À sa création, en 19741, la devise du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (gign) était « Sauver des vies au mépris de la sienne », avant de devenir en 2008 « S’engager pour la vie ». Quelle que soit la mission qu’ils ont à conduire, ses membres doivent donc être préparés à l’éventualité de la mort. Comment traduire cela en termes d’engagement ? Comment savoir concrètement que les hommes et les femmes que l’on recrute seront capables de risquer leur vie pour en sauver d’autres ? Pour répondre à cette question, cet article a été rédigé en interrogeant des personnels de l’unité, de tout grade et de toute spécialité, afin de comprendre quelles étaient leurs motivations et comment ils vivent, ou ont vécu, leur engagement pendant ce que l’on pourrait appeler une « vie au gign ». Il sera donc étayé par des extraits de témoignages recueillis à l’occasion d’entretiens.
S’engager au gign, c’est d’abord une exigence forte vis-à-vis de soi-même, qui se reflète au travers de l’investissement physique et mental hors normes que cela nécessite. C’est se mettre au service d’un idéal en devenant un professionnel du contre-terrorisme et de la gestion des crises les plus extrêmes. Le principe au cœur de cet engagement et de l’action qu’il entraîne est le respect de la vie. Aussi, les valeurs portées par ceux qui y servent sont toutes construites autour de celui-ci : dépassement, loyauté, sens du devoir, conception de la justice et capacité à aller jusqu’au sacrifice ultime.
- Avant, on est gendarme
Tous les membres du gign, qu’ils soient officiers ou sous-officiers, sont d’abord des gendarmes. Le choix d’intégrer la gendarmerie s’explique la plupart du temps par le souhait d’aider ses concitoyens en exerçant le métier des armes. Cette vocation apparaît assez tôt chez la plupart des candidats, souvent dès l’adolescence. Elle repose d’abord sur des récits, des images, des faits d’armes qui ont façonné l’histoire de l’unité comme les prises d’otages de Loyada (Djibouti), de La Mecque, d’Ouvéa, de Marignane, du Ponant, la traque des frères Kouachi ou les missions en Irak, en Côte d’Ivoire (protection d’emprises diplomatiques), en Libye (évacuation de ressortissants), en Afghanistan et au Sahel. Lorsque l’on côtoie le gign de plus près, on comprend qu’il réalise d’autres interventions tout aussi périlleuses, mais beaucoup moins médiatisées. Les aspirants savent dès le départ qu’ils vont devoir faire preuve de persévérance, de courage et d’abnégation. Ils s’y préparent donc moralement avec une idée en tête : « Aller jusqu’au bout. »
« Depuis tout petit j’ai baigné dans les images de Marignane. Je voulais sauver des vies et le métier des armes me plaisait. J’avais envie de servir en partant au combat, car cela crée un état d’esprit et une cohésion particuliers, les rapports humains sont différents. Il y a aussi une part d’ego car j’aime cette adrénaline-là. Mais face à la mission nous savons tous que nous devons faire preuve d’humilité. »
« J’ai voulu intégrer le gign dès l’âge de douze ans, j’étais attiré par les forces spéciales de l’intérieur, en raison de leur proximité avec la population, mais aussi du caractère militaire de la gendarmerie. »
« J’étais sportive de haut niveau lorsque je me suis fixé pour objectif d’intégrer cette unité d’élite. J’ai eu la chance de rencontrer quelques-uns de ses membres, ce qui m’a permis d’identifier les domaines où je péchais et ainsi orienter mes deux années de préparation pour passer les tests. J’ai pu bénéficier d’un entraînement physique en équipe de France. J’aime l’adrénaline et la remise en question. Lors des compétitions internationales, j’ai toujours été honorée de porter la France sur les épaules, au sens propre et au sens figuré. Maintenant, je sers mon pays d’une manière différente. »
- Une vocation précoce
