Après plusieurs décennies de négation des réalités et des enjeux frontaliers au nom d’un mouvement économique de fond supposé aplatir le relief de la planète et faire du démantèlement des barrières douanières l’objectif final des pratiques de libéralisation, il est désormais fréquent, par une curieuse inversion, d’évoquer un « retour » des frontières. Comme si elles avaient disparu sous l’effet de la mondialisation, comme si, donc, la dimension économique de la marche du monde était devenue la seule raison d’être de nos sociétés, le seul moteur de l’histoire. Et l’expérience au sein de l’Union européenne (ue), faite de libre circulation interne et d’incertitudes sur la gestion des barrières vers l’extérieur, pouvait nourrir cette illusion. Loin d’avoir disparu, les frontières politiques sont restées des éléments actuels et importants du système international dans lequel l’Europe présente un complexe géopolitique original.
- Les faits frontaliers dans le monde contemporain
Sur la base d’une liste recensant une centaine de cas observés ces derniers mois, on mesure d’abord la gravité et la variété des enjeux. Commençons par les plus tragiques : les naufrages mortels en Méditerranée, au large des côtes libyennes en avril et en mai 2015 et aux abords de l’île italienne de Lampedusa en octobre 2013 ; les flux de réfugiés chassés de Syrie vers la Jordanie, le Liban et la Turquie ; les déplacés des zones de l’est ukrainien, depuis 2013, traversé d’une ligne de front conçue par les séparatistes comme une future frontière. Dans les situations dramatiques actuelles, les crises politiques provoquent la fin de tout contrôle des frontières dans les pays de départ ou de transit, mise à profit de manière criminelle par les trafiquants. Ligne marquant la souveraineté, la frontière devrait être le lieu de l’exercice de fonctions régaliennes de base. La question n’est pas celle des tracés frontaliers en tant que tels, mais celle des capacités ou non des États à exercer leurs missions de souveraineté. La souveraineté n’attribue pas à la « frontière » une fonction de barrière mais d’interface où sécurité et liberté sont assurées, en coordination avec les voisins et les riverains, du moins dans les États démocratiques.
On relève une quinzaine de cas de « durcissement » des barrières et des pratiques visant à freiner les flux migratoires, des États-Unis (face au Mexique) à la Chine (face à la Corée du Nord), en passant par l’Australie (face à l’Indonésie), l’Inde (face au Bangladesh), Israël (face aux Érythréens) et l’Union européenne (face aux migrants issus des pays du Sahel, et des États en crise d’Afrique et d’Orient).
On recensera également les déclarations appelant à une modification des tracés, comme celles des dirigeants albanais rêvant d’une Grande Albanie après avoir été soutenus par les Occidentaux contre un projet nationaliste grand serbe, ou celles des radicaux salafistes de Daech qui veulent bâtir un califat en effaçant la limite entre l’Irak et la Syrie au prétexte qu’elle serait d’origine exogène.
Sur un registre moins dramatique, on relève la multiplication des tensions sur les limites maritimes en Asie orientale, entre la Chine et ses voisins (Corée, Philippines, Vietnam), avec des arguments historiques qui divergent des principes du droit international de la mer. Nombre de différends terrestres demeurent, par exemple entre l’Inde, le Pakistan et la Chine. On notera à l’inverse, dans la dernière période de douze mois, qu’une trentaine de règlements maritimes ou terrestres ont été conclus, notamment par le recours aux arbitrages de la Cour internationale de justice. Et les accords de coopération transfrontalière se multiplient (Afrique de l’Ouest et de l’Est, Europe).
Il est possible d’identifier des tendances générales qui animent la scène frontalière.
