« Toujours courageux et fier »
Henri Martin1
On ne prend conscience de la valeur d’un objet ou d’un être que lorsqu’il se casse ou disparaît, comme si la conscience accusait toujours un retard sur la valeur qu’elle confère aux choses que l’habitude recouvre d’un vernis de normalité. En ce sens, l’expérience douloureuse de la perte, de la disparition, nous fait prendre conscience de ce dont nous mesurions si mal l’importance et davantage encore la nécessité.
Il revient à Michel Tournier, dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, d’avoir exploré, sur un mode fictionnel, cette expérience révélatrice de la perte en analysant les effets de la solitude sur Robinson. Et l’un d’entre eux est la folie – foyer de la perversité –, qui provient de l’incapacité de celui-ci à distinguer le moi du monde, car il lui manque quelque chose dont il n’aperçoit l’importance que lorsqu’elle vient à disparaître : la « structure pour autrui »2.
En effet, qui n’a jamais fait cette expérience étrange de douter de sa propre santé mentale lorsque, percevant quelque chose, nous demandons à autrui sa confirmation et que celui-ci, pour quelque raison que ce soit, ne le fait pas ? Ce qui nous menace alors, c’est la confusion entre le moi et le monde, au point de ne plus être en mesure de savoir ce qui vient de moi et ce qui vient du monde. Or, ce qui nous prémunit de cette confusion perceptive et mentale, c’est l’autre dans lequel nous plaçons notre confiance.
Si ce détour par le roman de Tournier nous a paru nécessaire, c’est que ce monde sans autrui c’est aussi le camp. Cette « expérience ultime du désert »3. Institution centrale des régimes totalitaires nazi et stalinien, il est, comme l’affirme Hannah Arendt, le « laboratoire où la conviction fondamentale du totalitarisme que “tout est possible” se vérifie »4. Si la fonction du camp peut varier (emprisonner, rééduquer, travailler, exterminer), il n’en reste pas moins que sa finalité est toujours la même : « Éliminer dans des conditions scientifiquement contrôlées la spontanéité [c’est nous qui soulignons] elle-même en tant qu’expression du comportement humain5. »
Tant pour Hannah Arendt que pour Henri Bergson, la spontanéité désigne l’advenue d’un événement inattendu qui vient briser la chaîne du temps chronologique. Dit autrement, la spontanéité est l’expression de notre liberté en tant que le propre de notre action6 est son imprévisibilité. Toute l’entreprise du camp consiste précisément à éliminer cette dimension fondamentale de l’humanité en rendant l’homme prévisible et en le réduisant à ses seules fonctions vitales. Véritables « animaux résignés »7, les détenus doivent être rendus prévisibles afin que leur éventuelle spontanéité ne menace pas la réalisation de l’idéologie nazie. Réduire l’homme à sa seule et unique dimension biologique, et éteindre par là même la dimension métaphysique qui l’élève à son humanité : le camp comme nuit de la métaphysique de l’Homme.
Or, et c’est ce que nous tenterons de montrer au cours de notre réflexion, cette extinction de la spontanéité humaine n’est possible qu’à la condition de détruire ce qui la rend possible : la confiance. En effet, et là réside l’immense portée de la réflexion d’Hannah Arendt, l’action n’est possible que grâce à la pluralité qui, elle-même, ne peut pas ne pas s’appuyer sur la confiance dont nous ne nous rendons compte de l’importance que lorsque nous sommes sur le point de la perdre.
- Complexité et fragilité de la confiance
Cette tentative de destruction de la spontanéité humaine et, en tant que telle, de l’action suppose de s’attaquer à son socle inaperçu : la confiance. Provenant du latin con-fidere (cum « avec », et fider « fier »), la confiance est l’idée que l’on peut et que l’on doit se fier à quelqu’un à qui l’on remet quelque chose de précieux – en l’occurrence, et dans des cas extrêmes, sa vie – en se fiant à lui et en s’abandonnant à sa bienveillance supposée ou réelle. En ce sens, la confiance révèle notre capacité à « tisser des liens », selon l’expression employée par Platon dans Le Politique. La confiance est donc fondamentale car, sans elle, pas de subjectivité et pas de communauté humaine.
À cet égard, les sciences sociales, sous la double impulsion de Georg Simmel et de Niklas Luhmann8, ont mis en exergue le fait que la confiance est ce qui rend possible le développement de la socialité et le fonctionnement des institutions socio-politiques dans une perspective déjà envisagée par le philosophe anglais John Locke. En effet, pour ce dernier, le contrat social repose tout ou partie sur le trust.
Mais, au-delà ou en deçà de cette approche politique de la confiance, il existe plusieurs modalités de celle-ci qu’il importe d’identifier afin d’en mieux cerner la complexité. Comme le montre Simmel, notre être-au-monde repose sur la « confiance primordiale »9, qui est de l’ordre de la dette : je dois aux autres d’être au monde et ma vie en tant que telle est toujours hétéro-fondée. Ainsi, ma vie repose-t-elle sur cette confiance primordiale que j’accorde, dès ma naissance, à mes parents dont le regard constitue la matrice du déploiement de ma subjectivité. En ce sens, et comme le remarque justement Marc Hunyadi10, la confiance primordiale est toujours pratique en tant qu’elle permet notre insertion dans le monde auquel, également, nous apprenons à faire confiance. On voit que nous avons déjà affaire à au moins deux modalités de la confiance : une confiance primordiale-originaire dans les autres et une confiance sociale-dérivée dans le monde. Et c’est au croisement de ces deux modalités que se déploie notre subjectivité, qui est toujours déjà en elle-même une intersubjectivité.
