Un des grands atouts de la langue allemande est de souvent pouvoir recourir, en jouant sur les mots d’origine germanique et ceux d’origine latine, à deux termes différents pour exprimer des réalités ou des notions pour lesquelles le français, plus pauvre, n’a qu’un seul mot à sa disposition. C’est le cas en particulier du patriotisme, pour lequel les germanophones peuvent se servir de Vaterlandsliebe (attesté depuis le xvie siècle), d’origine germanique, et de Patriotismus (attesté depuis le xviiie siècle), d’origine latine. Or, si dans leur sens premier ces deux mots sont pratiquement interchangeables, leur évolution ultérieure et les connotations qu’ils ont progressivement acquises les ont fait diverger substantiellement l’un de l’autre au point de les rendre quasiment antagonistes.
Le terme de Vaterlandsliebe est celui qui correspond le mieux à ce qu’on entend en français et dans la majorité des autres langues par patriotisme, c’est-à-dire cet attachement affectif, à forte charge émotive et quasiment inconditionnel à la patrie en tant que territoire délimité par des frontières, mais aussi en tant que communauté de citoyens et système de valeurs, histoire et patrimoine, bref en tant que réalité transcendant toutes les différences, réunissant tous les habitants d’un même pays, donnant sens à leur existence en commun et au total si précieuse qu’en cas de menace extérieure, le devoir le plus sacré est de prendre les armes pour la défendre et accepter même, s’il le faut, de se sacrifier pour elle. Or, pour la grande majorité des Allemands d’aujourd’hui, un tel patriotisme, héritier à la fois de l’Antiquité (le dulce et decorum est pro patria mori d’Horace) et de la nation au sens moderne du terme, telle que l’a définie la Révolution française, souffre d’un discrédit unanime et fait l’objet d’une répulsion profonde et d’un refus viscéral.
Il s’agit là d’un fait relativement récent, qui remonte au plus tard à 1945, c’est-à-dire à l’effondrement du IIIe Reich, à l’écrasement de l’Allemagne vaincue par les Alliés, mais aussi à la désillusion qui s’en est suivie et aux profondes remises en cause qui en ont été la conséquence. Jusque-là, en effet, l’Allemagne avait été à l’unisson des autres nations européennes dans le culte de la patrie. Héritier d’une longue histoire (il s’exprime en effet sous des formes diverses dès le Moyen Âge), ce patriotisme s’était affirmé avec une vigueur renouvelée dans la lutte contre l’occupation française et l’oppression napoléonienne. Ernst Moritz Arndt, Heinrich von Kleist, Ludwig Jahn, Theodor Körner ou encore Hoffmann von Fallersleben, pour ne citer que ses principaux thuriféraires, lui avaient alors donné ses lettres de noblesse, mettant en avant trois thèmes principaux : la réalisation d’un État national unifiant tous les Allemands par-delà leurs différences régionales, « de la Meuse au Niémen, du détroit du Belt jusqu’à l’Adige » (tel est le sens de la première strophe du poème « Deutschland, Deutschland über alles » composé lors de la crise du Rhin de 1840 et devenu l’hymne officiel allemand après 1918) ; la haine des envahisseurs étrangers, à commencer par les Français ; et la foi dans la mission salvatrice de l’Allemagne exprimée dans sa forme canonique par le premier vers du poème d’Emanuel Geibel composé en 1851 « Am deutschen Wesen soll die Welt genesen » (« C’est à l’âme allemande de régénérer le monde »). Conforté dans les trois guerres de 1864 (contre le Danemark), de 1866 (contre l’Autriche) et de 1870-1871 (contre la France) ayant conduit à l’unification allemande sous la direction de la Prusse, renforcé plus encore par les sacrifices de la Première Guerre mondiale pendant laquelle l’Allemagne avait tenu tête presque seule pendant quatre ans aux ennemis qui l’encerclaient et voulaient sa perte, ce patriotisme à forte composante militaire, et dont portent témoignage aujourd’hui jusqu’à quinze mille monuments répandus à travers tout le pays, avait été porté à incandescence par l’humiliation de la défaite et du traité de Versailles. Il a joué un rôle déterminant dans l’arrivée au pouvoir de Hitler (qui s’est lui-même présenté et a été perçu par beaucoup comme l’incarnation par excellence du « soldat inconnu allemand »), dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, dans la rage expansionniste et exterminatrice qui l’a caractérisée, et finalement dans la lutte sans merci dans laquelle l’Allemagne tout entière a sombré.
