En France, l’extrême sensibilité du thème de la prostitution n’échappe à personne. Aux condamnations morales d’antan s’ajoutent, voire se substituent désormais, une exigence de respect de la personne humaine et un rejet des discriminations sexistes qui entraînent une condamnation sans appel de ce que l’on a longtemps dénommé « le plus vieux métier du monde », de son exercice, de son usage, a fortiori de son exploitation.
Les pratiques en la matière longtemps en usage dans nos armées, au mieux abordées comme relevant du folklore d’un temps révolu, n’échappent évidemment pas à cet opprobre. Le médecin et, je crois, l’humaniste que je suis, ne saurait s’inscrire à rebours. Mais il se trouve que, voici plus de quatre décennies, j’ai eu à connaître du sujet, non pas par ouï-dire, non pas par observation distanciée, mais par implication directe. Médecin capitaine au 2e régiment étranger de parachutistes (rep) de Calvi de 1970 à 1974, j’ai en effet eu à gérer médicalement, sous la direction de mon médecin-chef, une petite structure bien particulière et inconnue dans nos instructions réglementaires de médecins d’unité : le bordel militaire de campagne (bmc). Il n’est donc pas indifférent qu’aujourd’hui je livre mon témoignage. Je le ferai sur le mode clinique, sans considération d’ordre moral ou éthique. Cela ne signifie pas que je suis indifférent à ces dimensions, mais je souhaite ainsi apporter ma pierre à la connaissance d’une réalité historique dont on ne soupçonne peut-être pas qu’elle n’est pas très éloignée de nous. Mais il faut revenir sur l’origine des bmc dans nos forces armées pour comprendre la présence de celui du rep à Calvi.
- Historique des bmc
- Dans l’armée française
Loin de leurs familles et vivant dans l’angoisse de la mort, les soldats ont de tout temps constitué une manne pour les prostituées qui suivent les troupes. Cette situation s’est avérée particulièrement inquiétante au cours de la Grande Guerre, où la propagation des affections vénériennes est devenue exponentielle. Les médecins militaires, qui ont dénombré 20 à 30 % d’hommes atteints de syphilis, lancèrent l’alerte auprès des autorités. Des dispensaires ont été créés en 1915 pour juguler ce fléau, mais cela n’a pas suffi et c’est ainsi que durant le dernier semestre de la guerre, en 1918, l’état-major français, à l’initiative du général Mordacq, ancien officier de Légion et chef du cabinet militaire de Georges Clemenceau, conçut le concept des bordels militaires de campagne.
Ces maisons de tolérance existaient déjà au sein de l’armée d’Afrique depuis la conquête de l’Algérie. Elles accompagnaient la troupe, en particulier les unités de la Légion étrangère. Chaque unité avait ainsi sa petite section de charme. Le service de santé devait effectuer un examen médical sommaire des femmes et des « consommateurs ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, certaines troupes venues d’Afrique du Nord étaient accompagnées de leur bmc. Cette tradition s’était poursuivie et amplifiée pendant la guerre d’Indochine selon les mêmes modalités avec les femmes vietnamiennes, improprement appelées congaïs (côn gaï signifie banalement jeune fille, sans aucune connotation péjorative). Puis ce fut la guerre d’Algérie, où les bmc étaient sous la surveillance de l’autorité militaire et de la matrone ou riffa.
Parallèlement, dans les villes de garnison, se développaient des bordels souvent destinés essentiellement aux militaires. Je me rappelle à Hanoï un grand établissement de cette nature, d’une certaine classe. Ce bordel « haut de gamme » s’appelait La Madelon et était géré par la plus grande mère maquerelle du Tonkin, bien connue de tous, qui était en couple avec un ancien sous-officier de la Légion. Ils possédaient toute une chaîne de ce genre d’établissements. Vers l’âge de dix-onze ans, je m’étais lié avec un garçon eurasien qui était leur fils adoptif et nous jouions très naturellement au milieu des filles. Nous n’étions pas encore assez matures pour trouver ce commerce amoral et puis à l’époque, avec la guerre, c’était une chose courante, tolérée par la population.
