Réfléchir à l’engagement, comme me le propose la revue Inflexions, revient en grande partie à m’interroger sur le sens que je donne à ma vie. Je le fais avec d’autant plus de plaisir que j’ai utilisé cette revue pour préparer le concours de l’École de guerre. J’avais alors été marquée par la pensée et la figure de Monique Castillo, dont je tiens à saluer ici la mémoire.
Je suis députée, élue de la 4e circonscription du Maine-et-Loire en 2017. Je suis aussi saint-cyrienne de la promotion « De Galbert » (2002-2005) – clin d’œil de l’histoire, Saumur est le lieu des premiers combats de notre parrain. Je suis « le » premier militaire d’active élu, la première femme militaire à l’Assemblée nationale. Je comprends ainsi aisément pourquoi Inflexions m’a demandé s’il était possible de comparer l’engagement politique et l’engagement militaire1.
Je n’ai pas envie de rédiger une dissertation type « École de guerre », mais de témoigner. Ce faisant, j’ai quand même besoin d’approcher une définition du mot « engagement ». Je le ferai par la notion de don et de retour : on m’a donné, je rends. Et je rends plus, si possible. Mais mon engagement n’est pas que don, il est aussi réaction, une réaction face à l’injustice. Je vois apparaître ainsi deux questions : est-il une affaire de constance ou de circonstances ? Ne serait-il pas un sillon que l’on creuse petit à petit en fonction de choix antérieurs, par souci de cohérence, de respect de la parole donnée, de l’image que l’on a de soi et de celle que l’on a donnée ?
- Une logique
Pour répondre à ces questions, et pour comprendre pourquoi le mot « engagement » fait écho chez moi au mot don, il me semble nécessaire de revenir sur mon histoire personnelle. Je suis depuis ma tendre enfance viscéralement attachée à mon pays. Être Française est une réalité tangible pour moi. Enfant, mes parents m’emmenaient à Rennes aux cérémonies patriotiques. Ils étaient commerçants ; ils tenaient un débit de tabac. Je ne suis donc pas issue d’une lignée militaire. Rien ne me disposait sociologiquement à tenter le concours d’une grande école, encore moins Saint-Cyr. Mais j’avoue avoir le goût du défi. J’ai préparé la Spéciale2 au Prytanée national militaire de La Flèche avec l’option sciences économiques. J’aurais pu intégrer les écoles de commerce dont j’avais réussi le concours, mais j’ai préféré rejoindre Saint-Cyr. Après le défi intellectuel, c’était une forme de défi socio-économique. Et je ne me voyais pas à l’époque satisfaire mon goût pour l’intérêt général en mettant mes compétences au service d’une entreprise privée. Il me semblait plus facile de donner du sens à ma vie en m’engageant pour mon pays que pour une multinationale. Une vision qui a légèrement évolué, car je suis aujourd’hui plus sensibilisée à l’importance de la santé économique du pays pour que les Français vivent bien ou mieux.
Les deux sources de mon engagement militaire sont donc le goût pour l’intérêt général, éclairé par le patriotisme, et le goût du défi, intellectuel comme physique – les stages commando, les parcours en jungle que j’ai vécus à Coëtquidan3 ne sont faciles pour personne, mais une femme ne peut pas y flancher, encore moins y être en échec. Du sexisme ambiant j’ai fait un moteur alimenté par un sentiment d’injustice.
Au cours de l’exercice de mes responsabilités de chef militaire dans l’arme du matériel, j’ai cultivé une réflexion régulière sur ces thèmes. La chef de section du 7e régiment du matériel que j’étais, que ce soit à Lyon, au Liban ou en Côte d’Ivoire, apprenait le métier, « mettait les mains dans le cambouis ». Pendant les quatre ans de mon temps de commandement4 de capitaine à la tête d’une compagnie du bataillon de commandement soutien de la brigade franco-allemande (bfa), stationné à Mülheim, grâce au jumelage de mon unité avec des villes d’eau française et allemande, je me suis intéressée à la notion de « lien armée-nation ». Une expression qui m’horripile, tant je pense que les armées sont constitutives de la nation. Vouloir créer un lien est, à mon sens, un péché originel.
