Expression de la singularité des armées et de leur finalité, la culture militaire, le plus souvent brocardée mais aussi, selon les périodes de l’histoire, utilisée comme vecteur de patriotisme populaire, est un élément constitutif du paysage culturel national. Sans doute en est-ce même une composante essentielle qui va bien au-delà de l’apport, généralement concédé avec une certaine ironie, de l’« art militaire » au patrimoine commun. Une conception proprement martiale de l’ordre des choses dont, en bien ou en mal, procède pour une part importante l’alchimie propre à chaque identité nationale.
Or cette culture militaire, pour ancienne qu’elle soit, est de plus en plus menacée au sein des démocraties occidentales par un mouvement récurrent de banalisation que le sociologue américain Morris Janowitz – le premier à en avoir identifié les effets à la fin des années 1960 – a décrit sous le terme de « civilianisation »1.
De quelle manière, et pour quelles raisons, un tel affadissement s’exerce-t-il ? Doit-on le déplorer comme la perte d’une dimension virile qui accroîtrait une propension européenne à la passivité inspirée de Vénus2 ? Doit-on au contraire s’en féliciter comme d’une rupture avec la « babouinerie et adoration animale de la force »3 qu’Albert Cohen dénonce comme une malédiction fondatrice des sociétés féodales ?
Pour comprendre ce phénomène et tenter d’en mesurer quelques conséquences, il convient tout d’abord de s’efforcer à une description rapide des principaux traits de la culture militaire tels qu’ils s’expriment à travers des manières d’agir, des manières de penser et des valeurs de référence souvent très décalées par rapport à la culture civile contemporaine. On pourra ensuite tenter d’identifier les courants et les mécanismes de banalisation qui sont à l’œuvre aujourd’hui avant de proposer quelques pistes de préservation ou de restauration d’une identité militaire peut-être plus nécessaire aujourd’hui que jamais.
- Manières de faire
Les armées, c’est entendu, sont faites pour être engagées dans la guerre et, dans la guerre, ont pour fonction de « mettre la force en œuvre de façon méthodique et organisée »4. Cette fonction est remplie dans un cadre, sous des contraintes et selon des procédés impératifs très caractéristiques, qui sont autant de fondements de la culture militaire.
Tout d’abord, la guerre se déroule dans des conditions de chaos et de désorganisation de l’environnement général, sur des « théâtres d’opérations » ou des « champs de bataille » que les civils sont réputés avoir évacués, fut-ce dans un exode dont les flux désordonnés sont susceptibles de désorganiser la logistique militaire. Elle se fait donc entre militaires face à un ennemi dont les moyens, la doctrine et la puissance sont a priori comparables à ceux des amis (sinon l’ennemi aurait été dissuadé par avance d’attaquer ou convaincu de se soumettre sans combattre) et face auquel, dans le respect du jus in bello, l’emploi le plus extrême de la force sera considéré comme légitime.
La guerre, ensuite, se fait dans le respect de la confidentialité des objectifs militaires à atteindre et des plans de bataille. Et si l’action de combat sert de support à une communication qui l’accompagne pour la rendre plus acceptable ou pour motiver les troupes autant que la population, il s’agit bien là d’une propagande contrôlée autant que le sont les correspondants de guerre envoyés sur le champ de bataille. Selon l’idéal type ainsi défini en se référant aux guerres entre États-nations et aux derniers conflits mondiaux, les armées sont donc engagées, sous la forme d’une confrontation extrême de grands ensembles militaires complexes, sur une durée définie précisément, le début et la fin des hostilités donnant lieu à des accords signés entre belligérants.
Pour conduire de telles guerres, les États modernes se sont dotés d’armées dont la puissance et l’efficacité procèdent de leur maîtrise des technologies les plus avancées ainsi que de leur capacité à planifier et à conduire des actions d’une grande complexité sur de vastes échelles. Entièrement organisées et rationalisées pour l’engagement le plus efficace possible dans une guerre qui s’intercale entre deux périodes de paix, les armées ne sont pas réputées être utiles dans des phases de non-emploi dont il est communément admis qu’elles doivent être totalement dédiées à leur préparation et à leur entraînement.
- Manières de penser
Leur finalité les vouant à la nécessité éventuelle de l’engagement le plus extrême pour la survie du pays, les armées entretiennent un lien consubstantiel avec la nation. De ce lien découle un rapport au temps très singulier. Pas de nation, en effet, sans continuité historique passée et à venir ; continuité dont les armées se sentent pour partie les garantes. Les militaires s’inscrivent donc, consciemment ou non, dans le temps long de l’histoire et mettent toujours leurs actions et leurs propres évolutions en perspective. Sans doute cette forte historisation, ajoutée au principe selon lequel les armées ne trouvent leur pleine utilité qu’au moment où il faut faire la guerre, conduit-elle les militaires à se soucier assez peu de rentabilité immédiate, celle-ci ne pouvant être réellement mesurée qu’en de rares et tragiques occasions.
De la relation sacralisée qui existe entre la vie de la nation et l’existence des armées procède également une complète dépolitisation de l’institution, le lien entretenu avec la France transcendant la fidélité à un régime particulier. Cet apolitisme s’ajoute à la forte soumission au politique déjà évoquée. Il n’est cependant pas exclusif d’une interrogation récurrente sur la légitimité des missions et des ordres donnés par l’autorité politique.
Le rapport des militaires à l’espace est sans doute également notablement différent de celui des autres corps de l’État ou de la société française en général. Les armées sont en effet naturellement bien plus tournées vers l’extérieur que vers l’intérieur. Ne vaut-il pas mieux que la guerre et les ravages qu’elle induit aient lieu ailleurs que sur le territoire national ? Et n’a-t-on pas intérêt à aller contrer la menace au plus loin, chez elle si possible, avant qu’elle ne prenne de l’ampleur ? Ce tropisme international est renforcé par l’existence d’une séparation bien nette entre les forces de l’ordre chargées de la mise en œuvre quotidienne de la force sur le territoire national et les armées. Il engendre une relative désaffection des militaires pour les problématiques de sécurité intérieure auxquelles leurs concitoyens sont pourtant bien plus sensibles qu’à l’état du monde.
