N°24 | L’autorité en question / Obéir-désobéir

Patrick Laclémence

Qui es-tu ? D’où viens-tu ?

Boston, 12 avril 2013. Une double explosion près de la ligne d’arrivée du marathon fait trois morts et près de cent quarante blessés. À l’origine de cette attaque, deux frères. L’aîné est marié à une Américaine convertie à l’islam ; le cadet, étudiant en médecine, dispose d’une bourse d’études. Tous deux sont parfaitement intégrés au quotidien des Américains. Mais, originaires du Caucase russe, ils sont les fils d’une culture musulmane perdue de vue. En manque d’origine, ils la retrouvent dans l’intégrisme. Un attentat à mettre en parallèle avec les meurtres perpétrés en France, à Toulouse et à Montauban, par Mohamed Merah en mars 2012. La similitude des cycles de vie et la rupture est singulière. Dans les deux cas, il s’agit d’actes perpétrés par une génération « perdue de vue ». « Auto-radicalisés », Merah comme les frères Tsarnaev ont la nationalité du pays d’accueil. À la recherche d’une culture via Internet, ils se sont « nourris » de discours extrêmes. Intégrés dans un « vivre ensemble » quotidien, leur passage à l’acte est aussi rapide qu’imprévisible. Une nouvelle forme de pathologie sociale apparaît ainsi, entre l’incompréhension des origines et le « vivre ensemble » du pays d’accueil. On commence alors à parler d’une nouvelle forme d’action : le « self terrorisme ».

Ainsi, et sans ouvrir le débat en France entre intégration, immigration, assimilation et ségrégation, la question de l’origine et de son appropriation paraît primordiale. Comment conserver une histoire personnelle lorsque le troisième millénaire s’ouvre sur une civilisation de l’instant et du mouvement ? Si en quelques heures nous traversons la planète, que nos économies et nos industries se développent, ce ne peut être que soumis au mouvement, à la vitesse et à la fluidité. Dans ce cadre, les flux migratoires sont importants et les liens d’origine se nourrissent par-delà les frontières de nouveaux modes de communication. La mémoire virtuelle, faite d’approximations et de liens temporaires, se développe au gré des réseaux, transperçant la transmission générationnelle. Ce constat conduit à s’interroger sur les identités des uns et des autres, confrontés à cette fragmentation des générations et à l’éclosion du moi.

Or, lorsque la culture n’est plus échangée en communion, que la globalisation efface les frontières, que la mondialisation ouvre l’humanité sur l’instantanéité et tisse une toile relationnelle, la transmission mémorielle de génération en génération est difficile. Au mieux, les rendez-vous communautaires qui appartiennent à l’histoire seront transmis sans être vécus1. Au pire, ils seront soumis à la radicalisation pour revenir aux origines. Comment alors relever le défi : « Qui es-tu, en cherchant d’où tu viens, et où vas-tu ? »

Pour être très pragmatique, si la culture d’origine n’est transmise qu’à l’angle d’un immeuble ou sur les réseaux sociaux, comment fédérer au quotidien du « vivre ensemble » ? Certes, l’Éducation nationale porte les valeurs citoyennes, mais elle trouve rapidement ses limites lorsqu’il s’agit de donner une origine. L’instruction et l’apprentissage sont sans aucun doute une étape primordiale dans le cycle de l’éducation globale, mais peut-on faire sans le transfert générationnel ?

C’est en essayant de comprendre ce qui amène les compagnies républicaines de sécurité (crs) et les gendarmes mobiles à avoir des rapports conflictuels de territoire avec des adolescents d’origine étrangère que j’ai décelé ce dilemme. Alors que les émeutes de 2005 ne facilitaient pas le dialogue, j’ai vu, un soir de novembre, une mère de famille d’origine étrangère complètement démunie s’approcher de nous et déclarer impuissante : « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? » Elle était là, dans cette banlieue construite dans les années 1960 pour le bien-être de ses habitants et qui, peu à peu, s’est refermée sur cette population prisonnière d’un communautarisme territorial et social. On peut parler de ségrégation spatiale et d’« espace de relégation »2 pour ces quartiers qui font l’objet d’un manque cumulé de capital économique, culturel et social. Et depuis plus de vingt ans que nous intervenons dans ces espaces, j’ai pu mesurer le manque affectif des enfants nés en France de parents d’origine étrangère, en recherche d’histoire personnelle3.

