N°44 | La beauté

Patrick Monier-Vinard
L’Armée de papa
Sainte-Marguerite-sur-Mer, Éditions des Équateurs, 2019
Patrick Monier-Vinard, L’Armée de papa, Éditions des Équateurs

Voici un lourd et bel ouvrage : une somme de neuf cents pages qui témoigne de façon pittoresque, inattendue, du métier militaire tel qu’il s’est pratiqué ou a été vécu depuis quatre ou cinq siècles. Six ans de recherche pour l’auteur, Patrick Monier-Vinard, saint-cyrien, qui fut officier parachutiste et agent de la dgse, à fouiller récits, mémoires, correspondances, biographies, journaux de marche.. , pour y sélectionner ce qui se passe de curieux dans le rang et hors du rang afin de célébrer l’insolite militaire. Le résultat offre au lecteur un ouvrage pagnolesque, jouant de personnages étonnants, d’incongruités, de situations, de paroles cocasses, émouvantes aussi, qui se démarque radicalement d’une littérature militaire trop souvent hagiographique. On y voit le militaire sous bien d’autres jours que celui convenu des défilés du 14 Juillet, des brochures de papier glacé ou du récit courtelinesque. Ainsi ce chef d’escadron, recordman de France des blessures avec cinquante-deux coups de sabre ou de lance reçus en un même jour, ou le brigadier Popirol, puni quatre jours pour avoir présenté les armes à un évêque en imitant le cri du corbeau, ou encore ce général en quête de cartes topographiques répondant au marchand qui lui demande quelle carte particulière il souhaite : « Ne voyez-vous pas que je suis général ? Aussi donc, donnez-moi des cartes générales ! » Et puis ce projet inouï qui ne vit jamais le jour : la construction d’une centaine de montgolfières capables d’emmener dans leurs nacelles « un millier d’hommes avec des vivres pour quinze jours, cent pièces de canons avec leurs caissons, vingt-cinq chevaux ».

On regrettera l’absence d’un index. Une écriture joyeuse, alerte et fluide y pallie, qui articule quatre milliers d’anecdotes autour d’une thématique très serrée, laquelle permet au lecteur de visiter ce cabinet de curiosités militaires au gré de ses centres d’intérêt : par les vertus militaires (« De la modestie » ou « Du manque de modestie », « Du sens de l’honneur » ou « De l’honneur perdu »…), par les femmes (« irrésistibles » au point que des maréchaux plus ou moins séniles comme Canrobert, Bazaine et d’autres en viennent à s’amouracher de jeunettes au printemps épanoui), qu’elles soient soldats, femmes de soldats, amazones, de grande ou de petite vertu…, par les sports, par la religion ou encore par les arts et les lettres, là, le lecteur visitera Victor Hugo ou Courteline bien sûr, mais aussi Choderlos de Laclos et « ses garnisons dangereuses », Alphonse Allais, Sacha Guitry, Montherlant, Jacques Prévert, Aragon, ou le peintre Frédéric Bazille parmi d’autres artistes. De cet ouvrage, qui nous révèle la chair du militaire, comme de l’écriture chaleureuse de l’auteur transpirent de la tendresse et une sorte de philosophie : celle du vieux soldat qui ne s’en laisse pas conter et que l’authentique ravit.


Gerd Krumeich | L’Impossible Défaite