L’appréhension de l’univers médiatique se fait sur un mode paradoxal. En effet, les armées, quoiqu’ayant souvent affecté un certain mépris pour la communication, ont toujours été fort soucieuses de l’image qu’elles renvoyaient à leurs concitoyens. L’esthétique militaire est une réalité ancienne que l’on retrouve en architecture, en musique et, bien sûr, dans le cérémonial et dans les tenues. Si le souci de l’apparence est donc une constante de la culture militaire, il n’induit cependant pas de souci de notoriété tant il semble naturel au soldat d’être au centre des préoccupations du politique dès lors que du sort de la guerre dépend la survie de la nation. En outre, depuis le considérable effort de reconstruction militaire mis en œuvre par la iiie République au lendemain de la défaite de 1870 (effort qui visait autant à l’instauration profonde d’un régime républicain dans le pays qu’à la préparation de la revanche), les armées se trouvent placées au centre de la culture nationale5. Malgré la défaite de 1940 et l’image peu valorisante des guerres de décolonisation, malgré l’effet parfois ravageur que produit la contrainte du service national sur l’opinion qu’ont les Français de leur armée, les militaires, jusqu’à la professionnalisation de 1996, continueront à considérer les journalistes comme des gens dont il faut se méfier et à assimiler la communication à une publicité à finalité commerciale pour laquelle ils éprouvent un certain dédain.
- Valeurs partagées
La guerre est une action tellement extrême qu’on ne pourra s’y résoudre que pour des raisons extraordinaires ayant trait à la survie de la communauté et qu’il ne saura être question, dès lors qu’une telle obligation sera avérée, de tenter de s’y soustraire. Le soldat, par état, est donc disponible, c’est-à-dire prêt, en permanence, à combattre l’ennemi et à exécuter la mission (le militaire peut être appelé à servir en tout lieu et à tout moment). Détenteur de la force et du pouvoir exorbitant d’infliger la mort et la destruction, il doit également être parfaitement soumis au pouvoir politique dont il est l’instrument. Cette exigence de discipline et de très grande rigueur est renforcée par la complexité technique de l’activité de combat qui met en œuvre de très nombreux acteurs servant des équipements et des armes très variés, dont la complémentarité des effets garantira le succès tactique. Ainsi, la rigueur et la discipline paraissent d’autant plus acceptables et naturelles aux militaires qu’elles sont la garantie de leur efficacité et de leur sécurité dans une activité éminemment collective.
Contraint, par fonction, à donner la mort, le soldat ressent profondément la nécessité d’encadrer ses actes par une éthique exigeante qui, plus encore que la légalité de l’ordre reçu et la légitimité de l’autorité qui l’emploie, permet de surmonter le traumatisme moral que constitue ce fait. C’est certainement le sacrifice consenti de sa propre vie qui rend moralement supportable l’obligation de tuer. La mort acceptée devient ainsi une sorte de caution expiatoire. Elle est intimement liée à l’éthique militaire et fonde la vertu d’héroïsme comme elle amène naturellement à considérer que la mort doit être donnée le moins possible dès lors qu’existe une sorte de symétrie déontologique entre la vie d’un ennemi et celle d’un ami. De cette symétrie découle une vertu essentielle du soldat : la capacité de maîtriser sa propre violence. Encore faut-il, pour que cette vertu puisse être pratiquée, que l’ennemi soit toujours considéré comme un être humain dont la dignité est aussi sacrée que la sienne propre.
De la conjugaison des exigences éthiques du métier des armes et de son caractère collectif procèdent, enfin, les qualités particulières des comportements individuels et interpersonnels, qualités revendiquées comme autant de vertus militaires, même si les militaires ne peuvent prétendre en avoir l’exclusivité. Parmi ces vertus, il faut en retenir deux principales. Le courage, d’une part, qui paraît une nécessité pour surmonter la peur au combat et endurer les fatigues ainsi que les agressions physiques et morales que comporte une activité souvent rude. Mais le courage, et plus encore la force morale, permet de faire son métier avec honneur. La confiance mutuelle, d’autre part, liée à l’interdépendance, jusqu’à la mort, des soldats et de leurs chefs dans le combat. Cette confiance mutuelle induit le respect entre individus « frères d’armes », en dehors de toute considération de grade et d’ancienneté. Elle rend la discipline acceptable, transformant ce qui pourrait n’être que soumission imposée en obéissance librement consentie. Elle se traduit en outre par la fidélité qui lie chefs et subordonnés par des liens très puissants de devoirs réciproques.
Ces vertus ne sont évidemment pas pratiquées avec une égale intensité par tous les militaires en toutes circonstances. Elles constituent cependant le cadre psychologique et moral, admis, tacitement ou explicitement, par tous, et à l’intérieur duquel doivent s’élaborer les rapports entre les individus, à la fois dans la forme (le cérémonial ou les règles de savoir-vivre militaires) et dans le fond (comme, par exemple, le devoir que tout chef a de défendre et de promouvoir les intérêts de ses subordonnés, que les exigences spécifiquement militaires de discipline et de disponibilité privent du droit de grève comme du droit de se syndiquer).
- La culture militaire à l’épreuve
de la professionnalisation et de la fin de la guerre
L’identité militaire qui a été tracée à grands traits est le produit de sédimentations successives dont les plus déterminantes sont également les plus récentes, les deux « guerres mondiales » constituant des paroxysmes aussi fondateurs qu’ils sont destructeurs, pour la civilisation humaine en général, pour les armées en particulier. Mais cet archétype de la culture militaire, s’il a pu traverser avec une relative impunité les conflits de la décolonisation, est profondément affecté par les évolutions des deux dernières décennies.
Cette période, en effet, est celle d’une fracture intellectuelle et civilisationnelle importante caractérisée par le glissement qui s’opère du statut de sujet-citoyen à celui d’individu-homme. Cette évolution touche en premier lieu l’État démocratique dont Pierre Manent nous montre que dès lors qu’il a rempli sa mission historique d’accomplissement des libertés individuelles et d’égalisation des conditions, il se défait progressivement, perd son rôle d’incarnation de la nation et sa fonction opérationnelle d’organisation de la vie publique6. L’État-nation perdant sa légitimité entraîne tous ses serviteurs dans une forme de banalisation qui se traduit par la contestation des statuts (garantie d’emploi, irresponsabilité de fait) et des privilèges (prestige des fonctions) liés jusque-là à leur mission régalienne. Ce glissement remet encore profondément en cause une partie considérable d’un corpus culturel militaire fondé, on l’a vu, sur le sentiment collectif et la discipline.