Plus près de nous, qui peut imaginer aujourd’hui que, dans la bonne ville de Dijon du chanoine Kir, alors député-maire, le 5e régiment de tirailleurs marocains hébergeait son bmc au sein de la caserne Vaillant, et ce, jusqu’au début des années 1960 ? Les enfants de troupe d’Autun que nous étions, découvrant le fait à l’occasion d’un accueil dans ce quartier, s’amusaient du tirailleur en tenue de parade qui montait la garde devant le bâtiment pour en interdire l’accès, et de l’effectif rationnaire dûment et explicitement inscrit sur le tableau journalier de l’ordinaire…
- Origine du bmc du 2e rep
Le 2e bep, créé en 1948 à Sétif en Algérie et devenu 2e rep en 1955, possédait donc son bmc. En 1967, le régiment alors basé à Bousfer, près d’Oran, dernier lieu de cantonnement après l’indépendance de l’Algérie, déménage et s’installe définitivement à Calvi. Et est suivi par la mère maquerelle. La loi de fermeture des maisons closes en 1946, dite loi « Marthe Richard » – il y avait en France mille quatre cents bordels –, ne s’appliquait pas hors du territoire national et les bmc de nos anciens théâtres d’opérations extérieures continuaient de fonctionner, même après implantation en métropole. Celui du rep était appelé le « pouf » ou le « Centre culturel » ! Son existence était hors la loi, mais peut-être que le fait de sous-traiter cette affaire à une rabatteuse tranquillisait les autorités du régiment. Plus haut dans la hiérarchie, ou bien on ignorait cette existence, ou bien on fermait les yeux et on considérait que la Légion avait certaines particularités tolérables et que celle-là garantissait la paix dans la cité.
- Le bmc du 2e rep en 1970
Dès mon arrivée à Calvi en août 1970, mon médecin-chef, le médecin commandant Jean R., m’avait immédiatement mis au parfum. Cette information, avant toute autre recommandation, semblait disproportionnée au médecin capitaine frais émoulu que j’étais face aux pathologies que pouvaient rapporter des légionnaires parachutistes de retour d’une intervention éprouvante au Tchad. Mais j’ai vite compris l’importance de cette instruction lorsqu’il me relata son histoire. À son arrivée au rep un an auparavant, il avait été confronté à deux épidémies particulièrement graves et inquiétantes pour un régiment, d’autant plus que le rep était un régiment d’intervention de la 11e division parachutiste, que l’alerte Guépard pouvait faire intervenir outre-mer en moins de vingt-quatre heures. Le nombre des légionnaires atteints était effarant : quatre-vingts cas de syphilis et trente de tuberculose ! Il m’a relaté sa convocation, urgente, par la Direction régionale du service de santé de Marseille et le mauvais souvenir de la rude admonestation du médecin général, directeur de l’époque : « Vous savez certainement mon cher R. que les deux fléaux de la Légion sont l’alcool et la syphilis, alors tâchez d’y remédier, sinon… »
Homme de devoir et médecin de corps de troupe éprouvé, il avait mis au point une organisation draconienne pour éviter toute nouvelle épidémie. Pour ce qui est de la tuberculose, il avait réussi à convaincre les responsables du service de santé civil de Bastia d’envoyer régulièrement leur camion de radio-photos pulmonaires au régiment afin de surveiller l’ensemble du personnel, et de permettre le dépistage précoce d’une éventuelle infection et enrayer ainsi sa propagation. C’est pour cette raison que nous avions tous dans nos livrets de santé réglementaires une radio-photo de nos poumons renouvelée annuellement. Et en quatre ans, seul un ou deux cas furent détectés, et encore étaient-ils dus à une contamination extérieure au régiment.
Pour les maladies sexuellement transmissibles (mst), que l’on appelait à l’époque les maladies vénériennes, essentiellement la redoutable syphilis et la douloureuse blennorragie – le sida n’existait pas encore –, il avait instauré un plan rigoureux qu’il m’avait détaillé car il me revenait de m’occuper médicalement des femmes de cette petite unité spéciale : accueil, examen, suivi et surveillance avec éventuellement soins, en cas d’urgence uniquement. Mais voyons d’abord la composition et les conditions de vie de cette communauté féminine.
