N°39 | Dire

Michel C. Kiener et Valérie Mazet
Nous étions des hommes malgré la guerre
1914-1919
La Crèche, Geste éditions, 2018
Michel C. Kiener et Valérie Mazet, Nous étions des hommes malgré la guerre, Geste éditions

Superbe ! Après plusieurs années de recherches dans tous les dépôts d’archives et grâce à la collecte de dizaines de témoignages écrits, Michel Kiener et Valérie Mazet nous proposent une approche régionale de la Grande Guerre absolument exemplaire. Ils s’intéressent à leur région, le Limousin, et donc aux régiments et aux poilus de la 12e région militaire (départements de la Haute-Vienne, de la Corrèze, de la Creuse, de la Charente et de la Dordogne), qui met sur pied lors de la mobilisation le 12e corps d’armée. Qu’il s’agisse des régiments d’active, engagés en Belgique dès le début de la campagne, ou de réserve, dirigés vers l’Artois, ils nous racontent tout. Les parcours très variés des unités et les engagements sont particulièrement détaillés, mais le cœur, et l’âme, de l’ouvrage réside dans les innombrables citations extraites des correspondances privées et des carnets de campagne des soldats. Tout s’y (re) découvre de ces régions essentiellement rurales où l’absence des hommes est durement ressentie. On y suit le renouvellement des cadres au fur et à mesure des pertes et on y mesure le poids des réorganisations quasi permanentes – « Les quelque soixante tués de Gentioux, dans la Creuse, sont morts dispersés entre près de quarante unités différentes ». Les sentiments individuels sont fouillés – « En milieu paysan et ouvrier comme dans les salons bourgeois, il faut “se faire honneur”, et la peur doit se cacher tout autant que les larmes » – et on en apprend beaucoup sur ces réservistes et conscrits qui, progressivement, constituent l’essentiel de l’encadrement de contact des bataillons. Les coups de main menés pendant les périodes « de calme » pour la recherche du renseignement ou pour maintenir l’esprit offensif sont décrits avec minutie, de même que les refus d’obéissance du printemps 1917. Finalement, « la masse des combattants » tient les lignes, mais aspire surtout à ce que le conflit cesse : « L’une des surprises de l’enquête fut de constater que les anciens combattants qui reviendront du front, du vrai, soldats et officiers, ne seront jamais que des survivants conscients de l’être. » Un chapitre entier est consacré à l’envoi du 12e ca en Italie après le désastre de Caporetto, sujet rarement traité, et un autre au sacrifice « du dernier quart d’heure » que les fantassins de la 134e division vont vivre autour de Reims à l’été 1918. Le repli progressif des Allemands ne les empêche pas de résister avec ardeur : dans la région de Vouziers, « au soir du 18 octobre [1918], le seul 63e a perdu dix-sept officiers et cinq cent dix hommes, avec pour commander ce qui reste du 3e bataillon deux sous-lieutenants ». Véritable travail d’historiens (tout est référencé, y compris l’iconographie, et la bibliographie est imposante), il s’agit par ailleurs d’un beau livre, imprimé sur un papier de qualité, dont le texte courant, agréable à lire, est ponctué d’illustrations très diverses et toujours adaptées, ainsi que de belles cartes, claires et expressives. Un ouvrage indispensable pour quiconque s’intéresse à l’histoire de la Grande Guerre.

PTE

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