Ces décennies sont également celles de l’atténuation progressive de la grandeur de la France ; grandeur matérialisée par un empire et par un statut de vainqueur qui disparaissent l’un et l’autre tandis que se crée l’Union européenne, au sein de laquelle se dilue l’identité nationale que rien ne vient relayer. Avec cette disparition de la grandeur cesse l’un des mobiles principaux de l’identification entre le citoyen et le soldat. Un autre mobile, celui du combat pour la survie, s’estompe avec l’évaporation d’une menace jusqu’alors très concrètement matérialisée dans des espaces géographiques proches.
- Quand être soldat devient un métier
Ces évolutions considérables renforcent la singularité des armées au sein de la société au point d’en faire une institution en décalage extrême avec les enjeux internationaux, tels qu’ils apparaissent aux non-avertis, et surtout avec les aspirations individuelles des citoyens, jusqu’à délégitimer définitivement le service national. De façon assez paradoxale, le passage à l’armée professionnelle va s’accompagner d’une banalisation accélérée sous l’effet de trois processus principaux.
- La technicisation du métier
Professionnalisées à partir de 1996, les armées doivent, dans des délais très courts, constituer une ressource humaine professionnelle considérable. Pour réaliser ce véritable tour de force et attirer chaque année environ trente mille jeunes hommes et femmes, elles décident de développer l’image d’un employeur offrant de très nombreuses opportunités ; image séduisante, certes, mais qui gomme la réalité d’une spécificité militaire dont on craignait alors qu’elle puisse être mal comprise et qu’elle ne décourage les vocations les moins assurées.
S’ajoutant aux thèmes « métiers » des campagnes de recrutement et à la technicité croissante de l’activité guerrière, le principe même de professionnalisation engendre, au sein de la communauté militaire, un malentendu et une évolution « techniciste » de la conception du service des armes. Considéré à tort comme « spécialiste militaire », le soldat pourrait ne valoir que pour la compétence technique qu’il exercerait dans le cadre strict des horaires de service. L’ambition éducative qui sous-tendait toute vocation de chef militaire de l’armée de conscription, et qui conduisait à considérer l’homme et le citoyen avant l’individu techniquement compétent cède alors le pas à l’obsession technicienne et à la mesure rigoureuse du rendement. Cette vision désastreuse banalise la vocation militaire.
- L’effet « trente-cinq heures »
Caractérisant les évolutions psychologiques d’une société et d’une jeunesse qui, au-delà du droit au loisir, revendique l’absolu respect d’une sphère privée considérée comme lieu essentiel de l’épanouissement individuel, l’acquis des « trente-cinq heures » doit être pris en compte par les armées. Celles-ci, en effet, souhaitent éviter que ne se renforce à l’excès, entre elles et la société, un décalage très contre-productif en termes de recrutement. N’ayant pas les moyens financiers de compenser à proportion due les contraintes inhérentes aux exigences de disponibilité proprement militaires, elles intègrent le décompte horaire des trente-cinq heures dans le rythme et le mode de vie militaires. Cette intégration fragilise considérablement les principes fondateurs d’une identité forte et originale, procédant pour l’essentiel, on l’a vu en première partie, des devoirs et contraintes qui découlent du service de la nation par les armes.
- L’obsession de la rupture d’avec la société
Habituées à considérer la communication comme une démarche de « marketing » peu nécessaire, les armées, à l’heure de la professionnalisation, sont confrontées au besoin d’une communication de recrutement évoquée ci-dessus et dont on a vu les effets pervers. Elles s’estiment également sujettes à un risque de rupture entre les soldats et les citoyens. Ce risque est très contestable, et l’on doit sans doute considérer que le danger véritable n’est pas celui d’une rupture mais d’une indifférence croissante. Toujours est-il que l’analyse faite en 1996 conduit les armées à cultiver une image la plus neutre et la plus consensuelle possible. Elles pratiquent également un devoir de réserve rigoureux qui, fin de la conscription et éloignement géographique des opérations aidant, fait pratiquement disparaître les questions militaires du débat public français.
- Quand la guerre n’existe plus
La grande confusion sémantique qui caractérise aujourd’hui tous les débats et réflexions sur la défense et les armées n’est sans doute que le reflet de deux décennies d’évolution profonde de la conception qui est faite de l’emploi de l’outil militaire. S’agit-il encore de « défendre » ou bien de « sauvegarder », ou bien encore, selon le volapük actuellement en cours dans les milieux autorisés à traiter de ces sujets, de s’inscrire dans le « continuum sécurité-défense » ? Une chose paraît à peu près certaine à la plupart : il ne s’agit plus de faire la guerre puisque celle-ci a disparu. Mais alors à quoi et comment employer un outil dont on dispose et qu’il faut bien utiliser, ne serait-ce que pour justifier son coût ? Ainsi, parmi les principaux facteurs de banalisation de l’action militaire, il faut retenir l’émergence d’une logique de rentabilisation de l’outil militaire et l’engagement quotidien croissant des armées dans les opérations extérieures.
- Le souci de rentabilisation de l’outil militaire
Avec l’effondrement de l’Union soviétique et le démembrement du pacte de Varsovie a disparu l’évidente nécessité d’une défense militaire de l’Europe occidentale en général, de la France en particulier. Ce n’était certes pas la première fois qu’à la fin d’une guerre, l’ennemi étant vaincu, il devenait possible de démobiliser la troupe et de réorienter l’effort productif principal du pays vers le secteur civil. Le fait nouveau de cette fin de guerre froide résidait dans cette conviction des sociétés occidentales que la guerre étant un modèle de gestion des conflits devenu désormais complètement et définitivement obsolète, les armées pouvaient être supprimées. Sans doute un tel constat était-il trop brutal pour être immédiatement traduit en décision politique mais, combiné à l’idée que les confrontations entre nations avaient changé de nature et que la guerre ne pourrait plus être qu’économique, il posait la question de la rentabilité d’un outil dont le coût important pouvait être considéré comme une entrave à la performance d’un pays. À cette question nouvelle, deux réponses ont été apportées qui pervertissent l’une comme l’autre l’archétype de l’action militaire tel qu’il a été défini en première partie. Tout d’abord, l’engagement des armées dans des actions de sécurité sur le territoire national qui, s’il confère une bonne « visibilité » aux soldats, les assimile à des policiers dont les modes d’action, l’organisation et les équipements n’ont évidemment aucun rapport avec ceux des militaires. Ensuite, les opérations à très forte visibilité humanitaire qui, si elles répondent assurément aux émois de l’opinion publique, détournent les armées de leur finalité première de mise en œuvre délibérée de la force et conduisent à des engagements militaires sans objectifs politiques définis. Plus grave encore, un tel emploi des armées brouille l’enjeu stratégique pourtant bien réel de stabilisation des marges de l’Europe et fait perdre de vue la véritable nécessité de posséder un outil militaire apte à la résolution des situations de crise qui portent en germe la fin de la prospérité et de la sécurité des démocraties occidentales.