À côté de cette confiance primordiale et originaire, il existe donc une confiance calculée et secondaire, en l’occurrence une confiance sociale qui suppose des preuves objectives. Je ne saurais en effet m’engager avec autrui et dans les institutions socio-politiques sans que celles-ci ne m’apportent les preuves nécessaires de leur fonctionnement. De ce point de vue, nous pourrions dire, dans une perspective maussienne, que la confiance s’inscrit dans le circuit du don et du contre-don : je ne donne ma confiance qu’à la condition qu’autrui ou les institutions me la donnent en retour. Nous avons donc trois modalités de la confiance qui interagissent les unes avec les autres pour former notre subjectivité, notre mondanéité et notre intersubjectivité sociale.
Malgré cette distinction, il n’en reste pas moins que la confiance, entendue de manière générique, comporte toujours une part de dangerosité. Simmel écrit à juste titre : « Celui qui sait n’a pas besoin de faire confiance, celui qui ne sait rien ne peut raisonnablement même pas faire confiance11. » La confiance se trouve toujours dans un espace ambigu, en l’occurrence celui de l’incertitude. Nous ne sommes pas des dieux, encore moins le démon de Laplace12, et, en tant que tels, nous sommes dans la nécessité à la fois vitale et sociale d’octroyer notre confiance quand bien même subsistent d’irréductibles îlots d’incertitude. Et cela a des conséquences considérables sur notre rapport au monde, qui outrepasse la raison et qui suppose ce que Karl Jaspers appelle un « saut dans l’existence »13. Exister, c’est toujours sauter en acceptant de prendre le risque de la déception, de la trahison, voire, pire, de la destruction.
- La désolation : annihilation de la confiance
Ce que révèlent les récits concentrationnaires, c’est la manière dont le camp fonctionne comme une machine à détruire la confiance dans ses différentes modalités. Ce lent et minutieux processus d’érosion se caractérise par ce qu’Hannah Arendt appelle la « désolation »14 et qui constitue l’une des caractéristiques du totalitarisme. Ainsi écrit-elle que « ce qui rend la désolation si intolérable c’est la perte du moi, qui, s’il peut prendre réalité dans la solitude, ne peut toutefois être confirmé dans son identité que par la compagnie confiante et digne de confiance de mes égaux. Dans cette situation, l’homme perd la confiance qu’il a en lui-même comme partenaire de ses pensées et l’élémentaire confiance dans le monde, nécessaire à toute expérience. Le moi et le monde, la faculté de penser et de faire une expérience sont perdus en même temps »15. Dans ce passage important et peu exploité, elle analyse les différentes modalités de la confiance et leur intime interaction par laquelle un homme accède à sa condition d’homme, en l’occurrence la confiance en soi et la confiance en l’autre. Et toute l’entreprise du camp, du Lager16, est d’amener l’homme dans le « désert de la désolation » où il ne peut entrer en contact ni avec les autres hommes ni avec lui-même.
Afin de comprendre la portée de ce terme, il importe de le distinguer de l’isolement, d’une part, et de la solitude, d’autre part. Dans une perspective similaire à celle de Montesquieu, dont elle se réclame explicitement, Arendt entreprend une typologie des gouvernements17. Pour ce faire, elle distingue tyrannie et totalitarisme, celle-là étant l’antichambre de celui-ci18. En effet, dans un régime tyrannique, les hommes sont séparés les uns des autres au sein de l’espace public. « L’isolement et l’impuissance, c’est-à-dire l’incapacité fondamentale et absolue d’agir, ont toujours été caractéristiques des tyrannies. Dans un régime tyrannique, les contacts politiques entre les hommes sont rompus et les aptitudes humaines pour l’action et le pouvoir sont contrecarrées19. » Mais si l’isolement caractérise en propre la tyrannie, celle-ci ne saurait être confondue avec le régime totalitaire.
La différence entre tyrannie et totalitarisme réside dans le fait que, dans et par celui-ci, l’homme est conduit, au-delà de l’isolement, vers la désolation. De quoi s’agit-il ? Comme nous l’avons dit en amont, si la tyrannie coupe et, littéralement, isole les hommes les uns des autres dans l’espace public, le totalitarisme va plus loin en pénétrant l’espace privé, lieu où les hommes se retrouvent seuls avec eux-mêmes, en relation avec leur propre pensée qu’ils élaborent loin de la fureur des idées communes et des préjugés.
À la différence de la tyrannie qui la laisse intacte, le totalitarisme s’attaque à ce qu’Arendt appelle la « solitude », ce dialogue deux-en-un où, étant avec moi-même, je me dédouble et pratique intimement et intérieurement la philosophie dans une citadelle imprenable. La solitude apparaît en ce sens comme la sentinelle d’une pensée libre qui se prémunit, autant que faire se peut, de l’immixtion de l’idéologie – l’une des caractéristiques du régime totalitaire en plus de la terreur dont elle est l’outil et le camp son institution.
