N°40 | Patrimoine et identité

Jean-Claude Carrière
La Paix
Paris, Odile Jacob, 2018
Jean-Claude Carrière, La Paix, Odile Jacob

Longtemps la paix et la guerre ont été autant distinctes qu’inséparables, si bien que l’une se définissait aisément par rapport à l’autre. On savait que l’on était en paix ou bien en guerre ; on en connaissait le pourquoi aussi bien que le comment. Jean-Claude Carrière postule que, désormais, ces notions il y a peu si rigoureusement définies se sont brouillées ; la paix semble avoir disparu derrière les formes nouvelles de la guerre et de la violence. Les vieilles logiques historiques qui déterminaient l’une et l’autre ne sont plus opératoires. Peut-on dès lors parler de la paix autrement qu’au passé ? Sans doute, et même nécessairement sous peine de renoncer à cet espoir que commandent le présent et le futur. L’éloge de la paix ne saurait être funèbre. Définir ce que fut la paix dans tous ses états et ses avatars : tel est bien le propos de l’auteur. Ce livre, on l’aura compris, n’est pas celui d’un idéologue, d’un acteur politique expert en relations internationales ou en géopolitique ; il n’est pas non plus celui d’un historien de la paix – l’histoire de la paix pour elle-même relève-t-elle d’ailleurs du possible ? –, et pas davantage celui d’un pacifiste bêlant. Il est celui d’un intellectuel engagé que la complexité de son temps, notamment le renouvellement accéléré des formes et expressions de la menace, plonge dans l’incertitude et désoriente. En nous proposant l’inventaire de ses doutes et de ses espoirs, Jean-Claude Carrière nous rappelle quelques vérités premières que nous prendrons pour des certitudes. En ce siècle tout entier dédié comme le précédent à la science, à la technologie et à l’économie, on ne peut impunément se passer de la pensée et de la volonté de comprendre. Cet effort d’élucidation suppose à l’évidence une solide culture, historique d’abord, mais il doit surtout obéir à des préoccupations morales. Se vouloir moraliste ne signifie pas s’abandonner à des idéaux à la petite semaine et renoncer à toute lucidité. La paix appelle les bons sentiments, mais ceux-ci ne sauraient suffire à lui donner une réalité. À preuve, la paix ne saurait faire oublier la guerre qui la précède et lui succède, la rend possible ou pas, si bien d’ailleurs que, parfois, la paix n’est que l’illusion d’elle-même. Dès lors, on peut accepter ce que Jean-Claude Carrière, au fond, nous suggère avec son élégance habituelle : la paix, si brève, si fragile, n’a jamais été, ou si peu, la traduction fidèle de ce qu’elle promet. Au fond, serait-elle autre chose qu’une chimère ? Au moins est-elle assurément un mystère, chargé de plus d’utopie que de réalité. Mais son idéal demeure constitutif de notre humanité. Faut-il alors cesser de croire que, tel le bonheur, la paix demeure une idée neuve ?

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