Chacun semble aujourd’hui en convenir : la guerre réapparaît. Elle irrigue le discours politique, redevient une hypothèse plausible de la stratégie, s’accompagne du retour d’une figure de l’ennemi longtemps ignorée. Pourtant, cette guerre dont chacun parle est malaisée à définir tant elle est sortie du champ de nos expériences, de nos analyses et de nos perspectives. Les conflits mondiaux ou les guerres de décolonisation sont des objets de l’histoire et les crises qui se développent à nos portes nous restent, en réalité, étrangères.
Cette situation d’amnésie résulte d’un xxe siècle singulier ; il a sans doute été à la fois l’un des plus belligènes de l’histoire et celui qui a vu les tentatives les plus sérieuses pour créer les conditions d’une paix durable. Il a ainsi marqué une rupture par rapport aux périodes précédentes, durant lesquelles les efforts de nos aïeux visaient à réguler la guerre plus qu’à la faire disparaître. Dans le même temps, la question du sens de l’action militaire s’est posée avec une acuité nouvelle. Pouvait-on donner du sens à celle-là sans promouvoir une guerre dont on avait décrété la péremption ? Poser cette question, c’est aller vers une interrogation plus large. Quel est le rapport entre le sens qu’au fil des époques les sociétés humaines donnent à la guerre et le sens qu’elles donnent à l’action militaire ? Les deux sont-ils liés de façon rigide, le premier déterminant le second, ou le jeu des influences réciproques préside-t-il à leurs évolutions communes ?
Ce que montre l’analyse du siècle qui s’est écoulé depuis 1917, c’est que le doute sur le sens de l’action militaire a été de pair avec une double illusion, qui nous a alternativement conduits à trop attendre de la guerre puis à trop attendre du décret de son obsolescence. Aujourd’hui, c’est la guerre qui semble à nouveau susceptible d’entraîner le sens de l’action militaire dans son sillage, au fur et à mesure que les digues qui la retenaient se mettent à lâcher. Pourtant, l’action militaire aura le sens que nous lui donnerons.
- L’action militaire contre la guerre ?
Nous sommes toujours au lendemain de la Grande Guerre. Dans ces années de centenaire, elle continue à nous couvrir de son ombre. Au-delà du marbre froid des monuments dont elle a parsemé nos communes, elle a transformé en profondeur l’idée que sur le Vieux Continent nous nous faisions du phénomène guerrier. Dans la culture européenne classique, cette idée pouvait s’exposer relativement simplement. La guerre, telle qu’elle s’était peu à peu structurée depuis l’Antiquité, était devenue un moyen de régulation de la violence politique. Lorsque tout dialogue devenait impossible, lorsque l’hostilité conduisait à une impasse, il était admis que l’affrontement armé permettrait, en vidant la querelle en public, de donner de nouvelles bases aux négociations1. La régulation s’opérait par une limitation des causes possibles de conflit – la théorie de la guerre juste –, de sa durée – entre la déclaration de guerre et la conclusion de la paix –, de son développement spatial, borné par le champ de bataille ou le théâtre des opérations, et de son étendue sociale, progressivement obtenue par la distinction entre combattants et non-combattants.
Sans doute la guerre s’était-elle régulièrement éloignée de ce schéma idéal, mais non moins régulièrement, des mouvements de sens inverse visant à la réguler avaient pu être observés. Le xixe siècle va voir ce paradigme écarté avec une ampleur probablement inédite à la faveur de la montée des nationalismes, des progrès de la technologie et de l’apparition des armées de masse. Les années qui précédèrent 1914 furent par excellence celles du passage de la conception ancienne de l’action militaire, centrée sur la recherche de la bataille décisive, à une vision plus pessimiste, qui concevait l’engagement du soldat comme la nécessaire participation à la lutte darwinienne pour la survie des nations qu’annonçaient les augures.
Dans la suite logique de cette évolution des idées, la Grande Guerre rendit caduque presque toutes les limitations précédentes. Elle le fit si complètement qu’elle conduisit ensuite à une tentative nouvelle, au moins dans son ampleur, de supprimer la guerre au lieu de la réguler. L’inflexion initiale, qui vit céder les digues anciennes, peut être datée de 1917, l’année où l’Allemagne décida de reprendre la guerre sous-marine à outrance, où la nouvelle puissance américaine entra dans le conflit, où les tentatives de paix négociée avortèrent et où la révolution bolchevique marqua la première étape de l’avènement des totalitarismes.
Si les motifs de la déclaration de guerre de 1914 restèrent conformes aux anciens usages, le conflit fut long et son règlement signa la fin de l’idée de paix négociée, à même de permettre la reprise de relations durables entre vainqueurs et vaincus : rétrospectivement, le traité de Versailles entérina moins l’arrêt des hostilités qu’il ne représenta une simple étape dans leur poursuite ; la guerre fut mondiale ; elle fit de chaque citoyen un combattant. Ainsi, elle avait failli à sa fonction de régulation de la violence, conduisant au contraire à une inédite montée aux extrêmes dans le niveau des destructions, le temps, l’espace et la profondeur des sociétés. Aujourd’hui, elle reste pour nous « la guerre », celle dont l’image vient à l’esprit lorsqu’on entend ce mot surchargé d’histoire. Après 1917 et dans une certaine mesure jusqu’en ce début de xxie siècle, elle n’en a plus fini de nous épouvanter. Tous nos efforts ont depuis lors tendu à un but relativement constant, celui d’éviter sa répétition. Ce but pourrait sembler difficilement compatible avec la nature de l’action militaire. Ce qui frappe pourtant rétrospectivement, c’est, en dépit des échecs enregistrés, la clarté initiale de l’articulation entre l’objectif général défensif assigné à l’emploi des forces et cette finalité politique d’évitement du conflit armé. Le sens de l’action militaire était d’éviter la guerre.
Il s’est d’abord agi, entre les deux guerres, de mettre en œuvre une stratégie de défense stricte des frontières, dont on attendait à la fois qu’elle témoigne de nos bonnes intentions et qu’elle dissuade toute velléité d’agression ; elle constituait le reflet militaire de la tentative juridique de rendre la guerre hors la loi. Il fallait, en substance, la rendre injustifiable. Ce fut un échec. La Seconde Guerre mondiale accrut au contraire la tendance à la montée aux extrêmes et renforça par voie de conséquence la volonté d’en finir avec ce phénomène synonyme du malheur.
Tout en cherchant à rendre l’édifice du droit international plus robuste, on s’attacha à rendre la guerre impensable entre les États, en Europe du moins. Ce fut le rôle des armes nucléaires et de leur potentiel de destruction apocalyptique ; ce fut aussi celui des forces conventionnelles, dont l’action défensive devait contribuer à la crédibilité de la dissuasion. Le bilan fut plus satisfaisant, au prix d’une prise de risques certaine. Mais la guerre échappa une fois de plus à cette barrière en se développant sans les États ou contre eux, au Vietnam, au Proche-Orient, en Afrique, en Afghanistan.