  • Initiation et substitution

Bien entendu, les valeurs morales et sociétales sont souvent le fruit d’une lente évolution des sociétés humaines ayant notamment comme fondement la transmission de génération en génération. Sans revenir aux origines du bien et du mal, au bouc-émissaire, au rituel sacrificiel fondé sur la substitution, en passant par la loi du talion et autres religions, la volonté de maîtriser la violence a toujours été une obsession4. Les premières formes de spiritualité ont permis cette prise de conscience. Et elles ont classifié l’organisation sociale en clans. Souvent, ces constructions sont subjectives et arbitraires. Dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Émile Durkheim parle de cultes, de rites commémoratifs, de la notion d’âme, de la transcendance, d’esprit et de dieux. Spéculations rudimentaires pourrions-nous penser ; mais elles répondent aux questions de l’époque et on pourrait parler alors de rite et de mythe du progrès5.

Et cela dure depuis la nuit des temps6. Même dans les sociétés occidentales devenues anonymes et parfois profanes, les intuitions portent encore, en matière de morale, l’empreinte de ces traditions normatives religieuses. Quant à la république, il aura fallu une révolution et un siècle de réflexion pour la mettre en place en France.

La religion et la philosophie ont permis à l’homme sage de se trouver une voie. L’une prônera l’ordre moral pour survivre au corps par la transcendance, l’autre une règle de vie commune menant à la citoyenneté. Deux dimensions que l’on pourrait définir comme un ordre de la création d’une part, la sotériologie, et, d’autre part, l’onto-théologie, l’histoire de la communauté7. Elles fixeront, dans un mélange d’histoire sacrée et de manière de vivre ensemble, des normes de vie et une relation personnelle avec le communautaire. Les obligations sont acceptées de tous, reconnues par tous et réprimées par tous. La tension sotériologique représente la notion verticale de la morale. Cette approche appartiendrait au temps et à la transcendance au corps. L’onto-théologie, elle, repose sur un ordre du monde fondé sur la sagesse et sur ce que les hommes acceptent de vivre ensemble.

  • Frères d’armes : juste place, juste cause

L’hoplite des phalanges grecques est sans doute le plus bel exemple de cette morale du « vivre ensemble ». Anonyme parmi les anonymes, il est intégré dans un ensemble. Il a pour devoir de défendre de son bouclier son camarade de gauche et avec sa lance celui de droite. On mesure alors ce qu’il y a d’initiatique dans ces batailles rangées de soldats-citoyens. Le succès repose sur la solidarité et l’égalité, mais surtout pour les uns à garder leur place pour les autres. Sans vouloir faire de comparaison, combien de fois lors de missions de maintien de l’ordre difficiles, dans les barrages, les gendarmes mobiles et les crs blessés refusent de quitter les rangs.

Dans ce cadre structurant, les droits et les devoirs au sein d’un groupe peuvent passer pour des évidences premières, naturelles et éternelles. Ils sont partagés, indivisibles, car unanimement reconnus par tous. Et si la structure globale se nomme la compagnie, que l’articulation des services et des sections permet la structuration de l’ensemble, ce sont les hommes qui composent l’« unité projetée » qui réalise la mission. Sur le théâtre d’opération, ce groupe est un et indivisible face aux dangers et à un environnement dégradé ; c’est parce qu’ils sont unis que les hommes qui composent l’« unité » sont capables de faire face aux dangers ensemble, sans faillir.