La première s’exprime comme une réaffirmation des frontières internationales, terrestres et maritimes, dans un monde d’États souverains. Elle peut passer par des voies légales (un arrêté de la Cour internationale de justice de La Haye, un traité bilatéral entre États contigus, une directive européenne), quelles permettent la poursuite des opérations de délimitation sur la carte et de démarcation sur le terrain. C’est, par exemple, l’objectif du programme frontières de la division paix et sécurité de la Commission de l’Union africaine, qui encourage les États à régler leurs frontières, à les rendre localement visibles pour faciliter ensuite les échanges en devenant des interfaces efficaces. La réaffirmation de frontières peut emprunter des voies recourant à l’emploi de technologies censées élever le niveau, ou du moins la perception, de sécurité. La scène frontalière est devenue un marché rentable pour les industries de la sécurité (États-Unis, Israël).
La deuxième tendance s’exprime par les enjeux de l’exercice des fonctions régaliennes de base dans des États affaiblis ou dotés de vastes territoires et de longues enveloppes frontalières (au Mali, plus de deux millions de kilomètres carrés pour une longueur frontalière supérieure à sept mille deux cents kilomètres) ou encore contestés par les populations des marges. Il s’agit alors d’exercer le contrôle des enveloppes et des périphéries, d’assurer la sécurité et la protection des ressortissants du pays, et de permettre la circulation des personnes et des biens.
Résultante des deux mouvements précédents, il est frappant de constater un processus de territorialisation des océans1, que ce soit autour de l’océan Glacial Arctique, dans les zones économiques exclusives riches en hydrocarbures ou en ressources halieutiques, ou encore dans les secteurs (détroits, littoraux, voies internationales de passage commercial) présentant des intérêts stratégiques. Les compagnies d’exploration pétrolière et gazière incitent les États à régler leurs limites maritimes (avec le précédent de la mer du Nord, puis de la mer de Barents, du golfe Arabo-Persique et du golfe de Guinée).
On observe également la persistance de tensions sous l’effet de multiples facteurs : menaces transfrontalières au Moyen-Orient et en Afrique, violation de frontières agréées (Europe), héritages de 1945-1953 (péninsule Coréenne). Souvent, ces crises graves dénotent une volonté de remise en cause des statu quo au nom de « droits historiques » (Crimée, Ukraine orientale rebaptisée « Nouvelle Russie », mer de Chine méridionale, Cachemire) qui ne coïncident pas avec les principes du droit international.
Enfin, les analyses contemporaines ont mis l’accent sur une catégorie particulière de frontières qui sont regroupées sous le vocable de « murs ». Une analyse géographique rigoureuse indique que ces configurations concernent 3 % à 4 % seulement du total des frontières terrestres. Mais elles en sont venues à symboliser les réalités frontalières. Le plus ancien de ces murs matérialise la division politique de la péninsule Coréenne (depuis 1953). Les plus récents obéissent à des pratiques de contrôle des migrations entre pays du Nord et pays du Sud (États-Unis, Europe) ou entre pays très densément peuplés (Inde et Bangladesh). Et entre ces deux périodes, des édifications à finalité stratégique (Sahara occidental, Cachemire, Israël/Palestine et, pour une part, Chypre). Le cas de l’Irlande du Nord fait exception, car il ne sépare pas deux entités étatiques mais des quartiers d’une grande ville et il perdure alors qu’un accord de paix a été signé. Le nom en témoigne cruellement : Peacelines.
Les cas de bornage sont plus nombreux que les seuls murs. La notion générique de mur s’étend en effet aux clôtures de sécurité dont on fait grand cas car elles sont paradoxales, illégales et souvent photogéniques, même si elles ne sont pas très nombreuses. L’observation géographique rigoureuse des terrains traités ici n’autorise pas de généralisation et permet de chiffrer la grande variété des configurations de bornage linéaire à environ sept mille trois cents kilomètres. Ce qui frappe est également le contraste entre le caractère limité des longueurs concernées à l’échelle de la planète (pour les « murs et clôtures » au sens strict, entre 3 % et 4 % du total des enveloppes frontalières terrestres) et la place qu’elles occupent dans l’imaginaire collectif. Forte portée symbolique à l’heure de la doxa du « sans frontières ».