- Les opérations extérieures
Si les opérations extérieures sont un facteur important de civilianisation de l’action militaire, c’est principalement parce que leur très grande complexité les rend difficiles à comprendre tant par les observateurs extérieurs que par les soldats eux-mêmes qui pensent parfois pouvoir s’exonérer, dans ces engagements, des règles et principes d’action qui sont de rigueur dans les guerres classiques. S’appuyant généralement sur les procédés tactiques liés aux missions de contrôle de zone, ces opérations se distinguent cependant de l’action de guerre par un certain nombre de caractéristiques qui semblent s’opposer point par point aux canons définis plus haut. Plus d’ennemi, en effet, simplement des belligérants entre lesquels il faut le plus souvent s’interposer. Plus de limite de temps pour des opérations qui se déroulent, en outre, au milieu des populations, sous les feux des médias et dans un cadre juridique rendu de plus en plus contraignant par la multi-nationalité et l’impératif d’une légitimité que seul un mandat de l’onu peut conférer. Plus de manœuvres de grandes masses d’hommes et d’équipements, mais des dispositifs le plus souvent statiques et des actions au cours desquelles l’acteur décisif est le simple chef de groupe… En somme, des opérations internationales de maintien de l’ordre pour lesquelles de simples constabulary forces pourraient suffire amplement en lieu et place d’armées aussi coûteuses que sophistiquées et suréquipées.
L’expérience de vingt années d’interventions extérieures ne suffit pas toujours à faire admettre le principe de réversibilité mis en avant par les armées et selon les termes duquel, dans ces opérations de « stabilisation », la force engagée doit pouvoir, sans délai, faire face à une recrudescence de violence extrême et combattre de la manière la plus déterminée et la plus classique qui soit. Malheureusement, la confusion généralement entretenue entre une réalité de niveau stratégique7, qui fait de ces opérations extérieures des « opérations autres que la guerre », et la réalité de niveau tactique, qui met clairement en évidence le besoin d’armées très classiquement entraînées et équipées, conduit à privilégier la moindre exigence et le moindre coût.
Du souci de rentabilisation de l’outil militaire et de l’analyse erronée des opérations extérieures naît, dès lors, l’idée que les armées pourraient avantageusement être « allégées ». Elles deviendraient alors une sorte de garde républicaine, suffisante pour garantir la participation de la France aux opérations internationales et utilement employable pour faire face quotidiennement, sur le territoire national, à des enjeux de sécurité intérieure probablement exagérés mais dont on ne peut douter qu’ils soient au centre des préoccupations des électeurs.
- Garder un champ pour la bataille
et préserver sa force pour la conduire
La posture de déni collectif et individuel est une des singularités troublantes des sociétés occidentales modernes, que l’accès à l’ère de l’information sans limite pousse dans des attitudes et des comportements quasi suicidaires. Au nombre de ces refus pathologiques à admettre la réalité, le déni de violence est peut-être l’un des plus pervers. Au prétexte qu’on ne peut pas se résoudre à la subir, on prétend éradiquer la violence du cœur des hommes, de la vie des sociétés, des rapports entre les nations. Et pour parvenir à cette pure utopie, on s’en remet tout entier, dans une sorte d’aveuglement qui confine à l’idéologie, au règne d’un droit omnipotent par nature et qui évacue aujourd’hui ces notions de guerre et de violence collective au motif que, seule une guerre défensive pouvant être légitime (cette conception étant considérée comme universellement partagée8), aucune société n’a plus désormais de raison d’y avoir recours.
Cette vision très irénique fait, hélas, abstraction de la réalité. Cette « morale » (relative comme toute morale) est d’abord (seulement ?) européenne et n’est évidemment pas partagée par tous les protagonistes des relations internationales. Il est même à craindre qu’elle puisse être considérée par beaucoup comme un moyen d’imposer une dictature pacifique de la prospérité. Les sociétés les plus pauvres et les moins aptes à accéder à la qualité et au rang de partenaire du jeu économique mondial pourraient, en effet, refuser une vision moralisante des rapports entre groupes humains qui prétendrait leur dénier le recours collectif à une force et à une violence que leur propre histoire n’a pas érigé en interdit. Considéré par les Européens comme un summum de civilisation, le déni de recours à la force peut ainsi être compris par d’autres soit comme une contrainte normative particulièrement hypocrite, soit comme une forme de décadence ou, tout au moins, de faiblesse à exploiter.
Sans doute plus grave encore, cette annihilation incantatoire de la violence par la délégitimation de toute forme de guerre prive les relations internationales d’un espace ritualisé où les tensions extrêmes peuvent s’exalter en confrontations armées encadrées par le droit. Or, comme René Girard9 en fait le constat et comme l’observation objective des vingt années passées devrait l’ériger en évidence, la violence ne disparaît pas. Elle demeure désormais généralisée, éparpillée, endémique et plus destructrice que jamais. Avoir, par un tour de passe-passe sémantique et conceptuel, escamoté tout ennemi pour le remplacer par le « terrorisme » ne règle rien, bien au contraire. Aujourd’hui devenus des criminels en infraction avec le droit et la morale, les violents n’ont d’autre recours que l’extrême, le paroxysme. Sans ennemi, il n’y a certes pas de combat, seulement une chasse au contrevenant pour restaurer la paix et l’ordre. Mais sans ennemi et sans combat, il n’y a pas non plus de « paix des braves ».