À ce propos, nous pourrions envisager diverses formes de pouvoir, du management au gestionnaire, mais face aux dangers, il n’existe qu’une seule autorité, le « chef », et c’est sans doute là que l’expression « frères d’armes » prend tout son sens. La relation est personnelle avec son camarade, cet homme d’à côté. Et dans ce cadre, je ne développerai pas l’apport du service militaire pour la république8. Depuis, certains évoquent avec nostalgie cette époque, mais pouvions-nous faire autrement dans un monde global ? La mise en place du service civil est sans doute un apport à cette morale qui tient au regard de l’autre sur soi.

Cette approche propose à l’homme une juste place pour une cause juste. La construction de ses droits et de ses devoirs est vieille de trente-sept siècles. Du Code d’Hammourabi en Mésopotamie (vers 1760 av. J.-C.) aux tables de la Loi données à Moïse par Yahvé, en passant par Confucius (551-479 av. J.-C.) et ses Quatre Livres, base de l’enseignement philosophique de Sophocle à la Proclamation universelle des droits de l’homme de 1789. Pour les uns, ces déclarations font de l’humain un être doté de raison, pour les autres, ces droits affirmés en devoirs ne sont ni si effectifs ni si égalitaires qu’ils le proclament, mais tous s’interrogent sur la raison qui nous a poussés à les édicter et à les respecter. Pour quelles fonctions sociales ?

Des premiers codes de conduite imposant des obligations aux lois reconnues unanimement par des déclarations proclamant la prise de conscience du bien et du mal, et annonçant des devoirs pour des libertés, on peut noter l’évolution. « De l’hoplite d’Aristote mourant pour sa patrie au martyr de la foi chez saint Thomas »9, nous aurions une tension sotériologique, dont la verticalité appartiendrait au temps et à son au-delà, et une relation onto-théologique, de type horizontal, qui reposerait sur la relation de l’homme avec les autres hommes en tant que citoyen. Ainsi, sans être manichéen, l’entre-deux nous a permis de construire une architecture sociale complexe nous assurant une existence ensemble, tantôt primant le temps sur l’espace, tantôt l’espace sur le temps.

Dans ce cadre, l’homme est soumis à cette transmission générationnelle pour la compréhension du monde. Certains, naufragés du temps et de l’espace, cherchent alors des « raccourcis » qui les mènent dans un univers où l’offre des relations personnelles est très forte, voire abusive. Proposant un retour à des formes primitives et intégristes, les interlocuteurs exhibent une forte intuition sotériologique et onto-théologique. Les racoleurs offrent l’espoir d’être reconnu par la promesse de survivre au corps. La révélation est immédiatement démontrée au nouvel initié. La vision du sacré et la construction d’un autre monde poussent alors ces individus à croire et à être acteurs de la société. Et chaque remise en cause fait courir un danger, celui de retrouver la barbarie au milieu de la cité. Les fanatiques et les totalitaires s’affranchissent alors de la morale communautaire construite de longue date par les membres d’une même société10.