Ce qui choque ? Qu’il s’agisse d’une décision unilatérale, prise le plus souvent par des États démocratiques voulant montrer à leurs électeurs qu’ils sont actifs sur la scène frontalière, alors qu’en réalité ils contrôlent bien peu de choses ; le seul effet de ces murs est d’accentuer le coût et les risques des contournements. Murs et clôtures font figure de « contre-modèle » à l’échec de la séparation stratégique et idéologique prévalant en Europe jusqu’en 1989-1991. Régressions et avancées, fermetures et ouvertures balisent, selon des modalités géographiques différentes, la scène frontalière. La limite entre les États-Unis et le Mexique est en même temps la plus traversée du monde et l’une des plus patrouillées. La dialectique du cloisonnement et de l’ouverture est à l’œuvre sur la longue durée : du front à la frontière (ou l’inverse en cas de crise), de la ligne de souveraineté à l’interface, de la clôture aux voies de passage. Loin d’être une barrière, la frontière contemporaine est d’abord un ensemble linéaire de points de franchissement. Et quand des obstacles surgissent, des stratégies de contournement, plus ou moins coûteuses, sont employées.
- Le complexe géopolitique européen
Dans ce tour d’horizon planétaire, l’Union européenne offre une situation géopolitique unique où se combinent quatre réalités frontalières distinctes. Elle a mis en œuvre le dispositif le plus avancé de libre circulation intérieure, en vertu de l’accord de Schengen. Elle est mise au défi de formuler une stratégie de gestion de ses limites externes au sud du fait de pressions migratoires structurelles. Et elle doit en même temps gérer les remises en cause des tracés issus de la transition géopolitique de 1989-1992 et de la restauration nationale grand-russienne de 2013-2014 sans que la question des limites ultimes de l’Europe instituée sous la forme juridique de l’Union européenne n’ait été tranchée.
L’accord (1985) et la convention (1990) de Schengen ont édifié un espace unique de circulation pour les ressortissants des vingt-six États signataires, soit plus de quatre cents millions d’habitants sur quatre millions trois cent mille kilomètres carrés. Les flux légaux d’origine externe concernent à leur tour plus de quatre cents millions de personnes (et mille sept cents points d’entrée).
Au sud de l’ue, la question des limites ultimes de l’Union a été close avec le refus opposé à la demande d’adhésion formulée en 1987 par le roi du Maroc, Hassan II. La situation d’Israël, qui participe à une série de programmes européens, notamment dans la recherche, a été parfois évoquée. Or l’intensité des flux commerciaux et financiers est aussi forte entre l’ue et les pays de la rive méridionale de la mer Méditerranée qu’avec ceux de l’Europe orientale. La mer commune n’est devenue une frontière qu’en raison de circonstances historiques2. Limite liquide et civilisationnelle qui n’entrave en rien les échanges et les flux.
Au sud s’impose le fait migratoire, durablement, avec une problématique qui rappelle celle de l’interface entre les États-Unis et l’Amérique latine. Même si la limite institutionnelle est nette, le degré d’interaction est fort, accentué par la dissymétrie des niveaux de vie. Il est souvent surprenant de constater que les firmes européennes ont préféré des implantations lointaines, en Asie orientale par exemple, à des investissements dans leur « étranger proche ». La problématique migratoire – comment maîtriser l’immigration par une politique intelligente de mobilité – se double d’un impératif stratégique dès lors que les deux tiers des crises les plus graves de la planète se concentrent dans un rayon de trois à six heures de vol de Bruxelles (Sahel, Libye, Égypte, Proche et Moyen-Orient).