En arrivant à Saumur, nous avons, mon mari et moi, installé notre famille dans un petit village troglodytique. L’accueil y a été extraordinaire. Tout naturellement, j’ai voulu rendre un peu de ce que j’avais reçu. En 2014, j’ai donc souhaité me présenter aux municipales, mais ce fut impossible en raison de la réglementation alors en vigueur. J’ai vécu cela comme une injustice pour l’ensemble des militaires qui ne pouvaient pas participer à la vie de leur cité, et une injustice pour la cité qui est privée de leur riche expérience et de leur excellente formation. En réaction, j’ai demandé à participer aux travaux du conseil de la fonction militaire terre (cfmt)5, pour approfondir, entre autres, les droits politiques des militaires.
Lorsqu’en 2017, la toute jeune lrem s’est mise en quête pour les législatives de candidats ayant un profil sortant des canons classiques de la classe politique, j’ai saisi ma chance. Je me serais reproché de ne pas l’avoir fait. Mon engagement en politique est donc le fruit des circonstances de la vie politique française, certes, mais aussi le résultat d’une construction qui m’est propre. Il repose sur l’acceptation et le choix de défis d’abord personnels puis plus généraux, sur ma réflexion pour résoudre des problèmes concrets tels que la parité dans les armées ou la possibilité pour les militaires d’exercer des mandats électifs. Résoudre ces points servira, à mon sens, l’intérêt général. Cela donne un sens à une vie. Cela explique pourquoi, tous les matins, je suis heureuse de me lever.
- Quelques réflexions
Le survol de mon parcours montre, à mon sens, la continuité de mon engagement entre casoar6 et politique. Je suis passée d’un défi personnel, intellectuel, physique et socio-culturel, à un défi politique, qui se nourrit des précédents. Et ce sont bien les conditions d’exercice de mon engagement militaire qui ont débouché sur un engagement politique. Je retrouve d’ailleurs cette logique chez tous les anciens militaires qui sollicitent des mandats électoraux, ou qui s’investissent dans des associations.
Je m’aperçois que cette continuité repose sur deux sujets essentiels : la liberté et la conviction que l’action politique est parfois le seul levier pour faire bouger les lignes. À chaque étape de ma carrière, y compris avant d’y entrer, j’ai fait des choix. Pas les plus faciles. Mais c’est librement que j’ai intégré Saint-Cyr. Ce que j’y ai vécu comme futur officier ou comme femme m’a forgée, au sens physique comme au sens intellectuel, m’a donné des convictions. Tout cela, je l’utilise dans ma vie parlementaire. Et lorsque l’on évoque mon avenir en cas d’échec aux prochaines législatives, je répète systématiquement que les choix que j’ai faits ont pu me fermer des portes mais m’ont surtout ouvert des opportunités. J’utiliserai volontiers l’expression de Jean-Paul Sartre pour dire que la liberté que je revendique est « l’étoffe de mon être ».
Mais cet être ne cherche pas la liberté pour la liberté. Quand je travaille sur la liberté politique des militaires, d’abord en aidant le capitaine de vaisseau de Lorgeril7 à rédiger une des premières questions prioritaires de constitutionnalité (qpc), je ne pense absolument pas qu’un jour je pourrai postuler à une élection législative. Par nature, je suis peu expansive. Le devoir de réserve ne m’avait jamais particulièrement concernée avant 2014. Mais brusquement, j’ai ressenti cette injustice qui m’obligeait, pas moi personnellement mais l’ensemble de la collectivité militaire. Donc je vis une situation, je constate un dysfonctionnement, je l’analyse, je m’engage pour le régler au mieux dans le sens de l’intérêt général. Je reproduis en cela exactement ce que j’ai appris sous l’uniforme. Après l’action, je tire les leçons et améliore ce qu’il y a à améliorer dans l’optique de reprendre l’action.