La menace soviétique évaporée, on chercha à se garantir contre le spectre toujours présent de conflits destructeurs en adoptant une troisième approche pour éteindre les conflits périphériques : on chercha à rendre la guerre inutilisable. Ce fut l’époque des opérations de maintien de la paix, dont le seul nom révélait la poursuite d’un dessein plus subtil : engager les forces pour geler les conflits et couper ainsi court à la tentation de redonner à la guerre son antique rôle de dénouement d’un désaccord trop profond. Ces opérations s’analysent d’un point de vue militaire comme des tentatives d’actions défensives qui, au lieu de n’admettre qu’un adversaire, étaient dirigées contre chacune des deux parties en conflit, souvent au moyen de la sanctuarisation de zones de démarcation. Les opérations de contre-insurrection en Irak et en Afghanistan se sont inscrites dans le prolongement de cette tentative, les insurgés étant déclarés faire obstacle à la paix en recourant à un usage illégitime de la force. Il fallut, de manière très symptomatique, du temps pour utiliser le terme de guerre en Afghanistan. Ainsi, entre 1918 et la fin du xxe siècle, les puissances marquées par le premier conflit mondial ont successivement cherché à rendre la guerre injustifiable, impensable ou inutilisable.
Aucune de ces conceptions appuyées sur la défensive militaire n’était absurde ; certaines d’entre elles ont même prouvé leur efficacité. Pourtant, derrière leur apparente cohérence et dans leur variété, elles ont peu à peu installé dans les esprits un insidieux contresens. Puisque l’objectif poursuivi était d’éviter la guerre, puisque, de fait, après 1945, aucun conflit comparable à la « Grande Guerre » n’avait éclaté en Europe, c’est que les actions militaires ne relevaient pas de la catégorie de la guerre. Le concept de non-emploi consubstantiel à la dissuasion nucléaire, puis la notion de « maintien de la paix » témoignent de cette dissociation conceptuelle entre la guerre, perçue comme nécessairement apocalyptique, et l’emploi des forces, qu’il soit dissuasif ou contre-insurrectionnel. Le meilleur exemple de contresens est sans doute fourni par l’aphorisme prêté à Dag Hammarskjöld, secrétaire général des Nations unies entre 1953 et 1961 : « Le maintien de la paix n’est pas l’affaire du soldat, mais seul le soldat peut s’en charger. » L’auteur de ces lignes lui-même, alors capitaine à Sarajevo, eut un jour la surprise d’entendre un officier général affirmer avec force qu’aucune mission remplie en Bosnie ne valait la peau d’un soldat français. Si l’activité militaire est déconnectée du concept de guerre, elle exclut et l’usage de la force et le risque de la vie. Elle perd son sens.
Pourtant, dans chacune des circonstances évoquées, il s’est agi de dialectiques des volontés utilisant la force pour régler leur conflit, suivant la « formule » justement fameuse du général Beaufre. Cela semble assez clair dans les circonstances de la guerre froide, durant laquelle des dizaines de divisions blindées restèrent face à face, prêtes de part et d’autre à s’engager sous court préavis dans un combat qui serait ultimement couvert par le feu nucléaire. Sans doute, l’affrontement resta virtuel, mais ceci ne fit que confirmer l’intuition de Clausewitz selon laquelle les résultats des engagements possibles ont autant de valeur que ceux des engagements effectifs2.
Quant aux opérations de maintien de la paix, alors que la littérature scientifique les a longtemps considérées comme des actions sui generis, elles s’inscrivaient, en dépit de toutes les précautions oratoires utilisées, dans la logique d’un rapport de force à la fois militaire et symbolique entre les contingents internationaux et les belligérants signataires des accords. Elles relevaient, elles aussi, de la guerre, illustrant les idées du même Clausewitz lorsqu’il expliquait le rapport paradoxal entre le degré de violence et la politique dans la guerre : « Plus faibles sont les motifs et les tensions, et moins la pente naturelle de la guerre, la violence, correspondra aux lignes directrices émanant de la politique, plus la guerre sera-t-elle détournée de sa pente naturelle, et le but politique se distinguera du but d’une guerre idéale et plus la guerre semblera être de nature politique3. » Une part des déboires de ces opérations peut être attribuée à la difficulté éprouvée à reconnaître une situation de dialectique de la force et à assumer en conséquence l’existence de l’adversaire. Ceci conduisit par exemple sur le plan tactique à l’absence de réserves et d’armes lourdes et, par voie de conséquence, aux tragédies du type de celle de Srebrenica.
- Le nouveau débat sur le sens de l’action militaire
à l’ère de la guerre indiscernable
La période actuelle est marquée à la fois par une continuité et par une rupture avec celle qui s’est achevée le 11 septembre 2001. Cet événement, pris ici comme point d’inflexion, n’a pas réhabilité la guerre. De ce point de vue, nous vivons toujours dans l’après-Première Guerre mondiale. Les tentatives pour rendre la guerre injustifiable, impensable puis inutilisable se sont sans doute essoufflées, mais c’est parce que l’objectif général poursuivi a été réputé être atteint. La guerre n’existe plus puisqu’elle est injustifiable, impensable et inutile. Dès lors, le recours à l’action militaire ne saurait plus relever du concept d’une guerre disparue.
Mais le besoin de recourir à la violence politique demeure : il s’est donc agi de rendre la guerre indiscernable. Ceci doit être attribué moins à la volonté d’enfreindre les barrières édifiées au siècle précédent – rendre la guerre injustifiable, impensable et inutilisable – qu’à l’oubli de ces barrières. En témoigne la profusion des aphorismes utilisés dans les discours officiels ou médiatiques. Les États occidentaux se sont accoutumés à conduire des opérations de stabilisation, de neutralisation ou d’élimination ciblée sans les inscrire dans la catégorie de la guerre, même limitée. Quant à l’hybridation disséquée par les observateurs de la crise ukrainienne, elle consiste moins à combiner les approches régulières et irrégulières ou les dimensions militaires et médiatiques qu’à rendre insensible le moment où une action stratégique franchit le seuil qui sépare la paix de la guerre.
Le terrorisme s’analyse lui-même comme un usage ambigu de la violence politique qu’il est toujours difficile de rattacher à la criminalité ou à la guerre et qui nous conduit à une redoutable impasse conceptuelle. Proclamer la guerre, c’est lui donner la légitimité d’un adversaire honorable et prendre le risque de voir la société se polariser autour de deux factions irréconciliables ; refuser de la proclamer, c’est banaliser l’emploi de la violence politique en la ramenant au niveau de la délinquance et s’interdire le recours aux moyens qui peuvent être nécessaires face à une organisation violente dépassant le niveau de la bande de malfrats.