Dans la majorité des cas, l’entrée au gign est donc une vocation précoce. Il peut arriver à certains d’échouer la première, voire la deuxième fois qu’ils se présentent aux épreuves de sélection, mais les candidats déterminés reviennent et réussissent. « Au-delà de l’aspect élitiste de l’unité, ce qui m’intéressait, c’était d’appartenir à un groupe qui serve la même devise, passe des filtres très exigeants. Cet adn, je ne pouvais le trouver nulle part ailleurs. »
Beaucoup se préparent mentalement et physiquement dès le lycée par la pratique de différents sports en compétition. Parmi les personnels qui intègrent l’unité, la part de ceux qui découvrent le gign lors de leur entrée en gendarmerie, même s’ils en avaient entendu parler, reste limitée. L’unité y jouit d’un certain prestige et dire que l’on souhaite la rejoindre peut paraître prétentieux tant les tests impressionnent. La plupart des candidats sont des sportifs confirmés ou de haut niveau, qui vont adapter leur entraînement pour mettre toutes les chances de leur côté. Ceux qui ne le sont pas se préparent en moyenne deux ans à l’avance en pratiquant plusieurs sports de manière à devenir polyvalents. Et se renseignent sur ce qui les attend auprès de connaissances, car les tests revêtent une part de mystère. Certaines vocations plus tardives naissent d’un contact avec des membres du gign en mission (forcené, renfort ambassade ou enquête) ou en opérations extérieures avec les autres forces armées.
- La sélection, mesure de la performance et premier filtre
Faire le choix de passer les épreuves de sélection du gign, d’une durée de cinq jours, est donc déjà un engagement fort et une marque de détermination. Ces tests visent à recruter des personnes physiquement polyvalentes, intellectuellement performantes et psychologiquement stables. Par intelligence, il faut entendre intelligence rationnelle, mais aussi de situation, créative, émotionnelle. Autant de qualités qui permettent de se transcender en mission. Les tests comprennent des épreuves variées : saut de pont, parcours d’audace, natation (dont apnée), agrès, parcours gaz, parcours aériens, tests d’agressivité… Il ne sert à rien d’être le meilleur en course à pied si on est insuffisamment préparé en natation, en grimper de corde ou sur les parcours aériens. Il faut s’efforcer de donner le maximum, sans s’économiser. Les instructeurs doivent aussi vérifier que les candidats n’ont pas d’aversion particulière, notamment l’acrophobie et la claustrophobie. Sur les deux cents candidats en moyenne par session de recrutement, seule une cinquantaine intégrera le stage probatoire (appelé aussi pré-stage), partie la plus éprouvante de la sélection.
« J’ai passé les tests un an après avoir été affecté en escadron de gendarmerie mobile. J’ai fait trois tentatives avant de réussir. En tant qu’ancien commando, je m’attendais à des tests type forces spéciales, mais cela n’avait rien à voir, car il y avait une partie physique mais aussi une grosse partie de restitution et des mises en situation. Les entretiens étaient très poussés. La deuxième fois, je me suis blessé et la troisième j’ai réussi. J’étais avec des gendarmes bien plus jeunes que moi. »
- Le stage probatoire, l’épreuve de vérité
« J’attends d’un candidat polyvalence, adaptabilité tout-terrain, force morale hors du commun, acceptation de la pression et des contraintes. Savoir travailler en équipe, savoir mettre sa force de caractère au profit du collectif – je fais souvent un parallèle avec une équipe de rugby. Il faut aussi aimer l’action et l’aventure. Je regarde les parcours des candidats. Souvent on peut se tromper sur un candidat très sportif, mais qui, sous pression ou dans des conditions dégradées, n’ira pas au bout. Tout le monde passe par une période de doute pendant le stage probatoire ; c’est là que le collectif aide l’individu », explique un chef de la force formation.