Ce qui fait toute la force destructrice du régime totalitaire, c’est donc, d’une part, qu’il isole les hommes les uns des autres et, d’autre part, qu’il fait du monde un désert où l’homme ne peut se retrouver ni avec les autres ni avec lui-même. Cette double crise de la communauté et de la solitude aboutit à la désolation, « expérience absolue de non-appartenance au monde, qui est l’une des expériences les plus douloureuses et les plus désespérées de l’homme »20. Le monde, concept central de la philosophie arendtienne, est ce qu’elle appelle l’« inter-esse », c’est-à-dire à la fois ce qui nous relie et ce qui nous sépare, un entre-deux où les hommes sont à la fois ensemble et seuls à seuls. Mais, encore une fois, et nous ne saurions que trop le répéter, le commun suppose, comme son transcendantal, la confiance.
En séparant les hommes les uns des autres, le régime totalitaire sape la confiance sociale ; et en séparant l’homme de sa propre intériorité, il détruit la confiance en soi. C’est toute la structure complexe de la confiance qui se trouve entourée par le cercle de feu du totalitarisme.
Et l’une des conséquences de la désolation est la fin de l’action. En effet, et comme le montre Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne, l’action – la troisième condition qu’elle identifie avec le travail et l’œuvre – ne peut se mettre en mouvement qu’avec les autres. Il n’y a jamais d’action que plurielle et, en tant que telle, la pluralité devient condition de l’action. Agir, c’est en effet toujours agir dans un monde, avec les autres et avec des autres sur lesquels mon action se répercute sans que je ne sois jamais en mesure d’en mesurer toutes les conséquences. Ainsi, le propre de l’action est son imprévisibilité et le propre de l’histoire humaine la contingence, le fait que les choses peuvent toujours dévier de leur cours. Or, en s’employant à saper la confiance sociale, le totalitarisme érode la pluralité et, par là même, l’action. C’est toute la chaîne de l’action qui se trouve entaillée dès lors que la confiance est amoindrie. La conséquence d’une telle destruction de la confiance en l’autre – quand bien même l’autre existerait encore en tant qu’autre – est que le cours du monde devient prévisible et que, par là même, la réalisation de l’idéologie ne rencontre plus aucun obstacle. On voit donc que la terreur est au service de la réalisation de l’idéologie qui devient autoréalisatrice. Et à l’intérieur de ce dispositif de terreur, le camp constitue le laboratoire où l’homme, isolé, désolé, jamais seul et jamais avec les autres, se trouve réduit à ses simples fonctions biologiques. Nous retrouvons l’idée que nous avions soulevée au départ : le biologique pur comme fin de la métaphysique.
- La confiance primordiale : noyau inaltérable
de la résistance au camp
Toutefois, ce dont attestent les récits des camps, c’est que quelque chose résiste à ce lent et quotidien processus d’annihilation de l’homme : la fraternité. Deux récits nous semblent illustrer ce noyau de résistance : L’Espèce humaine de Robert Antelme, publié en 1947, et L’Écriture ou la vie de Jorge Semprun, publié en 1994. Tous deux ont été déportés à Buchenwald. Et malgré leurs divergences, parfois même leurs critiques respectives, quelque chose les réunit : le camp ne serait pas parvenu à détruire la fraternité humaine qui repose sur une confiance non calculée, une confiance primordiale parce que vitale. La confiance en l’autre, en cet autre-ci, inconnu ou méconnu, qui offre un dos, une main, un bras, un regard qui vient, selon les mots de Sarah Kofman, « suppléer à votre “moi” qui ne peut plus être un “moi” »21, précisément parce que l’autre n’est plus là pour l’attester. Monde de fous où chacun est un Robinson.
L’un des termes qui revient le plus souvent sous la plume d’Antelme est « copain » ; et l’on découvre, à travers son récit, qu’au sein même de l’enfer du camp, il existe des poches d’humanité qui passent par l’entretien de liens de solidarité, davantage haptiques, davantage physiques que phoniques tant les langues font obstacle à l’expression de la confiance. Ce sont ces liens qui ont permis à certains, peu nombreux, de se protéger de la folie et de la mort, et de maintenir, coûte que coûte, l’espèce humaine au-delà de la destruction et de la dépravation. Cette solidarité, fondée sur la nécessaire et non réflexive confiance en l’autre, a permis de maintenir le moi dans le nous « qui dans le texte d’Antelme concurrence et tend à supplanter le “on” indéfini et anonyme »22. Le « nous » des copains contre le « on » d’un numéro anonyme et déshumanisé. Et dans cette expérience de solidarité et de fraternité vitales, le visage parle, le visage devient texte expressif, « langage muet qui empêchait de sentir le froid, la faim, les ss. Il y a donc quelque chose, un reste, contre lequel les ss ne pouvaient rien, ni les barbelés ni la famine ni les poux »23.
