Le Comité paralympique et sportif français (cpsf) est l’instance du mouvement sportif qui représente, anime et coordonne l’ensemble des acteurs qui proposent, en loisirs comme en compétition, une offre sportive à destination des personnes handicapées. Selon les termes de sa charte éthique, il conduit son action, convaincu que « la pratique d’une activité physique et sportive est possible et souhaitable pour les personnes en situation de handicap. Elle nécessite une prise en compte différenciée, en fonction des besoins particuliers de chacun, afin qu’elle ne puisse, en aucun cas, constituer un risque physique ou psychique pour elle-même. Elle doit être un facteur de bien-être physique, psychique et social. Elle doit conduire l’individu à mieux mesurer ses propres capacités, à se fixer des objectifs, et constitue un appui dans l’autonomisation des personnes. Elle doit permettre à chaque individu de ne plus faire du handicap l’élément central de son identité et ainsi amener la société à ne plus percevoir le handicap comme la caractéristique première d’une personne ». Sa présidente, Marie-Amélie Le Fur, est elle-même une athlète handisport, détentrice de neuf médailles lors des Jeux paralympiques, dont deux en or lors de l’édition de Rio de Janeiro (2016) et quatre titres de championne du monde sur cent, deux cents et quatre cents mètres, ainsi qu’en saut en longueur. Elle a accepté de répondre à nos questions.
Inflexions : Une première question qui s’impose : en quoi le sport permet-il à une personne en situation de handicap de « s’élever » ?
Marie-Amélie Le Fur : Pour vous répondre, je vais commencer par un témoignage personnel avant d’élargir mon propos à d’autres formes de handicap. J’ai été amputée d’une jambe à la suite d’un accident. J’avais quinze ans, un moment de la vie qui est déjà en soi compliqué parce que l’on se cherche, que son corps change, que l’on apprend à se découvrir. C’est le sport, que je pratiquais déjà, véritable moteur psychologique, qui m’a donné un objectif me permettant de me relever et finalement d’initier ma reconstruction pour m’accepter en tant que personne en situation de handicap. Le sport, la pratique de l’activité physique et sportive m’ont permis de comprendre comment fonctionnait ce nouveau corps et quelles en étaient les limites. Ce dernier point est extrêmement important, parce que c’est un paramètre partagé par beaucoup de personnes en situation de handicap, qui doivent apprendre à s’affranchir des attentes externes pour finalement vivre la vie qu’ils souhaitent vivre. Dans mon cas, le sport m’a permis de prendre conscience de ce que j’étais encore capable de faire, là où la société voulait me mettre dans des cases parce que j’étais privée d’une jambe. Grâce à lui, j’ai donc pu vraiment me découvrir par moi-même, réussir des choses, échouer dans d’autres, et finalement comprendre quelles étaient les vraies limites, physiques mais aussi psychologiques, liées à mon handicap.
Inflexions : Le sport est donc un élément clé de l’acceptation de son handicap. Est-ce son seul effet ?
Marie-Amélie Le Fur : Non. Il ne s’agit que de la première étape. Le sport a un autre effet, qui est en fait son rôle premier : il permet de s’affirmer. Il aide à prendre conscience de toutes les capacités que l’on possède, même avec un corps différent, à bien vivre le handicap et à être bien dans sa peau, et ainsi à travailler la confiance en soi qui va permettre de renvoyer une image très différente de la vision habituelle qui est portée sur les personnes en situation de handicap.
Inflexions : Peut-être est-ce plus compliqué pour les handicaps les plus lourds ?
Marie-Amélie Le Fur : En effet, c’est plus simple pour les personnes atteintes d’un handicap léger ou qui n’est pas totalement visible. Lorsque celui-ci est plus important, je pense que le sport a vocation à sortir les personnes atteintes d’une forme d’isolement social. Pendant très longtemps, la société des valides et celle des non-valides ont été deux mondes totalement séparés. Aujourd’hui, on cherche à adapter aux capacités de chacun le sport lui-même mais aussi l’environnement de sa pratique. Celle-ci constitue alors un trait d’union pour réunir ces mondes, pour faire en sorte que les personnes handicapées sortent de chez elles. Ce faisant, on va démontrer que dès l’instant où l’on adapte l’environnement, que l’on adapte la règle, il est possible de créer un cadre « capacitant » pour la personne en situation de handicap, et ainsi lui offrir une source de performance et d’épanouissement. Cette démarche est l’essence même des Jeux paralympiques qui existent depuis 19601, mais aussi des Invictus Games2, qui concernent le monde militaire. Malheureusement, je pense que nous n’avons pas encore atteint dans cette approche un niveau de maturité suffisant pour l’élargir à d’autres volets de la vie en société, notamment dans l’entreprise. Il s’agit là d’un enjeu majeur, car il faut définitivement éviter les environnements qui ajoutent un « sur-handicap ».