Si le refus de la guerre que traduit la tentative de la rendre indiscernable s’inscrit en continuité avec la période précédente, le caractère de l’action militaire traduit une rupture avec les modes défensifs qui prévalaient précédemment. C’est la guerre qui semble entraîner dans sa mutation le sens même de l’action militaire. Celle-ci privilégie désormais des modes d’action offensifs visant non pas à préserver une situation existante (les frontières durant la guerre froide ou un accord signé dans le cadre du maintien de la paix), mais à modifier un statu quo, à éradiquer un groupe terroriste, à faire tomber un régime. Frappes à distance à l’aide de drones armés, raids de forces spéciales, infiltrations de « petits hommes verts »4 sont désormais les modes d’action les plus couramment employés précisément parce qu’ils rendent le passage de la paix à la guerre indiscernable.
Cette guerre indiscernable ne peut pas assumer ce qu’elle est. En conséquence, elle a du mal à assumer l’existence d’un ennemi avec lequel il faudrait trouver une solution de paix durable. L’ennemi est en effet celui qui risque en permanence de mettre au grand jour un état de guerre que l’on répugne à accepter. Pour la même raison, elle éprouve des difficultés à définir un objet limité ; la tentation de nier l’ennemi se traduit logiquement par la volonté de l’éliminer ; un objectif que l’on peut qualifier d’illimité. Enfin, et en conséquence, elle rend difficile toute construction de paix. Elle risque de cautionner en fait un état de guerre endémique plutôt qu’une alternance de la guerre et de la paix.
Cette mutation traduit la persistance de la tendance à la guerre totale issue du xxe siècle. L’époque est aux guerres « totales par fragmentation » : seule une partie des sociétés est concernée, mais combattants et non-combattants se confondent à la fois dans les appareils de défense et les victimes des conflits ; la guerre n’est pas mondiale, mais elle s’affranchit des frontières ; la guerre est minoritaire dans les préoccupations des États, mais elle mobilise tout le spectre des politiques publiques, non militaires autant que militaires ; elle engage des moyens limités, mais elle se fixe des objectifs illimités visant souvent à éradiquer l’adversaire. Comme avant 1914, en définitive, elle promet beaucoup. Parmi les conséquences de cette tendance nouvelle, il faut relever celle qui a trait à la relation à l’ennemi. Il s’agit moins d’entrer dans un rapport dialectique avec ce que l’on combat que de chercher à l’éradiquer ou le détruire.
Ainsi, la guerre, sans le dire, est sortie des chaînes dans lesquelles le xxe siècle avait cru l’enfermer. Partout, mais de manière discrète – aux deux sens du terme : de manière à la fois non détectable et non continue5 –, la violence armée est employée. « La guerre » a disparu, mais les guerres sont multiples : on assiste à un phénomène de pulvérisation de la violence politique dans d’innombrables micro conflits opposant des bandes avec des capacités étatiques et des États qui se comportent comme des bandes. Ces micro conflits sont les particules élémentaires d’un phénomène guerrier qui n’admet plus ni frontières ni bornes temporelles ni distinctions entre combattants et non-combattants. La guerre dans sa nouvelle version totale n’est plus ni déclarée ni vraiment justifiée et moins encore clairement distinguée du reste des activités humaines.
Ceci pose en des termes nouveaux la question du sens de l’action militaire. Ce débat pourrait, en partie, se construire autour des deux sens possibles de ce que Raymond Aron appelait la « formule » de Clausewitz : « La guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens6. »
Son premier sens, souvent celui qui vient d’abord à l’esprit et qui peut s’appuyer sur d’autres réflexions équivalentes du même Clausewitz7, s’est nourri des déséquilibres de la mondialisation, car il est favorisé par les situations asymétriques8. Il pourrait être qualifié d’utilitariste car il renvoie à la notion d’outil militaire. La guerre est dans ce cas un moyen qui doit permettre d’atteindre un objectif fixé par la politique. Cette acception de la « formule », d’ailleurs plus jominienne9 que clausewitzienne, renvoie à un découpage temporel des responsabilités : la politique fixe l’objectif que la guerre doit permettre d’atteindre de manière relativement autonome avant que la politique ne reprenne ses droits. Elle conduit à une action militaire centrée sur la destruction de l’adversaire, en tant que celui-ci est d’abord un obstacle à l’atteinte de l’objectif poursuivi. Elle appelle des engagements indiscernables, à bas bruit, ponctuels et les plus brefs possibles, dans la mesure où ce qui importe est l’atteinte de l’objectif au moindre coût, dans un raisonnement fortement marqué par la théorie économique. La doctrine militaire actuelle porte la trace de ces conceptions téléologiques à travers les notions du « centre de gravité »10 qu’il faut frapper pour atteindre l’« état final recherché »11.
Il y a un second sens possible de la « formule », sans doute moins intuitif mais plus pertinent pour analyser les situations actuelles, car il est plus adapté aux situations de guerres limitées et aux affrontements qui se caractérisent par une symétrie au moins locale. Il renvoie à une autre citation de Clausewitz qui indique que « la guerre n’est qu’une continuation du commerce politique par le recours à d’autres moyens »12, c’est-à-dire une négociation par d’autres moyens, qui utilise des batailles au lieu de notes diplomatiques. Dans ce cas, la guerre décrit un mode de relation. Cela correspond d’ailleurs au deuxième type de guerres identifié par Clausewitz, celles qui ne visent pas à détruire l’ennemi mais à négocier un règlement de paix13. La négociation se situe alors simultanément aux deux niveaux politique et militaire au lieu de voir se succéder ces deux modes d’interaction entre les adversaires. Ces deux relations s’articulent suivant des configurations sans cesse changeantes pour atteindre leurs objectifs respectifs. Dans tous les cas, l’action militaire apparaît d’abord comme le moyen d’aboutir à une refondation des conditions de la négociation au niveau politique. En revanche, à la différence de ce qui prévaut dans la conception utilitariste, l’action militaire n’est pas conçue pour atteindre directement l’objectif politique.
- La négociation militaire
Quels sont les modes de cette « négociation » militaire ? Comme toute négociation, elle doit permettre à chacun de révéler sa détermination et de mettre en lumière la faiblesse de l’adversaire. Surtout, elle vise à obtenir un résultat accepté par les deux parties. Elle y parvient par le jeu de l’interaction de trois attitudes possibles des acteurs. Elle s’appuie d’abord, et sans doute avant tout, sur la présence des forces dans les espaces physiques. Cette notion va bien au-delà de la traditionnelle conquête ou défense de territoire qui met l’accent sur l’objectif poursuivi plus que sur les méthodes utilisées. La présence désigne pour une force militaire l’action d’être là, de demeurer de façon visible, concertée et assumée, sur un espace physique donné, qu’il s’agisse de l’enjeu du conflit ou d’un espace plus restreint, autrefois appelé le champ de bataille. Elle exprime une volonté ; elle dit à l’adversaire : « Vous souhaitez m’ignorer, me faire disparaître de cet espace en tant que groupe constitué, mais je ne céderai pas, quelle que soit la violence qui me vise. » La présence est donc par elle-même un acte politique, un discours qui s’affirme face à la violence, une façon de se révéler à son adversaire comme à ceux qui sont les témoins du conflit.