On comprend bien de ce fait que dès les lendemains de la guerre, les survivants aient rejeté cette forme de patriotisme assimilée par eux aux excès meurtriers et suicidaires d’un nationalisme xénophobe et génocidaire. Et ce d’autant plus qu’ils en voyaient les résultats non seulement dans la ruine de leur pays, les millions de victimes qu’avait causées le conflit et la douzaine de millions d’Allemands expulsés des anciennes provinces orientales, mais aussi – et de plus en plus au fur et à mesure que le temps passait – dans les dimensions criminelles du régime nazi et de l’assentiment qui lui avait été porté, activement ou passivement, par la majorité de la société allemande. Le procès de Nuremberg, les campagnes de dénazification et de rééducation menées par les Alliés dans leurs quatre zones, puis le travail de mémoire, d’introspection et de réflexion critique sur le passé mené, avec une intensité croissante à partir des années 1960, par les générations successives des deux États allemands ont joué en la matière un rôle qu’on ne saurait assez souligner. Les étapes de ce travail qui, loin d’avoir été entravé par la réunification, s’est au contraire intensifié depuis et se poursuit toujours, sont trop nombreuses pour qu’on les rappelle car, en définitive, seul compte leur résultat, à savoir le discrédit croissant jeté sur tout ce qui pouvait s’apparenter au culte de la patrie et à l’exaltation des valeurs qui y sont liées (fierté de porter l’uniforme, culte des traditions militaires, valorisation de l’héroïsme et de l’esprit de sacrifice…).
Dès ses débuts, la République fédérale d’Allemagne (rfa), au même titre d’ailleurs que la République démocratique allemande (rda), a interdit le port des décorations antérieures à 1945 (y compris la croix de fer, la plus haute décoration militaire), a fait en sorte que les associations d’anciens combattants soient les plus discrètes possible et se cantonnent à un simple rôle d’entraide, a épuré les monuments aux morts de tout signe trop ostensiblement militariste, a banni de l’enseignement tout ce qui paraissait s’apparenter à des survivances de militarisme et de nationalisme, et a mis au contraire au premier rang de ses valeurs l’humanisme, les droits de l’homme, la démocratie, la civilité et l’attachement à la paix. Et s’il est vrai que la République fédérale s’est réarmée de 1950 à 1954 (au même titre que la rda), cette décision, liée à la fois au souhait du protecteur américain et au désir du chancelier Adenauer de faire avancer la restauration politique de l’Allemagne nouvelle, a suscité de très fortes réactions d’opposition de la part de l’opinion publique et a été encadrée de précautions multiples destinées à éviter tout retour au militarisme d’antan (doctrine du « citoyen en uniforme », Innere Führung, intégration dans l’otan, renoncement à l’arme atomique, usage purement défensif de la force militaire…).
Jusqu’à aujourd’hui, y compris après la réunification et en dépit de l’engagement de la Bundeswehr dans des opérations extérieures depuis 1995, la société allemande, tout entière entrée dans l’« ère posthéroïque », reste une des sociétés les plus civiles de toute l’Europe, d’où non seulement les poussées de pacifisme qui la caractérisent, la faiblesse de l’irrédentisme en faveur des anciennes provinces de l’Est perdues après 1945, l’allergie de l’opinion publique à toute forme de politique de puissance ou encore l’attachement des différents gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, à une politique étrangère donnant la priorité au droit, à la négociation et au multilatéralisme, mais aussi le refus de toute forme de cérémonial militaire ou encore la répulsion à l’égard de l’atome, y compris civil. Élu président de la République en 1969, Gustav Heinemann (1899-1976), protestant convaincu qui s’était opposé au réarmement de la rfa et avait quitté pour cela la Christlich Demokratische Union (cdu) pour adhérer au Sozialdemokratische Partei Deutschlands (spd), avait déclaré dans son discours d’investiture : « Il y a des patries difficiles. L’Allemagne est l’une d’entre elles. Mais elle n’en est pas moins notre patrie » ; quelques mois plus tard, à un journaliste lui demandant s’il aimait l’État allemand, il répondait agacé : « Je n’aime aucun État ; je n’aime que ma femme. » Dans leur radicalité même, ces jugements, même s’ils ont plus de quarante ans d’âge, continuent d’exprimer ce qu’au fond d’eux-mêmes pensent la majorité des Allemands et confirment ce que révèlent les enquêtes comparant la fierté nationale à l’échelle internationale, enquêtes dans lesquelles l’Allemagne vient le plus souvent en dernière position.