- Organisation et vie des pensionnaires du bmc
- Recrutement
En août 1970, était en place comme tenancière une femme d’âge mûr que tout le monde appelait Janine. D’après mes infirmiers, elle avait remplacé l’ancienne responsable qui n’était pas sérieuse et qui avait ouvert un bar-bordel concurrent en ville. Sous la responsabilité de Janine, étaient présentes en moyenne quatre jeunes femmes âgées de vingt à vingt-cinq ans, sauf une Algérienne dans la trentaine qui était connue pour avoir « servi » au Maghreb dans des régiments de Légion. Elles étaient choisies avec soin par Janine, qui s’occupait d’elles comme de pensionnaires. Le régiment n’intervenait que dans des conditions bien précises, dont la surveillance médicale qui était confiée à notre infirmerie.
- Lieu d’activités
Le pouf était hébergé dans une baraque Fillod1 mise à la disposition de Janine et de ses filles par le régiment. Située à la limite du camp Raffalli, elle était éloignée des quartiers des légionnaires et avait une indépendance totale quant aux entrées et sorties. Elle comprenait un bar assez vaste, prolongé par un couloir central où étaient disposées, de chaque côté, quatre ou cinq chambres et au fond les toilettes et les douches. Janine trônait derrière le comptoir, prenant les commandes et les réservations à l’arrivée des consommateurs. Le commandant en second et le major2 du régiment avaient en charge la gestion administrative de cette « section » (entretien et charges de la baraque) – bien entendu aucun personnel militaire n’y était affecté.
- Modalités de fonctionnement
En général, trois ou quatre filles étaient à leur poste, tandis que la quatrième ou la cinquième, suivant le recrutement, était en congé. Les légionnaires ne pouvaient fréquenter ce lieu qu’en dehors des heures et des charges de service, donc, en général après, 18 heures, et ce jusqu’à l’appel du soir. Ceux qui voulaient y passer la nuit devaient poser une permission de nuit. Ainsi les heures de « service » des pensionnaires s’inscrivaient dans le créneau 18-20 heures pour les passes et pouvaient inclure la nuit pour le seul partenaire qui l’avait réservée. Un programme rigoureux était institué pour fréquenter le lieu et chaque compagnie avait sa soirée réservée dans la semaine. C’était aussi un lieu de détente pour les hommes, qui n’étaient pas obligés de consommer, hormis la traditionnelle bière. Il est possible que les sous-officiers aient eu des rendez-vous privés en dehors de ces « heures de service », mais nous l’ignorions et c’était le seul accroc au règlement édicté pour la prévention des affections vénériennes ; heureusement aucun cas n’a été diagnostiqué pendant mon séjour. Les filles étaient libres le reste de la journée – je n’ai jamais entendu une seule plainte de leur part concernant leur liberté ou leur charge de travail ; l’infirmerie étant un peu leur havre de paix et de sécurité, j’étais un confident potentiel et occasionnel.
- Rémunérations
Un système de jetons était mis en place : au prix de sept francs l’unité, il en fallait trois pour une passe et neuf pour une nuit. Un chiffre divisible par trois, car un tiers de cette somme revenait à Tante Janine, un tiers à la fille et un tiers était consacré aux frais d’entretien et aux charges du bâtiment.
- Mesures sanitaires
Le médecin-commandant Jean R. avait mis en place des mesures prophylactiques draconiennes qu’il fallait appliquer rigoureusement aux filles du bmc. Ces règles étaient la condition sine qua non pour l’admission puis pour le maintien au bmc.
