Qu’est-ce qu’une uchronie ? Terme forgé par un Français, Charles Renouvier, en 1857, il désigne un genre qui imagine ce que serait le monde si certains événements avaient eu lieu ou non. Tite-Live en son temps se demandait déjà ce qui aurait pu se passer si Alexandre s’était tourné vers l’ouest plutôt que vers l’est. Ce roman appartient de plein droit à ce genre. En juillet 1940, l’Allemagne, après avoir découvert une possible coopération entre l’armée française et l’armée suisse, décide d’envahir le pays neutre : c’est l’opération Tannenbaum.
Quelle est la recette d’une bonne uchronie ? La question est complexe. Certaines sont un prétexte à parler d’autre chose que d’histoire. Ainsi Le Maître du haut château, souvent considéré comme le chef-d’œuvre du genre, décrit une société dictatoriale où les États-Unis sont soumis à leurs maîtres nazis et japonais, avec les obsessions propres à l’auteur, Pilipp K. Dick (glissement entre des univers parallèles, illusions et faux-semblants…). La remarque est identique pour Fatherland, de Robert Harris qui raconte l’enquête d’un inspecteur dans une Allemagne qui a gagné la Seconde Guerre mondiale. Le but de l’auteur : raconter le plus grand crime de l’histoire et comment le régime nazi l’a fait disparaître des mémoires. D’autres uchronies étudient les conséquences d’un point de divergence sur la suite du déroulement des événements. Éric-Emmanuel Schmitt (La Part de l’autre), comme Norman Spinrad (Rêve de fer) s’intéressent aux conséquences d’un Hitler qui ne devient pas un dictateur. Le meilleur exemple est sans doute le livre (et le forum) 1940, la France continue la guerre. Opération Tannenbaum appartient à cette seconde catégorie. Jean-François Amblard imagine les heures qui précèdent l’attaque et leurs conséquences sur les journées qui suivent. Il adopte pour ce faire un procédé classique : multiplier les points de vue (officiers suisses, allemands, civils ou politiques…), ce qui lui permet, en évitant un ton didactique, d’embrasser l’ensemble de l’action.
Mais un autre élément est nécessaire pour faire une bonne uchronie : elle doit parler au lecteur. Les récits décrivant une victoire de l’Allemagne nazie sont courants, car cette période est, même de façon superficielle, familière. A contrario, pour un lecteur français, la prise des Round Top à Gettysburg par la division de Hith, le 1er juillet 1863, évoquera bien peu de choses. C’est peut-être la limite de cet ouvrage. Avouons-le, pour nous autres Français, l’histoire de la Suisse est Terra Incognita, à l’exception de Guillaume Tell et de la bataille de Marignan. Or il manque justement ici un aspect didactique : qui est le général Guisan ? Comment fonctionne la Confédération helvétique ? On peut par ailleurs s’interroger sur le réalisme de certaines situations : comment une armée, qui n’a pas combattu depuis les guerres napoléoniennes, arrive-t-elle, certes difficilement, à résister à des troupes aguerries par une campagne victorieuse et dotées d’un matériel supérieur ? L’auteur a sans doute une autre idée en tête dans ce récit.
Certaines uchronies servent aussi à réparer une histoire qui apparaît souvent comme cruelle. Opération Tannenbaum célèbre l’esprit de résistance de la Suisse, ce que son histoire prouve. Mais l’ouvrage veut montrer aussi, et c’est l’un des personnages qui l’explique, que la Suisse n’a pas été qu’un pays de profiteurs épargnés par sa neutralité et dont l’attitude fut plus qu’ambiguë durant tout le conflit : autant d’opinions qui entachent encore la Confédération. Le lecteur y trouvera le plaisir de la lecture à travers un récit trépidant.