C’est, somme toute, une étrange idée que de s’interroger sur les « valeurs » du Général ! Ce terme si volontiers employé aujourd’hui, et pas seulement par les sociologues, ce « système de représentation » permettant d’appréhender le monde et d’en déduire une éthique de comportement, de Gaulle en effet s’en défie : il considère les idées, les intérêts, le caractère, mais semble rétif à tout système normatif. La « valeur », sous sa plume, renvoie à la qualité, au cuir, d’un homme ou d’un matériel : on songe par exemple au « regroupement de toutes les valeurs pour la guerre et le salut » que Paul Reynaud cherche vainement en juin 1940, lui-même étant une « grande valeur, injustement broyée par des événements excessifs »1. Si l’on doit considérer une valeur suprême chez de Gaulle, c’est bien évidemment la France, plus exactement la « fierté anxieuse » que ne cesse de lui inspirer notre pays2.
Le terme de « vertu », lui, est plus fréquent, abondamment employé dans ce manuel de caractère qu’est Le Fil de l’épée. « Le caractère, vertu des temps difficiles »3, les armes, « de quelles vertus elles ont enrichi le capital moral des hommes » : là où précisément de Gaulle se dresse contre l’esprit émollient de temps troublés, la vertu est un rebond, un élan, une volonté forte d’agir, d’être en prise avec le réel et, déjà, de résister au déclin. La fierté, l’anxiété face au déclin, le caractère comme colonne vertébrale pour s’opposer à tout renoncement, à terme destructeur : le cadre est déjà posé.
Qu’on veuille bien pardonner ce petit exercice de lexicographie, qui a cependant l’intérêt de faire partir notre réflexion des écrits du Général et non des idées que l’on a pu parfois lui prêter, à tort ou à raison. Il ne s’agira donc certainement pas ici de résumer à grands traits une personnalité pleinement révélée par l’action, mais fondée sur un socle inébranlable : un caractère fort et une culture générale vaste, vivante et précise. Notre ambition sera plus modeste : comment passer de la pensée à l’action ? Comment se fonde la décision chez le Général ? Quel est le ressort de l’engagement ? Car chez de Gaulle, le système de représentation et d’appréhension du monde est mis au service de l’engagement. L’intellectuel ne se sépare jamais de l’homme de décision. Toute la spécificité du Général parmi les grands hommes du xxe siècle réside sans doute dans le refus de cette opposition systémique, et sans doute est-elle également l’élément central permettant de comprendre pourquoi il reste rétif aussi bien à toute idéologie qu’à tout portrait qui se voudrait définitif : là où l’on croit le saisir, il continue, non pas de se dérober, mais de nous résister, et reste par là même vivant. Les grandes plumes qui se sont récemment penchées sur son cas, comme Julian Jackson4, convergent autour de cette conclusion.
On ajoutera que pour concevoir le lien entre la pensée et l’action, de Gaulle est, des grands du xxe siècle, sans doute l’exemple le plus éloquent, puisqu’il a théorisé cette question dans les années 1920 et 1930, puis l’a mise en pratique, bien évidemment, du sursaut fondateur de 1940 au crépuscule de 1969, avant d’en tirer les leçons sous la forme d’un véritable testament politique parmi les plus marquants qui soient. On se bornera donc à aborder deux questions. D’abord, comment se conçoit la décision ? Quel est le moteur qui conduit de l’appréhension d’un problème à sa solution ? Ensuite, quelles sont les qualités particulières de De Gaulle dans l’action, et comment le leadership militaire influe sur le leadership politique ? C’est par ce biais, et à travers quelques exemples, que l’on comprend le lien entre les valeurs (comment appréhender un problème et quelle stratégie pour le résoudre ?) et les vertus (quelles qualités mobiliser ?).
« Le caractère est la vertu des temps difficiles », écrit de Gaulle dans Le Fil de l’épée. Alors à l’aube de la quarantaine, progressant de manière incertaine et laborieuse dans la carrière militaire, il est déjà mû par une certitude profonde : « Préparer la guerre, c’est préparer les chefs. » Or l’homme de caractère se définit précisément par sa capacité à « recourir à lui-même » en temps de crise. Mais précisément, qu’est-ce qui fait un tel homme ? Chacun porte-t-il ces ressources en lui-même ? Et quel portrait en creux de Gaulle nous offre-t-il de lui-même à cette occasion ?