Celui qui veut faire cesser la présence doit avoir recours à la violence, sans qu’ici ce mot se veuille péjoratif. Elle vise à provoquer de l’attrition, mais aussi à émousser la détermination en infligeant des dommages, érodant la cohésion ou éliminant des éléments sensibles du dispositif adverse. Elle vise aussi à affirmer une détermination en légitimant une réponse au même niveau. Elle utilise des moyens variés, qui ne se limitent pas à la seule utilisation des armes. La surprise est un des moyens de la violence, lorsqu’elle déstabilise, désoriente le commandement et contribue ainsi à la dislocation d’un groupe. « Pleinement réussie, elle sème chez l’adversaire la confusion et le découragement14. » Dans tous les cas, la violence reste un élément subordonné, plus tactique que stratégique.
C’est le face-à-face de la présence et de la violence qui constitue l’épreuve de force. Mais il serait dépourvu de sens en l’absence de témoins, de non-combattants qui l’observent et qui en constituent l’audience. Il peut s’agir de spectateurs directs, en particulier les membres des forces non directement concernés par le combat à un moment donné, de la société civile de la zone du conflit, des médias ou, plus largement, de l’opinion publique, régionale ou internationale.
Cette audience remplit plusieurs rôles essentiels : elle constate d’abord les résultats de la confrontation et l’écho qu’elle donne à l’issue du combat en multiplie la résonnance. Elle porte aussi un jugement sur la légitimité de l’emploi de la violence et de l’affirmation de la présence de chacune des deux parties, ce qui vient améliorer ou au contraire affaiblir les conditions de l’engagement et l’effet politique du résultat recherché. Elle vient enfin cautionner la durabilité des résultats obtenus pour garantir la solidité de l’accord de paix qui surviendra, puisque cette audience est le seul élément qui survit à la guerre. L’importance de ce troisième élément de la guerre, brillamment analysé par Emile Simpson dans son étude sur la crise afghane15, explique le soin apporté aux communiqués de victoire, depuis le message transmis par le coureur de Marathon jusqu’aux actions conduites aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Un combat si isolé qu’aucune audience n’en aurait connaissance pourrait avoir une valeur tactique subordonnée ; sa dimension politique serait au mieux elle-même subordonnée.
En définitive, dans cette acception de la « formule » – la guerre comme relation –, l’affrontement guerrier est une dialectique de la présence et de la violence mise en scène devant une audience. L’action militaire consiste à affirmer sa présence sur un espace physique donné, en dépit de la violence adverse, et à produire l’effet inverse sur l’ennemi en lui interdisant toute forme de présence par l’exercice de la violence. Ce type de conflit peut admettre des objectifs politiques variés, mais son objectif militaire générique est un espace physique, terrestre, aérien ou maritime. Cet espace représente une sorte de matrice de transfert car il est à la fois un objectif militaire et un enjeu politique pour l’épreuve de force.
L’efficacité propre à cette épreuve de force procède de la dialectique et de la symétrie relative qui la caractérisent. Elle interdit à chacun des deux belligérants une attitude strictement passive. Pour chacun d’entre eux, s’engager dans l’affrontement, c’est prendre des risques, c’est se fixer un objectif perceptible par tous et notamment par l’audience du conflit. Ne pas pouvoir l’atteindre, c’est devoir reconnaître un échec et la force supérieure de la volonté adverse.
Inversement, il est beaucoup plus ardu de contraindre celui qui est purement passif – souvent parce que son infériorité est telle qu’elle lui interdit toute autre attitude – à reconnaître sa défaite. Or tel est bien l’objectif cardinal de l’action militaire en tant qu’elle est une joute des volontés qui doit donner lieu à une nouvelle situation politique. C’est peut-être Hannah Arendt qui a le mieux décrit ce mécanisme : « Même la rencontre la plus inamicale entre les hommes laisse subsister quelque chose qui leur est désormais commun. […] Chez les Romains, le même combat devint l’élément leur permettant ainsi qu’à leurs partenaires de se reconnaître ; lorsque le combat était terminé, ils ne se repliaient pas sur eux-mêmes et sur leur gloire, entre les murs de leurs villes, mais ils avaient conquis quelque chose de nouveau, un nouveau domaine politique, qui était garanti par un pacte et grâce auquel les ennemis d’hier devenaient les alliés de demain16. »
Par contraste avec la conception utilitariste, l’action militaire est ici durable et médiatisée ; elle se déploie dans un espace non ponctuel mais limité. Les stratégies qui se rattachent à cette conception de l’action se sont montrées relativement efficaces dans les conflits récents. Parmi les opérations modernes, la guerre des Malouines fait figure d’archétype, avec une zone de guerre délimitée, un début et une fin, et un enjeu territorial à la fois objectif militaire et enjeu politique. La stratégie russe en Ukraine a aussi consisté à s’appuyer sur la présence de séparatistes en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, ponctuellement appuyés par des unités d’artillerie, puis à mettre en échec l’action ukrainienne. Il a en effet été très difficile aux forces ukrainiennes de contester cette présence, tant d’un point de vue militaire que politique. En Syrie et en Irak, le conflit se structure autour de la présence de forces djihadistes qui tentent de s’affirmer sur le territoire d’un califat fantasmé. Le contrôle de chacune des grandes villes prend valeur de symbole. Au Mali, l’opération Serval s’interprète comme une contestation de la présence des groupes armés et la volonté d’affirmer au contraire celle des forces nationales maliennes et internationales. Enfin, plus près de nous, l’opération Sentinelle s’analyse comme le recours presque exclusif à la présence comme moyen d’action face au terrorisme, qui, pour sa part, s’appuie intégralement sur la violence.
- Penser l’action militaire, une condition du succès
Au regard de cette typologie de la guerre éclairée par les deux interprétations de la « formule », la question reste celle de notre capacité à infléchir le cours des événements. La tendance aux guerres « totales par fragmentation », qui ignorent à la fois les leçons du xxe siècle et les fonctions classiques de la guerre réglée, est-elle irréversible ?
Trois grandes séries de facteurs interviennent dans des sens divergents. Ceux qui sont relatifs à la société et au contexte sont sans doute les moins facilement maîtrisables. L’exacerbation de la dimension morale dans les relations internationales, l’oubli de ce que peut être la guerre dans nos sociétés, l’impatience et l’émotion qui sont au cœur des dynamiques des chaînes d’information en continu, l’attrait de la haute technologie, le retour des politiques de puissance ne sont que quelques-uns des traits qui nourrissent la tendance à ces guerres totales d’un nouveau genre.
D’autres facteurs sont relatifs à la direction politique. Dans ce domaine, la formation des dirigeants sur les questions militaires, l’aptitude des dispositions constitutionnelles à réguler les décisions d’engagement dans de nouvelles opérations, la robustesse des enceintes multilatérales ou le droit international doivent permettre de limiter l’appétence pour la guerre sans pour autant conduire à la faiblesse qui inhibe et prépare les tragédies.
