N°52 | S’élever

Arnaud Pellabeuf
Adieu Tagab
Paris, Les Belles Lettres, 2022
Arnaud Pellabeuf, Adieu Tagab, Les Belles Lettres

Si la gendarmerie prévôtale a toujours accompagné les unités militaires en opérations extérieures, c’est une mission d’une autre nature que décrit le colonel Arnaud Pellabeuf dans cet essai. En effet, en décembre 2009, cent gendarmes constituent les premières Police Operational Mentor and Liaison Teams (pomlt). Incluses dans la Force internationale d’assistance et de sécurité (isaf) de l’otan en Afghanistan, ces équipes sont là pour conseiller les hommes de la police nationale afghane (anp). Naturellement, les pomlt françaises sont armées par la gendarmerie nationale et agissent dans la zone d’action de la Task Force La Fayette.

L’auteur, alors capitaine et engagé dans le deuxième de ses trois séjours en Afghanistan, offre un aperçu du mandat de six mois de la pomlt qu’il commande. Nous sommes en 2011, l’année la plus meurtrière pour les forces françaises avec vingt-six soldats tués. Chaque chapitre présente un temps fort. Le départ, d’abord, où l’on découvre la question de la désignation des gendarmes mais également les délicats au revoir familiaux. Puis l’arrivée à Bagram, immense base où « on se serait cru dans un film de guerre américain », puis à Tagab, poste avancé d’où opérera la pomlt. Viennent ensuite les échos des premiers combats et, enfin, ceux dans lesquels la pomlt est impliquée. En particulier le 13 juillet 2011 à Joybar où, alors qu’une choura se termine, cinq soldats français et un interprète sont tués par un kamikaze. Pour l’auteur, « décrire notre état d’esprit à ce moment-là est tout bonnement impossible. Le schéma intellectuel et psychologique d’une attaque suicide est totalement étranger au soldat français. […] De cette incompréhension et de l’horreur brute des faits naissent une rage sourde et une haine de l’ennemi qu’il allait falloir canaliser ». Bientôt c’est la dernière sortie et le passage par le « sas de décompression » de Paphos et, enfin, le retour et la première rencontre, émouvante, avec son fils né en son absence. L’ouvrage est également l’occasion de découvrir les difficultés de la mission des gendarmes qui doivent instruire les policiers afghans et leur apprendre à respecter les règles judiciaires. La confiance entre Français et Afghans n’est pas patente alors que certains frayent, plus ou moins clairement, avec les insurgés. Le rôle des interprètes est alors crucial et l’auteur leur consacre quelques pages justes et belles. Enfin, on ne peut que noter un travail de police loin d’être évident alors que la guerre fait rage.

Ce livre n’est certes pas le premier sur les pomlt françaises (voir, par exemple, Gendarmes en Afghanistan de Stéphane Bras, publié en 2010 chez Anovi), mais son style clair et les enseignements qu’il transmet sur ce type d’engagement rendent sa lecture indispensable à tous ceux qui s’intéressent aux opérations extérieures françaises. D’autant que l’auteur ne masque pas ses doutes, parlant même d’une « chronique d’un désastre annoncé » dès l’introduction : « Au moment de quitter l’Afghanistan en 2011 après l’opération racontée dans ce livre, mes gendarmes et moi avions une certitude doublée d’une intuition. Une certitude d’abord : les forces afghanes étaient très loin d’être au niveau pour tenir le pays après le départ des armées de la coalition. Nous avions participé au mensonge consistant à faire croire l’inverse en passant les indicateurs au vert. [...] Une intuition ensuite : les horreurs auxquelles nous avions été confrontés au cours du mandat, nous les retrouverions un jour sur notre sol. »


Ivan Cadeau | Cao Bang 1950