Qu’est-ce donc ce qui, au lieu d’être détruit, s’est trouvé renforcé par la destruction elle-même ? Dans un vocabulaire résolument proche de Schopenhauer, Robert Antelme évoque la volonté de vie. Dans un passage stupéfiant, comme un pied de nez fait aux « anges de la mort », pour reprendre une expression de David Rousset, il écrit : « On n’a rien à faire, mais il faut rester dehors ; c’est cela l’important. Nous devons rester ici, par petits groupes, agglutinés, les épaules rentrées, tremblants. Le vent entre dans les zébrés, la mâchoire se paralyse. La cage d’os est mince, il n’y a déjà presque plus de chair dessus. La volonté subsiste seule au centre [c’est nous qui soulignons], volonté désolée, mais qui permet seule de tenir24. »
Mais cette volonté ne saurait tenir s’il n’y avait pas les autres auxquels on donne confiance sans calcul, sans anticipation des comportements futurs, autrement dit une confiance primordiale, archaïque, que les camps forcent à expérimenter, à retrouver au-delà des conventions sociales. Ce n’est donc pas un hasard si, dans sa recherche de ce qu’est l’espèce humaine au-delà du mal, au-delà de la désolation, le récit d’Antelme se termine sur un rapport silencieux de confiance mutuelle avec un Russe dont il ne voit pas le visage : « Je ne l’ai pas vu. Demain je ne le reconnaîtrai pas. L’ombre de son corps s’est penchée. Un moment passe. Rien n’existe plus que l’homme que je ne vois pas. Ma main sur son épaule. La fraternité des gestes envers un inconnu : telle est l’expression du lien le plus humain qui existe entre un homme et un autre homme25. »
Ce passage d’Antelme fait écho à un épisode central de L’Écriture ou la vie de Jorge Semprun dans lequel il raconte comment, à Buchenwald, il a retrouvé celui qui a été son professeur et qui est son ami, Maurice Halbwachs, en train de mourir dans des circonstances dont toute dignité s’est échappée : « [Il] était parvenu à la limite des résistances humaines. Il se vidait lentement de sa substance, arrivé au stade ultime de la dysenterie qui l’emportait dans sa puanteur. Alors, dans une panique soudaine, ignorant si je puis invoquer quelque Dieu pour accompagner Maurice Halbwachs, conscient de la nécessité d’une prière, pourtant la gorge serrée, je dis à haute voix, essayant de maîtriser celle-ci, de la timbrer comme il faut, quelques vers de Baudelaire. C’est la seule chose qui me vienne à l’esprit. “Ô mort, vieux capitaine, il est temps, levons l’ancre…” Le regard d’Halbwachs devient moins flou, semble s’étonner. Je continue de réciter. Quand j’arrive à “nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons”, un mince frémissement s’esquisse sur [ses] lèvres. Il sourit, mourant, son regard sur moi, fraternel26. »
C’est cette fraternité qui rétablit la vie au sein de la mort, aussi ignoble et indigne soit-elle. Et comme le remarque Paul Ricœur27, qui conduit une belle méditation sur ce passage de L’Écriture ou la vie, en racontant son agonie, Semprun arrache Halbwachs à la massa perdita28, car dans le camp la mort est anonyme. Selon Ricœur, cette scène est marquée par le donner/recevoir qui s’exprime par le toucher et le regard – « j’avais pris la main d’Halbwachs qui n’avait plus la force d’ouvrir les yeux. J’avais senti seulement une réponse de ses doigts, une pression légère » – et le don du poème de Baudelaire – « quelques vers de Baudelaire »29. Analysant ce passage, il insiste sur la dimension emphatique de la scène : « Ce n’est pas un gémir-avec, comme la pitié, la commisération, figures de déploration, pourraient l’être ; c’est un lutter-avec, un accompagnement30. »
C’est de cette expérience de la fraternité où la confiance est donnée à l’autre sans contrepartie aucune que s’éclaire la citation empruntée à Malraux que Semprun place en exergue de L’Écriture ou la vie : « Je cherche la région cruciale de l’âme où le Mal absolu s’oppose à la fraternité31. » Par la confiance primordiale, érodée mais pas annihilée, les hommes sauvent leur dimension métaphysique et le camp devient, paradoxalement, l’expérience de la fraternité la plus intense. Robinson enfin arraché à sa désespérante solitude.
1 Henri Martin est né à Moux (Aude) en 1922. Désigné pour partir au Service du travail obligatoire (sto), il s’engage dans la Résistance et, avec quelques camarades, fait dérailler un train. Arrêté et torturé, il prend toute la responsabilité des faits. Avant d’être exécuté, il écrit à son frère Clément une lettre pleine de courage et de confiance en l’avenir. Nous lui rendons hommage.
2 Nous empruntons cette expression à Gilles Deleuze dans le commentaire magistral qu’il propose du roman de Michel Tournier. G. Deleuze, « Le monde sans autrui », Logique du sens, appendice III, Paris, Éditions de Minuit, 1969.
3 Il convient de noter que le désert tel que l’entend Deleuze n’a rien à voir avec l’acception que lui confère Hannah Arendt. En effet, à titre indicatif, celui de Deleuze est peuplé là où celui d’Arendt est désolé.
4 H. Arendt, Le Système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972, p. 243.
5 Ibid.
6 Dans Condition de l’homme moderne, Arendt liste trois conditions qui commandent notre accès à la condition humaine. Et l’une d’entre elles est l’action, dont nous mesurerons l’importance dans notre réflexion sur la confiance.
7 H. Arendt, op. cit., p. 245.
8 G. Simmel, Études sur les formes de socialisation, Paris, puf, 2013 ; N. Luhmann, La Confiance. Un mécanisme de réduction de la complexité sociale, Paris, Economica, 2006.
9 Il appartiendra en effet à Simmel de distinguer confiance primordiale et confiance sociale, comme nous le montrerons ci-dessous.
