous-marin qui les attend au large selon la procédure prévue lors de la préparation. Tout va bien jusque là. En franchissant l’enceinte de l’objectif, des phares s’allument et se braquent sur eux, des voix s’élèvent, des chiens aboient. Des véhicules armés les encerclent, ils sont pris au piège, dos au grillage. Le chef de groupe ordonne de s’exfiltrer vers la zone d’ombre que tous ont bien identifié sur leur gauche, leur issue de secours peut-être ? En bon ordre ils s’élancent, ripostant de leurs armes. Ils savent comment se retrouver, en cas d’égarement, plus tard, car leur plan l’a prévu. Des points de rendez-vous ont été au préalable fixés, sur des positions et à des moments judicieusement choisis, assortis d’une procédure de reconnaissance. Ce sont leurs jalons sur la voie d’exfiltration. Malgré leurs efforts pour rester groupés, dans le tumulte qui s’ensuit, certains se retrouvent rapidement seuls. Une traque commence, des groupes d’instructeurs accompagnés de chiens, équipés de véhicules, parfois aidés d’hélicoptères, se lancent à leurs trousses. À plusieurs dizaines de kilomètres de distance, à plusieurs jours de marche, les candidats font route vers la zone sûre, vers leur port refuge. En attendant, c’est une tempête qu’ils affrontent, seuls. En échappant aux regards le jour, en forçant la marche dès la nuit tombée, le ventre creux, soucieux surtout de trouver de l’eau en chemin.

Ils savent que leurs chefs, avertis de l’événement malheureux et de la compromission de la mission, et qui ont connaissance de ce plan d’évasion, mettront tout en œuvre pour les récupérer, en respect des procédures établies, aux points de rendez-vous successifs. Peut-être même enverront-ils un hélicoptère tenter de les localiser ? Nantis de ce sentiment que l’on pense à eux, leur moral tient bon. Ils gardent à l’esprit le but à atteindre, tous sens en éveil, ils redoublent d’efforts. Ils savent qu’il ne faut pas abandonner, premier des courages.

Le docteur Bombard disait qu’« on meurt en mer d’abord de désespoir ». Jean-François Deniau, dans son livre Ce que je crois, ajoutait que l’on vit parce qu’on veut vivre ? La volonté, l’espoir, l’espérance, cette volonté d’espoir. Il illustrait son propos de l’histoire de ce jeune enseigne de vaisseau de la marine marchande qui, tombé au début de son quart, vers minuit, à la mer dans l’océan Pacifique, estime raisonnablement que, compte tenu que son commandant, constatant son absence à la relève de quart de 4h00 et une fois achevée la fouille du navire, n’hésitera pas à faire demi-tour pour le rechercher, se donne jusqu’à 9h15, une minute après l’heure estimée de retour du cargo sur la position de sa chute, avant de se laisser couler. En attendant, pour croire encore à la vie et survivre, il se remémore les moments forts, les joies, les peines de son existence. À 9h13, le bateau est là qui le récupère.

Dans cet exercice d’évasion en solitaire, ceux qui sont capturés seront constitués prisonniers, et traités comme tels. Autre épreuve que celle de la captivité. Privation de sommeil, harcèlement moral et physique, les candidats sont soumis à rude traitement. Ils ont appris comment chercher à alléger leur châtiment, comment essayer de reprendre l’initiative face aux geôliers, sans compromettre la mission ni nuire aux camarades susceptibles d’être dans une même inconfortable posture. Faire profil bas, garder sa lucidité, toujours conserver l’espoir de s’évader. Le reste tient aux ressources intimes. Une telle expérience, très stressante, nous semble de nature à permettre de repousser les limites de l’inattendu, à défricher un peu le champ de l’inconnu. Les candidats ne se pensaient sans doute pas capables de tenir en une telle situation pourtant fictive, certains savent maintenant qu’ils se trompaient. Voilà un facteur de confiance individuelle supplémentaire.

Le béret vert plus difficile à garder qu’à gagner

À l’échelle collective, l’entraînement est pour nous une attention constante. Facteur d’efficacité, un entraînement difficile prépare les succès de demain. Entraînement difficile, guerre facile.

Forgée dans l’épreuve, la confiance collective reste cependant volatile. Elle doit être entretenue. Par une mise en perspective des savoir-faire, des tactiques et des techniques, à la lumière des opérations ou de ce que nous enseignent des entraînements conduits aux limites, avec la volonté de progresser toujours. Des repères fiables alors s’établissent. La pratique systématique aussi, des séances de briefing et debriefing collectifs de toutes les activités, où chacun peut prendre la parole et enrichir le débat, fait partie de la méthode. Pour que l’information parvienne à chacun et lui soit utile. Comme un joueur d’échecs qui essaie d’emplir sa mémoire de mille parties déjà jouées pour y puiser le moment venu.