Je peux paraître faire preuve d’un excès d’optimisme en mettant en avant cette logique et affirmer que des portes fermées ouvrent de nouvelles opportunités. Néanmoins, les choix que j’ai effectués ont eu des conséquences sur ma famille. De personnage officiel, parce que portant un uniforme d’officier, je suis devenue un personnage public. Pendant la crise des gilets jaunes, certains de mes collègues ont dû déscolariser leurs enfants qui étaient agressés en raison de leur engagement politique. Je n’ai pas connu cela. Mais pour mon mari, lui aussi officier, je sais que les choses ne sont pas toujours aisées. J’ai l’habitude de dire qu’être pionnière n’est pas facile, mais qu’être époux de pionnière l’est autant, si ce n’est plus. Quand on épouse un militaire, on sait à peu près ce qui nous attend. Quand celui-ci se transforme en personnalité politique, c’est l’inconnu. Il est heureux que mon mari m’ait soutenue. D’ailleurs, aujourd’hui, il est conseiller municipal de notre village. Quand on s’engage, on n’engage pas que soi. Et si ceux que l’on emmène avec soi ne veulent pas suivre, apparaît alors un risque sur la finalité de l’engagement initial qui perd une partie de son sens.
De la même façon, j’ai conscience que l’armée de terre devra innover, si je ne poursuis pas mon mandat parlementaire lors de la prochaine législature, quelle qu’en soit la raison. Ce sera alors un nouveau défi individuel et collectif8.
Je n’ai pas eu conscience au départ que mon statut et ma formation militaires allaient jouer un rôle dans mon parcours politique. Certes, pendant ma campagne, j’ai utilisé quelques principes militaires, tant sur la façon d’avoir une permanence de campagne totalement mobile parce qu’utilisant un camping-car, que dans le management de mes équipes de militants, ou encore dans mes choix tactiques. Une fois députée, j’ai été élue à la Cour de justice de la République parce que, aux dires de mes collègues, mon passé militaire garantissait mon impartialité. Au sein de la commission des Affaires étrangères, dans laquelle j’ai choisi de siéger, forte de mon passé à la bfa et de mes convictions pro-européennes, j’ai été désignée pour assurer la discipline de mon parti. J’ai été élue vice-présidente de l’Assemblée toujours parce que mes compétences managériales sont reconnues. D’ailleurs, ayant en charge des activités internationales, je me suis attachée à fixer à l’ensemble des groupes d’amitié interparlementaires des objectifs de diffusion de messages transpartisans. À l’étranger, nous portons la voix de la France, nous ne pouvons créer de dissonances.
Je tiens à souligner que ma formation militaire est un atout indéniable et majeur pour appréhender rapidement toutes sortes de problèmes. Les méthodes, les habitudes de travail et la culture acquises en classe préparatoire, à Saint-Cyr, puis dans les cours de formation des commandants d’unité, à l’École d’état-major, et lors de la préparation à l’École de guerre sont d’une richesse incroyable. Je ne suis jamais prise au dépourvu. J’ai toujours les connaissances de base nécessaires pour soit répondre, soit comprendre. Dans ce monde parlementaire où, contrairement aux apparences, chacun doit beaucoup travailler pour faire avancer ses dossiers, je mesure cet atout au quotidien. Tout comme je sais que je suis capable de tenir dans l’Hémicycle au cours des séances nocturnes.
Dans mon travail de parlementaire, je n’oublie pas ce qui a motivé mon engagement. À l’occasion des discussions sur la loi de programmation militaire, j’ai été désignée rapporteur pour avis par ma commission. Je me suis attachée à faire transcrire, pied à pied, les conséquences de la qpc de Lorgeril. Je n’ai pas oublié mon souci de parité hommes/femmes dans les forces armées. C’est d’ailleurs un point de travail régulier avec la ministre des Armées.