« La sélection était très physique, je donnais le meilleur de moi-même à chaque épreuve. Le pré-stage m’a appris la rusticité, l’endurance, la polyvalence. Il ne faut pas être bon dans une discipline, mais être polyvalent : être capable de nager, de grimper, de courir et ne pas avoir peur d’aller au combat, car on se destine à un métier de confrontation. Le pré-stage m’a permis de mettre en évidence des qualités morales, pour avoir la force d’aller au bout de la mission, quelles que soient les circonstances. Le gendarme du gign doit être tout-terrain. Le froid, le manque de sommeil, les conditions extrêmes font apparaître les qualités mentales des candidats. »
Les gendarmes qui réussissent les tests de sélection intègrent le pré-stage, huit semaines durant lesquelles les exercices s’enchaînent afin de mesurer la résistance physique et l’aptitude morale de chacun d’eux. Ils dorment peu, sont confrontés au froid et à l’humidité constante. L’objectif est d’éprouver leur détermination et de leur inculquer le sens du groupe. Ils doivent comprendre qu’en mission les individualités, aussi fortes soient-elles, doivent s’effacer au profit du collectif. Les mises en situation se multiplient, de jour comme de nuit : marche, franchissement, escalade, sports de combat, exercices tactiques, moniteur commando, connaissance des explosifs… Rien ne leur est épargné pour évaluer leur résilience. Ils ne peuvent ni se mentir ni mentir aux instructeurs. Ils doivent donner le meilleur d’eux-mêmes pour ne rien regretter, mais aussi connaître leurs limites, éventuellement irrémédiables pour espérer entrer au gign. Ils doivent vivre avec l’incertitude et le risque d’élimination à tout instant.
In fine, une vingtaine de gendarmes intègrent le gign chaque année. Le pré-stage marque les esprits ; il apprend à chacun à dépasser ses limites physiques et mentales. En matière d’engagement, cette idée revient très souvent : « Le corps est une machine extraordinaire, mais au bout d’un moment, c’est le mental qui pilote tout. » Des traits communs se dégagent parmi ceux qui parviennent à franchir cette étape : le fait d’être porté par et de tenir grâce au groupe, d’avoir une confiance grandissante en ses camarades et en ses capacités.
« Lorsque je me suis blessé pendant le pré-stage, j’avais l’impression de me transformer en boulet, mais j’ai eu la chance d’être dans un groupe qui ne m’a jamais lâché. Alors, j’ai serré les dents. »
« Pendant le pré-stage, on a des moments de doute et Dieu sait qu’on est mis à rude épreuve. La personne qui ne doute pas n’a pas été suffisamment mise en situation de fragilité pour éprouver sa capacité à traverser cette difficulté. »
« Pendant le pré-stage, je me suis dit que je n’avais pas droit à l’échec. Je voulais intégrer une unité spéciale, car je voulais faire des missions variées et travailler en équipe restreinte. Je me suis rendu compte que lorsque l’on se dépasse, que l’on persévère, on est récompensé. C’est ce qui m’a fait tenir, car par moments j’étais à bout de force. Je voyais les autres autour de moi qui tenaient, je me suis accroché. C’est le groupe qui m’a porté. Sur une quarantaine de candidats au pré-stage, nous nous sommes retrouvés à six. »
- La formation : travail, rigueur et excellence
Les instructeurs sont issus des forces opérationnelles. La formation dure dix mois et comprend différents modules communs : maîtrise des armes et du tir (y compris longue distance), techniques d’intervention spécialisée, méthode de raisonnement tactique, aérocordage, brevet parachutiste, conduite rapide et motocycliste, sports de combat, secourisme, éthique et déontologie. Elle est suivie par un approfondissement dans l’un des futurs métiers des stagiaires, en fonction de la force opérationnelle du gign vers laquelle ils seront orientés : intervention, observation-recherche, sécurité-protection.