Confrontées à une telle impasse, les sociétés modernes ont-elles d’autre choix que celui de réinventer la guerre ? Ne doit-on pas reconsidérer dès lors la contribution de la culture militaire à la culture nationale et européenne non comme un ultime avatar de la « babouinerie » féodale mais comme un enrichissement salutaire ? Ainsi le besoin de préservation, au sein de l’institution militaire, d’une culture forte et originale ne doit-il pas être compris comme l’expression d’une prétention aussi vaine qu’insupportable à entretenir un conservatoire national de vertus plus ou moins désuètes. Il s’agit, bien au contraire, d’une garantie de lucidité : l’acceptation de la perspective du combat. Un combat qu’il faut tout faire pour ne jamais avoir à le livrer, mais auquel il faut se préparer, non seulement en entretenant l’outil, mais aussi en cultivant les valeurs, les vertus et le degré de conscience collective qui, dans la guerre, préserveraient la société de la barbarie de la violence.
1 Morris Janowitz, The Professional Soldier, The Free Press, 1971.
2 Robert Kagan, La Puissance et la Faiblesse, Paris, Plon, 2003.
3 « Babouineries et adoration animale de la force, le respect pour la gent militaire, détentrice du pouvoir de tuer. […] Et pourquoi noble ou chevaleresque sont-ils termes de louange ? […] Pris en flagrant délit, les humains ! Pour exprimer leur admiration, ils n’ont rien trouvé de mieux que ces deux qualificatifs, évocateurs de cette société féodale où la guerre, c’est-à-dire le meurtre, était le but et l’honneur suprême de la vie d’un homme ! » (Albert Cohen, Belle du Seigneur, Paris, Gallimard, 1968).
4 Gaston Bouthoul, Traité de polémologie, Paris, Payot, 1991.
5 Le 14 juillet 1880, la cérémonie de remise des drapeaux aux régiments reconstitués marque le point de départ d’un mariage essentiel entre l’État et l’armée, ferment d’un patriotisme renouvelé et républicain qui durera jusqu’à nos jours à travers l’association entre la fête nationale et la parade militaire.
6 Pierre Manent, La Raison des nations, Paris, Gallimard, 2006.
7 On pourrait sans doute parler ici de réalité de niveau politique ou philosophique si l’on se réfère à l’analyse que fait Pierre Manent dans La Raison des nations (op. cit.). Selon lui, en effet, il n’y a plus de guerre légitime pour des démocraties s’il ne s’agit de rétablir le règne du droit. Toute opération de guerre doit ainsi être considérée comme une opération de police puisqu’elle vise à rétablir un ordre sur un territoire organisé par le droit national ou international. Les armées, ne poursuivant plus d’intérêt national spécifique mais visant simplement à rétablir le droit, sont donc devenues des forces de police et doivent être considérées comme telles. Sans qu’il soit ici question de contester cette analyse point par point, il est tout de même nécessaire d’insister sur le fait que les opérations de stabilisation répondent bien, même si cela est difficilement perceptible par l’opinion publique, aux impératifs de défense de la société et de préservation des intérêts nationaux. On peut également relever que Pierre Manent lui-même modère sa propre thèse dans une interview donnée au journal L'Expansion le 1er octobre 2006 : « [La] douceur démocratique a rendu les actes de violence, et même les simples risques, de plus en plus insupportables. En Europe, […] nous ne voulons pas voir qu’il y a danger. [Nous avons la] conviction que si nous, Européens, sommes suffisamment tolérants, ouverts, etc., les problèmes se résoudront d’eux-mêmes. Nous nous interdisons ce que Tocqueville appelait les “vertus viriles”, qui ont à voir avec l’exercice de la force. »
8 Par la Charte de l’Organisation des Nations Unies, les nations signataires s’engagent (préambule) à « accepter des principes et à instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force, sauf dans l’intérêt commun », cet intérêt commun étant défini (article 41) comme le « maintien ou le rétablissement de la paix et de la sécurité internationale », la seule exception à cette règle étant (article 51) le « droit naturel de légitime défense ».
9 René Girard, Achever Clausewitz, Paris, Carnets Nord, 2007.
An expression of the singularity of the armies and of their purpose, military culture, which is most of the time gibed at but also, according to the periods of history, used as a conveyor of popular patriotism, is a constituent element of the national cultural landscape. It may no doubt even be one of its essential components, which goes far beyond the contribution – generally conceded with a certain irony – of the “military art” to the common heritage. An absolutely martial conception of the nature of things in which, for good or bad, originates for a significant part the alchemy peculiar to every national identity.
However, this military culture, as old as it may be, is more and more threatened within the Western democracies by a recurring trivialization trend that the American sociologist Morris Janowitz – the first to have identified its effects at the end of the sixties – described with the term “civilianization”1.
In what manner, and for what reasons, is such a dulling practiced? Must we lament it as the loss of a virile dimension, which would add a European proclivity to the passivity inspired by Venus2? Must we on the contrary be pleased about it, like a rupture with the “frivolity and animal adoration of the force”3 that Albert Cohen exposes as a founding curse of the feudal societies?
In order to understand this phenomenon and attempt to measure some of its consequences, we should first of all strive to quickly describe the main traits of military culture as they express themselves through ways of acting, ways of thinking and reference values that are often very unconventional in comparison with contemporary civil culture. We can then try to identify the currents and the mechanisms of trivialization that are at work nowadays before suggesting certain paths of preservation or restoration of a military identity, which may be more necessary today than ever.
- Ways of doing
It is agreed that the armies are meant to be engaged in war and, in war, their function is to “make use of the force in a methodical and organized manner”4. This function is fulfilled within a framework, under constraints and according to very characteristic imperative processes, which are all foundations of military culture.
First of all, war takes place in conditions of chaos and of disorganization of the general environment, in “theatres of operations” or “battlefields”, which civilians are said to have evacuated, be it in an exodus whose disorderly influxes are likely to disorganize the military logistics. It is thus made between servicemen against an enemy whose means, doctrine and power are in principle comparable to those of allies (otherwise the enemy would have persuaded in advance not to attack, or convinced to submit without fighting) and against whom, in accordance with the jus in bello, the most extreme use of force shall be considered as legitimate.
The war then takes place in accordance with the confidentiality of the military objectives to be reached and the battle plans. And if the combat action is of aid to a communication which goes along with it in order to make it more acceptable or to motivate the troops as much as the population, it is clearly here a question of controlled propaganda, as much as the war correspondents sent out to the battlefield are. According to the classic ideal thus defined by referring to the wars between States-nations and to the last world conflicts, the armies are thus engaged, in the form of extreme confrontation between great complex military bodies, over a precisely defined time period, the beginning and the end of the hostilities giving rise to signed agreements between belligerents.
