« Mission : tenir ». « Tenir », c’est résister ; c’est, selon la terminologie de l’otan, « conserver par la force une position ou une zone ». Voilà qui augure de la bagarre, de la difficulté et des nombreux assauts de l’adversité contre l’auteur qui figure en treillis sur la photo. Le regard est droit, le visage, encore juvénile, ne sourit pas ; tout annonce la détermination. Le sous-titre est explicite : Lætitia Saint-Paul est la première militaire et femme militaire en activité à devenir parlementaire depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Si le lecteur connaît le monde militaire et la difficulté pour les femmes d’y prendre toute leur place, il peut anticiper les obstacles qu’une jeune officier doit surmonter pour devenir députée. L’éditeur accroche le lecteur en annonçant en quatrième de couverture : « Elle raconte ici sa bataille, dans un étonnant parallèle entre armée et politique. » On attendrait presque une succession de recettes pour devenir parlementaire en s’inspirant de la culture militaire. Or ce livre est tout autre. Et c’est bien !
Tout l’ouvrage retrace en effet le parcours de Lætitia Saint-Paul, aujourd’hui députée, vice-présidente de l’Assemblée nationale, hier officier saint-cyrienne servant dans l’arme du matériel, d’abord dans les troupes montagne, puis à la brigade franco-allemande. En trente-trois chapitres tous très courts, le lecteur découvre non seulement un parcours que l’on pourrait qualifier banalement de « combattant », mais aussi une personnalité, une culture et une réflexion personnelle. Trente-trois chapitres pour parler de ce qu’est un officier, comment il est formé, quelles sont ses responsabilités, ses aspirations, et comment cela est transposable dans l’action politique. On aurait aimé avoir une table des matières pour y revenir aisément.
Chaque chapitre balance entre les deux aspects de la vie de l’officier devenue députée. Ceux et celles qui auront lu son autoportrait dans le n° 46 d’Inflexions retrouveront les convictions de la femme, la culture de l’officier. On parle entre autres d’audace – il en a fallu pour oser se présenter à la députation alors qu’on prépare l’École de guerre –, d’aguerrissement, de savoir-vivre en « fond de sac », de reconnaissance avant l’action, d’humilité, de motivation, de loyauté, de justice, de représentativité, de terrain tant politique que militaire, de brouillard de la guerre et d’ingratitude…
À chaque fois, sans prétention aucune, Laetitia Saint-Paul explique ce qu’elle a appris et comment elle s’attache à l’appliquer au quotidien dans ses nouvelles responsabilités. On découvre qu’elle n’oublie pas d’où elle vient, mais surtout qu’elle cherche à faire fructifier ses connaissances par son travail de réflexion personnel, son organisation du travail, son sens des responsabilités. Chaque chapitre est introduit par une citation qui souligne son éclectisme. Nous y trouvons Charles de Gaulle et son Fil de l’épée, mais aussi Foch, Dorgelès, pour ce qui a trait à la chose militaire, Pagnol, Lamartine, Camus, Newton avec « Les hommes élèvent trop souvent des murs, pas assez de ponts », Pascal, mais aussi Beauvoir pour parler du Deuxième Sexe toujours actif et en activité, Malraux, Maupassant, sans oublier Blum, L’Ecclésiaste ou Hugo. Des citations parfaitement adaptées aux propos qui suivent. Il est très intéressant de lire en fin d’ouvrage, comme une proposition de réflexion complémentaire, une citation sur l’engagement issue du livre L’Exercice du commandement dans l’armée de terre paru en 2016, un extrait de la conférence d’Ernest Renan « Qu’est-ce qu’une nation ? » et « Être jeune » du général Mac Arthur.
Progressivement se dresse le portrait d’une femme volontaire, tenace, qui joue collectif, possède un véritable sens de l’intérêt général, au point qu’elle s’afflige des candidatures qu’elle reçoit pour venir rejoindre son équipe (p. 102). Pas une seule pique, si ce n’est à l’égard de Benjamin Griveaux auquel elle envoie un mot soulignant les dégâts provoqués par l’une de ses déclarations lors de la crise des gilets jaunes. L’anecdote relatée pages 178 et 179 montre la volonté de la députée de faire remonter les informations du terrain. La façon dont elle raconte révèle aussi une sensibilité très forte face à une forme de condescendance, si ce n’est de mépris. Voilà une femme qui ne renonce pas, qui est fière de son parcours, une femme indépendante, de conviction, qui défend avec ténacité ses idées humanistes et européennes et n’oublie pas sa famille. Mais dans ce livre, point de trace de résistance au sens que pourrait donner le titre, au contraire : on trouve de la vie, du dynamisme sans prétention, de la volonté. Une belle figure d’officier et de saint-cyrienne, un bel espoir pour notre vie politique.