On se tromperait cependant à conclure de ces observations que le patriotisme fait l’objet d’un rejet dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Ce rejet ne concerne que la Vaterlandsliebe, c’est-à-dire le patriotisme « à l’ancienne ». Il en va tout autrement en revanche si à la place on se réfère à la notion de Patriotismus. Celle-ci est en effet d’usage courant et fait l’objet d’une valorisation positive, surtout lorsqu’elle est liée à d’autres qui la précisent.
C’est le cas, en premier lieu, pour ce qu’on appelle en allemand le Lokalpatriotismus. Bien différent de l’« esprit de clocher » auquel on est tenté de le comparer, le Lokalpatriotismus n’est pas synonyme d’étroitesse ou de repli. Il renvoie à cette autre patrie qui, pour beaucoup d’Allemands, est bien plus importante que la patrie au sens de Vaterland, à savoir la Heimat, la « petite patrie » à laquelle chacun porte un attachement charnel et qui est fondatrice de son identité. Autant la patrie au sens de Vaterland suscite la méfiance parce que suspecte de collusion avec le nationalisme, autant la Heimat fait, elle, l’objet d’une valorisation positive car elle est synonyme d’enracinement, d’authenticité et de communauté. Cet attachement affectif fort à la Heimat est lui-même inséparable de la force des identités locales et de la vitalité du fédéralisme allemand. Il rappelle que le fédéralisme, la décentralisation et le polycentrisme sont parmi les réalités structurelles allemandes les plus anciennes : ils remontent en effet au Moyen Âge, ont perduré à travers les siècles et par-delà les changements de régime, et n’ont connu historiquement que deux exceptions centralisatrices, elles-mêmes liées aux pires moments de l’histoire allemande, le national-socialisme et le communisme est-allemand. C’est pour cette raison, du reste, que le rapport au passé est singulièrement différent selon que l’on se place à l’échelle nationale ou à l’échelle locale ; alors qu’à l’échelle nationale, l’attitude dominante est une attitude critique, centrée sur les xixe et xxe siècles, et soulignant avant tout les ruptures, à l’échelle locale, l’attitude dominante est une attitude positive qui met en valeur les continuités, remonte le plus loin possible dans le temps et donne la priorité à tout ce qui peut faire l’objet d’une identification valorisante.
La seconde forme de patriotisme assumée et revendiquée est ce qu’on appelle en allemand le Verfassungspatriotismus, traduit en français par « patriotisme constitutionnel ». Il s’agit là d’une notion inventée par le politologue Dolf Sternberger en 1979 et qui exprime la grande ambition de la République fédérale, c’est-à-dire se doter d’une identité politique d’un type nouveau, qui soit une alternative républicaine, inspirée du « plébiscite de tous les jours » d’Ernest Renan, à la définition ethnico-nationale de l’Allemagne définitivement discréditée par le national-socialisme et qui permette, dans le contexte de la séparation allemande, d’échapper à la « malédiction de la nation ». Reprise en compte par Jürgen Habermas ou encore Richard von Weizsäcker, cette notion, au départ assez abstraite, n’a cessé depuis de se concrétiser, en particulier à la suite de la réunification. Cette dernière, voulue d’abord par les Allemands de l’Est chez qui le sentiment national était resté plus fort qu’en rfa, mais portée également par le patriotisme allemand sous-jacent de la majorité des Allemands de l’Ouest, s’est effectuée en effet sur la base de la Loi fondamentale de 1949 étendue en 1990 à l’ancienne rda. La Loi fondamentale s’en est trouvée de ce fait tout à la fois nationalement légitimée et métamorphosée puisqu’elle est passée du statut de Constitution provisoire à celui de Constitution commune à tous les Allemands.
Cet attachement à la Constitution, et plus généralement aux valeurs libérales, démocratiques et occidentales dont elle se réclame, n’est pas sans rappeler celui qui caractérise les États-Unis d’Amérique ; il s’exprime en particulier par la révérence pour le droit en tant qu’expression d’une culture politique commune et par l’autorité incontestée et sans exemple ailleurs en Europe de cette institution essentielle au bon fonctionnement de la démocratie allemande qu’est le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe (Bundesverfassunsgericht).