Enfin, le choix des modes d’action militaires représente un troisième facteur, souvent sous-estimé en raison de la prévalence de la conception instrumentale de la guerre. Pourtant, qu’il s’agisse de la préparation des futures capacités et de la définition des programmes d’armement, de la présentation des options stratégiques au pouvoir politique ou des choix opérationnels effectués sur les théâtres, la décision militaire joue un rôle clé dans l’évolution de la guerre.
En définitive, s’il est certain que les deux sens de la « formule » doivent être mobilisés pour penser la guerre, il est tout aussi certain que l’évolution de la conflictualité ne doit pas être subie. Ceci suppose une reprise de conscience de ce que doit être la guerre, un mode de canalisation de la violence. Il nous faut nous repencher sur l’histoire de ce siècle. Tenir la guerre pour injustifiable par principe, c’est nous interdire de réfléchir aux critères de sa justification et nous exposer au risque de voir toutes les guerres justifiées ; déclarer la guerre définitivement impensable, c’est s’interdire de la penser et de voir ses formes nouvelles nous surprendre, nous rendre impuissants et nous entraîner dans une irrésistible montée aux extrêmes ; décréter la guerre inutilisable, c’est fermer les yeux sur tous ceux qui se préparent à l’utiliser ; céder à la tentation de la guerre indiscernable, c’est se préparer à la faire sans discernement.
Finalement, appréhender la guerre comme définitivement injustifiable, impensable, inutilisable et indiscernable, c’est rendre la guerre immaîtrisable. C’est aussi le sens de l’action militaire, dans toutes ses dimensions, en temps de paix comme sur les théâtres d’opérations, que de jouer son rôle dans cette équation, en étant fidèle à sa vocation propre, celle de concourir à la sécurité de la Cité sans jamais perdre de vue la nécessité de penser le jour d’après la guerre, celui où il faudra rebâtir une relation politique avec celui qui a été combattu. Si l’évolution de la guerre modifie nécessairement le sens de l’action militaire, le sens que nous donnons à l’action militaire déterminera aussi le type de guerre que nous conduirons. Il ne s’agit pas là d’une question éthique mais d’une condition essentielle du succès de nos armes et, bien au-delà, du succès de nos politiques.
1 Voir à ce sujet F. Gros, États de violence. Essai sur la fin de la guerre, Paris, Gallimard, 2006, et B. Durieux, « Quand la guerre rejette ses chaînes », in B. Durieux (dir.), La Guerre par ceux qui la font, Monaco, Éditions du Rocher, 2016, pp. 9-26.
2 Clausewitz, De la guerre, Livre I, chap. 2.
3 Ibid, Livre I, chap. 1, paragraphe 25.
4 Selon le terme consacré pour désigner les membres de groupes paramilitaires aux ordres de Moscou pour soutenir les séparatistes ukrainiens en Crimée puis dans le Donbass.
5 En mathématiques, une fonction est discrète si elle ne prend qu’un nombre fini ou dénombrable de valeurs ;
une fonction est continue si elle décrit un intervalle.
6 Clausewitz, op. cit., Livre I, chap. 1, paragraphe 24.
7 Ainsi le titre du chapitre 6B du livre VIII : « La guerre est un instrument de la politique ».
8 Il est sans doute également le reflet de l’hégémonie militaire des États-Unis et de leur culture stratégique.
Voir R. F. Weigley, The American Way of War, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1977.
9 A.-H. de Jomini (1779-1869), officier et théoricien militaire, a mis l’accent sur une conception scientifique de la guerre et sur une certaine séparation entre le domaine militaire et le domaine politique.
10 « Élément, matériel ou immatériel, dont un État, ou un ensemble d’États, une collectivité, une force militaire, tire sa puissance, sa liberté d’action ou sa volonté de combattre » (Glossaire interarmées de terminologie opérationnelle, document cadre dc-004_giato [2013] n 212/def/cicde/np du 16 décembre 2013).
11 Situation à obtenir à la fin d’une opération, concrétisant ainsi la réalisation de l’objectif politique (Glossaire interarmées de terminologie opérationnelle).
12 Clausewitz, op. cit., Livre VIII, chap. 6B.
13 Clausewitz, op. cit., Livre VIII, chap. 7.
14 Clausewitz, op. cit., Livre III, chap. 9.
15 E. Simpson, War From the Ground Up: Twenty-First Century Combat as Politics, Oxford University Press, 2012.
16 H. Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Le Seuil, 1995, pp. 155-157.
There appears to be a general consensus of opinion today that war is reappearing. It feeds into political discourse, is once again becoming a plausible hypothesis for strategy and is accompanied by the return of a long-unfamiliar enemy figure. And yet, this war that everyone talks about is difficult to define because it is so far removed from the field of our experiences, our analyses and our prospects. Global conflicts and decolonisation wars are figures of history, and the crises developing on our footsteps remain foreign to us, in reality.
This amnesia is the result of a very singular 20th century: undoubtedly one of the most belliferous in history as well as the one that saw the most serious attempts to create the conditions for lasting peace. It therefore marked a clear break with earlier periods, during which our ancestors’ efforts were directed more at regulating war than eliminating it. At the same time, the question of the purpose of military action has arisen with fresh intensity. Could we lend purpose to that particular war without promoting a war that we had declared lapsed? Asking this question implies a broader question. What is the relationship between the purpose that human societies have given to war over the ages and the purpose they give to military action? Is there a rigid link between the two, with the first determining the second, or does the interplay of reciprocal influences shape their common development?
What an analysis of the century that has passed since 1917 shows is that doubt as to the purpose of military action goes hand-in-hand with a twofold illusion, which has alternately led us to expect too much from war, then expect too much from decreeing its obsolescence. Today, war once again seems likely to shape the purpose of military action as the retaining walls that contained it start giving way. And yet, military action will have the purpose we give it.
- Military action against war?
We are still in the aftermath of the Great War. In these centenary years, it continues to cast its shadow over us. Over and above the cold marble of the monuments it dotted throughout our villages, it has profoundly changed the way we, on the Old Continent, see war. In traditional European culture, this idea could be set out relatively simply. War, such as it had gradually been structured since Antiquity, had become a means of regulating political violence. When all dialogue had become impossible, when the hostility was leading to a stalemate, it was agreed that armed confrontation, by playing out the quarrel in public, could lay new foundations for negotiations1. War was regulated by limiting the possible causes of conflict (the theory of a just war), its duration (between the declaration of war and the conclusion of peace), the space in which it was waged (delimited by the battlefield or the theatre of operations) and its social extent, gradually obtained through the distinction between combatants and non-combatants.
Doubtless war regularly drifted away from this ideal, but, just as regularly, movements could be observed in the opposite direction, aimed at regulating war. The 19th century was to see this paradigm widened to a hitherto unseen extent as a result of the rise of nationalisms, advances in technology and the appearance of mass armies. The years leading up to 1914 saw a shift from the old conception of military action, focused on searching for the decisive battle, to a more pessimistic vision, which saw the soldier’s engagement as the necessary participation in the Darwinian struggle for the survival of the nations, as foretold by the oracles.
