Ce livre avait eu deux éditions, en 1983 et 2011. Celle-ci les complète par l’apport de nouvelles archives civiles et militaires, qui précisent notamment les réactions de l’Élysée et de Matignon, de témoignages et de documents exhumés, dont celui, incisif et très émouvant, de Pierre Racine, alors directeur du cabinet du Premier ministre Michel Debré et partisan d’une négociation avec le gouvernement provisoire de la République algérienne (gpra) et même, in fine, d’un souvenir d’ego histoire de Maurice Vaïsse lui-même, à l’époque en hypokhâgne au lycée d’Alger, et très au fait alors et depuis lors de toutes les souffrances engendrées par la guerre. Ce qui nous vaut un livre à la fois neuf, dense et haletant, qui fait le point et pour longtemps.
Le pronunciamento, ce fut le mot de De Gaulle, dura quatre jours et cinq nuits, d’avril 1961, à l’appel d’un « quarteron » de généraux, Challe, Zeller et Jouhaud rejoints par Salan, proclamant à la radio vouloir tenir « le serment de l’armée de garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien », prenant le contrôle d’Alger avec quelques unités de paras et de légionnaires, défiant Paris et son « gouvernement d’abandon ». Leur crainte ? Qu’une Algérie indépendante soit, demain, la preuve tragique d’une trahison venue de Paris ; d’un désaveu de la maîtrise militaire du terrain et du ralliement de katibas entières que Challe, il est vrai, était en passe d’établir ; l’annonce d’un massacre des supplétifs musulmans et de la « vengeance des rebelles » du fln sur les Européens, Mers el-Kébir et Alger devenant des bases « soviétiques » : en somme, l’armée française trahie, abandonnée, déshonorée.
Maurice Vaïsse décrit d’abord, minutieusement, ces heures terribles, la surprise d’Alger le samedi 22, la panique et le sursaut de Paris le 23, le tournant du 24 dans la soirée, l’échec patent le mardi 25. Puis il les replace dans la longue histoire, de 1940 à 1961, de la politisation et des malentendus qui ont distendu les liens entre l’armée et la Nation ; dans celle de l’Algérie pantelante et dans l’impasse politique ; dans l’ambition obsessionnelle chez certains gradés d’avoir à éviter tout nouveau Dien Bien Phu ou d’avoir à refaire un 13 mai 1958 salvateur. Il détaille aussi les raisons de l’échec des putschistes, sans chef entraînant, sans stratégie de rechange face à celle du général de Gaulle de nouveau en uniforme, sans soutiens ni emprise sur les populations civiles et les unités hors d’Alger, sur les préfets et l’administration. Ce fut un putsch à un seul mort, sans barricades ni ébranlement de masse, sans « franquisme » ni vision d’avenir hors celle du colonel Argoud et de quelques « cathos » intégristes : un baroud d’honneur.
Mais il a ébranlé l’État pendant quelques heures, révélé certaine « porosité » de sa vindicte, dit Vaïsse, dans une armée qui a trop misé sur les « grandes opérations » et le bouclage des frontières, doutant de son action sociale en faveur d’une réconciliation, saisie désormais par la lassitude et l’espoir de la « quille ». Il a marqué la Ve République, car il a conforté de Gaulle, hanté plus que jamais par le temps qui presse et qui passe, dans son idée qu’il fallait faire désormais très vite pour courir à l’essentiel : faire de la France une « puissance mondiale », quitte à laisser l’Algérie courir sa propre chance.
Le livre pourrait passer moins vite sur les réactions du contingent et de ses officiers, avec leurs transistors et leur sens du devoir, sur lesquelles il est vrai les études manquent tant. Sur, aussi, l’opinion en métropole et surtout à Paris, saisie par la crainte d’un saut des paras, et notamment sur certain soir où l’on distribua pour leur faire face des équipements militaires dans la cour de l’hôtel Matignon : ce qui, j’en atteste, ne tint pas du folklore comme on l’a dit après-coup. Ou encore, il pouvait signaler les prémices de la future oas déjà manifestes. Il n’empêche : c’est un fier livre et Maurice Vaïsse a bien travaillé.