Deux éléments ont joué un rôle déterminant dans la naissance de ce patriotisme d’un type nouveau. Le premier a été la réussite de la mue démocratique de la rfa de 1949 à 1989, faisant d’elle une démocratie occidentale et libérale, parlementaire et sociale exemplaire ; le second a été la réussite de la réunification, plébiscite national s’il en fut, qui s’opéra de la manière la plus pacifique qui soit, avec l’accord des anciens Alliés et des pays environnants, sur la base des valeurs et des institutions de la rfa, et s’inscrivit dès le début dans un contexte européen plus général. Pour caractériser cette évolution, l’historien Edgar Wolfrum a parlé à juste titre de geglückte Demokratie, c’est-à-dire d’une conversion démocratique réussie et d’autant plus remarquable à l’échelle européenne qu’elle a su faire échec jusqu’à aujourd’hui à l’émergence de partis d’extrême droite xénophobes et nationalistes.
Une conversion d’autant plus réussie, qu’elle s’est accompagnée d’une prospérité et de prouesses économiques qui font l’envie de bien des voisins de l’Allemagne et suscitent dans de larges secteurs de l’opinion publique allemande un sentiment légitime de fierté. Cette confiance en soi et cette assurance retrouvée ne reposent pas seulement sur la réussite économique, sur le redressement opéré par les réformes structurelles du gouvernement Schröder, sur les performances allemandes sur les marchés internationaux – et donc aussi sur un sens bien compris des intérêts allemands. Elles s’appuient également sur un héritage culturel qui a pour l’essentiel échappé à la damnation par le nazisme, mais aussi sur une perception moins exclusivement critique de l’histoire allemande.
L’identité historique allemande est certes en premier lieu une identité négative, qui repose sur le traumatisme représenté par le nazisme et la Shoah – avec la volonté de rupture et le sentiment de responsabilité qui en découlent ; Hitler est de loin la personnalité historique allemande la plus détestée et la plus présente dans les mémoires collectives, tandis qu’Auschwitz et sa rampe vient toujours en tête des lieux de mémoire allemands. Mais après Hitler, viennent Goethe et Schiller, Bach et Beethoven, Luther et Frédéric II – et de plus en plus des personnalités d’après 1945 qui sont considérées comme autant d’incarnations du nouveau patriotisme allemand, tels Konrad Adenauer, Helmut Kohl et plus encore Willy Brandt (à l’occasion du centenaire de sa naissance, l’hebdomadaire Der Spiegel lui a consacré un numéro spécial titré « Der Patriot »). N’oublions pas, enfin, le patriotisme sportif qui tient une place de première importance : la Coupe du monde de football remportée en 1954 en Suisse par l’équipe de la rfa contre l’équipe hongroise donnée comme favorite est qualifiée jusqu’à aujourd’hui de « miracle de Berne » et considérée par certains comme la véritable date de naissance de la rfa ; jusqu’en 1968, les sportifs des deux États allemands n’ont formé qu’une seule équipe aux Jeux olympiques, et s’il est vrai que lors de la Coupe du monde de football de 2006, l’Allemagne ne vint qu’en troisième position (après l’Italie et la France), le caractère aussi paisible que réussi de la compétition comme la floraison de drapeaux qui l’ont marquée ont été aussitôt perçus comme l’expression d’un patriotisme apaisé, ouvert au reste du monde et dépourvu de toute forme de nationalisme et de xénophobie.
Foncièrement pacifique, européen tout autant que national, vigilant et autocritique lorsqu’il le faut, ce nouveau patriotisme commence même à accepter de faire une place aux valeurs militaires. Le nouveau mot d’ordre dont s’est dotée la Bundeswehr est « Nous sommes au service de l’Allemagne » (Wir dienen Deutschland) ; depuis 2008, l’armée allemande qui jusque-là n’avait à sa disposition, outre la très civile Bundesverdienstkreuz « croix du mérite fédéral », que des décorations pour services rendus, a décidé d’y ajouter une nouvelle décoration récompensant le courage manifesté sur des théâtres d’opérations, la Ehrenkreuz der Bundeswehr für Tapferkeit, « croix d’honneur du courage », qui n’est pas sans rappeler l’ancienne croix de fer ; un an plus tard, enfin, a été inauguré à Berlin, dans le périmètre du ministère de la Défense, un mémorial de la Bundeswehr (Ehrenmal der Bundeswehr) sur lequel sont projetés les noms des trois mille deux cents soldats et employés civils de l’armée allemande morts en service depuis sa fondation.
