N°35 | Le soldat et la mort

Pierre Briant
Alexandre
Exégèse des lieux communs
Paris, Gallimard, 2016
Pierre Briant, Alexandre, Gallimard

Si plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages ont été publiées depuis l’Antiquité sur l’un des plus grands héros de l’histoire, le livre de Pierre Briant se distingue par son ampleur et les résonances, la modernité, qu’il évoque. Un inventaire impressionnant des références à Alexandre à toutes les époques et dans (presque) tous les lieux : « Créé dans l’Athènes du Ve siècle dans la suite des victoires de Marathon et de Salamine, le stéréotype culturel de la supériorité d’un petit peuple libre sur un immense empire peuplé d’esclaves était aisé à introduire et à adapter à toutes les situations où Est et Ouest se sont affrontés, et d’abord les victoires d’Alexandre. » En sept grands chapitres (le dernier nous conduit d’Alexandre en Bactriane au général Petraeus en Afghanistan, rien de moins), nous retrouvons, ou découvrons, Alexandre dans l’imaginaire européen jusqu’au xixe siècle, dans les représentations des princes et rois qui utilisent son image, mais aussi dans le monde ottoman et en Perse, jusqu’en Inde et au Mali, puisque l’un des manuscrits de Tombouctou semble faire directement référence au roi de Macédoine. Les thématiques de la colonisation et de la médiatisation sont au cœur des chapitres 3 et 4, avec quelques rapprochements osés, qu’il s’agisse d’une sorte de filiation entre Alexandre et Lyautey au Maroc, ou même avec le groupe de heavy metal Iron Maiden, qui « fut le premier en 1986 à consacrer un morceau à Alexandre (Alexander the Great) dans un album intitulé Somewhere in Time ». Un long paragraphe est consacré à l’ouvrage de Benoist-Méchin dans la série « Le rêve le plus long », Alexandre le Grand, ou le rêve dépassé, dont on sait que les aspects romanesques dépassent souvent le respect de la vérité historique. Le chapitre 5 s’intéresse aux représentations d’Alexandre par les grands auteurs, de Montesquieu au xxe siècle, avec une analyse critique de leurs œuvres, et le chapitre 6 pose curieusement la question de « Juger Alexandre ? », au nom d’une conception particulière de la colonisation et des questions raciales. J’avoue atteindre ici les limites de l’exercice, car traiter de l’Antiquité à partir des concepts culturels et des idées sociales du xxie siècle me semble peu adapté. Après tout, le nombre de victimes lors des conquêtes d’Alexandre ne semble pas pouvoir être précisé sur les bases des sources antiques, il ne fut ni le premier ni le dernier à raser des villes et à réduire des populations en esclavage, et il serait intéressant de comparer ses pertes (en pourcentage au moins) à celles d’autres conflits proches. Bref, invoquer les mânes d’Alexandre pour critiquer ou applaudir telle ou telle décision actuelle me semble relativement hors de propos. S’il est parfois « urticant », le volume est indiscutablement passionnant, parce qu’il retrace le parcours d’une véritable légende quasi planétaire dans le temps (très) long, dans ses évolutions, dans ses échos politiques, culturels et sociaux. Un ouvrage étonnant car une telle approche, parfois iconoclaste, est intellectuellement à la fois originale et stimulante, même si l’on n’est pas toujours en accord avec l’auteur.

PTE

Le Soldat et la Mort dans la G... | Isabelle Homer et Emmanuel Pénicaut (sd)
Jean-Yves Le Naour | 1918