La question des limites de l’Europe instituée se pose sur les confins orientaux. Elle est cruciale pour les citoyens d’un ensemble fondé sur des valeurs démocratiques. Comment se sentir membre d’une communauté politique légitime si le périmètre d’action n’est ni stable ni connu ni même assumé ? Comment mener une politique étrangère cohérente si la limite entre le dehors – où elle devrait s’exercer – et le dedans – où elle est conçue – est fuyante ? L’extension continue de l’ue semble tenir lieu de politique extérieure, la seule qui vaille sans doute puisqu’elle continue de produire des résultats tangibles et reconnus. Car le défi des marges interpelle le centre européen : « Penser l’Europe, c’est comme dessiner une carte : on commence par les contours. C’est aux confins de l’Europe qu’il y a de la tension : c’est là que la main tremble, c’est là qu’on se corrige tout le temps », confie le poète biélorusse Adam Globus3.
Il existe une limite institutionnelle de fait entre les États membres et les autres, eux-mêmes partagés entre les pays candidats à l’adhésion et ceux qui ne le sont pas. Kiev recevait en 2013 encore cinquante-cinq fois moins d’assistance financière que Varsovie4. La première limite de l’Europe instituée est donc bien de nature institutionnelle, distinguant nettement membres et prétendants. Pour l’ue, le critère géographique s’efface derrière celui des valeurs. La base juridique d’une adhésion est l’article 49 du Traité de l’Union européenne : « Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 25 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union. » La combinaison de valeurs (démocratie, droits), d’ancrage historique et de volonté d’adhésion suffit. L’Alliance atlantique joue également un rôle structurant, du fait de la règle de la double adhésion (sauf dans le cas des six États neutres : l’Irlande, la Suède, la Finlande, l’Autriche, Malte et la Suisse).
La deuxième limite est d’ordre géopolitique. Faute de délimitation naturelle évidente sur son versant oriental, la question récurrente des « frontières ultimes » de l’ue est constitutive de son identité : l’indétermination est une chance, car il revient aux Européens de décider politiquement de leur géographie. À l’est du continent, la politique de l’Union n’est pas dans sa géographie mais l’inverse. C’est le cas dans l’isthme Baltique-mer Noire, où une bifurcation géopolitique majeure s’est produite depuis le printemps 2014, qui a dévalué les approches non binaires. La guerre de seconde indépendance, menée par les autorités élues de Kiev contre les ingérences croissantes du Kremlin et de ses supplétifs de l’oblast de Donetsk, est en effet un conflit de limites entre l’ue (de laquelle la nation ukrainienne entend se rapprocher) et la Fédération de Russie. C’est la première fois dans l’histoire territoriale de la construction européenne que son extension (dès le niveau premier de la conclusion d’un accord d’association) est combattue et finalement acquise par les armes. Les guerres yougoslaves ne procédaient pas en ligne directe d’un scénario d’intégration européenne, même si cette perspective avait accéléré les déclarations d’indépendance, mal préparées, des deux républiques du nord (Slovénie et Croatie) pour faire pièce au révisionnisme des nationalistes serbes.
En outre, avant le printemps 2014, cette question ne trouvait pas de réponse claire en raison des divergences de vue entre les États membres ainsi qu’entre Washington et Moscou. Chacun des acteurs avait ses propres intérêts et ses propres représentations. Pour Washington, l’Europe instituée devait englober, à la fin du processus d’extension, l’ensemble des États du Conseil de l’Europe (Turquie incluse) sauf la Russie, et coïncider avec une Alliance atlantique étendue (complétée de liens ad hoc avec les États neutres). Vision partagée par les sociaux-démocrates et récusée par les chrétiens-démocrates – mouvance dominante du Parlement européen – en raison de leur réticence à l’égard de l’adhésion turque. On retrouve là l’héritage intellectuel de deux lignes présentes dès 1950 dans le projet européen : d’un côté faire coopérer tous ceux qui le souhaitent dans un grand marché (Jean Monnet), de l’autre, rassembler ceux qui se ressemblent (Robert Schuman et une Europe carolingienne élargie).