Oui, je peux l’affirmer, je suis viscéralement attachée à mon passé militaire. Mon engagement militaire est un prélude à mes responsabilités politiques. Chacun trouve les sources de son engagement en lui-même. Moi, j’ai décidé de donner un sens à ma vie en me consacrant à l’intérêt général. À Saint-Cyr, j’ai pris conscience de la noblesse de penser aux autres avant de penser à soi. À l’Assemblée, je continue à servir, autrement. Hier, je me battais pour mes subordonnés, aujourd’hui, pour mes concitoyens, qu’ils soient mes électeurs ou non. J’ai quelques axes d’action : la parité, les droits politiques des militaires, l’Europe, le régalien. D’autres se sont développés au cours de mon mandat, en lien avec ma terre d’élection : l’agriculture, la viticulture, le tourisme, le patrimoine équestre, les enjeux des villes moyennes. Ce sont les mêmes que ceux que j’avais sous l’uniforme. Je me suis instruite pour vaincre. Si mes champs de bataille sont devenus plus vastes, ils n’ont pas changé de perspectives. Je tends des ponts au-dessus des rivières. Mes petites victoires seront nos victoires. En cette période de crise de la covid-19, je pense maintenant avant tout aux conditions de la reprise économique.
Oui, j’ai bénéficié de circonstances… Mais j’ai exploité celles-ci, au sens militaire du terme, parce que je m’y étais préparée par mes décisions, mes actions, mes réflexions antérieures. Je n’ai pas laissé les pesanteurs entraver ma liberté de choisir et d’agir. J’ai compris que la volonté politique est un levier formidable. Un engagement comme le mien, ce n’est peut-être qu’une succession de choix, de recherche de cohérence. Ce n’est qu’un sillon que j’ai creusé sans toujours m’en rendre bien compte mais avec constance, ténacité et sens de l’opportunité.
1 Je crois avoir retenu que, dans le cadre de la résolution d’un thème tactique, il est important de savoir répondre à la question « Pourquoi moi ? » pour remplir une mission.
2 L’école de Saint-Cyr est officiellement dénommée École spéciale militaire (esm) de Saint-Cyr. Le mot « spéciale » veut dire initialement que cette école appartient au dernier niveau d’instruction des jeunes après leur passage au lycée pour « l’étude complète et approfondie, ainsi que le perfectionnement des sciences et des arts utiles ». La loi du 11 floréal an X (1/5/1802), qui réorganise l’enseignement en France, dispose que les écoles spéciales sont financées par l’État. Le titre VI de cette loi est consacré à l’École spéciale militaire. Il la fait dépendre du ministère de la Guerre.
3 L’École spéciale militaire est installée au camp militaire de Coëtquidan, dans la commune de Guer, à peu près à mi-chemin entre Rennes et Vannes.
4 Durant sa carrière, un officier effectue des temps de commandement au cours desquels il est responsable non seulement de l’instruction de ses hommes, de leur emploi, mais aussi financièrement des matériels mis à sa disposition. Il existe un temps de commandement au grade de capitaine, un autre à un grade d’officier supérieur, le plus souvent colonel, ou lieutenant-colonel. Ce temps de commandement, passage obligatoire pour prétendre accéder à des grades et à des fonctions supérieures, est généralement d’une durée de deux ans.
5 Il existe au sein des armées un conseil supérieur de la fonction militaire (csfm), instance de consultation et de concertation présidée par la ministre des Armées pour traiter des conditions de vie des militaires, de l’exercice de leur métier et de l’évolution de leur statut. Ses membres sont élus par leurs pairs au sein des conseils de la fonction militaire (cfm) de chaque armée ou service. Les membres de ces derniers sont tirés au sort parmi les volontaires. Les retraités militaires participent eux aussi au csfm.
6 Le casoar est le nom donné au plumet rouge et blanc que les saint-cyriens portent sur leur couvre-chef (shako), lequel devient par métonymie le Casoar.
7 Décision n° 2014-432 qpc du 28 novembre 2014, M. Dominique de L. portant sur l’incompatibilité des fonctions de militaire en activité avec un mandat électif local.
8 Je suis en congé sans solde. Je peux donc retrouver mon grade et une fonction au sein de l’armée de terre à la fin de mon mandat.