« L’intelligence, c’est la destruction de la comédie, plus la capacité de jugement, plus l’esprit hypothétique », confiait Malraux à Roger Stéphane. Le parallèle est troublant : pour de Gaulle, l’art de la décision est le révélateur des caractères. Et dans Le Fil de l’épée, il suit, ou précède plus exactement, cet énoncé malrucien. La première étape de la décision est l’appréhension de la situation. Le chef est, d’abord, celui qui, dans le chaos initial, voit plus vite, plus large, qui sait de son regard saisir, fixer un contexte mouvant, incertain, anxiogène. Il y a bien évidemment ici une part d’instinct : de Gaulle exalte ce « flair », ce « coup d’œil » qui n’est pas donné à tous5, et qui permet d’appréhender l’inédit. Mais la capacité à voir vite et large se développe, s’enrichit : c’est ici que la culture générale joue son rôle. L’histoire, la littérature façonnent un cadre, un faisceau de pressentiments, « la connaissance raisonnée du terrain aide la conception ».
N’oublions pas non plus que de Gaulle se méfie instinctivement de l’intelligence, sans verser dans l’anti-intellectualisme, voie étroite entre l’éther et la tripe. Avait-il entendu Bergson, un jour, à la table familiale, évoquer l’intelligence « dont la nature est de saisir et de considérer le constant, le fixe, le défini, et de fuir le mobile, l’instable, le divers » ? En décembre 1927 il avait écrit à son mentor, le colonel Mayer : « Que “faire” avec l’intelligence ? Prétentieuse impuissante. Mars était beau, fort et brave, mais il avait peu d’esprit. » Fascinante mobilité de la pensée, qui sait pourtant se cristalliser pour agir.
Le caractère et la culture se combinent chez l’homme de caractère pour « détruire la comédie » ambiante et voir juste, tracer sa propre voie face à la crise. C’est là l’esprit initial du gaullisme. L’Appel du 18 juin est avant tout un constat, une explication, fondée sur une intuition forte. Là où tant condamnent une faiblesse ontologique de la France face à l’Allemagne, ou attendent avec une joie mauvaise l’occasion de tuer la « gueuse », là où le pétainisme pointe l’infériorité morale de la France comme cause de la défaite, de Gaulle impose son analyse lucide : c’est une infériorité technologique et donc stratégique qui conduit à l’effondrement militaire de juin 1940. En saisissant le réel tel qu’il est, sans affect, de Gaulle ramène ceux qui savent l’entendre aux réalités : il leur restitue donc leur capacité de mobilisation et d’action.
Mais au service de quelle vision et selon quelles modalités ? C’est ici qu’intervient l’esprit « hypothétique », que de Gaulle définit comme une capacité à envisager l’ensemble des possibles, et surtout à les envisager en conservant une liberté de penser, de questionner, de conjecturer, sans filtre idéologique, mais avec le soutien d’une armature morale, dont la foi inconditionnelle dans le destin de la France constitue la substance. Là aussi, l’intelligence ne vaut que si elle s’articule avec un constat initial juste, sans concession. Mais elle ouvre les chemins vers la solution de la crise. Et cette capacité à penser, à conjecturer sans céder au sentimentalisme donne un coup d’avance sur l’adversaire et même sur les partenaires.
De nombreux exemples le montrent, mais le plus saisissant est sans doute celui que de Gaulle donne lors de la crise de Cuba : alors que les dirigeants européens, de MacMillan à Adenauer, s’affolent d’une montée des tensions qui serait incontrôlable, de Gaulle seul dispose d’une grille d’analyse qui le met à l’abri de toute panique, parce que construite à la fois sur sa compréhension profonde des objectifs historiques des deux grands, États-Unis et Union soviétique, et sur une appréhension fine du rapport de force, nourrie de sa connaissance personnelle des dirigeants, Kennedy et Khrouchtchev, qu’il a tous deux rencontrés et sondés, notamment l’année précédente lors de la crise de Berlin.