In order to conduct such wars, the modern States have equipped themselves with armies whose power and efficiency come from their command of the most advanced technologies as well as their ability to plan and conduct actions of great complexity on vast scales. Entirely organized and rationalized for the most effective engagement possible in a war that comes between two periods of peace, the armies are not reputed to be useful in phases of non-employment, which must be, as is commonly acknowledged, totally dedicated to their preparation and their training.
- Ways of thinking
As their purpose devotes them to the possible necessity of the most extreme engagement for the survival of the country, the armies maintain a consubstantial bond with the nation. A very singular relationship with time ensues from this bond. Indeed, no nation without historical continuity, past and future; a continuity, which the armies feel partly responsible for. The servicemen thus become, consciously or not, part of long-term history and always put their actions and their own evolutions into perspective. This strong historization, along with the principle according to which the armies only find their full use at the time when war takes place, probably leads the servicemen to worry little about immediate profitability, as the latter can only really be measured in rare and tragic occasions.
From the sacralised relation that exists between the life of the nation and the existence of the armies, also comes a complete depoliticization of the institution, as the bond maintained with France transcends the fidelity to a particular regime. This apolitical attitude adds to a strong submission to the politics already mentioned. It is however not exclusive of a recurring on the legitimacy of the missions and of the orders given by the political authority.
The servicemen’s relationship with space is no doubt also notably different from that of the other bodies of the States or of French society in general. The armies are indeed naturally turned towards the outside world and foreign countries much more than towards their own country. Is it not better that the war and the ravages it engenders take place elsewhere than on national territory? And is it not advised to go against the threat the farthest off, if possible where it comes from, before it increases in scale? This international tropism is reinforced by the existence of a very distinct separation between the police, who is in charge of the daily implementation of the force on national territory, and the armies. It generates a relative withdrawal of the servicemen concerning the issues of domestic security, and yet their fellow citizens are much more sensitive to the latter than to the state of the world.
The apprehension of the media world is done in a paradoxical mode. Indeed, the armies, although having often feigned certain contempt for communication, have always been highly concerned with the image that they reflected on their fellow citizens. Military aesthetics is an old reality that is found in architecture, in music and, of course, in the ceremonial and in the dress. If concern for appearance is therefore an abiding feature of military culture, it does not however generate concern for prominence, as it seems so natural to the soldier to be at the centre of the preoccupations of the politics since the survival of the country depends on the outcome of the war. Moreover, since the considerable effort of military reconstruction implemented by the 3rd Republic soon after the defeat of 1870 (an effort that aimed at the profound establishment of a republican system in the country as well as at the preparation for revenge), the armies find themselves placed at the centre of national culture5. Despite the defeat of 1940 and the not so positive image of the decolonization wars, and despite the effects, at times devastating, that the constraint of national service has on the opinion of the French concerning their army, the servicemen will, until the professionalization of 1996, continue to consider journalists as people not to be trusted, and to compare communication to an advertisement with a commercial purpose for which they feel certain disdain.
- Shared values
War is such an extreme action that the resolution to take it shall only be for extraordinary reasons relating to the survival of the community and there shall be no question, if such an obligation is established, of trying to shirk it. The soldier, by trade, is therefore always available, that is to say ready, to fight the enemy and to carry out the mission (the serviceman can be called to serve at any place and at any time). Possessor of the force and of the outrageous power to inflict death and destruction, he must also be perfectly submitted to the political power of which he is the instrument. This demand for discipline and for great rigour is reinforced by the technical complexity of the activity of combat, which brings into play several players that serve very diverse equipment and weapons, of which the complementarity of effects shall guarantee the tactical success. Thus rigour and discipline seem all the more acceptable and natural to the servicemen, as these qualities are the guarantee of their efficiency and of their own safety in an activity that is eminently collective.
Constrained to kill by function, the soldier deeply feels the necessity to surround his actions with rigorous ethics, which, even more so than the legality of the order received and the legitimacy of the authority that employs him, makes it possible to overcome the moral trauma that this act constitutes. It is most probably the sacrifice of his own life, which he consented to, that makes the obligation to kill morally bearable. The accepted death therefore becomes a sort of expiatory guarantee. It is closely linked with military ethics and founds the virtue of heroism as it naturally leads to consider that as little killing as possible must be done, since there is a sort of ethical symmetry between the life of an enemy and that of a friend. An essential virtue of the soldier ensues from this symmetry: the ability to control his own violence. But for this virtue to be practised, the enemy needs to be regarded as a human being, whose dignity is as sacred as his own.
From the union of the ethical demands of the military career, and of its collective character, lastly come the particular qualities of the individual and interpersonal behaviours, qualities that are all claimed as military virtues, even if the servicemen cannot pretend to be the only ones to have them. Among these virtues, two main ones must be retained. First of all, courage, which seems to be a necessity in order to overcome fear in battle and endure the strain and the moral and physical attacks that make up an often hard activity. But courage, even more so, is the moral strength that reinforces the force and makes it possible to practise the profession creditably. The second virtue is the mutual trust, linked with interdependence, until death, of the soldiers and of their chiefs in battle. This mutual trust induces respect between individuals— “brothers in arms” -, regardless of grade and length of service. It makes the discipline acceptable, transforming that which could simply be imposed submission into freely consented obedience. Lastly, it is shown in the loyalty that links chiefs and subordinates through powerful ties of reciprocal duties.
These virtues are obviously not practised with an equal intensity by all servicemen under all circumstances. However, they constitute the moral and psychological framework that is acknowledged by all, tacitly or explicitly, and within which must be established the relations between individuals, both in the form (the ceremonial and the military rules of etiquette) and in the content (like, for example, the duty of any chief to defend and to promote the interests of subordinates, whom the specifically military discipline and availability requirements deprive of both the right to strike and the right to unionize).
- Military culture versus professionalization
and the end of the war
Military identity, which has been roughly drawn, is the product of successive sedimentations, of which the most decisive are also the most recent, the two “World Wars” constituting paroxysms that are both founding and destructive, for human civilization in general, for the armies in particular. But even though it has been able to go through the conflicts of decolonization with relative impunity, this archetype of military culture is deeply affected by the evolutions of the last two decades.