10 M. Hunyadi, Au début est la confiance, Lormont, Éditions Le Bord de l’eau, 2020, p. 232.
11 G. Simmel, op. cit., p. 318.
12 L’expression fait référence à une expérience de pensée menée par Pierre-Simon Laplace dans son ouvrage Essai philosophique sur les probabilités (1814) pour illustrer son interprétation du déterminisme dur.
13 K. Jaspers, Raison et Existence, Presses universitaires de Grenoble, 1978.
14 H. Arendt, op. cit., p. 305.
15 Ibid., p. 307.
16 Il est intéressant de noter la manière dont Primo Levi, dans Si c’est un homme, utilise la langue allemande pour nommer le camp, comme si, par là même, il s’appropriait à la fois la langue et la réalité qu’elle désigne.
17 Dans Qu’est-ce que la politique ?, Arendt définit la politique dans le sens que lui confère Aristote, c’est-à-dire avoir le souci du bien commun. Rien n’est en effet plus étranger à la politique que le totalitarisme, qui s’appuie sur une idéologie indiscutable mise en œuvre par la terreur.
18 Rappelons à cet égard que la tyrannie n’est pas l’antithèse de la démocratie mais sa maladie. Cette perspective sera approfondie par Claude Lefort pour ce qui concerne les liens entre démocratie et totalitarisme.
19 H. Arendt, op. cit., p. 306.
20 Ibid.
21 Voir à ce propos le texte magnifique de Sarah Kofman « Les mains d’Antelme » placé comme post-scriptum à Paroles suffoquées, Paris, Galilée, 1987. Disponible à : https://www.cairn.info/revue-lignes0-1994-1-page-159.htm
22 Ibid.
23 Ibid.
24 R. Antelme, L’Espèce humaine, Paris, Gallimard, 1957, p. 75.
25 Ibid., p. 321.
26 J. Semprun, L’Écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1994, p. 34.
27 P. Ricœur, Vivant jusqu’à la mort, Paris, Le Seuil, « Point Essais », 2019.
28 Nous empruntons cette expression à l’ouvrage remarquable de Corinne Benestroff, Jorge Semprun. Entre résistance et résilience, Paris, cnrs Éditions, 2017.
29 J. Semprun, op. cit.
30 P. Ricœur, op. cit., p. 48.
31 J. Semprun, op. cit., page d’ouverture.
“Brave and proud, always”
Henri Martin1
The true value of an object or of a being only becomes apparent to us once it breaks or dies; it’s as if our consciousness was always one step behind its own set of values, whilst our habits irremediably envelop each subject in a veneer of normality. In this sense, the painful experience of loss, or disappearance, brings to our awareness the very things that we have so poorly considered—both in terms of importance and, even more so, in terms of necessity.
This brings to mind Michel Tournier’s fiction Friday, or The Other Island, which explores the revelatory experience that is loss by analysing the effects of true loneliness on Robinson Crusoe. Among these effects, we find madness—the very source of perversity—that stems from the character’s inability to distinguish the “self” from the rest of the world. He was indeed lacking something, the importance of which he was only able to realise once he had lost it: “structure for others”2.
We have all had the unsettling experience of doubting our own sanity, specifically when asking others to confirm our perceptions and they, for whatever reason, fail to do so. At that very moment, we are vulnerable to this confusion between the self and the rest of the world, to the extent that we are no longer able to distinguish the outside world’s input from our own. It is ultimately the other, in whom we place our trust, who protects us from such forms of perceptual and mental confusion.
This digression regarding Tournier’s novel seemed a necessary one nonetheless, as the idea of a world without others resonates with what we know about concentration camps. This “ultimate experience of a desert”3 was a cornerstone of the Nazi and Stalinist totalitarian regimes. Hannah Arendt described the camps as the “laboratory where the fundamental totalitarian view that ‘anything is possible’ becomes true”4. While each camp’s function may have varied (imprisonment, re-education, forced labour or extermination), their main purpose remained consistent: “To eliminate spontaneity [Editor’s note: emphasis added] itself, as an expression of human behaviour, under scientifically controlled conditions”5.
Arendt and Bergson seem to agree that spontaneity designates an unexpected event that marks a clear break in the unfolding of time. In other words, spontaneity is the expression of our freedom, insofar as our actions6 are defined by their unpredictability. The whole point of such camps was precisely to eliminate this fundamental dimension of humanity, by making mankind predictable and reducing it to its bare vital functions. As true “housebroken animals”7, prisoners are rendered predictable, thus preventing any spontaneity from threatening the fulfilment of Nazi ideology. Mankind is reduced to a mere biological dimension, thereby snuffing out the metaphysical flame that grants it its place in humanity: in the metaphysics of man, camps are nothing less than the darkest of nights.
Throughout the course of our reflexions, we intend to underline the fact that human spontaneity can only be extinguished by putting out its very source: trust. Herein lies the true significance of Hannah Arendt’s idea: action is only possible in the presence of plurality, which is inevitably based on trust—the importance of which can only be comprehended when it is on the verge of being lost.