- Conditions à l’admission des pensionnaires
Tante Janine avait reçu toutes les consignes et connaissait toutes les conditions d’admission d’une nouvelle pensionnaire : l’âge (entre vingt et trente ans) ; la possession d’un certificat d’un médecin stipulant l’absence de grossesse, de signes cliniques d’un mauvais état de santé ou d’affection vénérienne ; celle des résultats d’une radiographie pulmonaire indemne de toute image suspecte et d’un examen biologique sanguin sans anomalie, d’un Bordet-Wassermann négatif pour la syphilis, d’un frottis vaginal sain. J’étais chargé de vérifier l’identité de la candidate et les résultats des examens obligatoires, puis de l’examiner pour éliminer toute nouvelle pathologie. La future pensionnaire ne pouvait commencer à exercer qu’une semaine après avoir reçu une injection intramusculaire d’une ampoule de 2,4 millions d’Extencilline que l’infirmier lui administrait – l’Extencilline est de la pénicilline-retard, seul antibiotique efficace sur le tréponème de la syphilis.
- Mesures préventives générales pour les clients et les filles
L’existence d’un registre détenu par l’infirmerie était primordiale pour surveiller l’état sanitaire des hommes et des filles du bmc afin d’éviter toute affection vénérienne et juguler une possible épidémie. Ce registre comportait tous les renseignements concernant l’activité du bmc : identité et renseignements des légionnaires clients, nom de la fille et nombre de jetons utilisés. Il contenait aussi une liste d’individus consignés et interdits de bmc en raison d’une affection incompatible avec des relations sexuelles ou de la découverte d’une pathologie suspecte à l’inspection avant ces relations.
Ce livre était sous la responsabilité d’un caporal infirmier de garde qui était assis à l’entrée du couloir menant aux chambres et notait rigoureusement toutes les rubriques concernées. Il avait également pour mission l’examen des organes sexuels des clients ; tout aspect suspect lui donnait le droit de refuser l’acte projeté et de signifier à l’intéressé son inscription sur la liste avec l’obligation d’une consultation le lendemain à l’infirmerie.
Le registre était contrôlé quotidiennement par les médecins de l’infirmerie qui prenaient immédiatement les mesures qui s’imposaient en cas d’observation pathologique. Grâce aux renseignements qui y étaient inscrits, si une mst était diagnostiquée, on pouvait remonter immédiatement à la « source » et réagir afin de soigner les personnes atteintes et d’éviter la propagation. Il n’y a pas eu un seul cas dû à la fréquentation du pouf pendant les quatre ans de mon séjour au rep. Les deux ou trois que nous avons eus à traiter étaient des contaminations extérieures dont les sources étaient variées – rencontres au cours de permissions, fréquentation d’autres établissements clandestins, et en particulier celui du centre-ville de Calvi, pourtant fortement déconseillé aux légionnaires…
- Les mesures prophylactiques pour les filles
Les mesures prophylactiques pour les filles étaient particulièrement sévères : administration préventive tous les quinze jours par voie intramusculaire d’Extencilline et visite systématique tous les mois au dispensaire d’hygiène sociale de Bastia pour examen gynécologique, analyse bactériologique du frottis vaginal, du Bordet-Wassermann pour la syphilis et prise de sang pour détecter d’autres pathologies. Aucune n’a eu de résultats défavorables à la poursuite de son activité. Ces dispositions étaient suivies à la lettre et aucune ne pouvait s’en dispenser ; aucune n’émit de critique ou de réclamation, car toutes étaient conscientes de l’utilité et de la sécurité de cette prévention. Bizarrement, l’emploi des préservatifs n’était pas obligatoire, bien que recommandé.
- Résultats
Comme je l’ai signalé plus haut, avec l’application de cette prophylaxie qui a été suivie rigoureusement, nous n’avons eu aucun cas de mst pendant les quatre ans de l’étude. Il faut noter que l’existence du bmc était acceptée, ou du moins tolérée, par les autorités et par la population, et qu’ainsi rien n’est venu perturber son fonctionnement pendant ces années. Depuis leur création, les bmc étaient considérés comme bénéfiques au moral des troupes ; on estimait également qu’ils contribuaient à éviter d’éventuelles exactions après les durs engagements ou entraînements, ou après une longue abstinence, et à limiter les débordements en ville en temps de paix.