  • Le déracinement : identité furtive

Dans ce processus de construction, la cellule familiale tient une place prépondérante. La femme notamment joue un rôle important face à la violence. On a pu écrire qu’elle était l’avenir de l’homme, mais elle en est aussi son passé. L’exemple de la panique11 nous rappelle qu’au-delà des instincts les plus primaires de l’homme, l’agressivité et la fuite, la femme a en charge la sauvegarde de l’espèce : au pire moment, au péril de sa vie, elle peut retourner sauver l’enfant. Évidemment, l’homme reste capable d’actions d’éclat, mais pourquoi ne pas reconnaître cet instinct maternel comme l’acte social primaire, la pulsion de vie la plus originelle qui soit ? Si on en croit les chiffres de l’univers carcéral, les femmes sont en France deux mille deux cent soixante-quinze à purger une peine d’emprisonnement, pour presque soixante mille hommes, soit seulement 3,7 % des détenus. Est-il besoin d’aller plus loin pour constater le rejet de la violence par la femme ? Bien entendu, il faut être attentif à certaines études récentes qui nous alertent sur quelques changements de comportement. Cependant, la question de la transmission reste primordiale. Qu’en est-il lorsqu’il y a déracinement ? Que des adolescents sont en rupture générationnelle ? Que la famille vit au-delà des frontières ? Que la relation est soumise à une communication dépersonnalisée ? Ou, comme dans cette banlieue en novembre 2005, que la mère est dépassée ; qui ne côtoie la réalité du « vivre ensemble » que par l’intermédiaire de ses enfants ; qu’au dixième étage d’une tour, se refermant sur un environnement limité à la porte de l’appartement, elle est coupée de la société ? Tributaire de ses descendants pour comprendre le monde, elle reste marginalisée dans un environnement qu’elle a du mal à appréhender. Dans ce cas, au mieux, le transfert des connaissances est inversé, et c’est le cas pour l’immigration venue du Maghreb ! Au pire, une incompréhension s’instaure entre les usages familiaux et le quotidien communautaire des enfants soumis au cycle du troisième millénaire.

C’est à partir de cette rupture du cycle de transfert que nous devons essayer de comprendre les lacunes du « vivre ensemble ». Et dans ce processus, de réseaux sociaux en réseaux sociaux, les leurres brouillent les fondements mêmes des identités personnelles et collectives. Internet, plates-formes d’échanges, sites identitaires ouvrent une nouvelle dimension. Les modes relationnels changent et finissent par remettre en cause la mémoire des communautés humaines. En offrant la possibilité de se créer une « self identité », la « toile » fournit un support de dédoublement entre réel et virtuel. Le réseau, dans lequel les uns et les autres se façonnent des relations privilégiées, voire privées, est d’autant plus important qu’il est le fruit d’une forme d’existence fondée sur la multiplication des échanges. Internet est devenu en peu de temps un identificateur planétaire puissant.

Facilité d’utilisation, personnalisation, instantanéité et rapidité sont autant d’atouts pour cette forme de communication intemporelle et dématérialisée. De la plate-forme aux flux d’informations, l’individu voyage au gré des aléas et des contacts, brisant ainsi l’anonymat de nos sociétés. Ce système offre une opportunité de socialisation dans un environnement qui, par son ouverture, est exposé aux intrusions les plus diverses, aux malveillances et autres dangers. Dans ce turn-over permanent, la vision du sacré est remise en cause par quelques-uns qui proposent la reconstruction d’un autre monde. Dans cet engrenage, tous se lient à un destin unique et intégriste. La greffe est réussie et pousse ces jeunes adeptes isolés et en manque d’histoire personnelle à devenir des acteurs. Nous savons où nous mènent ces représentations du monde12.

  • La « langue maternelle »

Or peut-on évoquer la différence religieuse pour réduire les incompréhensions ? Est-ce suffisant pour accepter de se retrancher derrière cette explication13 ? À l’inverse des immigrations accomplies en famille, le regroupement familial des migrants originaires du Maghreb s’est effectué sans être accompagné. Bien sûr, l’exemple d’intégration le plus réussi semble être celui des Portugais et des Italiens. À ce sujet, il faut remarquer que même si ceux-ci ont bénéficié du cadre administratif français, que le syndicalisme a pu jouer un rôle important, la culture d’origine s’est transmise d’une manière enrichie par une communauté qui s’est parfaitement insérée en conservant une « image du passé d’origine ». Les enfants des parents originaires du Maghreb n’ont, eux, pas bénéficié d’une transmission culturelle facilitée par la reconnaissance familiale. Les références culturelles ont pris de la distance dans la rue où quelques intermédiaires ont su instrumentaliser le discours. Pour la « langue maternelle », la pratique approximative frise l’illettrisme. L’intégration du « vivre ensemble » est l’unique recours pour ces adolescents de deuxième génération. L’école prend alors toute sa place pour fixer le cadre savant. Elle offre l’apprentissage d’être français. Mais elle ne peut donner l’origine culturelle. Ces jeunes Français d’origine étrangère sont ainsi soumis à un paradoxe : apprendre à savoir être dans une société sans être soi-même par ses origines.