Même débat, plus vif, sur la question de l’articulation à imaginer avec la Fédération de Russie. Les uns veulent exclure la Russie de « l’Europe » au nom de son passé impérial et de son régime autoritaire, et prônent une logique de contention et de refoulement. Les autres proposent de l’associer au système européen sur la base d’intérêts économiques réciproques et de l’ancienneté des échanges culturels. Pour les premiers, les crises ukrainiennes sont une aubaine et l’otan va renforcer sa présence militaire permanente à Szczecin (Pologne). Pour les autres, la politique du Kremlin met à mal le pari d’une interdépendance mutuelle et susceptible, par l’ouverture, de susciter un début de transformation de la société russe.
Mais réfléchir aux limites de l’ue, c’est choisir entre plusieurs options dans l’interaction avec la Russie, en sachant que la politique actuelle du Kremlin rend les options coopératives impraticables. Comme le remarquait l’ancien dissident et président tchèque Vaclav Havel, « dans l’Histoire, la Russie s’est étendue et rétractée. La plupart des conflits trouvent leur origine dans des querelles de frontières et dans la conquête ou la perte de territoire. Le jour où nous conviendrons dans le calme où se termine l’Union européenne et où commence la Fédération russe, la moitié de la tension entre les deux disparaîtra ». Et le calme a disparu dès lors que s’est imposée une doctrine géopolitique de sphères d’influence exclusive.
Vu de Moscou, l’élargissement de l’ue, surtout quand il est associé à celui de l’Alliance atlantique, est vécu comme une stratégie visant à exclure la Russie de territoires où ses dirigeants estiment avoir des intérêts nationaux : l’Ukraine en premier lieu, mais aussi la Moldavie, les États du Caucase et le Belarus. Le Kremlin nourrit un complexe obsidional débouchant sur une conception extensive de l’intérêt stratégique, doublée d’une volonté de se réaffirmer sur la scène internationale et d’une hésitation à s’intégrer à l’économie mondiale. Dans leur vision du monde, les élites russes entretiennent, dans le premier cercle de leurs intérêts, des relations passionnelles avec l’Ukraine.
Bronislaw Geremek, historien et homme politique polonais, pointait la dimension du rêve dans l’action politique, alliée à un réalisme historique éprouvé : « Il n’y a pas de raison d’avoir peur. Le rêve joue un rôle très important en politique car il organise l’imagination et donne du sens à l’action. Dans le rêve européen, il y a l’intégration économique mais aussi l’ouverture à l’Est, y compris aux républiques européennes de l’ex-Union soviétique. La frontière orientale de l’Europe n’a été tracée ni par l’histoire ni par la géographie ni par la culture : c’est une frontière à l’américaine, une frontière mouvante et qui l’a toujours été. Il faut que la Russie l’accepte ; une frontière n’est pas un mur, une barrière hermétique entre deux civilisations. Mais il faut aussi que nous-mêmes soyons réalistes : la Russie est quelque chose d’autre. La Russie est un empire6. »
Concluons en prenant appui sur la longue durée des historiens. S’interrogeant sur les effets historiques de l’incertitude territoriale se rapportant au mot Europe, seul continent dont la géographie ne soit pas clairement identifiable, Robert Frank propose la réponse suivante : « L’Europe est le seul continent vraiment capable de se construire une identité, précisément parce que sa délimitation n’est pas donnée une fois pour toutes par la nature. Le fait que sa définition identitaire soit une question ouverte, le produit qui n’est pas à son terme, est un avantage : cette incertitude, créatrice de dynamique territoriale, est à la base de la dialectique unitaire entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors. […] Pour la première fois de son histoire, le temps est venu pour l’Europe de définir clairement, au moins pour le temps d’une pause stabilisatrice, la géographie de sa construction politique7. »
1 Voir J. Drisch, « Territorialisation des mers et des océans : entre mythes et réalités », p. 129.
2 Ce n’était pas le cas lors de la période coloniale, peu propice à l’unité européenne.
3 Adam Globus, entretien à Minsk au café Aquarium avec Alexandre Mirlesse in En attendant l’Europe (Éditions La Contre Allée/Lille 3000, 2009).