La date tardive de ces initiatives tout comme leur discrétion n’en expriment pas moins les difficultés du nouveau patriotisme allemand à s’assumer comme tel, tant reste grande la crainte d’une rechute dans le nationalisme ou le militarisme. Très différent en cela du mémorial d’Arlington ou de l’Arc de Triomphe à Paris, le mémorial central de l’Allemagne réunifiée installé sur l’avenue Unter den Linden dans la « nouvelle garde » (Neue Wache), a fait avant son ouverture en 1993 l’objet de très vifs débats dans l’opinion publique ; modeste et recueilli, il est aussi anti-héroïque que possible, et est dédié à la mémoire des victimes de la guerre et de la tyrannie. De la même manière, le nouveau musée d’Histoire militaire inauguré à Dresde en 2011 sur les plans de l’architecte Daniel Libeskind (l’architecte qui a également construit le Musée juif de Berlin), ressemble plus à un musée pacifiste qu’à un musée militaire au sens classique du terme. Lorsqu’enfin, de retour en mai 2010 d’une visite aux soldats allemands combattant en Afghanistan, le président de la République Horst Köhler tint une interview dans laquelle il laissait entendre qu’en cas de nécessité le recours aux armes pouvait s’imposer pour la défense des intérêts allemands, les réactions de la presse et des médias furent majoritairement négatives, lui reprochant d’avoir tenu des propos irresponsables et d’avoir transgressé un des tabous fondamentaux de la culture politique allemande, si bien que devant l’ampleur de ce qu’il perçut comme un désaveu, Horst Köhler décida avec éclat de démissionner (alors qu’élu une première fois en 2004, il avait été reconduit sans difficulté dans son mandat en 2009).
Redevenue au plus tard à la suite de sa réunification un État national « normal », l’Allemagne d’aujourd’hui, démocratique, pacifique et occidentale, a développé ou retrouvé un patriotisme qui, sur bien des points, s’apparente à celui des autres nations. Mais elle n’en oublie pas pour autant son histoire proche, l’assumant avec une rare exigence critique et éthique. Et même si elle n’échappe pas toujours à un sentiment de supériorité, voire à la tentation de vouloir donner des leçons aux autres que ce soit en matière économique ou sur la bonne manière de se confronter au passé, elle sait quelles responsabilités en découlent et récuse de ce fait tout ce qui, de près ou de loin, pourrait s’apparenter à une rechute dans le nationalisme.
One of the great advantages of the German language is that, by playing with words of German and Latin origin, two different terms can often be used to express facts or ideas for which French, a language that is not so rich, has only one word available to it. This is especially the case with the word patriotism, for which German speakers can use two different words, one German in origin, Vaterlandsliebe (found since the 16th century), and the other Latin in origin, Patriotismus (found since the 18th century). Although the two words are, insofar as regards their original meanings, more or less interchangeable, the ways in which they have since evolved and the connotations that have become attached to them over time means that they have diverged to such an extent that they are now practically opposites.
The term Vaterlandsliebe is the closest to what is meant by the term patriotism in French and most other languages, in other words, a highly emotional attachment, more or less exclusively to one’s country, as a territory defined by its borders, but also as a community of citizens and a value system, a history and heritage, in other words, as a reality that transcends differences, uniting all the inhabitants of a single country, giving meaning to their common existence and, as a whole, so precious that in the event of any external threat, the most sacred duty is to take up arms in its defence, and to accept, when necessary, the sacrifice of one’s own life in its name. For most Germans today, this kind of patriotism, dating back to Antiquity (cf. Horace’s dulce et decorum est pro patria mori) and to the nation in the modern meaning of the term, as defined by the French Revolution, has been unanimously discredited and is an object of deep-rooted repulsion and visceral rejection.