Bien sûr, il existe d’autres moyens d’acquisition, mais souvent trop superficiels. Le sport, par exemple, peut servir de relais social à l’acquisition d’une morale fondée sur l’affrontement et le respect de l’adversaire14. Dans ce domaine, la confrontation, arbitrée par un non-combattant, affirme la règle qui, elle-même, est d’essence morale. Dans d’autres lieux, le regroupement du bas des immeubles attirera quelques isolés et la « loi » de la bande servira de morale. Dans les cas les plus extrêmes, intégristes de caves et extrémistes du « virtuel » peuvent promettre un au-delà pour les uns et une nouvelle société pour les autres, livrant en « kit » un concept moral.

  • L’apprentissage et le déficit affectif !

L’école est aujourd’hui confrontée à un lourd défi : transmettre des valeurs éducatives et morales qui auraient dû être léguées, et instruire le « vivre ensemble »15. Dans ce cadre, la réussite n’est plus le seul fait d’une bonne instruction, mais passe par un savant dosage entre autorité et pédagogie. Mais peut-elle remplir seule cette tâche ? Et doit-elle le faire ? Livrée à un tiers temps pour assumer la mission d’apprentissage du « qui je suis » et la compréhension du monde qui nous entoure, elle est dans l’obligation de livrer d’« où je viens » à des associations et autres acteurs. Or comment mettre sur le même plan « être le frère et le fils » ? Elle se voit confier la charge de la réponse. Peut-elle vraiment relever ce défi : donner une origine, instruire, éduquer et démontrer l’autorité 16?

Cette interrogation me ramène dans les banlieues, au pied du stade de France. Depuis bientôt trente ans d’intervention dans ces quartiers, les forces de l’ordre, crs et gendarmes mobiles, ont changé maintes et maintes fois de mode opérationnel afin d’assurer l’autorité de l’État. Du « quadrillage » des années 1970 et début 1980, qui consistait à maîtriser les secteurs de la ville17, ils sont passés à la « sécurisation » puis à la « fidélisation » et, après les violences urbaines de novembre 2005, au plan de lutte contre la « délinquance urbaine ». Peu à peu, les personnels engagés ont fini par entretenir des rapports très ambigus avec les habitants, à la fois exclusifs et excessifs. Situation qui ne semble convenir à personne, ni à la population mise sous haute surveillance permanente et qui finit par être apeurée, ni aux crs et aux gendarmes mobiles qui deviennent des interlocuteurs privilégiés et les derniers représentants de l’autorité de l’État. Or que penser de cet individu sortant d’un groupe d’émeutiers dans un quartier de Lille Sud qui, après avoir été très actif, vient à ma rencontre pour me demander : « Comment devient-on crs ? » Quel étonnant renversement de situation : l’autorité de l’État, par l’intermédiaire de ses représentants, est en même temps battue en brèche et enviée ! De là à penser que ce lien est plus affectif qu’autoritaire, pourquoi pas !