4 Minsk a reçu deux cent mille euros seulement en 2013 dans le cadre d’un programme de soutien à la société civile. Là encore, la différence de traitement entre la Pologne et le Belarus, au plan politique et institutionnel, est criante, au terme d’une mise au ban du régime de Minsk que le conflit en Ukraine devrait conduire à reconsidérer.
5 L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que du respect des droits de l’homme, y compris de ceux des personnes appartenant aux minorités.
6 L’Historien et le Politique, entretiens recueillis par Juan Carlos Vidal (Éditions Noir sur blanc, 1999). Lire également le dialogue entre Bronislaw Geremek et l’auteur sur « Les frontières de l’Europe » ayant eu lieu à Varsovie le 5 février 1992 et publié dans Questions et entretiens d’Europe (Fondation Robert Schuman, juillet 2008).
7 « Les débats sur l’élargissement de l’Europe avant l’élargissement », Penser les frontières de l’Europe du xixe au xxie siècle. Élargissement et union : approches historiques, sous la direction de Gilles Pécout (Éditions ens/Presses universitaires de France, 2004).
After several decades of denying the realities and issues incumbent in frontiers in the name of an economic movement that was supposed to level the world and make the demolition of customs barriers the final objective of liberalisation, it is now commonplace, by a curious inversion, to speak of a “return” of frontiers. As if they had disappeared under the impact of globalisation, as if the economic dimension of the world market had become the sole raison d’être of our societies, the only driver of history. The experience within the European Union (eu), with its free internal circulation and uncertainties over the management of outside barriers, could nourish this illusion. Far from having disappeared, political frontiers have remained current and important aspects of the international system, within which Europe offers the case of an original geopolitical complex.
- Current border realities
Based on a list of some hundred cases observed over the last few months, the severity and variety of the issues can first be measured. Let us start with the most tragic cases: the deadly Mediterranean shipwrecks off the coast of Libya in April and May 2015 and on the shores of the Italian island of Lampedusa in October 2013; the flow of refugees fleeing from Syria towards Jordan, Libya and Turkey; the displaced people from eastern Ukraine which, since 2013, has been bisected by a military front line conceived by the separatists as a future frontier. In these current dramatic situations, political crises lead to the loss of all border control in the countries of departure and transit and this loss of control which traffickers use to their advantage. As a line that demarcates sovereignty, a frontier should be the place where basic national sovereign functions are exercised. The issue is not that of delineating frontiers as such, but that of the capacity of states to exercise their role and carry out their duties of sovereignty. Sovereignty, at least in democratic states, does not mean that the “frontier” operates as a barrier, but as an interface, where security and freedom are ensured, in coordination with neighbours and inhabitants.
There are a few cases of “hardening” of barriers and practices aimed at curbing the flow of migration, from the United States (with regard to Mexico) to China (with regard to North Korea), as well as Australia (with regard to Indonesia), India (with regard to Bangladesh), Israel (with regard to Eritreans) and the European Union (with regard to migrants from the countries of the Sahel and crisis-stricken states of Africa and the Middle East).
There are also calls for changes to be made to some borders, such as from the Albanian leaders dreaming of a Greater Albania after having been supported by the West against a Serbian nationalist campaign; or from the radical Salafists of ISIL, who want to build a caliphate by erasing the border between Iraq and Syria, on the pretext that it is of external origin.
Less dramatic but also noteworthy is the multiplication of tensions along the maritime borders in eastern Asia, between China and its neighbours (Korea, the Philippines, Vietnam), based on historical arguments that diverge from the principles of international maritime law. Numerous land disputes still exist, for example between India, Pakistan and China. On the other hand, it should be noted that in the last twelve months, thirty maritime and land settlements have been reached, in particular through the arbitration of the International Court of Justice. Cross-border cooperation agreements are also on the rise (West and East Africa, Europe).
