Cet ouvrage regroupe les actes d’un colloque organisé par l’université de Lorraine en novembre 2012, et comble un vide historiographique important entre deux périodes où la captivité de guerre est mieux connue parce que faisant l’objet de plus de travaux : l’Antiquité suivie du Moyen Âge, et le xxe siècle. Les communications, présentées par des historiens européens, sont regroupées en trois thèmes : « Le prisonnier en discours et représentation », « Le droit et les statuts » et « Les conditions de captivité ». Elles permettent de mettre en valeur toute l’importance de l’époque moderne pour comprendre l’évolution de la captivité. Celle-ci passe alors du droit privé (le prisonnier appartient à son capteur) au droit public, alors même que l’État moderne se forme et s’approprie l’armée et son administration. Cette évolution se mesure à l’originalité des représentations nouvelles du captif (communication de Jérôme Delaplanche), non plus un homme barbu, les mains liées et soumis comme dans l’Antiquité, mais un homme nu et contorsionné tel que Michel-Ange l’a représenté le premier et en a fait un motif décoratif, largement repris par la suite, jusqu’à ce que le courant pacifiste de la fin du xviie siècle puis la Révolution répugnent à montrer l’humiliation du vaincu comme ornementation. Les penseurs, Grotius, Hobbes, von Pufendorf, de Vattel, entre autres, réfléchissent au sort des vaincus : rançon, échange, rachat, contrat entre le prisonnier et son capteur, prison sont successivement envisagés, mais c’est la volonté de faire preuve d’humanité qui émerge. La théorie n’est cependant pas immédiatement appliquée, les principes ne devenant des lois qu’avec la Révolution (communication d’Hugues Marquis).
Durant toute l’époque moderne, l’État cherche à réguler la captivité : les rançons se font de plus en plus rares, remplacées par des cartels qui sont « des traités d’échange et de rançon entre plusieurs parties belligérantes, dont la durée est toujours limitée et qui prennent fin avec la guerre » (communication de Sandrine Picaud-Monnerat). À la suite du premier traité d’échange, signé sous Louis XIV, les prisonniers sont parfois échangés d’homme à homme, sur leur parole de s’engager à ne pas combattre. Les traités d’échange réglementent le quotidien des captifs. Leur entretien est autofinancé, le pays capteur acceptant de faire des prêts. Les tarifs des rançons sont fixés, « cinq mille florins pour un lieutenant général […], quatre florins pour un soldat ». On ne peut forcer un prisonnier à se rallier à l’armée du pays capteur, mais il peut le faire volontairement ; contrairement aux blessés, chirurgiens et malades ne peuvent être captifs. L’État moderne, ce faisant, s’appuie sur des ordonnances royales préexistantes qui, à la fin du Moyen Âge, fixent des conventions déjà connues de tous, légiférant sur la capture du prisonnier et le partage de la rançon. D’ailleurs, le terme de prisonnier de guerre apparaît en français en 1420. Au Moyen Âge, le système de réciprocité est en vigueur et le prisonnier insolvable est tué. Le noble reconnaît qu’il est captif, promet de ne pas s’échapper et s’engage sur l’honneur à payer la rançon sous peine de « déshonnorement », c’est-à-dire de mort sociale (ces armes et son effigie sont retournées en place publique) (communication de Rémy Ambühl). Mais, dès la fin de l’époque médiévale, et plus encore à l’époque moderne, les armées sont de plus en plus constituées de non-nobles, si bien que des lettres de contrat, plus adaptées que la loi de l’honneur, se développent. Mais ces principes théoriques ne franchissent pas toujours le champ de bataille. Dans le feu des combats, les prisonniers de guerre sont tués, sauf s’ils sont de condition, l’État ne parvenant pas à imposer son contrôle sur le terrain dans ce domaine. C’est lorsqu’il n’y a plus de danger, la bataille étant terminée, que les prisonniers de guerre survivent (communication de Frédéric Chauviré) et sont gardés en vie, sauf si leur entretien et leur garde embarrassent trop l’armée. Depuis la fin du xvie siècle, l’État, en maîtrisant le statut du captif, montre ainsi sa clémence et sa force.