Inflexions : Ce dernier point est important. Comment se situe la France en la matière ?
Marie-Amélie Le Fur : En comparaison de certains de ses voisins européens, la France est en retard dans la prise en compte de la place des personnes en situation de handicap. Certaines ont du mal à trouver leur place dans la société et sont dès lors un peu en marge. La culture et la façon de penser le handicap dans les sociétés britannique ou nordique sont très différentes ; elles devraient être une source d’inspiration pour adapter notre façon de faire en tenant compte de notre héritage. Une évolution est toutefois en cours, avec une volonté réelle, même si cela reste encore trop une affaire de spécialistes et que les acteurs du « droit commun » ont du mal à s’impliquer concrètement. Or, aujourd’hui, il faut que ce soit ces derniers qui réfléchissent systématiquement à l’accessibilité et à l’adaptation, voire aussi au développement de dispositifs spécifiques quand ces deux aspects ne sont pas pertinents ou suffisants. L’enjeu des politiques publiques est de mobiliser ces acteurs et d’avoir une approche transversale qui permet d’embrasser la globalité des problématiques liées au handicap.
Inflexions : En matière sportive, quel est l’équilibre à trouver ? Est-ce une pratique du parasport3 dans des clubs spécifiques, peut-être plus propices à la création d’un environnement « capacitant », ou la recherche de la mixité et de l’inclusion ?
Marie-Amélie Le Fur : Il ne peut y avoir un modèle qui prenne le pas sur un autre. L’approche doit rester équilibrée. Un modèle de société totalement inclusive, que ce soit dans le sport ou dans d’autres domaines, ne peut pas être la réalité de demain, d’une part parce qu’il y a des formes de handicap inadaptées à une inclusion qui serait trop difficile ou trop violente pour les personnes concernées, d’autre part, parce que la création d’un environnement adapté dans le milieu ordinaire serait bien trop compliquée. Il faut donc continuer à tendre vers l’inclusion en renforçant la pratique partagée qui permet de sortir d’un mode de pensée « validiste » qui conçoit le sport valide pour les personnes valides et, en même temps, conserver des clubs ou des sections spécialisés offrant une pratique très diverse et très différenciée. Cette mixité d’offre est essentielle pour permettre à chacun de trouver sa place et sa pratique, ce qui reste l’objectif fondamental.
Inflexions : Au regard de cet objectif, comment arrive-t-on aujourd’hui à toucher le public des personnes en situation de handicap pour lui faire connaître l’offre existante ?
Marie-Amélie Le Fur : Il s’agit là d’une vraie difficulté. Il est très compliqué d’identifier les jeunes handicapés scolarisés dans le milieu ordinaire. Pour leur passer un message ciblé et adapté à leur situation, nous devons donc conduire des actions de communication spécifiques, fortes et récurrentes, au plan national comme au plan local. En capitalisant sur la visibilité des Jeux paralympiques, il faut valoriser les compétitions locales et la diversité des pratiques possibles sur leur territoire. Il faut également réussir à toucher leurs parents et leur environnement.
Cette difficulté appelle aussi une réflexion sur la pratique sportive durant le temps scolaire. L’école est aujourd’hui un lieu où l’appétence des jeunes pour le sport est favorisée. Mais en matière de parasport, il y a une forme de réticence du corps médical, plutôt enclin à donner des dispenses qu’à pousser à la pratique par peur du sur-handicap. L’adaptation du sport scolaire pourrait pourtant se faire avec l’appui du mouvement sportif. Au regard des enjeux évoqués précédemment pour l’acceptation et l’affirmation des personnes en situation de handicap, il s’agit d’une véritable piste d’amélioration.
Au-delà de la communication sur l’offre existante, l’un des véritables défis actuels est de renforcer l’offre de pratique existante pour faire en sorte que chaque personne puisse accéder, à proximité de chez elle, à un sport adapté à son envie et à son handicap. Pour cela, nous devons renforcer la formation des clubs de proximité.