- The complexity and fragility of trust
Such attempts to destroy human spontaneity and, thereby, action, involve attacking its deepest foundation: trust, or confidence. The latter stems from the Latin con-fidere (cum “with”, fider “trust”) and points to the idea that we can and should entrust someone with something precious—i.e. one’s life, in extreme cases such as this—by placing our confidence in them and surrendering ourselves to their benevolence, or supposed benevolence. In this sense, trust underlines our ability to “weave bonds”, as Plato put it in Statesman. Trust is essential, because without it, subjectivity and human community cannot exist.
In this respect, the social sciences have—under the combined impulse of Goerg Simmel and Niklas Luhmann8—highlighted the fact that trust is essential for the development of sociality and the functioning of socio-political institutions. This resonates with the concept previously explored by English philosopher John Locke, according to whom social contracts are founded, entirely or partly, upon trust.
Nevertheless, several forms of trust—beyond this political approach—must be clearly outlined in order to better understand the concept’s full complexity. As Simmel shows, our worldly existence is founded upon “primordial trust”9, a form of debt; we owe our place in the world to others and, therefore, our lives always spring from several founts. Our lives depend upon this form of trust, the very one that we place in our parents from birth. Our parents’ gaze then goes on to constitute the matrix from which our subjectivity emerges. In this sense, and as Marc Hunyadi rightly pointed out10, primordial trust is invariably practical in that it governs our accession to the social world, which we also learn to trust. Here, it becomes quite clear that we are dealing with at least two forms of trust: on the one hand, a primordial and original trust in others, and on the other, a socially derived trust in the world. It is at the intersection between these two modalities that our subjectivity unfolds—the latter being a form of inter-subjectivity by nature.
Alongside primordial and original trust, there is a calculated and secondary kind of trust—in this case, a form of social trust that presupposes the presence of objective proof. We cannot commit ourselves to others or to socio-political institutions unless they provide us with evidence of their effectiveness. From a Maussian perspective, one might say that trust is part of a never-ending cycle of back scratching: we only give our trust to those who return it. Thus, we are now faced with three modalities of trust interacting with each other to form our subjectivity, our worldliness and our social inter-subjectivity.
Despite these distinctions, the fact remains that trust, as it is generally understood, always carries an element of danger within it. As Simmel rightly noted: “Those who know do not need to trust, and those who know not cannot reasonably grant their trust”11. Trust always arises in ambiguous situations—in this case, a situation of uncertainty. We are not gods and we are certainly not demons as Laplace12 understands them: therefore, we are faced with the vital social necessity of granting our trust, even when irreducible tinges of uncertainty remain. This has a considerable effect on our relationship to the world, which goes beyond reason and points to what Karl Jaspers calls a “leap into existence”13. Existence is a constant leap of faith, one that comes with the risk of disappointment, betrayal and, worse still, destruction.
- Desolation: the annihilation of trust
The accounts provided by concentration camp survivors expose the camps’ inner workings; those of a machine designed to destroy trust in its every form. This slow, painstaking mental erosion is characterised by what Hannah Arendt calls “desolation”14—a common trait among totalitarian regimes. She explains that “what makes desolation so intolerable is the loss of the self, which—while it may come into being in a state of solitude—can only be confirmed by the trusting and trustworthy company of one’s peers. In this situation, man loses the trust he has in himself, as the partner of his own thoughts, as well as his elementary confidence in the world, which is required for any type of experience. The self, the world and the ability to think and to experience are all simultaneously lost”15. In this crucial yet underrated passage, Arendt evokes different forms of trust and their intimate interactions, through which mankind accesses its human condition—in this case, trust in oneself and in the other. The whole enterprise of a camp, of a Lager16, is to bring mankind into a “desert of desolation” where it can come into contact with neither other men nor itself.
In order to understand the full scope of the term desolation, it is important to distinguish it from isolation on the one hand, and solitude on the other. In an approach similar to that of Montesquieu, to whom she explicitly refers, Arendt establishes a typology of governments17. To do so, she distinguishes between tyranny and totalitarianism, the former being the prequel to the latter18. Under tyrannical regimes, individuals are indeed separated from each other in the public space. “Isolation and powerlessness, that is, the fundamental and absolute inability to act, have always been characteristic of tyrannies. In a tyrannical regime, political contact between individuals is broken and human capacities for action and power are thwarted”19. Though tyranny is indeed characterised by isolation, it should not be confused with totalitarianism. The difference between tyranny and totalitarianism lies in the fact that mankind is led, within and by the latter, beyond isolation into desolation. What exactly does this mean? As mentioned above: though tyranny cuts off and literally isolates individuals from each other in the public space, totalitarianism goes further, by penetrating the private space—the very place where mankind is alone, surrounded by its own thoughts, ones that come into being far from humanity’s whirlwind of preconceptions and prejudice.
Totalitarianism targets what Arendt calls “solitude”, whereas tyranny leaves it intact. Solitude refers to a two-in-one dialogue in which, as I talk to myself, I split myself into parts and practice philosophy in the unparalleled intimacy of an impregnable internal citadel. In this sense, solitude is the sentinel of a kind of free thought that shields itself, as much as possible, against the interference of ideology—another characteristic of totalitarian regimes, alongside terror, of which ideology is the conveyor-belt and concentration camps the factories.
The destructive force of totalitarian regimes therefore lies in their ability to isolate people from each other on the one hand and, on the other hand, to turn the world into a metaphorical desert, in which people are close to neither others nor themselves. This lack of both community and solitude leads to desolation, “the absolute experience of not belonging in the world, which is one of man’s most painful and desperate experiences”20. The world—which is the bedrock of Arendt’s philosophy—is what she refers to as an “interesse”, that is to say a combination of what connects us and what separates us, a midpoint where mankind is surrounded and alone at the same time. Once again, and we cannot repeat this enough: commonality, as well as its transcendental form, inevitably includes trust.