L’époque moderne marque également l’apparition de l’État-nation, ce qui modifie le regard porté sur le prisonnier : il est désormais un ennemi. Rousseau développe en effet l’idée qu’un soldat représente l’État, son pays, mais que lorsqu’il est battu, qu’il a déposé ses armes, reconnu sa défaite, donc lorsqu’il est un prisonnier, il redevient un homme. Il faut donc le retenir captif, mais pas le tuer. Cependant, durant sa captivité, le prisonnier est méprisé, dépouillé, déshumanisé parce que représentant le pays rival. Parallèlement, et probablement de manière connexe, même si la promesse de ne pas s’évader est observable jusqu’à la Grande Guerre, de plus en plus d’évasions conduisent à la captivité de guerre moderne, c’est-à-dire dans des camps (communication de David Rouanet). Les conditions de vie en captivité y sont particulièrement difficiles, ainsi que le montre la troisième partie de ce livre. Les prisonniers font face en se réfugiant dans la foi chrétienne (communication de Philippe Martin) ou en reconstruisant en captivité l’autorité à laquelle ils sont habitués, comme les prisonniers de guerre marins décrits par Youenn Le Prat. Ils restent des victimes en sursis, conclut Willem Frijhoff.
Enfin, l’époque moderne est celle où le droit international concernant les prisonniers de guerre s’organise. Des ordres religieux comme l’Ordre de la milice chrétienne, les Trinitaires ou les Mercédaires s’occupent des captifs. Des sanctuaires sont spécifiquement dédiés à la libération des prisonniers : Saint-Martial de Limoges, Saint-Nicolas-de-Port ou Notre-Dame de Liesse (communication de Bruno Maes). Au xviiie siècle, une manière plus intériorisée de vivre sa foi entraîne le déclin de ces ordres. Au xixe siècle, la protection des prisonniers de guerre est exercée par des sociétés de secours et par le Comité international de secours pour les prisonniers de guerre, aussi appelé Croix-Verte et distinct de la Croix-Rouge qui s’occupe des blessés et ne gère les prisonniers qu’à partir de 1912, ainsi que le décide la Conférence internationale de la Croix-Rouge à Washington. C’est en effet par le souci porté aux blessés que la captivité de guerre va peu à peu être réglementée : le droit de Genève, qui protège les victimes de guerre, est associé au droit de La Haye, qui « tente de limiter les moyens de nuire à l’ennemi et de rendre la guerre plus humaine ». En 1899, la Conférence de La Haye crée des bureaux de renseignements sur les prisonniers de guerre qui, pour la première fois, sont pris en charge indépendamment des blessés. En 1906, la Conférence de Genève organise l’envoi de la liste des prisonniers détenus et, en 1907, la Conférence de La Haye instaure la transmission des fiches concernant les prisonniers de guerre après la paix (communication de François Cochet).
Ces actes de colloque sont, on le voit, très variés dans les époques, les exemples traités, mais surtout très complets et très stimulants en ce qu’ils abordent l’évolution de l’essentiel des aspects concernant les prisonniers de guerre du Moyen Âge jusqu’au xxe siècle : les acteurs (les captifs, les capteurs privés puis de plus en plus les États, les organisations), le moment de la capture, les différentes gestions possibles du prisonnier, la vie du captif, les regards et les jugements qui leur sont portés. Enfin, ils ouvrent des pistes de recherche jusqu’à présent négligées ou peu abordées : le soldat n’est pas seul, il est suivi de sa famille sur le champ de bataille, que devient-elle ? Quels sont les moyens de financement des organisations qui s’occupent des prisonniers ? Quels sont les liens avec le pays d’origine ? Comment s’effectuent le retour et l’accueil ?... La conclusion lumineuse d’Olivier Chaline et les perspectives qu’il ouvre montrent que ce livre est à la fois une somme de connaissances et un point de départ pour continuer les recherches sur la captivité de guerre.