L’esprit hypothétique, c’est alors une capacité à envisager rapidement toutes les hypothèses, à se mettre en lieu et place des potentiels belligérants, car on a compris en profondeur leur mode de fonctionnement et leurs objectifs stratégiques. Jamais l’Union soviétique ne s’estimera en mesure de mener un conflit conventionnel avec les États-Unis. En revanche, les Américains accepteront des concessions en Europe (le retrait des missiles en Turquie) afin de sécuriser définitivement le continent américain. Dès lors, la crise de Cuba doit être conçue comme un conflit régional et le respect de la souveraineté des États-Unis sur leur zone doit nourrir l’exigence d’un respect réciproque de la souveraineté des Européens sur leur territoire : c’est là, à grands traits, la leçon simple à tirer d’une situation qui ne l’est pas, et que de Gaulle formule précocement aux ambassadeurs européens. Sa sérénité et la lucidité de son analyse constituent paradoxalement un élément de désescalade des tensions et donc de sortie de crise.
Cependant, l’analyse, aussi nourrie et pertinente soit-elle, ne fait pas la décision. En dernier lieu, c’est la capacité de jugement qui prévaut, celle qui permet de se lancer dans le champ de l’inconnu, particulièrement quand « la responsabilité prend un tel poids que peu d’hommes sont capables de la supporter tout entière ». De Gaulle le résume de la tranchante formule du Fil de l’épée : « En dernier ressort, la décision est d’ordre moral6. » C’est en effet le courage, une certaine armature morale, une capacité à déplaire aussi, qui permettent d’être fidèle et cohérent avec ses analyses. C’est aussi pour cela que de Gaulle se méfie des esprits « purement spéculatifs » et ne se range pas parmi eux. « Au commencement était le verbe ? Non ! au commencement était l’action. » Tel est l’exergue du Fil de l’épée. En effet, « les esprits qui consacrent à la spéculation une activité exclusive perdent le sentiment des nécessités de l’action » : au contraire, chez lui la culture et la réflexion nourrissent l’action et ne la freinent jamais. Il y a dans le choix de l’action une part impondérable de risque, d’incertitude, de fausse route, aussi solide soit l’analyse à laquelle les contingences ne se soumettent pas nécessairement. Combien ont dressé le même constat lucide que de Gaulle en juin 1940 ? Combien l’ont suivi ?
On ne saurait conclure ce trop rapide portrait sans ajouter un point, particulièrement mis en valeur par Julian Jackson dans sa récente biographie du Général : celui-ci pourrait apparaître, à travers cet austère portrait, comme un homme nourrissant son ardeur d’une solitude méditative. La passion exclusive et jalouse de peser sur les événements se nourrit d’une force d’âme, d’une volonté d’avoir raison envers et contre tous. Pourtant, de Gaulle est aussi un homme qui sait écouter les points de vue de ses collaborateurs, s’en nourrir, parfois même accepter de s’être trompé, et distinguer ceux qui ont su avoir raison contre lui et le leur faire savoir. C’est peut-être sur ce point que l’on se doit de distinguer le capitaine qui rédige Le Fil de l’épée, au début des années 1930, amer de ne voir se dresser aucune figure à la hauteur de l’idéal du chef auquel il aspire, et le chef de l’État des années 1960, porteur d’une vision, mais capable de l’infléchir si certaines initiatives lui paraissent relever d’une vision erronée de l’intérêt national. Le soutien et le conseil de ceux qu’anime le service de la France et de son État, des gardiens des grands équilibres et de l’action publique du temps long lui sont un précieux adjuvant : exiger beaucoup d’eux, une loyauté et une efficacité sans limites, n’empêche nullement de les entendre.