In the logical continuation of this evolution of ideas, the Great War made almost all of the previous limitations obsolete. So thoroughly did it accomplish this, that it then led to a new (at least in its scale) attempt to eliminate war rather than regulate it. The initial turning point, which saw the old barriers give way, can be dated back to 1917, the year when Germany decided to resume all-out submarine war, when the new American power entered the conflict, when attempts to negotiate peace failed, and when the Bolshevik revolution marked the first step in the advent of totalitarianisms.
While the motives for declaring war in 1914 were still in line with the old ways, the conflict was long and its settlement signed the end of the idea of negotiated peace, capable of restoring lasting relations between those who won and those who lost: in retrospect, the Treaty of Versailles did not so much put an end to the hostilities as it represented a mere step in their continuation; the war was global; it made each citizen a combatant. It had failed in its function of regulating violence, leading on the contrary to an unprecedented rise in extremes in the level of destruction, the time, the space and the depth of societies. Today it remains “the war” for us, the one that comes to mind when we hear that word so laden with history. After 1917 and, in a certain measure, up until the beginning of this 21st century, it has never ceased horrifying us. Since then, all of our efforts have been directed at achieving a relatively constant goal, that of preventing its repetition. This goal may seem incompatible with the nature of military action. And yet what strikes us, in retrospect, and despite the failures, is the initial clarity of the link between the general defensive objective assigned to the deployment of forces and this political aim of avoiding armed conflict. The purpose of military action was to avoid war.
Between the two wars, the aim was initially to implement a strict border defence strategy, which we expected to both bear witness to our good intentions and discourage any ideas of attack; it was the military reflection of the legal attempt to outlaw war. In substance, war had to be made unjustifiable. It failed. The Second World War, on the contrary, exacerbated the surge in extremes and consequently strengthened the determination to be done with this phenomenon that brought nothing but misfortune.
While striving to make international law a more robust structure, there was a concurrent effort to make war unthinkable between countries, at least in Europe. This was the role of nuclear weapons and their potential for apocalyptic destruction; it was also the role of conventional forces, whose defensive action was supposed to lend credibility to dissuasion. The outcome was more satisfactory, at the cost of a certain risk. However war once again sidestepped the safeguards by breaking out without the countries, or against them, as in Vietnam, the Near Orient, Africa and Afghanistan.
Once the Soviet threat had evaporated, nations tried to protect themselves from the ever-present spectre of destructive conflicts by adopting a third approach to extinguishing peripheral conflicts: they tried to make war unusable. This was the era of peacekeeping operations, whose name alone revealed the pursuit of a more subtle goal: engage forces to nip conflicts in the bud and put an end to the temptation to restore to war its ancient role of settling an overly deep disagreement. These operations can be analysed, from a military viewpoint, as attempted defensive actions that, instead of tackling just one adversary, were directed against each of the warring parties, often by protecting demarcation zones. The counter-insurrection operations in Iraq and Afghanistan followed on from this attempt and the insurgents were declared to be obstructing peace by making illegitimate use of force. Very symptomatically, it took time for the term “war” to be used in Afghanistan. Between 1918 and the end of the 20th century, the powers marked by the First World War successively sought to make war unjustifiable, unthinkable or unusable.
None of these military defence-based conceptions was absurd; some of them have even proved their effectiveness. And yet, behind their apparent coherence and in their variety, they gradually instilled an insidious absurdity in people’s minds. Since the objective was to avoid war, and since, as it turned out, no conflict on a par with the “Great War” had broken out in Europe since 1945, it was because military actions did not fall into the category of war. The concept of non-employment bound up in nuclear dissuasion, then the notion of “peacekeeping”, reflect this conceptual dissociation between war, perceived as necessarily apocalyptic, and the deployment of forces, whether dissuasive or counter-insurrectionary. The best example of misinterpretation is probably the aphorism attributed to Dag Hammarskjöld, Secretary-General of the United Nations from 1953 to 1961: “Peacekeeping is not a job for soldiers, but only soldiers can do it.” The author of these lines himself, then a captain in Sarajevo, was surprised one day to hear a senior-grade officer assert that no mission accomplished in Bosnia was worth the life of a French soldier. If military activity is dissociated from the concept of war, it excludes both the use of force and the endangerment of life. It becomes senseless.
And yet, in each of the circumstances mentioned, it was a question of the dialectics of wills using force to resolve their conflict, according to General Beaufre’s justly famous definition. This seems quite clear in the circumstances of the cold war, during which dozens of armoured divisions were positioned face to face, ready on both sides, at short notice, to engage a combat that would ultimately be covered by nuclear fire. The confrontation undoubtedly remained virtual, but this only confirms Clausewitz’s intuition that the outcomes of possible engagements carry as much weight as the outcomes of actual engagements2.
As for peacekeeping operations, whereas the scientific literature long considered them sui generis actions, and despite all of the oratory precautions used, they were based on the rationale of a military and symbolic balance of force between the international contingents and the sides who signed the agreements. They too were part of the war, illustrating the ideas of the same Clausewitz when he explained the paradoxical relationship between the degree of violence and politics in war: “The more minor the motives and tensions, the less the natural slope of war—violence—will match the guidelines issued by the political powers, the more war will be diverted from its natural slope and the political goal will be different to the goal of an ideal war, and the more the war will appear to be political in nature3.” Part of the setbacks of these operations can be attributed to the difficulty of recognising a situation of dialectics of force and consequently accepting the adversary’s existence. At a tactical level, this led, for example, to the lack of reserves and heavy armament, and consequently to tragedies such as Srebrenica.
- The new debate on the purpose of military action
in the age of the indiscernible war
The current period is marked by both continuity and a break with the period that ended on 11 September 2001. This event, considered here as a turning point, has not rehabilitated war. From this point of view, we are still living in the post-World War I period. The attempts to make war unjustifiable, unthinkable and unusable have undoubtedly run out of steam, but this is because the overall objective is deemed to have been achieved. War no longer exists, because it is unjustifiable, unthinkable and unnecessary. Consequently, the use of military action can no longer be attributed to the concept of war.
But because the need to use political violence remains, the aim has been to make war indiscernible. This should be attributed not to any desire to infringe on the barriers erected last century—making war unjustifiable, unthinkable and unusable—but rather to the forgetting of these barriers. Witness the plethora of aphorisms used in official or media speeches. Western countries have become accustomed to conducting stabilisation, neutralisation and targeted elimination operations without categorising them as even limited warfare. As for the hybridisation dissected by observers of the Ukrainian crisis, it consists less in combining regular and irregular approaches, or the military and media aspects, as in blurring the moment when a strategic action crosses the line between peace and war.
Terrorism analyses itself as an ambiguous use of political violence, which it is always difficult to attribute to crime or war, and which leads us to a formidable conceptual impasse. To declare war is to accord it the legitimacy of an honourable opponent and risk seeing society split into two irreconcilable factions. To refuse to declare war is to turn the use of political violence into a commonplace by lowering it to the level of a crime, and make it impossible to use the means and resources that may be necessary to fight a violent organisation that is more than a gang of crooks.