Indeed, this period is that of a significant intellectual and civilizational rift characterized by the shift that is taking place from the status of subject-citizen to that of individual-man. This evolution affects, in the first place, the democratic State itself of which Pierre Manent shows us that as soon as it has carried out its historical mission of achieving personal freedoms and levelling conditions, it gradually comes apart and loses its role of embodiment of the nation and its operational function of public life organization6. The State-nation losing its legitimacy leads all its servants into a form of trivialization, which is expressed by the questioning of the statuses (employment guarantee, de facto irresponsibility) and of the privileges (prestige of the functions) linked until then with their kingly mission. This shift profoundly challenges again a considerable part of a military cultural corpus founded on, as we have seen, collective sentiment and discipline.
These decades are also those of the gradual subduing of the grandeur of France; grandeur materialized by an empire and a status of conqueror, which both disappear as is created the European Union within which the national identity dilutes itself, without anything replacing it. With this disappearance of grandeur, one of the main motives for the identification between the citizen and the soldier is brought to an end. The other, that of battle for survival, fades with the evaporation of a threat, which was until then very clearly materialized in neighbouring geographical spaces.
- When being a soldier becomes a profession
These considerable evolutions reinforced the singularity of the armies within society, to the point of turning them into an institution that was extremely out of step with the international issues, as they appeared to the non-informed, and above all with the individual aspirations of the citizens, even permanently delegitimizing national service. Quite paradoxically, the transition to the professional army was followed by an expeditious trivialization under the effect of three main processes.
- The technicalization of the profession
Professionnalized as from 1996, the armies had to, in a very short period of time, constitute a considerable professional human resource. In order to achieve this real tour de force and appeal to about thirty thousand young men and women every year, they decided to develop the image of an employer offering numerous opportunities; an image that was undoubtedly appealing, but that erased the reality of a military specificity, which was then feared to be misunderstood and to discourage the less certain vocations.
Adding to the “professions” themes of the recruiting campaigns and to the growing technical nature of warlike activity, the very principle of professionalization generated, within the military community, a misunderstanding and a “technicalized” evolution of the conception of military service. Wrongly considered to be a “military specialist”, the soldier could have been only good for his technical skills that he would have exercised within the strict frame of the service hours. The educational ambition that underpinned any vocation of military chief of the army of conscription and led to consider the man and the citizen before the technically skilled individual thus gave way to technical obsession and to the rigorous measure of the output. This disastrous vision trivialized the military vocation.
- The “thirty-five-hour week” effect
Characterizing the psychological evolutions of a society and of a youth, which, beyond the right to leisure, demanded the absolute respect of a private sphere regarded as an essential place for individual blooming, the “thirty-five-hour week” had to be taken into account by the armies. Indeed, the latter wished to avoid the excessive increase, between them and society, of a gap that was very counter-productive in terms of recruitment. Not having the financial means to compensate in due proportion the constraints inherent to the specifically military availability demands, they integrated the hourly breakdown of the thirty-five hours into the military rhythm and way of life. This integration considerably undermined the founding principles of a strong and original identity, coming for the most part, as was seen previously, from the duties and constraints that ensue from the service of the nation through the military.
- The obsession of the rupture with society
Used to regarding communication as a not so necessary “marketing” approach, the armies were, at the time of professionalization, confronted with the need for a communication of recruitment, mentioned above, and whose pernicious effects we have seen. They also considered themselves to be subject to a risk of rupture between the soldiers and the citizens. This risk was very questionable and we must no doubt consider that the real danger was not that of a rupture but that of a growing indifference. Still, the analysis carried out in 1996 led the armies to cultivate the most neutral and the most consensual image possible. They also practised a rigorous duty of confidentiality, which, with the help of the end of the conscription and the remoteness of the operations, practically made military questions disappear from the French public debate.
- When war no longer exists
The great semantic confusion that nowadays characterizes all the debates and reflections on the armies and defence is probably only the reflection of two decades of profound evolution of the conception, which is made of the use of the military tool. Is it still a question of “defending” or else of “protecting” or yet gain, according to the Volapuk currently in progress in the milieus authorized to deal with these subjects, of being part of the “safety-defence continuum”? One thing seems to be more or less certain to most: it is no longer a question of going to war since the latter has disappeared. But then to what use and how must we employ a tool that is at our disposal and that must be used, if only to justify its cost? Thus, among the main factors of trivialization of military action, we retain the emergence of an emphasis on profitability for the military tool and the growing daily engagement of the armies in external operations.
- The concern for profitability for the military tool
With the fall of the Soviet Union and the dismemberment of the Warsaw Pact, disappeared the obvious necessity for military defence of Western Europe in general, of France in particular. It was indeed not the first time that, at the end of a war, the enemy being defeated, it had become possible to demobilize the troop and to redirect the main productive force of the country towards the civil sector. The new occurrence at the end of this cold war resided in this conviction that Western societies had, that war being a model of conflict management henceforth completely and permanently obsolete, the armies could be axed. Such an observation was undoubtedly too blunt to be immediately translated into a political decision, but combined with the idea that the nature of the confrontations between nations had changed and that war could hence only be economic, it made us question the profitability of a tool whose cost could be considered to be a hindrance to the performance of a country. Two answers were brought to this new question, answers that both pervert the archetype of military action as defined earlier on. The engagement of the armies in actions of security on the national territory that first of all, even though it gives the soldiers good “visibility”, puts them in the same category as policemen, whose methods of action, organization and equipment obviously have no relation with that of the servicemen. Then, the operations with high humanitarian profile, which, even though they most certainly respond to the emotions of public opinion, divert the armies from their prime purpose of deliberate implementation of the force and lead to military engagements with no precise political objectives. Even more serious, such a use of the armies blurs the strategic issue, although very real, of stabilization of the margins of Europe and makes us lose sight of the real necessity to possess a military tool, capable of resolving situations of crisis, which contain the seeds of the end of prosperity and of the security of Western democracies.
- External operations
If external operations are an important factor in the civilianization of military action, it is mainly because their great complexity makes them difficult to understand both for the external observers and for the soldiers themselves, who sometimes think they can exempt themselves, in these engagements, from the rules and principles of action that are followed in standard wars. Generally using tactical processes linked with the missions of zone control, these operations yet distinguish themselves from warlike action via a certain number of characteristics, which seem to oppose point by point the canons defined above. Indeed, no more enemies, merely belligerents between which they must more often than not intervene. No more time limits for operations that furthermore take place amid the populations, in the full glare of the media and within a legal framework, which is rendered more and more restrictive by the multi-nationality and the necessity for legitimacy that only a UN mandate can impart. No more manoeuvres involving great masses of men and equipment, but systems that are more often than not static, and actions during which the decisive player is merely the leader of the group… All in all, international operations of law and order maintenance for which simple “constabulary forces” would do perfectly instead of armies that are as costly as they are sophisticated and over-equipped.