C’est donc l’idée centrale qui revient au moment de répondre : la cohésion constante entre la pensée et l’action est le socle sur lequel de Gaulle bâtit son œuvre, dans une lignée que ne renierait pas Bonaparte écrivant : « C’est la volonté, le caractère, l’application et l’audace qui m’ont fait ce que je suis. » Intellectuel dans l’action, il résiste, encore et toujours, à toute tentative de systématisation. Il nous échappe précisément car le lien entre valeurs et vertus, entre moyens d’appréhension et qualités dans l’action reste toujours vivant, vibrant, mobile. C’est sans doute ce qui explique cette « prise sur les âmes » qu’a pu exercer le général de Gaulle, et qu’il exerce encore.
1 Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre [1954], Paris, Plon, 2016, pp. 164 et 166.
2 « La première des vertus est le dévouement à la patrie. »
3 Ch. de Gaulle, Le Fil de l’épée [1932], Paris, Perrin, 2010, p. 31.
4 J. Jackson, De Gaulle. Une certaine idée de la France, Paris, Le Seuil, 2019.
5 « Qu’un politique, un soldat, un homme d’affaires conçoive comme il faut, c’est-à-dire en accord avec ce qui est, on proclame qu’il a le “ sens des réalités ”, ou le “don”, ou du “coup d’œil ”, ou du “ flair”. Rien ne peut, dans l’action, remplacer cet effort de la nature même » (Le Fil de l’épée, op. cit., p. 64).
6 « Sans doute l’intelligence y aide, sans doute l’instinct y pousse, mais, en dernier ressort, la décision est d’ordre moral » (Le Fil de l’épée, op. cit., p. 74).
It is, all in all, a strange idea to wonder about the General’s “values”! De Gaulle in fact was wary of this term so readily used today, and not only by sociologists, this “system of representation” by which we apprehend the world and on that basis deduce an ethic of behaviour: he considered ideas, interests, character, but seemed to resist any normative system. “Value”, in his writings, refers to the quality of a man or a piece of equipment: one thinks for example of the “regrouping of all values for war and salvation” that Paul Reynaud sought in vain in June 1940, himself being a “great value, unjustly crushed by excessive events.”1 If there is a supreme value for de Gaulle, it is obviously France, or more precisely the “anxious pride” that our country never ceases to inspire in him2.
The term “virtue” is more frequent, and is abundantly used in the manual of character that Le Fil de l’épée (« The edge of the sword ») represents. “Character, the virtue of difficult times”3, weapons, “with what virtues they have enriched the moral capital of men”: precisely where de Gaulle is a bulwark against the emollient spirit of troubled times, virtue is a rebound, an impetus, a strong will to act, to engage with reality and, already, to resist decline. Pride, anxiety in the face of decline, character as a backbone against any renunciation that would ultimately be destructive: the framework is already in place.
Please, forgive this little exercise in lexicography, which has the advantage of starting our reflections from the General’s writings and not from the ideas that have sometimes been attributed to him, rightly or wrongly. Our aim here is certainly not to summarise in broad strokes a personality fully revealed by his actions, but built on an unshakeable bedrock: a strong character and vast, lively and precise general knowledge. Our ambition will be more modest: how to proceed from thought to action? What is the basis for the General’s decisions? What drives his commitment? For in the case of de Gaulle, the system by which he represents and apprehends the world contributes to his commitment. The intellectual never separates himself from the man of decision. The specificity of the General among the great men of the 20th century undoubtedly lies in the refusal of this systemic opposition, and it is undoubtedly also the key to understanding why he continues to defy any ideology as well as any portrait that is intended to be definitive: where we think we have grasped him, he continues, not to elude us, but to resist us, and thus remains alive. The great writers who have recently examined his case, such as Julian Jackson4, agree on this conclusion.
It should be added that when it comes to conceiving the link between thought and action, de Gaulle is undoubtedly the most eloquent example among the great men of the 20th century, since he theorised this question in the 1920s and 1930s, then put it into practice, obviously, from the rallying call of 1940 to the twilight of 1969, before drawing the lessons from it in the form of a true political testament that is among the most remarkable of all. We will therefore limit ourselves to two questions. First, how is the decision conceived? What is the driving force that leads from the comprehension of a problem to its solution? Secondly, what are De Gaulle’s particular qualities in the realm of action, and how does military leadership influence political leadership? It is in this way, through a few examples, that we understand the link between values (how to comprehend a problem and what strategy to solve it?) and virtues (what qualities to mobilise?).