« À mes stagiaires je demande l’excellence, car il faut être le meilleur dans ce métier. Le travail est essentiel, car grâce à lui on atteint l’excellence et on intègre les savoirs que l’on doit acquérir pendant la formation. La rigueur également, car elle permet l’excellence et l’obtention d’un résultat parfait en mission ou à l’entraînement. Les erreurs que nous constatons sont le fruit d’un manque de rigueur. L’exigence en termes d’apprentissage est forte, si bien que les candidats sont obligés de s’y consacrer pleinement. »
« Lorsque je sélectionne, je recherche la précision dans tous les domaines, tant théoriques que pratiques. J’attends des personnels qu’ils se rapprochent le plus possible de la perfection, dans l’apprentissage et dans la mise en œuvre. »
Pendant le pré-stage, l’engagement physique et mental des candidats est total. Ils sont évalués au regard de leur capacité à comprendre, à retenir et à restituer au fur et à mesure que les notions s’accumulent. Ils doivent acquérir une approche mesurée et réfléchie des situations, car à chaque mission ils peuvent être confrontés à un risque extrême. Cela exige une grande agilité intellectuelle. Ils sont mis en situation dans des conditions les plus proches possible de la réalité, dans le respect des règles de sécurité, afin d’appréhender le contact du feu ̶ les entraînements se déroulent la plupart du temps à balles réelles. Pour cette raison, il est essentiel qu’ils intègrent parfaitement, en qualité de « gens d’armes », qu’utiliser son arme ne doit jamais devenir un geste banal. Bien que ce sujet ait été étudié en école, il s’avère que l’emploi de l’armement est beaucoup plus fréquent au gign que dans d’autres unités de la gendarmerie. Toutes ces questions permettent aussi d’aborder celle du sacrifice ultime, qui n’est jamais une fin en soi, mais qu’il faut se poser en tant que militaire membre d’une unité d’élite.
- Un attachement fort aux traditions militaires
La fin du stage probatoire est marquée par la remise du revolver Manhurin 73, arme de tradition au gign, et de la fourragère. Les stagiaires sont alors accueillis comme des frères d’armes. La cérémonie de remise des brevets vient clore une formation de douze mois. Elle est symbolisée par le tir de confiance, qui consiste à viser une cible placée sur le gilet pare-balles d’un camarade. Il illustre l’excellence, le don de soi, la capacité à prendre des risques. Cela suppose d’avoir confiance dans sa formation, dans le tireur, dans le stagiaire visé, qui ne bougera pas à la dernière seconde, mais aussi d’avoir gagné celle des opérationnels pour partir en mission.
Au gign, les traditions sont très fortement entretenues et ancrées. Les deux croix de la valeur militaire2 accrochées au drapeau de l’unité pour les missions en Côte d’Ivoire, en Libye et en Afghanistan sont un témoignage fort de son engagement aux côtés des forces armées. La veillée aux stèles, qui précède la remise du brevet, et l’hommage aux morts le jour de la Saint-Michel rappellent le sacrifice et le sens du devoir de ceux qui y ont servi.
L’ensemble de ces étapes, des sélections à la remise des brevets, marqué par le sceau des traditions, l’appartenance à la famille des parachutistes et l’attachement aux valeurs militaires de la gendarmerie, forge l’identité de l’unité.