The experience of twenty years of external interventions is still not sufficient to admit the principle of reversibility put forward by the armies and according to the terms of which, in these operations of “stabilization”, the force engaged must be able, without delay, to face an outbreak of extreme violence and fight in the most determined and classic manner possible.
Unfortunately the confusion that is generally maintained between a reality of strategic level7, which turn these external operations into “operation other than war”, and the reality of tactical level, which clearly reveals the need for classically trained and equipped armies, leads to favour the slightest requirement and the slightest cost.
From the concern for the profitability of the military tool and for the erroneous analysis of the external operations, consequently stems the idea that the armies could be favourably “reduced”. They would thus become a sort of republican guard, sufficient to guarantee France’s involvement in international operations and usefully employable to face, on a day-to-day basis and on national territory, issues of internal security that are probably exaggerated but that are undoubtedly at the centre of the preoccupations of the voters.
- Keeping a field for the battle and preserving one’s force in order to lead it
The collective and individual position of denial is one of the disturbing singularities of the modern Western societies, which the access to the era of limitless information pushes towards quasi-suicidal attitudes and behaviours. Amidst these pathological refusals to admit reality, the denial of violence may be one of the most perverse. On the pretence that we cannot resolve to be subjected to it, we pretend to eradicate violence from the hearts of men, from the life of societies and from the relationships between nations. And in order to reach this pure utopia, we entirely leave it, in a sort of blindness that borders on ideology, to the reign of a law omnipotent by nature and which today removes these notions of war and collective violence on the grounds that, as only a defensive war can be legitimate (this conception being regarded as universally shared8), no society has from then on reason to resort to it.
This very irenic vision unfortunately disregards the reality. This “moral” (relative like any other) is first (only?) European and is obviously not shared by all the protagonist of the international relations. It is even to be feared that it could be regarded by many as a means of imposing a peaceful dictatorship of prosperity. The poorest societies and the less capable of accessing the quality and the rank of partner in the world economic game could indeed refuse a moralizing vision of the relations between human groups that would claim to deny them the collective resort to a force and a violence that their own history did not set up as forbidden. Regarded by the Europeans as a peak of civilisation, the denial of resort to force can thus be understood by others either as particularly hypocritical prescriptive constraint, or as a form of decadence or, at the very least, of weakness to be exploited.
No doubt even more serious, this incantatory annihilation of violence through delegitimization of all forms of war deprives the international relations of a ritualized space where extreme tensions can be get carried away in confrontations controlled by the law. Yet, as René Girard9 observes and as the objective observation of the past twenty years should emphasize it, violence does not disappear. It remains; henceforth generalized, scattered, endemic and more destructive than ever. Having, via a semantic and conceptual sleight of hand, conjured away any enemy and replaced him with “terrorism” does not settle anything, on the contrary. Having today become criminals in breach of law and morale, violent people can only resort to the extreme, the paroxysm. Without enemy, there is admittedly no battle, only a hunt for the offender in order to restore peace and order. But without enemy and without battle, there is also no “burying the hatchet”.
Confronted with such an impasse, have modern societies no other choice than to reinvent war? That being the case, must we not consider the contribution of military culture to national and European culture, not as a last manifestation of the feudal “frivolity” but as a salutary enrichment?
Thus, shouldn’t the need for the preservation, within the military institution, of a strong and original culture be understood as the expression of a pretension, as futile as it is unbearable, to maintain a national conservatory of more or less outdated virtues? Much to the contrary, it is a guarantee of lucidity: the acceptance of the prospect of battle. A battle for which everything must be done so that we never have to fight it, but for which we must be prepared, not only by maintaining the tool, but by cultivating the values, the virtues and the degree of collective consciousness, which in war would protect the entire society from the barbarity of violence.
1 Morris Janowitz, The Professional Soldier, The Free Press, 1971.
2 Robert Kagan, La Puissance et la faiblesse, Paris, Plon, 2003.
3 “Frivolity and animal adoration of the force, the respect towards the military, possessor of the power to kill. […] And why noble or chivalrous are they words of praise? […] Humans! Caught in the act! To express their admiration, they found nothing better than these two terms, evocative of this feudal society where war, that is to say murder, was the goal and the supreme honour in the life of a man! (Albert Cohen, Belle du Seigneur, Paris, Gallimard, 1968).
4 Gaston Bouthoul, Traité de polémologie, Paris, Payot, 1991.
5 On 14 July, 1880, the ceremony of the presentation of the flags to the re-formed regiments marked the starting point of an essential union between the State and the army, ferment of a renewed and republican patriotism, which shall last up to today through the combination of Bastille Day with the military parade.
6 Pierre Manent, La Raison des nations, Paris, Gallimard, 2006.
7 We could here undoubtedly talk about reality of political or philosophical level if we refer to the analysis that Pierre Manent carries out in La Raison des nations (op cit). Indeed, according to him, there is no longer a legitimate war for democracies if it is not to restore the rule of law. Any war operation must be regarded as a police operation since it aims to restore order on a territory organized by national or international law. The armies, as they are no longer pursuing a specific national interest but simply aiming at restoring the law, have thus become police forces and must be regarded as such. Without it being a question of disputing this analysis point by point, it is necessary all the same to insist on the fact that the operations of stabilisation do meet, even if this is perceived with difficulty by public opinion, the imperatives of defence of society and of protection of national interests. We can also note that Pierre Manent himself moderates his own argument in an interview given to the magazine L’Expansion on 1er October, 2006: “[The] democratic gentleness has rendered acts of violence, and even simple risks, more and more unbearable. In Europe […] we do not want to see that there is danger. [We are] convinced that if we Europeans are sufficiently tolerant, open, etc., the problems will solve themselves. We deny ourselves what Tocqueville called the “virile virtues”, which have to do with the exercise of force.”
8 Through the Charter of the United Nations, the signatory nations promise (preamble) to “ensure, by the acceptance of principles and the institution of methods, that armed force shall not be used, save in the common interest”, this common interest being defined (article 41) as “to maintain or restore international peace and security”, the only exception to this rule being (article 51) the “inherent right of self-defence”.
9 René Girard, Achever Clausewitz, Paris, Carnets Nord, 2007.