« Character is the virtue of difficult times », wrote de Gaulle in Le Fil de l’épée. Close to 40 years old, making uncertain and laborious progress in his military career, he was already moved by a deep conviction: “To prepare for war is to prepare the leaders.” A man of character is defined precisely by his ability to “rely on his own resources” in times of crisis. But what precisely makes such a man? Does everyone possess these resources within themselves? And, reading between the lines, what portrait of himself does de Gaulle offer us on this occasion?
“Intelligence is the destruction of playacting, plus the capacity for judgement, plus the spirit of hypothesis”, Malraux confided to Roger Stéphane. The parallel is troubling: for de Gaulle, the art of decision reveals character. And in Le Fil de l’épée, it follows, or more precisely precedes, Malraux’s statement. The first stage of the decision is the comprehension of the situation. The leader is, first of all, the one who, in the initial chaos, quickly sees the broad picture, who knows at a glance how to seize and grasp a shifting, uncertain, alarming context. There is obviously an element of instinct here: de Gaulle exalts this “intuition”, this “perception” which is not given to all5, and which allows one to comprehend an unprecedented situation. But the ability to quickly see the broad picture can be developed and enriched: this is where general knowledge plays its role. History and literature build a framework, a set of premonitions, and “lucid knowledge of the terrain helps comprehension.”
Let us not forget either that de Gaulle instinctively distrusted intelligence, without being anti-intellectual, a narrow path between ether and gut reaction. Had he heard Bergson, one day at the family table, mention intelligence “whose nature is to seize and consider what is constant, fixed, definite, and to steer clear of what is mobile, unstable, diverse”? In December 1927, he wrote to his mentor, Colonel Mayer: “What can we ‘do’ with intelligence? Impotent pretender. Mars was handsome, strong and brave, but he had little spirit.” Fascinating mobility of thought, and yet able to crystallise in order to act.
Character and knowledge join forces in the man of character to “destroy the playacting” of others and to see things as they are, to trace his own path in the face of crisis. This is the initial spirit of Gaullism. The Appeal of 18th June is above all an observation, an explanation, based on a strong intuition. Where many condemned France’s ontological weakness in the face of Germany, or waited with malicious joy for the opportunity to kill the “wench”, where Petain pointed to France’s moral inferiority as the cause of the defeat, de Gaulle imposed his lucid analysis: it was technological, and therefore strategic, inferiority that led to the military collapse of June 1940. By grasping reality as it was, without affect, de Gaulle brought those who knew how to listen to him back to reality: he thus restored their capacity for mobilisation and action.
But to pursue what vision and in what way? This is where the spirit of “hypothesis” comes in, which de Gaulle defines as a capacity to envisage all the possibilities, and above all to envisage them while retaining freedom to think, to question, to conjecture, without an ideological filter, but with the backing of a moral framework, of which unconditional faith in the destiny of France constitutes the substance. Here too, intelligence is only worthwhile if it is linked to a faithful initial observation, without concessions. But it opens the way to the solution of the crisis. And this capacity to think, to conjecture without giving in to sentimentality, gives an edge over the adversary and even over partners.
There are many examples of this, but the most striking one is undoubtedly that given by de Gaulle during the Cuban Missile Crisis: while European leaders, from McMillan to Adenauer, were panicking about a rise in tensions that they thought could get out of control, de Gaulle alone possessed an analytical framework that shielded him from any panic, because it was built on both his deep understanding of the historical objectives of the two great powers, the United States and the Soviet Union, and an acute understanding of their power-based relationship, based on his personal knowledge of the leaders, Kennedy and Khrushchev, both of whom he had met and sounded out, particularly during the Berlin crisis the previous year.