This is a relatively recent fact, dating back to 1945 at the most, in other words, to the fall of the Third Reich and Germany’s crushing defeat by the Allies, as well as to the disillusionment that followed and the deep questioning that resulted. Up until then, Germans had been as devoted to their country as every other European nation. Continuing a long history (expressed in various forms since the Middle Ages), there was an upsurge of this form of patriotism in the fight against French occupation and oppression under Napoleon. Ernst Moritz Arndt, Heinrich von Kleist, Ludwig Jahn, Theodor Körner and Hoffmann von Fallersleben, to mention but a few of its most ardent advocates, lent it credibility, highlighting three main themes: the achievement of a nation State uniting all Germans regardless of their regional differences, “from the Meuse to the Memel, from the Adige to the Belt” (the first line of the poem “Deutschland, Deutschland über alles” composed during the Rhine Crisis of 1840, which became the Official German national anthem after 1918), hatred for foreign invaders, starting with the French, and faith in Germany’s mission to save the world, expressed in canonical form in the first line of Emanuel Geibel’s poem, written in 1851, “Am deutschen Wesen soll die Welt genesen” (“The German soul/being may heal the world”). Consolidated in the three wars of 1864 (against Denmark), 1866 (against Austria) and 1870-1871 (against France) that resulted in German unification under the Prussians, and further strengthened by the sacrifices of the First World War during which Germany stood practically alone for four years against enemies that surrounded her and wished for her fall, this very militaristic form of patriotism, which some fifteen thousand monuments across Germany now bear witness to, was brought to boiling point by the humiliation of defeat and the Treaty of Versailles. It was a determining factor in Hitler’s rise to power (he presented himself and was perceived by many to be the perfect incarnation of the “unknown German soldier”), in the outbreak of the Second World War, in the expansionist and exterminating rage that characterised it, and in the merciless war in which the whole of Germany was plunged.
It is therefore understandable that, in the aftermath of the war, the survivors rejected this form of patriotism, which they identified with the deadly, suicidal excesses of a nationalism rooted in xenophobia and genocide. This was all the more so in that they could see the results not only in the ruins of their own country, the millions of victims of the war and the twelve million Germans expelled from the former eastern provinces, but also – and increasingly as time passed – in the criminal dimensions of the Nazi regime and the assent given it, actively or passively, by the majority of German society. The Nuremberg Trials, the denazification and rehabilitation campaigns carried out by the Allies in their four zones, and then the effort of memory, introspection and critical examination of the past they themselves carried out, with increasing intensity since the 1960s, by successive generations in both German states, played a role that cannot be emphasized too strongly. The stages involved in this effort which, rather than being held back by reunification, has in fact intensified since and continues today, are too numerous to recall, since what really matters is the outcome, namely the consistent discrediting of anything related to the cult of “one’s country” and the exaltation of the values that go with it (proud to wear the uniform, worshipping military tradition, exalting heroism and the spirit of sacrifice, etc.).
From the outset, the Federal Republic of Germany (frg), as did the German Democratic Republic (gdr), banned people from wearing medals from before 1945 (including the Iron Cross, the highest military decoration), ensured that veterans associations were as discreet as possible and restricted themselves to mutual assistance, stripped memorial monuments of all signs that were too overtly militaristic, banned any trace of militarism and nationalism from being taught in school, instead promoting the values of humanism, the rights of man, democracy, civility and a commitment to peace. While it is true that the Federal Republic re-armed between 1950 and 1954 (as did the gdr), this decision, linked both to America the Protector’s desire and to Chancellor Adenauer’s wish to progress with the political restoration of the new Germany, aroused strong opposition in public opinion and was supervised within a broad framework of precautions aimed at preventing any return to former militarism (the doctrine of the “citizen in uniform”, Innere Führung, integration in nato, renouncing nuclear armament, and the purely defensive use of military force, etc.).
Until now, including post-reunification and in spite of the Bundeswehr’s involvement in foreign operations since 1995, German society, which has entered the “post-heroic age” as a whole, remains one of the most civil societies in Europe, hence not only the upsurges of pacifism characteristic of the country, the lack of irredentism with regard to the former eastern provinces lost since 1945, public opinion’s allergy to any form of power politics, together with the attachment of different governments, whatever their political persuasion, to foreign policy that gives priority to the law, negotiation and multilateralism, as well as the refusal of any form of military ceremony and a revulsion for nuclear energy, including its civil use. Elected President of the FRG in 1969, Gustav Heinemann (1899-1976), a staunch Protestant who had been against the rearmament of the frg and, as a result, had left the Christlich Demokratische Union (cdu) to join the Sozialdemokratische Partei Deutschlands (spd), declared in his investiture speech: “There are difficult countries. Germany is one of them. But it is still our country”; a few months later, asked by a journalist if he loved the German State, he replied, annoyed: “I do not love any State; I love only my wife.” For their very radicalism, his words, even forty years later, are typical of what the majority of Germans still deeply believe, and confirmed in surveys comparing national pride worldwide, which more often than not have German in bottom position.
