Gérard Chaliand, stratégiste et géopoliticien, rassemble dans cet épais volume une sélection d’expériences de terrain et d’analyses académiques, certaines déjà publiées et d’autres originales. Toutes sont marquées par son style sans fard ni concession. On y devine le parcours impressionnant d’un homme au plus près de l’action depuis la guerre d’Algérie. Le livre est organisé en sept chapitres rassemblant chacun trois à sept analyses. Le premier offre des éléments théoriques sur la guérilla (« une forme de conflit armé, utilisée par des troupes irrégulières, caractérisée par le refus du choc frontal décisif, l’usage du harcèlement et de la surprise »), le colonialisme et le nationalisme. Ensuite, ce sont les « premières expériences » qui sont passées au crible avec, notamment, la pensée d’Amilcar Cabral, l’Algérie et le Vietnam. Un troisième chapitre est consacré à l’Amérique latine, de Cuba aux Zapatistes du Chiapas. Puis, après une partie sur le conflit israélo-palestinien, ce sont les terrorismes qui sont analysés dans leur évolution d’une « technique pour forcer une négociation dans le cadre d’un rapport de force inégal » à un vecteur d’une « volonté de nuisance où il n’y a rien à négocier, l’hostilité étant absolue ». Dans l’avant-dernier chapitre, on retrouve des réflexions sur les « expériences de la maturité » avec, notamment, l’Érythrée, dont le Front populaire de libération (fple) est qualifié par l’auteur de « plus remarquable des guérillas des quinze dernières années », ou encore les luttes des Kurdes. Enfin, le septième chapitre traite de l’Irak et de l’Afghanistan, et l’on y perçoit bien qu’« à l’ère des nationalismes, il faut peu de temps pour passer du statut provisoire de “libérateur” à celui d’étranger occupant ».
La variété des thèmes abordés permet de ne pas forcément lire cet essai d’une traite, mais ce volume a également sa cohérence. Il met bien en relief la thèse de l’auteur (qui ne surprendra pas le lecteur de Pourquoi perd-on la guerre ?), celle d’un net reflux occidental depuis au moins cinquante-cinq ans et l’échec américain au Vietnam. En effet, pour Chaliand, la révolution industrielle de la fin du xviiie siècle a donné une avance extraordinaire à l’Occident et lui a permis, en l’espace d’une centaine d’années, de coloniser presque toute l’Afrique et l’Asie. Il faudra quatre-vingts ans pour qu’en Asie on comprenne que la clé pour vaincre les colonialistes, c’est le nationalisme. Puis les mouvements de libération manient une idée neuve pour s’emparer du pouvoir : la guerre révolutionnaire. Dès lors, Malaisie mise à part, aucun succès notoire ne sera à mettre au crédit des Occidentaux. Et pourtant, Chaliand prévient : « Le monde qui nous attend, nous, Européens, va être plus âpre à mesure que notre déclassement va apparaître. Les rapports internationaux sont fondés sur la force et rien ne peut modifier leur intrinsèque tragédie. » La réflexion est stimulante et ce recueil ouvre une fenêtre fascinante sur tout un pan de la conflictualité de la seconde moitié du xxe siècle et du début du xxie. On regrettera uniquement qu’aucun texte ne soit contextualisé, ne serait-ce qu’en donnant la date de sa rédaction. Ce léger bémol n’enlève en rien le caractère indispensable de la lecture de cet ouvrage pour tous ceux qui s’intéressent à la stratégie et à la géopolitique.