The spirit of hypothesis, then, is an ability to quickly consider all hypotheses, to put oneself in the place of potential belligerents, because one has understood in depth their mode of operation and their strategic objectives. The Soviet Union would never consider itself capable of conducting a conventional conflict with the United States. On the other hand, the Americans would accept concessions in Europe (the withdrawal of missiles from Turkey) in order to ensure the security of the American continent once and for all. Thus, the Cuban crisis had to be viewed as a regional conflict, and respect for the sovereignty of the United States over its zone had to be accompanied by a reciprocal respect for the sovereignty of the Europeans over their territory: this was, broadly speaking, the simple lesson to be drawn from a situation that was not simple, and which de Gaulle formulated to the European ambassadors at an early stage. His serenity and the lucidity of his analysis paradoxically contributed to de-escalating tensions and thus ending the crisis.
But analysis, however well-founded and relevant it may be, does not constitute a decision. Ultimately, it is the capacity for judgement that prevails, the capacity that allows one to throw oneself into the unknown, particularly when “responsibility takes on such a weight that few men are capable of bearing it all.” De Gaulle summed it up in an incisive phrase in Le Fil de l’épée: “In the last resort, the decision is a moral one.”6 It is indeed courage, a certain moral fibre, and a capability to displease, which allow one to be faithful and coherent with one’s analyses. This is also why de Gaulle distrusts “purely speculative” minds and does not consider himself as such. “In the beginning was the word? No! In the beginning was action.” Such is the epigraph of Le Fil de l’épée. Indeed, “minds that devote themselves exclusively to speculation lose the feeling of the need for action”: on the contrary, for him, knowledge and reflection nourish action and never slow it down. In choosing action, however solid the analysis, there is an unknown part of risk, of uncertainty, of the wrong path, to which contingencies do not necessarily apply. How many made the same lucid observation as de Gaulle in June 1940? How many followed him?
We cannot conclude this overly rapid portrait without adding a point, particularly highlighted by Julian Jackson in his recent biography of the General: he could appear, through this austere portrait, as a man feeding his ardour through meditative solitude. The exclusive and jealous passion to influence events is nourished by a strength of mind, by a will to be right against all the odds. However, de Gaulle was also a man who knew how to listen to the viewpoints of those he worked with, to feed off them, sometimes even to accept that he was wrong, and to discern those who were right to stand up to him and to let them know it. It is perhaps on this point that we must distinguish between the captain who wrote Le Fil de l’épée in the early 1930s, who was bitter at not seeing any figure rise to the ideal of the leader to which he aspired, and the head of state of the 1960s, who had a vision but was capable of adjusting it if certain initiatives seemed to him to be based on an erroneous vision of the national interest. The support and advice of those who wanted to serve France and the French State, the guardians of the overall balances and public action in the long term, were a precious aid to him: excessive demands on those people, unlimited loyalty and efficiency, did not prevent them from being heard.
This is therefore the central idea that comes up when answering the question: the constant cohesion between thought and action is the foundation on which de Gaulle built his work, in a tradition that Bonaparte would not disavow when he writes: “It is willpower, character, application and audacity that have made me what I am.” An intellectual in action, he still resists any attempt at systematisation. He eludes us precisely because the link between values and virtues, between means of comprehension and qualities in action, still remains alive, vibrant, mobile. This is undoubtedly what explains the “hold on our souls” that General de Gaulle exerted, and still does.
1 Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre [1954], Paris, Plon, 2016, pp. 164 and 166.
2 « The primary virtue is devotion to the motherland. »
3 Ch. de Gaulle, Le Fil de l’épée [1932], Paris, Perrin, 2010, p. 31.
4 J. Jackson, De Gaulle. Une certaine idée de la France, Paris, Le Seuil, 2019.
5 « If a politician, a soldier or a businessman appreciates things properly, i.e. in accordance with what they are, it is said that he has a ‘feeling for reality’, or a ‘gift’, or ‘perception’, or ‘intuition’. In the realm of action, nothing can replace this effort that comes from nature itself. » (Le Fil de l’épée, op.cit., p. 64.).
6 « Intelligence undoubtedly helps, instinct impels us, but in the last resort, the decision is a moral one. » (Le Fil de l’épée, op. cit., p. 74).