By separating people from each other, the totalitarian regime undermines social trust. By separating people from their own interiority, it destroys self-confidence. Thus, totalitarianism casts a ring of fire around the complex human structure that is trust.
One of the consequences of desolation is the end of all action. As explained by Hannah Arendt in The Human Condition, action—being the third condition that the authoress outlines, in addition to labour and work—can only be set in motion in the presence of others. Action is synonymous with, and very much conditioned by, plurality. Our actions irremediably take place in a world populated by others on whom our behaviour has repercussions, the full extent of which we will never be able to measure. Thus, the true essence of action is unpredictability, whilst the essence of human history is contingency—in other words, things can always deviate from their course. By undermining social trust, totalitarianism erodes plurality and, thereby, action. When trust is undermined, the entire process of action is brought to a halt. The destruction of trust in the other—should the other continue to exist separately—renders the course of the world predictable, thus allowing for the unobstructed fulfilment of ideology. Terror constitutes a tool for the fulfilment of ideology, which thereby becomes self-fulfilling. Within this apparatus of terror, concentration camps constitute a form of laboratory where mankind—isolated and desolate, never alone and never with others—is reduced to its mere biological functions. We have hereby circled back to our initial idea: pure biology constitutes the annihilation of metaphysics.
- Primordial trust: an immutable beacon for camp survivors
Nevertheless, stories from the camps highlight that there is one thing that can resist this slow, daily process of human annihilation: a fraternal bond. This beacon of resistance is illustrated in two particular accounts: The Human Race by Robert Antelme, originally published in 1947, and Literature or Life by Jorge Semprun, originally published in 1994. Both authors were deported to Buchenwald, but despite their respective differences, which sometimes escalated into mutual criticism, something consistently united them: the camp did not succeed in destroying their human and fraternal bond, founded on a form of non-calculating trust that is not only essential, but vital. It is a form of trust in the other, in this specific other, who may remain unknown or unrecognised, but still offers a hand, an arm, a shoulder or a simple look that can, in the words of Sarah Kofman, “alleviate one’s ‘self’, which can no longer be a ‘self’ ”21, precisely because others are no longer there to attest to its existence. In this insane world, everyone becomes Robinson Crusoe.
One of the most frequently used terms in Antelme’s writing is “copain” (“buddy”, in French); his accounts show us that, even in the hellish heart of the camps, pockets of humanity subsist through unbroken bonds of solidarity. These bonds are more haptic, more physical than phonic, given that language constitutes an obstacle to the expression of trust. Such bonds enabled a rare few to shield themselves against madness and death, by keeping the human species’ head above the waterline of destruction and depravity—at all cost. This expression of solidarity, based on a necessary and non-cognitive form of trust in the other, allowed prisoners to maintain the self as a part of “we”. The author tends to use “nous” (“we”, in French), a term which “in Antelme’s text, seems to supplant the indefinite and anonymous ‘on’ ”22 [Translator’s note: In addition to the personal pronoun “nous”, the French language features an indefinite pronoun that also matches the English “we” (“on”)]. The “nous” of friends opposes the “on” of anonymous, dehumanised numbers. In the midst of this experience, one of life-saving solidarity and fraternity, facial expressions speak louder than words and can be read like lines in a book: “a silent language that prevented one from feeling hunger, the cold, the SS. Therefore, there was something, a remnant, which resisted even the SS, barbed wire, starvation and lice”23.
What, then, could possibly be strengthened, and not destroyed, by destruction itself? In words resolutely similar to those of Schopenhauer, Robert Antelme evokes a will to live. In this breath-taking passage—a sort of nose-thumbing at the Nazi angels of death, as David Rousset put it—he writes: “There is nothing to do, but we have to stay outdoors; that’s the important thing. We have to stay here, in small groups, clumped together, trembling with our shoulders drawn in. The wind whips through the zebra stripes, and our jaws lock up. Hardly any flesh is left on the cages that our bones have now become. The power of will remains alone in the centre [E/N: emphasis added], a desolate will, but which allows one to hold on”24.
This form of will could not possibly subsist were it not for the others, whom one trusts without forethought, without anticipation in terms of future behaviour; in other words, it is a primordial, original form of trust that the camps force one to experience and rediscover, beyond the realm of social conventions. It is therefore no coincidence that, in his search for what defines the human race beyond evil, beyond desolation, Antelme’s account ends on a silent relationship of mutual trust he shared with a Russian, whose face he could not see: “I cannot see him. Tomorrow, I won’t recognise him. The shadow of his body bends forward. A moment passes. Nothing exists more clearly than this man I don’t see. My hand is on his shoulder. Fraternity, in a kind gesture towards a stranger, is the utmost expression of a human bond between one man and another”25.