While the refusal of war evident in the attempt to make it indiscernible is the natural continuation of the previous period, the nature of military action reflects a complete break with the types of defence that prevailed earlier. The changing face of war would appear to be driving changes in the very purpose of military action. The latter now prefers offensive types of action aimed not at maintaining an existing situation (the borders during the cold ware or an agreement signed for peacekeeping purposes), but at changing the status quo, eradicating a terrorist group or toppling a regime. The most commonly-used types of action are now remote strikes with armed drones, special forces raids and infiltrations of “little green men”4, precisely because they make the transition from peace to war indiscernible.
This indiscernible war cannot accept what it is. As a result, it has trouble accepting the existence of an enemy with whom it will have to find a solution for lasting peace. The enemy is the party that constantly risks revealing a state of war that people shrink from acknowledging. For the same reason, it has difficulty defining a limited purpose; the temptation to deny the enemy finds a logical expression in the desire to eliminate it—an objective that can be described as “unlimited”. It follows that it also complicates any attempt to build peace. It may, in fact, support a state of endemic war rather than an alternation of war and peace.
This change reflects the persistent trend towards total war that has come down to us from the 20th century. We are living in an era of total but fragmented war: only part of the societies is concerned, but combatants and non-combatants are to be found in both the defence systems and the victims of the conflicts; it is not a world war, but it is not bound by borders; the war holds a minor place in governments’ concerns, but involves the entire spectrum of public policies, both military and non-military; it is allocated limited resources, but set unlimited objectives, often aimed at eradicating the adversay. At the end of the day, it promises a lot, as it did before 1914. Among the consequences of this new trend, we should point out the consequence for relations with the enemy. The aim is less to enter into a dialectic relationship with what we are fighting than to try to eradicate or destroy it.
Without saying as much, war has shaken off the chains in which the 20th century thought it had imprisoned it. Armed violence is being used everywhere, in a way that is both discreet and discrete, in an undetectable and non-continuous manner.5 “War” has disappeared and been replaced by a multitude of wars: we are seeing political violence broken up into innumerable micro-conflicts between gangs with the resources of a state and States behaving like gangs. These micro-conflicts are the elementary particles of a war phenomenon that knows no borders nor temporal markers nor distinctions between combatants and non-combatants. War, in its new, total version, is no longer declared nor truly justified, less still clearly distinguished from the rest of human activities.
This poses the question of the purpose of military action in new terms. The debate could, in part, revolve around the two possible meanings of what Raymond Aron called Clausewitz’s “definition”: “War is merely the continuation of politics by other means6.”
Its primary meaning, often the one that springs to mind first and which is backed by other, similar reflections by Clausewitz7, has stemmed from the imbalances of globalisation, since it is fostered by asymmetrical situations8. It could be described as utilitarian, because it refers back the notion of military tool. In this case, war is a means of achieving an objective set by politics. This sense of Clausewitz’s definition, which actually owes more to Jomini9 than to Clausewitz, refers to a temporal breakdown of responsibilities: politics sets the objective that war is supposed to help achieve in a relatively autonomous manner, before politics takes the reins again. It leads to a military action focused on destroying the adversary, insofar as the latter is primarily an obstacle to achieving the objective pursued. It calls for indiscernible commitments that are discrete, occasional and as brief as possible, insofar as what matters is achieving the objective for the smallest possible outlay: a reasoning heavily influenced by economic theory. Current military doctrine bears the traces of these teleological approaches in the notions of “centre of gravity”10 that has to be hit to achieve the “desired final state”11.
There is another possible meaning of the “definition”, undoubtedly less intuitive but more appropriate for analysing present-day situations, since it is better suited to situations of limited war and confrontations with at least local symmetry. It refers to another quote by Clausewitz, which says that “war is just the continuation of political dealings by other means”12, i.e. a negotiation by other means, using battles instead of diplomatic notes. In this case, war describes a type of relationship. This also corresponds to a second type of war identified by Clausewitz: those that aim not to destroy the enemy but to negotiate a peace settlement13. Here, the negotiation takes place simultaneously at both political and military levels, instead of successively. These two types of relationship work together in constantly changing arrangements to achieve their respective objectives. In any case, military action appears first as the means of achieving a thorough recasting of the negotiating conditions at the political level. On the other hand, unlike the utilitarian conception, military action is not designed to achieve the political objective directly.
- Military negotiation
How is this military “negotiation” conducted? Like any negotiation, it should allow each party to reveal its determination and highlight its adversary’s weakness. Most importantly, it aims to obtain an outcome that is accepted by both parties. It achieves this through the interplay of three possible attitudes on the part of the stakeholders. First of all, it is based on the presence of the forces in the physical spaces. This notion goes well beyond the traditional victory or defence of territory, which focuses on the objective more than the methods used. For a military force, presence means the action of being there, remaining in a visible, concerted and assumed manner in a given physical space, whether it is the stake in the conflict or a smaller area, formerly called the battlefield. It expresses a desire; it says to the adversary: “You want to ignore me and make me, as a group, disappear from this space. But I will not give in, no matter what violence is used on me.” Presence is therefore, in itself, a political act, a discourse that takes shape and substance in the face of the violence, a way of revealing oneself to one’s adversary and to those who witness the conflict.
The party that wants to put an end to the presence must use violence (the word does not any pejorative connotations here). It aims to provoke attrition, weaken determination by inflicting damage, erode cohesion or eliminate significant components of the adversary’s team. It also aims to strengthen determination by legitimising a response at the same level. It uses a variety of means, not just weapons. Surprise is one of the tools of violence, when it destabilises, disorients the chain of command and thereby helps to break up the group. “When used well, it creates confusion and discouragement in the adversary’s camp14.” In any case, violence remains a subordinate element, more tactical than strategic.
The trial of strength occurs when presence and violence are brought face to face. But it would be meaningless without witnesses: non-combatants who watch and who are the audience. They might be direct spectators, in particular members of the forces not directly involved in the combat at a given point of time, members of the conflict zone’s civil society, the media or, in a broader perspective, regional or international public opinon.
This audience fulfils a number of key roles: first, it sees the results of the confrontation and, by passing on the outcome of the combat, gives it a broader reach. It also passes judgement on the legitimacy of the use of violence and the statement of presence of each of the two parties. This either improves or weakens the conditions of involvement and the political repercussions of the desired outcome. Lastly, it approves the permanence of the outcomes obtained to guarantee the solidity of the ensuing peace agreement, since this audience is the only element that survives the war. The importance of this third element of the war, brilliantly analysed by Emile Simpson in his study of the Afghan crisis15, accounts for the care taken over victory announcements, from the message carried by the marathon runner to the initiatives conducted today on the social networks. A combat that was so isolated that no audience knew about it could have a lesser tactical value; its political dimension would be, at best, weakened.
