N°44 | La beauté

Gerd Krumeich
L’Impossible Défaite
L’Allemagne déchirée, 1918-1933
Paris, Belin, 2019
Gerd Krumeich, L’Impossible Défaite, Belin

Il est toujours intéressant de lire l’histoire lorsqu’elle est écrite par des adversaires. Ce regard ouvert et sans animosité permet de comprendre nos propres failles comme nos réussites. L’Allemagne vaincue le 11 novembre 1918 est loin d’être un pays uni. Le fossé entre l’armée et le pouvoir impérial s’est creusé à mesure que la guerre se prolongeait. Les manifestations d’extrême gauche se multiplient en 1917 et 1918. La proclamation de la république, contemporaine de l’armistice, est d’emblée menacée par la question des responsabilités mutuelles de l’armée et du politique. L’armée, avec la droite conservatrice, accuse les éléments les plus révolutionnaires d’un « coup de poignard dans le dos ». La gauche protestera de son innocence même si des personnages comme Rosa Luxemburg souhaitaient vraiment la défaite pour asseoir la révolution. Dès la proclamation de l’armistice jugée indigne, l’Allemagne, dans son ensemble, reste étrangement inconsciente de ses conséquences concrètes, d’autant plus que la guerre ne s’est pas déroulée sur son territoire. L’armée rentre en effet en bon ordre, elle est accueillie avec chaleur mais sans enthousiasme, avec simplement l’illusion d’un devoir accompli. Peu à peu, la découverte des conditions de l’armistice devient insupportable. À l’opposé de ce qu’il se passe en France, les anciens combattants, meurtris, sont cachés. Un mutilé de guerre est un mutilé, pas un héros. Les médailles sont envoyées par la poste à la demande des combattants sans cérémonie de remise. Pendant les cinq à six ans qui suivent l’armistice, le Parlement va vainement débattre de la question des responsabilités respectives, sans conclure. Ces débats vont permettre à Hitler de manipuler le sentiment d’injustice et de vengeance. Il va être accompagné dans sa conquête du pouvoir par les quatre cent mille soldats venus du front et qui n’ont pas rendu leurs armes. Ils vont constituer les corps francs de sinistre mémoire. Le 11 novembre 1918, l’armée allemande était battue. Elle en avait conscience, mais n’osait pas le dire. Les Alliés ont profité de ce silence pour imposer à des civils, sans véritable mandat, un armistice puis une paix qui ne sera jamais acceptée comme telle. Le drame de la politique de Weimar aura été de surgir sur un ensemble de ruines et de ne pas avoir assumé la défaite avec clarté, laissant ainsi aux revanchards nazis tout l’espace du pouvoir nourri par un sentiment de nouvelle espérance remplaçant le désespoir d’un peuple qui avait perdu tout repère. C’est un livre passionnant et brillant absolument nécessaire pour la compréhension des guerres mondiales.


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