La remise en cause des acquis est un autre aspect du système.

Au cours de sa carrière, un commando franchira un certain nombre d’étapes correspondant à sa progression dans les niveaux d’emploi, selon ses possibilités et ses souhaits d’évolution. D’opérateur, il pourra devenir, quinze ans plus tard, chef de mission autonome. Mais à chaque étape, l’échec signifiera pour lui la remise en cause de son maintien en unité de commando. Opérées avec discernement et dans le but de ne faire progresser dans l’emploi que ceux qui en présentent les capacités, ces sélections successives nous paraissent garantir l’accès aux fonctions de commandement des commandos les plus capables. Une troupe vaut aussi par ses chefs. A fortiori quand ce chef doit conduire ses hommes pour des missions risquées, à caractère stratégique, dans des environnements complexes, avec une grande autonomie de décision mais aussi une grande vulnérabilité. Nous devons être sûrs de nos cadres.

Ce principe de remise en question régulière des acquis fait écho à l’adage qui veut que le béret vert soit plus difficile à garder qu’à gagner.

L’esprit « commando »

La sélection est terminée. Pour ceux encore présents, le succès est là. Corps éreintés, joues creusées, mais regards pleins de fierté, ils osent à peine esquisser un sourire de satisfaction, en retenue face à l’émotion qu’ils sentent monter en eux. Ils marchent en bon ordre vers la place d’honneur, un instructeur à leur tête, au son d’une cornemuse et d’une bombarde. La terre bretonne, la mer aussi qui nous envoie ses embruns, qui leur ont tant donné à souffrir durant toutes ces semaines, par cette mélodie pénétrante, leur rendent une sorte d’hommage.

Des anciens sont là pour leur remettre le béret vert. Certains sont encore en activité, d’autres, derniers rescapés du commando Kieffer, ont tenu à faire le déplacement depuis leurs retraites éloignées. Ils le font toujours avec grand plaisir malgré leur grand âge, heureux d’accueillir ces jeunes dans la grande famille des commandos, comme les patriarches qu’ils sont pour nous tous, et convaincus de l’importance de leur transmettre par cette sobre cérémonie l’essentiel de son héritage : son état d’esprit.

Ce fameux esprit « commando », mélange subtil et un peu trouble de maîtrise de soi et d’agressivité, d’initiative et de discipline, de goût du risque, de désinvolture et de rigueur, de volonté de vaincre et d’humilité. Un peu rebelle mais loyal, esprit corsaire en somme. Voici notre bien précieux, celui qu’il nous faut veiller à préserver et faire vivre malgré l’esprit normatif de l’époque et son goût immodéré pour les certitudes rassurantes.

Ce sont leurs actes et ce qu’ils réalisent en opérations qui parlent le mieux pour les commandos, et qui illustrent de la meilleure manière l’état d’esprit qui les anime, ce supplément d’âme que les plus romantiques disent tenir du béret vert et du badge « commando » eux-mêmes, soutien moral de tous les instants.

Ce savoir-être n’est-il pas en définitive, par-delà la compétence et le bagage délivré au cours du stage, l’enseignement majeur à retenir ?

Kieffer résumait ainsi cette idée, parlant de ses camarades qui, après la guerre et leur aventure commune, s’en étaient retournés chacun de leur côté poursuivre leur vie d’homme : « Ils gardent tous, enfouis jalousement quelque part parmi des souvenirs, un objet précieux entre tous. Aux heures de découragement, dans les moments difficiles de leur vie militaire ou civile, mais aussi quand la France est encore à l’honneur, ils sortent et regardent avec fierté leur béret vert. »

Conclusion

Ce témoignage montre la manière dont, au moyen d’un processus de sélection sévère et d’une formation complète sont détectées puis affermies, chez les « commandos marine », les forces morales nécessaires à leurs opérations.

Les prestations de terrain ne nous ont pas donné tort jusque là, malgré des engagements souvent difficiles et un taux d’activité élevé.

Les « commandos marine » tiennent leur rang. 

Synthèse Samuel majou

Le moral du combattant se construit.

La sélection, la formation et l’entraînement des « commandos marine » à l’école des fusiliers de Lorient constituent sur ce point un témoignage probant.

Ce témoignage, en regard de ceux issus de l’armée de terre, est marqué par une double originalité :

il montre en quoi ce fantassin d’élite qu’est le « commando marine » est pourtant porteur d’une « culture marine ».

il révèle, au sein de ces unités bien françaises, la trace, elle aussi profondément culturelle, de leurs origines britanniques.

Traduit en allemand et en anglais.

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