- La mission, catalyseur et libérateur
« Nous partons du principe qu’il n’y a pas de petite mission ; nous essayons d’avoir un maximum de professionnalisme. »
« Nous avons la capacité à rassurer quand nous arrivons pour résoudre une crise, mais en même temps nous n’avons pas droit à l’échec, du coup nous devons être très exigeants avec nous-mêmes. Ce qui nous motive, c’est de partir en mission pour sauver des gens ou arrêter des criminels. L’intérêt de la mission est central. »
« En Afghanistan, le premier détachement de l’unité en charge de la protection du représentant spécial des Nations unies a été projeté à Kaboul vers le mois de décembre 2001, bien avant l’arrivée des premiers contingents français, qui nous ont permis d’avoir par la suite un soutien logistique et sanitaire. Ainsi, dans les premiers temps, il m’est arrivé de devoir effectuer certains achats alimentaires pour le détachement au marché de Chicken Street à Kaboul, au beau milieu des Afghans. Côté missions, dans le cadre de la protection du représentant spécial de l’onu, je me suis déplacé dans tout le pays. J’y ai fait deux séjours de quatre mois. »
« J’ai été engagé pour la première fois en Irak en 2005. J’y ai effectué dix-huit séjours de trois à quatre mois dans le cadre de la protection de l’ambassadeur de France. En 2007, au plus fort de la crise que traversait le pays, on comptabilisait en moyenne cent quatre-vingts attaques par jour à Bagdad. Une majeure partie des attentats à l’explosif avait lieu en zone rouge (parmi les grands pays occidentaux, l’ambassade de France était et reste la seule située dans cette zone) et sur la route de l’aéroport, appelée plus communément “route de la mort”. J’ai notamment vécu l’attaque contre l’hôtel Radisson à Bamako au Mali par trois véhicules dont un camion toupie. Lors d’un déplacement en véhicule blindé pour honorer un rendez-vous au ministère des Affaires étrangères, notre cortège a été pris dans le périmètre d’un double attentat à la voiture piégée. Deux véhicules ont explosé à environ cent mètres de notre position, faisant près de cent vingt morts et six cents blessés. Dès lors que nous partions en mission de reconnaissance ou de protection au profit du poste diplomatique, nous savions que nous étions des cibles potentielles. J’étais là pour remplir ma mission et je me considérais comme étant à la bonne place. Je faisais simplement mon devoir. J’avais également conscience des risques auxquels je m’exposais et des éventuelles conséquences. Cependant, tout au long de mes diverses et multiples missions, en France comme à l’étranger, mon engagement entier et loyal pour servir mon pays a été mon seul but. Voulu et assumé même dans les situations les plus critiques et inconfortables. »
« En Côte d’Ivoire, en 2011, j’ai eu l’occasion de mettre en œuvre tout ce que j’avais appris pendant la formation. Les milices pro-Gbagbo avaient érigé de nombreux barrages à Abidjan et la situation était chaotique. Lors d’une mission d’escorte, nous avons été obligés de forcer un check point, une patrouille de miliciens nous a pris en chasse et a rafalé notre véhicule. J’ai reçu une balle dans la main et mon binôme a été polycriblé, mais heureusement sans gravité. Nous sommes parvenus à nous échapper et à rejoindre notre base. L’opération Licorne a démarré le lendemain. »
Les faits d’armes du gign donnent son sens à l’engagement de ses membres. Malgré les entraînements, la mission revêt toujours une part d’inconnue. Les personnels engagés sont responsables de leur vie, de celle de leurs camarades, des autorités dont ils ont en charge la protection, des otages, des preneurs d’otages ou des individus qu’ils doivent interpeller. Sauver des vies doit donc être compris dans son acception la plus large, cela suppose d’avoir rejeté toute idée de haine ou de vengeance, de faire passer le devoir et le sens de la justice avant toute chose.
En mission, il faut respecter les procédures apprises lors de la formation et être rigoureux. Néanmoins, ce cadre ne doit pas être un carcan. La capacité d’initiative est fondamentale. Il faut donc disposer de gens capables d’appliquer des gestes précis, mais ayant suffisamment confiance en eux et dans le dispositif tactique pour saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent.
S’engager au gign suppose l’acceptation de vivre dans l’incertitude, celle du départ, celle du retour, celle du résultat d’une opération ; cela oblige à se concentrer sur le présent et à rester humble. Il faut pouvoir se reposer sur ses camarades, sur ceux qui donnent les ordres et sur l’expérience de ses aînés, mais aussi avoir une grande confiance dans le matériel que l’on utilise. Aussi, l’équipement au sens large (protection individuelle, collective, puissance de feu, outils de détection de l’adversaire, vecteurs de transport…) permet d’aller plus loin dans l’engagement. Choisi par les personnels qui l’utilisent, il fait l’objet d’un soin particulier et peut évoluer pour répondre à un besoin précis avec l’aide de la cellule recherche et développement de l’unité.