However, it would be mistaken to conclude from such observations that patriotism is rejected in today’s Germany. What is rejected is Vaterlandsliebe, the “old” form of patriotism. It is quite another story in the case of Patriotismus. This is a commonly-used concept and is seen as a positive value, especially when related to other concepts defining it more precisely.
To begin with, this is the case with what is called Lokalpatriotismus. Nothing to do with the “small-town mentality” with which it is tempting to compare it, Lokalpatriotismus is not a synonym for small-mindedness or withdrawal. In fact, it refers to that other country which, for many Germans, is of much greater importance than country inferred by the word Vaterland, namely Heimat, the native land to which the individual is physically attached and which lies at the foundation of his or her identity. Just as “one’s country” in the meaning of the Vaterland arouses distrust and suspicion of collusion with nationalism, so Heimat is a positive value since it is a synonym for rootedness, authenticity and community. This strong emotional attachment to the Heimat is itself inseparable from the strength of local identities and the vitality of German federalism. It reminds us that federalism, decentralisation and polycentrism are some of the most ancient structural realities of Germany: indeed they date back to the Middle Ages and have endured throughout the centuries and in spite of changing regimes, with only two exceptions of centralisation in the history of Germany, related to the worst periods in German history, national socialism and East German Communism. This is why the relationship with the past is so distinctly different depending on whether it is looked at on the national or the local scale; on the national scale, the predominant attitude is a critical attitude, focused on the 19th and 20th centuries, and above all on the major breaking points; on the local scale, the predominant attitude is a positive attitude that values continuity, going as far back in time as possible and giving priority to anything conducive to positive identification.
The second form of patriotism assumed and defended is what is called Verfassungspatriotismus, which translates as “constitutional patriotism”. This is a concept invented by the political scientist Dolf Sternberger in 1979 and which expresses the Federal Republic’s great ambition to create a new political identity that would be a republican alternative, inspired by the Ernest Renan’s idea that a nation is a “daily plebiscite”, to the ethnic/national-oriented definition of Germany that had been definitively discredited by national socialism and which, in the context of the separation of Germany, made it possible to escape from the “curse of the nation”. Reinstated by Jürgen Habermas and Richard von Weizsäcker, this originally rather abstract concept has since become more concrete, particularly following reunification. Reunification, primarily desired by East Germans for whom national sentiment had remained stronger than in the frg, but equally endorsed by the underlying German patriotism of the majority of West Germans, was in fact based on the German Basic Law (Grundgesetz) of 1949 extended in 1990 to include the former gdr. The Basic Law was thus nationally legitimised and metamorphosized since it has gone from the status of provisional constitution to that of the constitution shared by all Germans.
This attachment to the constitution, and, more generally, to the liberal, democratic and Western values it proclaims, brings to mind the attachment to the constitution typical of the USA; in particular, it is manifest in the reverence for the Law as a reflection of a common political culture and by the uncontested authority of the Federal Constitutional Court (the Bundesverfassunsgericht), an institution unique in Europe and seen as fundamental to the smooth functioning of German democracy.
Two factors have played a determining role in the birth of this new kind of patriotism. First, the success of the frg’s democratic transformation between 1949 and 1989, making of it an exemplary Western, liberal, parliamentary and social democracy; and second, the success of reunification, a national plebiscite if ever there was one, which came about in the most peaceful manner possible, with the consent of the former Allies and the neighbouring countries, based on the values and the institutions of the frg, and, from the outset, as part of the wider European context. To describe this development, the historian Edgar Wolfrum has rightly spoken of geglückte Demokratie, in other words, a successful democratic conversion, all the more remarkable at the European scale in that it has so far managed to quash the emergence of xenophobic, nationalist extreme right parties.