Personnellement, à l’époque, j’étais dans cet état d’esprit. Le bmc du 2e rep dont m’incombait la responsabilité sanitaire semblait fonctionner à la satisfaction générale. C’était vrai au plan administratif comme médical. Quant aux pensionnaires, elles appréciaient le sérieux de leur prise en charge, et se sentaient en sécurité dans ce milieu militaire, avec des partenaires jeunes – la moyenne d’âge des légionnaires parachutistes était de vingt-trois ans – et en excellent état de santé – le résultat d’un entraînement physique particulièrement dur. Aucune ne m’a jamais fait part de conditions qui n’auraient pas été volontairement acceptées et je n’ai jamais entendu parler de séquestration ou de punition, comme le racontera plus tard l’une d’elles. Une autre m’avait confié qu’elle avait accepté ce poste pour avoir de la tranquillité et peut-être un peu d’économies pour s’occuper de son jeune enfant gardé par ses parents à Marseille. Par ailleurs, il y avait un roulement de pensionnaires et leur renouvellement se faisait régulièrement. En quatre ans, j’ai ainsi vu partir trois à quatre d’entre elles, remplacées assez rapidement par l’entremise de Janine.
Bien entendu, ces pratiques contraires aux bonnes mœurs et que la morale réprouvait sont à rapporter au contexte de l’armée d’Afrique en général et de la Légion étrangère en particulier. Et si elles étaient suivies de mesures préventives draconiennes comme celles que nous avons appliquées au 2e rep, elles étaient considérées comme bénéfiques, et pour nos légionnaires et pour les pensionnaires. Mais cet état de fait verra sa fin quelques années plus tard à la suite d’une enquête judiciaire sur un vaste réseau de prostitution de la région de Marseille.
- La fin du bmc de Calvi
L’affaire débute en 1976 avec l’arrestation de Jean-François Marchetti, ancien du gang des Lyonnais, soupçonné de diriger un vaste réseau de prostitution s’étendant de Marseille jusqu’en Belgique. C’est le juge d’instruction Pierre Michel qui découvrit l’existence du bmc de Calvi en janvier 1977 de la bouche d’une ancienne du pouf qui avait accepté de témoigner contre Marchetti. Elle a relaté que celui-ci lui avait infligé une « terrible punition » : l’envoi dans le bordel d’un régiment de la Légion où elle avait vécu « un véritable calvaire : quatre-vingts passes par jour avec interdiction de sortir du camp gardé par des légionnaires en armes » ! Le juge Michel mettra en cause le colonel et le médecin-chef du régiment, car l’existence du registre avec tous ses détails et celle des jetons étaient pour lui une preuve indubitable de proxénétisme. Mais ils ne furent entendus que comme témoins par le juge, qui comprit l’utilité dudit registre. C’est ainsi que le pouf du 2e rep fut définitivement fermé en avril 1978. Marchetti écopera de plusieurs années de prison et Tante Janine de six mois avec sursis. Le juge Michel fut assassiné en 1981 par la pègre à Marseille.
- Conclusion
Mes quatre ans à Calvi m’ont permis, à côté de ma mission de médecin de corps de troupe, de vivre une expérience singulière : la prise en charge médicale d’un bordel militaire. En relatant cette expérience près d’un demi-siècle plus tard, dans un monde qui a profondément changé, je ne peux manquer d’être frappé par un contraste saisissant. Le jeune médecin que j’étais à l’époque s’est acquitté de sa mission avec le sentiment du devoir accompli, sans jamais se départir de l’opinion générale qui considérait cette institution comme « globalement positive » ; d’ailleurs, rien dans l’attitude des pensionnaires ni dans celle à leur égard des hommes du régiment, cadres et légionnaires, ne me donnait à penser que ces femmes auraient fait l’objet d’un traitement indigne. Aujourd’hui, comment ne pas s’interroger ? Et, pour ce qui me concerne, rester sur ce point d’interrogation ? Je voudrais pour finir exprimer toute ma reconnaissance à Jean R., le médecin-chef, qui a guidé mes premiers pas de médecin de corps de troupe.