In this passage, Antelme echoes a central episode in Jorge Semprun’s Literature or Life, in which he recounts how he found his teacher and friend, Maurice Halbawchs, in Buchenwald, dying in circumstances void of all dignity: “[He] had reached the limit of human resistance. He was slowly being drained of his substance, having reached the final stage of dysentery, which was carrying him away in its stench. Suddenly seized by panic, not knowing whether it was appropriate to invoke a God of some kind to accompany Maurice Halbawchs, yet distinctly aware that a prayer was needed, I tried to control my voice and adopt the proper tone—despite my tight throat—to say a few lines of Baudelaire out loud. It was the only thing that came to mind: ‘O death, old captain, it is time, let us weigh anchor…’ Halbawchs’ gaze became less blurred, almost surprised. I continued my recital. When I got to ‘our hearts you know are full of rays’, a thin quiver appeared on [his] lips. He smiled, dying with a brotherly gaze upon me”26.
A fraternal bond can, in this sense, bring back life in the midst of death, however ignoble and degrading the latter may be. As Paul Ricœur noted in his beautiful meditation27 on this passage from Literature or Life: through the accounts of Halbawchs’ agony, Semprun pulls the latter away from the massa perdita28 (“lost masses”, in Italian), as death in the camps is anonymous. According to Ricœur, this scene is marked by a give-and-take relationship expressed through touch and sight — “I took Halbawchs by the hand, who no longer had the strength to open his eyes. I only felt a response from his fingers, a slight pressure”—as well as through the gift of Baudelaire’s poem—“a few lines of Baudelaire”29. In his analysis of this passage, Ricœur highlights the scene’s emphatic dimension: “It is not a whimper-along, as is the case with pity, commiseration and other forms of mourning; it is a struggle-along, an escort”30.
This experience of fraternity, in which trust is granted to the other without counterpart, sheds light on the quotation borrowed from Malraux, which Semprun places at the beginning of Literature or Life: “I am looking for the crucial region of the soul where absolute Evil opposes fraternity”31. Through primordial trust, one that may be eroded but never annihilated, mankind is able to salvage its metaphysical dimension. The camp—paradoxically—fosters the most intense of fraternal experiences. In the end, Robinson Crusoe is freed from his desperate state of loneliness.
1 Henri Martin was born in Moux (Aude, France) in 1922. After being designated for deportation and forced labour (STO), he joined the Resistance and, with the help of his comrades, derailed a German train. After being arrested and tortured, he took full responsibility for the events. Before being executed, he wrote a letter to his brother Clément, filled with courage and confidence for the future. This is our tribute to him.
2 We borrowed this expression from Gilles Deleuze’s masterful commentary of Tournier’s novel. G. Deleuze, « Le monde sans autrui », Logique du sens, appendice III, Paris, Éditions de Minuit, 1969.
3 It should be noted that this “desert”, as Deleuze understands it, is very different to the way Arendt utilises the term. For example: Arendt’s desert is desolate, whereas Deleuze’s is populated.
4 H. Arendt, Le Système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972, p. 243.
5 Ibid.
6 In The Human Condition, Arendt lists three factors that determine our access to the human condition. One of them is action, the importance of which shall be explored in our reflexions on the notion of trust.
7 H. Arendt, op. cit., p. 245.
8 G. Simmel, Études sur les formes de socialisation, Paris, puf, 2013 ; N. Luhmann, La Confiance. Un mécanisme de réduction de la complexité sociale, Paris, Economica, 2006.
9 Simmel makes a distinction between primordial trust and social trust, as we will see further on.
10 M. Hunyadi, Au début est la confiance, Lormont, Éditions Le Bord de l’eau, 2020, p. 232.
11 G. Simmel, op cit., p. 318.
12 The expression refers to a thought experiment conducted by Pierre-Simon Laplace in his Essai philosophique sur les probabilités (Philosophical Essay on Probabilities, 1814) to illustrate his view of hard determinism.
13 K. Jaspers, Raison et Existence, Presses universitaires de Grenoble, 1978.
14 H. Arendt, op. cit., p. 305.
15 Ibid., p. 307.
16 It is interesting to note that Primo Levi, in If this is a Man, uses the German language to name the camp, as if the author were thereby appropriating both the term and the reality it designates.
17 In The Promise of Politics, Arendt defines politics according to Aristotle’s vision, i.e. as an interest in the common good. Thus, nothing is more alien to politics than totalitarianism, which is based on an unquestionable ideology implemented through terror.
18 On this topic, let us remember that tyranny is not the antithesis of democracy, but its disease. Claude Lefort further expanded on this perspective by exploring the links between democracy and totalitarianism.
19 H. Arendt, op. cit., p. 306.
20 Ibid.
21 We invite readers to discover Sarah Kofman’s magnificent text Les Mains d’Antelme (The Hands of Antelme), which figures as a post-script in Smothered Words, Paris, Galilée, 1987. Available at: https://www.cairn.info/revue-lignes0-1994-1-page-159.htm
22 Ibid.
23 Ibid.
24 R. Antelme, L’Espèce humaine, Paris, Gallimard, 1957, p. 75.
25 Ibid., p. 321.
26 J. Semprun, L’Écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1994, p. 34.
27 P. Ricœur, Vivant jusqu’à la mort, Paris, Le Seuil, « Point Essais », 2019.
28 We borrow this expression from the remarkable book by Corinne Benestroff. C. Benestroff, Jorge Semprun. Entre résistance et résilience, Paris, cnrs Éditions, 2017.
29 J. Semprun, op. cit.
30 P. Ricœur, op.cit., p. 48.
31 J. Semprun, op.cit., opening page.