N°35 | Le soldat et la mort

Jean-Yves Le Naour
1918
L’Étrange Victoire
Paris, Perrin, 2016
Jean-Yves  Le Naour, 1918, Perrin

L’Étrange Victoire rappelle à juste titre L’Étrange Défaite de Marc Bloch. Car le risque a été grand pour la France, durant le premier semestre 1918, de se retrouver dans la situation de défaite totale que va connaître l’Allemagne quelques mois plus tard. En effet, la paix de Brest-Litovsk signée au début de l’année libère un million de soldats du front est qui vont rejoindre le front français. Clemenceau est de plus en plus contesté, voire l’objet d’une tentative de renversement par les socialistes. L’Angleterre, assez indifférente au retour de L’Alsace-Lorraine dans le giron français, est lasse et souhaite la paix. Paris est sous le feu des bombes, en particulier de la grosse Bertha. Pétain et Haig exaltent leur ego et ne veulent pas du commandement suprême de Foch, condition pourtant indispensable, ce dont les Allemands profitent largement. Les divisions allemandes ont gardé leur réputation d’invincibilité et sont plus nombreuses que les divisions alliées qui, de plus, hésitent à se venir mutuellement en aide pour protéger Paris ou les ports de la Manche. Entre mars et mai 1918, une succession de succès allemands rapides conduit le gouvernement français à envisager son déménagement dans le Sud. Pétain est plus défaitiste que jamais. Le chemin des Dames a été pris en quelques heures. Clemenceau, malgré son courage et sa détermination, s’inquiète vraiment. Les Américains, qui commencent à débarquer, ne sont pas encore très aguerris. Bref, la défaite française et anglaise se profile. Soudain, le 18 juillet, une résistance française inattendue conduit Foch à revenir à une attitude offensive qui bloque l’avancée allemande. Ludendorff, qui n’a plus de réserves, recule pour la première fois depuis un an. Le destin bascule alors. Les tanks Renault surprennent les Allemands qui fuient devant eux. Entre juillet et novembre, l’inquiétude a changé de camp. L’Autriche vacille. L’armée d’Orient, avec Franchet d’Esperey, remporte succès sur succès après l’échec des Dardanelles. Des dissensions graves éclatent en Allemagne, elles vont conduire à des émeutes révolutionnaires et à l’abdication tardive de Guillaume II, qui s’enfuit en Hollande. L’armée allemande reflue vers l’Allemagne en bon ordre et défile à Berlin, bien loin de l’image d’une armée défaite. L’idée du « coup de poignard dans le dos » et, déjà, de la responsabilité des Juifs commence à faire son chemin. À la limite, les Allemands sont plus préoccupés par le désordre intérieur que par la signature de l’Armistice qui passe presque inaperçue le 11 novembre à 11 heures. Cet ouvrage se lit avec passion, comme un thriller. Le lecteur connaît bien sûr la fin, mais frémit à l’idée qu’elle avait toutes les raisons d’être tout autre. Garder en mémoire que cette victoire aurait pu être une défaite fait partie de la réflexion nécessaire. En particulier l’importance à la fois d’un Clemenceau, d’un Foch et d’une unité nationale. Un livre indispensable à la connaissance de la Grande Guerre.


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