Dans le domaine de la protection, les opérationnels passent de la condition de chasseur à celle de proie potentielle, surtout dans les pays en guerre. Cela implique une concentration de tous les instants, l’absence de relâchement ou de banalisation des situations. En matière d’observation-recherche, il faut être en mesure d’aller au contact des cibles, malgré le risque que cela représente et, si nécessaire, de passer d’une posture défensive à une posture offensive. Il faut accepter de pénétrer dans des lieux où le danger peut survenir à tout moment et faire preuve d’une grande agilité.
La sélection, le pré-stage, la formation et l’expérience acquise en mission font des membres du gign des professionnels soucieux de s’améliorer sans cesse individuellement et collectivement. Les entraînements et les gestes maintes fois répétés jusqu’à être totalement intégrés et maîtrisés permettent de consacrer quelques dixièmes de seconde d’attention supplémentaire à l’analyse et à la prise de la bonne décision en fonction du risque.
« J’ai dû intervenir sur trois engins explosifs improvisés ; cette expérience n’a laissé de place à aucun geste ou question parasite, mais uniquement à l’analyse, à la prise de décision et à la mise en œuvre de procédures. J’étais dans ma mission. »
« J’ai été au contact d’un forcené qui avait commis un meurtre. Je n’étais pas armé car j’étais négociateur, mais j’étais appuyé par des personnels dont je connaissais la valeur et la capacité d’engagement. Cette confiance dans ses camarades permet d’être audacieux et d’imaginer de nouveaux modes opératoires, de prendre des initiatives. »
« Lorsque je me suis fait tirer dessus en entrant dans une pièce, le tir est passé très près de moi. Le forcené a ensuite essayé de se suicider à deux reprises, mais par réflexe il a balancé la tête en arrière au moment d’appuyer sur la détente, ce qui nous a permis de réagir immédiatement pour l’interpeller vivant. »
« Il est primordial d’être toujours préparé, c’est mon engagement vis-à-vis de mon unité. Le second niveau d’engagement, envers la société, consiste à être prêt à donner sa vie si c’est nécessaire. La question s’est posée avec plus d’acuité lorsque mon ami est mort en mission. La stèle est là pour nous rappeler tous les matins le sacrifice de nos camarades. Nous faisons beaucoup de missions et nous ne devons jamais tomber dans la banalisation par excès de confiance. »
« Je n’ai jamais remis en question la perspective de sauver des vies et je restais en mesure de sacrifier la mienne si nécessaire. Les épreuves m’ont permis de confirmer cet engagement, même si j’ai toujours dit à mes proches que je ne prendrai pas de risque inutile. Nous sommes tous différents, ce qui nous caractérise, c’est la volonté d’aller au bout : on est responsable de sa vie, de celle de ses camarades, de celle des otages. »
- Fidélité au serment de respecter la vie humaine
Le choix du métier des armes avec une acception noble de leur emploi relève d’une conception du bien et du mal, d’un besoin de justice dont on devient le bras armé. C’est de l’emploi de la violence légitime dont il est question. Intégrer le gign, c’est se confronter directement et intimement à la violence, car cela suppose d’être physiquement à son contact à chaque mission : la violence du forcené qui s’en prend à sa famille, du terroriste qui veut emporter avec lui le plus de vies possible, du trafiquant de drogue qui n’hésite pas à percuter une voiture si elle lui fait obstacle, voire à foncer sur des individus, la violence d’une blessure ou la perte d’un camarade, y compris parfois à l’entraînement.
Le dépassement physique suppose d’avoir le goût de l’effort chevillé au corps ainsi que la volonté de se mettre à l’épreuve. C’est cette partie de la nature humaine qui pousse à explorer de nouvelles routes, à aborder les problèmes sociétaux avec un œil nouveau ou même parfois à imaginer l’impossible. C’est aussi une démarche intimiste de confrontation avec soi-même. Parvenir à surmonter ses limites, mais aussi mieux les connaître, fait grandir la confiance, qui à son tour permet à l’audace de s’exprimer. Au gign, il est indispensable d’avoir des personnels qui ont une profonde confiance dans leurs capacités, autant qu’ils connaissent leurs limites.