This conversion has also been successful in that it has gone hand-in-hand with prosperity and economic performance that are the envy of many of Germany’s neighbours and arouse a justifiable feeling of pride in broad sectors of German public opinion. This self-confidence and regained assurance are not only based on economic success, recovery brought about by the Schroeder government’s structural reforms and Germany’s performance on international markets – in other words on a well-understood meaning of German interests. It is also based on a cultural heritage that escaped damnation by Nazism, as well as on a less totally critical perception of German history.
While German historical identity is undoubtedly, and primarily, a negative identity, founded on the traumatism represented by Nazism and the Holocaust – with the resulting feeling of responsibility and desire to break with the past; Hitler is by far the most detested German historical figure, and the most present in the collective memory, while Auschwitz with its station platform is still considered Germany’s most important “memory site”. However, after Hitler come Goethe and Schiller, Bach and Beethoven, Luther and Friedrich II – and increasing numbers of post-1945 figures who are thought of as embodying the new German patriotism, such as Konrad Adenauer, Helmut Kohl and especially Willy Brandt (to mark the 100th anniversary of his birth, the newspaper Der Spiegel devoted a special issue to Brandt entitled “Der Patriot”). Of course, there is also the vitally important patriotism in the sports world: the World Cup won in 1954 in Switzerland by the gfr team against Hungary, tipped as the favourite to win, is still today described as the “miracle in Berne” and some people consider this to be the real date on which the frg came into being; up until 1968, sportsmen and women from both sides of the Berlin Wall formed a single team at the Olympic Games, and while it is true that in the 2006 World Cup, Germany only came third (after Italy and France), the peaceable nature of the competition, like the flourishing of flags that accompanied it, was immediately seen as a reflection of a pacified patriotism open to the rest of the world and free of any form of nationalism and xenophobia.
Fundamentally peace-loving, as much European as national, vigilant and self-critical when necessary, this new patriotism is even beginning to accept a certain place for military values. The new motto adopted by the Bundeswehr is “We serve Germany” (Wir dienen Deutschland); since 2008, the German army, which until then, apart from the very civil Bundesverdienstkreuz (Federal Cross of Merit), only had decorations for services rendered, decided to add an new decoration for showing courage in theatres of operations, the Ehrenkreuz der Bundeswehr für Tapferkeit (Cross of Honour for Courage), which is vaguely reminiscent of the former Iron Cross; a year later in Berlin, within the Ministry of Defence, a memorial to the Bundeswehr (Ehrenmal der Bundesweh) was inaugurated on which are projected the names of the three thousand two hundred soldiers and civilian staff of the German Army that have been killed in service since its founding.
The tardiness of such initiatives, together with their discretion, also reflect the fact that this new German patriotism has some difficulty in coming to terms with itself as such, so great is the continuing fear of slipping back into nationalism or militarism. Quite different from the Arlington Memorial or the Arc de Triomphe in Paris, the Central Memorial of reunified Germany is found on boulevard Unter den Linden and housed in the “Neue Wache” (new guardhouse). Public opinion was divided prior to its opening in 1993. Modest and inspiring contemplation, it is also as anti-heroic as it could be. It is dedicated to the memory of victims of war and tyranny. Similarly, the new military history museum that opened in Dresden in 2011, designed by architect Daniel Libeskind (the same architect who built the Jewish Museum in Berlin), seems more like a pacifist museum than a military museum in the conventional sense of the term. When, returning from visiting German troops in Afghanistan in May 2010, President of the Republic Horst Köhler held an interview in which he suggested that, if necessary, military deployment could be used in defence of German interests, reaction in the Press and media was overwhelmingly critical, reproaching him for his irresponsible words and for having transgressed one of the fundamental taboos of German political culture, so much so that, given the scale of what he perceived as rejection, Horst Koehler made the shock decision to resign (even though, after first being elected in 2004, he had been comfortably re-elected in 2009 for a second term).
Having once more become a “normal” nation state at the latest following reunification, Germany today, democratic, peace-loving and Western, has developed, or rediscovered, a form of patriotism that resembles that of other nations on many points. This does not mean, however, that she has forgotten her recent past, and indeed has come to terms with it in an uncommon sense of critical and ethical expectation. Yet even if it is not always possible to avoid a certain sense of superiority, or even the temptation to preach to others, whether on economic matters or on the best way to deal with the past, it is aware of the responsibilities involved and, therefore, challenges anything that, from near or far, could be taken as slipping back into nationalism.