  • Pour ne pas conclure

C’est encore dans les banlieues que le déficit de relation se vérifie le plus. Dans une communication18 qui faisait suite à des observations menées lors de nos interventions, j’ai exposé les nombreux exemples où nous étions confrontés à une population dont les plus jeunes, âgés de huit à dix ans, côtoyaient les plus anciens, souvent trentenaires. Une association inquiétante car elle fait apparaître le vide affectif de ces enfants à une période primordiale de leur vie où ils ne sont pas encore des hommes tout en n’étant plus complètement des enfants. Ils s’identifient alors souvent à la violence des plus grands, reprennent les griefs des anciens, quelquefois délinquants, qui ont un passif à régler avec la société. Cette identification détruit dès le plus jeune âge leurs espérances. Et si les actions des plus jeunes nous démontrent une crise relationnelle, ce n’est pas par la force que nous instaurerons l’autorité : si on admet que cette violence est due à la rupture avec le « père social », il faut répondre à la question du respect par le lien fraternel et la transmission des valeurs. Il y a quelques années, en mettant en place une association chargée d’apprendre à lire et à écrire aux femmes originaires du Maghreb, les membres fondateurs ont eu l’espoir de tisser des relations avec ces mères de famille venues dans les années 1960 rejoindre leur mari sans être attendues et entendues. Initiative engagée pour ces femmes qui, autour du traditionnel thé et galettes, échangeaient sur leurs problèmes réciproques en reprenant la transmission !

1 Paul Ricœur, Violence et Langage, Paris, Desclée de Brouwer, 1991.

2 L. J. D. Wacquant, « Pour en finir avec le mythe des cités-ghettos », in « Plan urbain, ministère de l’Équipement, du Logement et des Transports. Violences dans les villes », Les annales de la recherche urbaine n° 54, mars 1992.

3 Patrick Laclémence, « La violence : entre insécurité et tolérance », in Paul Gaillard (s.d.), Violences en milieu scolaire et éducatif, connaître, prévenir, intervenir, actes du colloque placé sous le haut patronage du Parlement européen, Presses universitaires de Rennes, 2005, pp. 143-153.

4 René Girard, La Violence et le Sacré, Paris, Grasset, 1972.

5 Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire, Paris, Gallimard, 1986.

6 Roger Caillois, L’Homme et le Sacré, Paris, Gallimard, 1961.

7 Jürgen Habermas, L’Intégration républicaine, Paris, Fayard, 1998.

8 Institué par la loi Jourdan de 1798 qui organisait la conscription, le service militaire est suspendu par la loi de 1997.

9 Frédéric Gros, États de violence. Essai sur la fin de la guerre, Paris, Gallimard, « nrf essai », p. 42.

10 Patrick Laclémence, « Les naufrages du temps », Revue internationale des éditions de l’université de Bruxelles en sciences sociales, novembre 2002, pp. 67-81.

11 Patrick Laclémence, « Mourir au pied d’un stade : non à l’oubli ! », Police et Société, publications internationales belge et néerlandaise aux éditions internationales Erwen, mai 2000, pp. 15-28.

12 Serge Tchakhotine, Le Viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952.

13 La mise en place d’un islam de France semble être un premier pas vers la reconnaissance d’une origine permettant une intégration à la culture d’un pays.

14 Patrick Laclémence, « Violence et morale : entre mémoire et oubli », actes de la neuvième université sportive et citoyenne d’été de l’ufolep/usep du 3 au 5 juillet 2001 à Carcans, Maubuisson, éditions ufolep/usep, pp. 174-181.

15 Dans ce cadre, nous ne pouvons qu’encourager les autorités étatiques à mettre en place des cours d’instruction civique.

16 En 2003, a été mis en place un programme de recherche sur le thème « La prévention des risques et la violence instrumentalisée en milieu scolaire » avec Nora Beelayachi (Fédération européenne des réseaux de coopération scientifique), Patrick Laclémence (université de Troyes), Jean-Pierre Massue (secrétaire exécutif d’Accord Conseil de l’Europe), eur-opa Risques majeurs sous l’égide du réseau scientifique européen : Accord Europa-risques majeurs du Conseil de l’Europe.

17 Roger Mucchielli, « Comment ils deviennent délinquants », « Genèse et développement de la socialisation et de la dyssocialité », Encyclopédie moderne d’éducation, Éditions sociales françaises, 1972, p. 250.

18 Patrick Laclémence, « Originelle ou instrumentale : la violence doit-elle survivre ? », Sociétés. Revue de sciences humaines et sociales n° 60, février 1998, pp. 107-117.

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