Inflexions : Constatez-vous une évolution du regard que la société française porte sur le handicap grâce au parasport ? Est-il un vecteur important d’inclusion, ou à tout le moins de reconnaissance ?
Marie-Amélie Le Fur : Oui, le sport a un effet direct sur l’évolution du regard qui est porté sur le handicap, au moins de deux façons. La première est que le parasport permet de montrer et de mettre en avant le champ des compétences et des capacités des personnes en situation de handicap, ainsi que l’adaptabilité dont elles peuvent faire preuve. Cela casse l’image un peu négative de personnes en difficulté et c’est en ce sens une très bonne chose. La seconde façon est plus éducative, car le parasport permet de faire connaître l’ensemble des formes de handicap4, qui sont souvent méconnues, tout comme leurs réalités et leurs contraintes. Il a donc un rôle pédagogique, car la découverte permet la compréhension et une meilleure prise en compte, ainsi qu’une réduction de l’appréhension que peuvent avoir certaines personnes valides face au handicap.
Inflexions : Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 auront lieu dans moins de deux ans. Peuvent-ils concourir à donner une meilleure visibilité au parasport ?
Marie-Amélie Le Fur : Nous sommes en effet à dix-huit mois des Jeux. Les Jeux olympiques se tiendront du 26 juillet au 11 août 2024 et les Jeux paralympiques du 28 août au 8 septembre 2024. Au total, quinze mille athlètes seront présents : dix mille cinq cents athlètes et quatre mille cinq cents para-athlètes. L’exposition offerte par cet événement populaire et international sans équivalent est unique et il faut en profiter. C’est le meilleur moment pour favoriser une prise de conscience du grand public de l’importance de mettre le sport au cœur de la vie des personnes en situation de handicap. Derrière cette démarche, il y a des enjeux sociaux, sanitaires et de cohésion sociale, comme nous l’avons vu et abordé précédemment. Il s’agit d’un volet important des Jeux : les bienfaits à long terme qu’ils procurent. C’est pourquoi il faut profiter de cet événement dès aujourd’hui pour changer les choses durablement, tant qu’une forte exposition est offerte au paralympisme. Les Jeux doivent donner l’opportunité de mobiliser l’ensemble de la société, et pas seulement les acteurs spécialisés, mais tous les acteurs, publics et privés, ainsi que le mouvement sportif, pour développer l’offre et son adaptation, et mettre en lumière les pratiques. Facteur d’acceptation, d’affirmation et d’inclusion, le parasport pourra ainsi pleinement jouer son rôle social, sociétal et sanitaire.
Propos recueillis par Hugues Esquerre
1 Dès 1948, Ludwig Guttmann, médecin neurologue de l’hôpital de Stoke Mandeville dans le comté de Buckinghamshire près de Londres, eut l’idée d’organiser sur le terrain de l’hôpital les premiers Jeux mondiaux des chaises roulantes et des amputés (World Wheelchair and Amputee Games). Connus plus tard sous le nom de Jeux de Stoke Mandeville, ils étaient destinés à réhabiliter par la pratique physique des victimes et anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale devenus paraplégiques. Deux équipes d’anciens combattants ont alors participé à une unique épreuve, le tir à l’arc. Les 9e Jeux eurent lieu à Rome en 1960 une semaine après les Jeux olympiques d’été, et l’on considère qu’il s’agit là des premiers Jeux paralympiques. Les premiers Jeux paralympiques d’hiver se déroulèrent à Örnsköldsvik en Suède en 1976.
2 Compétition multisports pour soldats et vétérans de guerre blessés, créée en 2014 par le prince Harry de Galles, en s’inspirant des Warrior Games pour soldats et vétérans américains en situation de handicap, mais avec une portée internationale.
3 Le parasport est une terminologie récente qui regroupe le handisport pour la pratique sportive des personnes handicapées physiques ou sensorielles, et le sport adapté pour le handicap mental ou psychique.
4 Il existe dix catégories de handicap définies par le Comité international paralympique : perte de force musculaire, perte de mobilité articulaire passive, atteinte d’un membre, différence de longueur de jambe, petite taille, hypertonie, ataxie, athétose, déficience visuelle et handicap intellectuel. La raison d’être principale du système de classification est de garantir une équité entre les athlètes.