In the final analysis, in this sense of the definition—war as a relationship—, war is a dialectic of presence and violence played out in front of an audience. Military action consists in asserting one’s presence in a given physical space, despite the adversary’s violence, and producing the opposite effect on the enemy by using violence to prevent the enemy from enjoying any form of presence. This type of conflict can have a variety of political objectives, but its generic military objective is a physical space: on land, in the air or at sea. This space represents a sort of transfer matrix, because it is at once a military objective and a political stake for the trial of strength.
The effectiveness of this trial of strength stems from its specific dialectic and relative symmetry. It means that neither of the two warring parties may adopt a purely passive attitude. For each of them, entering the confrontation means taking risks and setting an objective that is clearly perceptible to all and in particular to the audience witnessing the conflict. Failing to achieve that objective means having to admit failure and recognise the adversary’s more powerful will.
Conversely, it is far more difficult to oblige a purely passive party to recognise its defeat, often because its inferiority is such that it rules out any other attitude. This is effectively the prime objective of military action: it is a battle of wills that must generate a new political situation. Hannah Arendt may have produced the best description of this mechanism: “Even the most inamical encounter between men leaves behind something that they now have in common. […] For the Romans, the same combat became the factor that allowed them, and their partners, to recognise each other; when the combat was finished, they did not withdraw into themselves and their glory inside the walls of their cities. They had conquered something new, a new political domain, which was guaranteed by a pact and on whose strength yesterday’s enemies became tomorrow’s allies16.”
In contrast to the utilitarian conception, military action here is lasting and widely publicised in the media; it is deployed in a recurrent but limited space. The strategies associated with this conception of action have shown themselves to be relatively effective in recent conflicts. Among modern operations, the Falklands War is considered an archetype, with a clearly defined war zone, a beginning and an end, and territorial stake that is at once a military objective and a political stake. Russia’s strategy in the Ukraine also consisted in relying on the presence of separatists in Crimea and in the east of Ukraine, backed occasionally by artillery units, then thwarting the Ukrainian action. It was effectively very difficult for the Ukrainian forces to challenge this presence, for both military and political reasons. In Syria and Iraq, the conflict revolves around the presence of jihadi forces that are endeavouring to gain the upper hand in the territory of a caliphate with no real existence as yet. Gaining control over each of the major cities assumes symbolic importance. In Mali, Operation Serval can be seen as challenging the presence of armed groups and trying to establish the presence of national Malian and international forces. Closer to home, Operation Sentinelle can be seen as relying almost exclusively on presence as a means of combating terrorism, which, for its part, relies entirely on violence.
- Planning military action, a condition for success
Based on this typology of war and the two interpretations of the “definition”, the question remains as to our ability to alter the course of events. Can the trend towards total but fragmented wars, which disregard both the lessons to be learnt from the 20th century and the standard functions of regulated war, be reversed?
Three major series of factors are at work in different directions. Those that relate to society and the context are probably the ones least easily controlled. The trend towards new types of total war feeds on a variety of characteristics, including the exacerbation of the moral dimension in international relations, a forgetfulness of what war can represent in our societies, the impatience and emotion on which 24-hour news channels thrive, the appeal of high technology, and the return of power politics.
Other factors concern the political leadership. In this area, leaders’ training in military questions, the ability of constitutional measures to regulate decisions to get involved in new operations, the robustness of multilateral forums or international law must be capable of curbing the appetite for war without, however, leading to weakness that inhibits and which lay the groundwork for tragedies.
Lastly, the choice of types of military action is a third factor, often underestimated because of the prevailing instrumental conception of war. And yet military decision-making plays a key role in the future shape of war, whether it concerns preparing future capacities and defining arms programmes, presenting strategic options to political chiefs or operational choices made in the theatres.
In the end, while we can be certain that both meanings of the “definition” must be used to think through war issues, it is just as certain that we need to play an active role in shaping the future of conflict management. This implies a renewed awareness of what war should be: a means of channelling violence. We need to re-examine the history of this century Maintaining that war is, in principle, unjustifiable would prevent us from considering the criteria for its justification, at the risk of seeing all wars justified; declaring war definitively unthinkable would prevent us from thinking about war, at the risk of being taken by surprise by new forms of war, leaving us powerless and dragging us irresistibly to extremes; declaring war unusable would close our eyes to all those preparing to use war; yielding to the temptation of indiscernible war would prepare us to make war without discernment.
Finally, considering war definitively unjustifiable, unthinkable, unusable and indiscernible would make war uncontrollable. This is also the purpose of military action, in all of its dimensions, in peacetime and in theatres of operations: to play its role in this equation, remaining true to its specific calling, which is to help keep the City safe without ever losing sight of the need to think through the day after war, when the country will have to rebuilt a political relationship with the country it fought. If the evolution of war necessarily changes the purpose of military action, the purpose that we give to military action will also determine the type of war we conduct. This is not a question of ethics, but an essential condition for the success of our arms and, in a broader perspective, the success of our policies.
1 See F. Gros, États de violence. Essai sur la fin de la guerre, Paris, Gallimard, 2006, and B. Durieux, “Quand la guerre rejette ses chaînes”, in B. Durieux (dir.), La Guerre par ceux qui la font, Monaco, Éditions du Rocher, 2016, pp. 9-26.
2 Clausewitz, De la guerre, Book I, Chap. 2.
3 Ibid., Book I, Ch. 1, paragraph 25.
4 The usual term for members of the paramilitary groups under Moscow’s orders to support the Ukrainian separatists in Crimea then in the Donbass region.
5 In mathematics, a function is discrete if it has only a finite or countable number of values; a function is continuous if it describes an interval.
6 Clausewitz, op. cit., Book I, Ch. 1, paragraph 24.
7 For example, the title of Chapter 6B of Book VIII: “War is an instrument of politics”.
8 It probably also reflects the military hegemony of the United States and its command of strategy. See Russel F. Weigley, The American Way of War, Indiana University Press, Bloomington and Indianapolis, 1977.
9 A.-H. de Jomini (1779-1869), an officer and military theorist, emphasised a scientific conception of war and a certain separation between the military domain and the political domain.
10 “Tangible or intangible item from which a State or group of States, a local authority or a military force draws its power, its freedom of action or its will to fight” (Glossaire interarmées de terminologie opérationnelle, framework document dc-004_giato [2013] n° 212/def/cicde/np dated 16 December 2013).
11 The situation to be obtained at the end of an operation, thereby giving tangible form to the political objective (Inter-army Glossary of Operational Terminology).
12 Clausewitz, op. cit., Book VIII, Ch. 6B.
13 Clausewitz, op. cit., Book VIII, Ch. 7.
14 Clausewitz, op. cit., Book III, Ch. 9.
15 E. Simpson, War From the Ground Up: Twenty-First Century Combat as Politics, Oxford University Press, 2012, 285 p.
16 H. Arendt, Qu’est-ce que la politique?, Paris, Le Seuil, 1995, pp. 155-157.