Enfin, « S’engager pour la vie » ou « Aller jusqu’au bout », c’est être capable de respecter un serment tacite que l’on a passé avec soi-même, avec ses camarades et avec la société. C’est une marque de fidélité qui fait appel à l’honneur. C’est aussi faire don de sa personne pour un collectif et placer celui-ci au-dessus de l’individu. Pour autant, cela nécessite de se poser la question du rapport à la mort. Les personnels du gign peuvent être amenés à donner la mort pour sauver des vies, mais exposent également la leur lorsqu’ils interpellent, surveillent, protègent ou s’entraînent, car ils sont au plus près de l’action, même si toutes les précautions sont prises. Aussi, le gign ne recherche pas d’individus téméraires, têtes brûlées ou impulsifs, mais réfléchis et prêts à peser les conséquences de chaque action sur la vie des personnes qui vont être impliquées. Une décision, une action ou un geste mal pesés peuvent avoir de graves conséquences.
« J’ai sans doute gagné en maturité, mais je suis toujours là pour servir la population, ce pourquoi je me suis engagé au départ. Ma famille le vit bien, car elle sait pourquoi je m’engage ; ma femme m’a toujours soutenu. Je prends beaucoup de hauteur pour garder la tête froide lorsque je suis en mission, sinon je ne peux pas faire mon travail sereinement. »
« Ma conception de l’engagement n’a pas changé, car en mission je n’ai jamais hésité à aller de l’avant ; la mission ou le fait de sauver une vie prend le dessus. Pour moi, cela signifie être prêt à donner sa vie pour les otages. Nous nous engageons pour aller chercher les gens en essayant de sauver tout le monde. L’engagement est également vis-à-vis de mes camarades, de faire en sorte que tout le monde revienne sain et sauf. Le rouleau compresseur fonctionne du fait du collectif. Pour être à la hauteur, je dois m’entraîner tous les jours. Le tir de confiance symbolise parfaitement cet engagement vis-à-vis de mes camarades, la notion de frères d’armes prend alors tout son sens. »
« Risquer sa vie pour aucun bénéfice, c’est-à-dire ne pas sauver d’autre vie, est une erreur d’analyse profonde, c’est le type de comportement qu’on ne veut pas chez nous. »
« L’engagement est total et sans limites, mais il doit répondre à un objectif collectif. En venant au gign, je voulais appartenir à un groupe capable de gérer des situations exceptionnelles. »
« L’engagement s’est mis en place tout au long de ma vie. Je me suis conditionné pour faire ce métier. J’aime la noblesse de l’outil négociation, raison pour laquelle j’en suis un spécialiste. L’engagement, c’est se préparer en permanence, y compris à mourir. »
- Quelle définition de l’engagement ?
Intégrer le gign est une décision éminemment individuelle, qui implique une recherche de l’excellence indispensable pour atteindre un haut degré de confiance personnelle et collective. Le dépassement qu’elle exige est possible parce que celui-ci se fait avec un groupe, des camarades et des chefs partageant les mêmes valeurs et les mêmes objectifs. Servir au gign, c’est s’engager dans la durée à améliorer son niveau personnel pour aider le collectif, sans jamais se reposer sur ses lauriers car cela aurait des conséquences immédiates et potentiellement délétères.
Le gign met la force morale au centre de son recrutement. Il s’agit d’être capable de se dépasser, d’avoir le courage de se remettre en question et d’exploiter le doute pour progresser. Dans un monde empreint de fragmentations, c’est une qualité qui doit plus que jamais être remise au goût du jour.
1 Fusion des gign1 et gign4 créés en 1973.
2 Une croix de la valeur militaire (cvm) pour l’Afghanistan, la Libye et la République de Côte d’Ivoire en 2011, et une seconde pour les opérations de 2013 en Afghanistan. En 2015, l’unité s’est fait remettre la fourragère aux couleurs de la cvm et de la msi.