Some general trends in current border issues can be identified.
The first is a reaffirmation of international borders, both land and sea, between sovereign states. This reaffirmation may go through legal channels (e.g., a ruling of the International Court of Justice in The Hague, a bilateral treaty between contiguous states, a European directive, etc.). Legal declarations enable the processes of boundary delimitation on the map and demarcation on the ground. This is, for example, the objective of the border programme run by the Peace and Security Department of the African Union Commission. This programme encourages states to adjust their frontiers and to make them locally visible, in order thereafter to facilitate interactions by becoming effective interfaces. Alternatively, reaffirmation can rely on techniques intended to raise the level, or at least the perception, of security. Border issues have provided a profitable market for the security industry (United States, Israel).
This second path is expressed through the challenges faced in exercising basic national sovereign functions, by states that are weakened or that encompass large territories and have long borders (in Mali, for example, which covers more than two million square kilometres with a frontier exceeding 7,200 kilometres) or whose borders are still contested by local populations. The challenge is to exercise control over the encompassed land and its perimeters, to ensure the safety and protection of the country’s nationals and at the same time to allow the movement of persons and goods.
As a result of these two approaches, it is striking to see the process of territorialisation of the oceans, whether in the Arctic ocean, in exclusive economic zones rich in hydrocarbons or in fishery resources; or in areas of strategic interest (straits, coastlines, international commercial routes and crossings). Oil and gas exploration companies push states to clarify their maritime boundaries (initially with the precedent of the North Sea, then in the Barents Sea, the Arabian Gulf and the Gulf of Guinea).
Persisting tensions influenced by multiple factors can also be seen: cross-border threats in the Middle East and in Africa, sanctioned border violations (Europe), legacy issues from 1945-1953 (Korean peninsula). Often, these serious conflicts indicate a desire to challenge the status quo, in the name of “historical rights” that do not coincide with the principles of international law (the Crimea; eastern Ukraine, renamed “New Russia”; the South China Sea; Kashmir).
Finally, contemporary analyses have concentrated on a particular category of borders which are regrouped under the term of “walls” “. A rigorous geographical analysis indicates that these configurations comprise only 3% to 4% of total land borders, but they have come to symbolise border zone realities. The oldest of these walls defines the political division of the Korean peninsula (since 1953). The most recent follow common practices for the control of migration between countries of the North and of the South (U.S., Europe) or between very densely-populated countries (India and Bangladesh). Between these two periods, strategically-designed constructions arose (Western Sahara, Kashmir, Israel/Palestine and, in part, Cyprus). The case of Northern Ireland is an exception because it does not separate two state entities, but neighbourhoods of a large city, and it persists even though a peace agreement has been signed. The name cruelly reflects this: Peacelines.
Cases of boundary fencing is more numerous than walls alone. The generic concept of the wall in fact extends to security fences, much publicised because they are paradoxical, illegal and often photogenic, even if not very numerous. The rigorous geographical observation of lands covered here prevents generalisation and assesses the wide variety of linear boundary fencing configurations at approximately 7,300 kilometres. There is a striking contrast between the limited border lengths concerned when considered globally (“walls and fences” in the strict sense make up between 3 and 4% of the total length of land borders) and the place they occupy in the collective imagination. They are strongly symbolic at this time of the doxa of the “borderless world”.
Why do they shock? Even if it is a unilateral decision (taken most often by democratic states wanting to show their electorate that they are active on border issues, whereas in reality they have very little control), the only effect of these walls is to emphasise their cost and the risks of circumvention. Walls and fences act as “counter-models” to the failure of the strategic and ideological separation that prevailed in Europe until 1989-1991. Border issues involve contractions and expansions, conspicuous closures and openings, depending on different geographic conditions. The border between the United States and Mexico is both the most crossed border in the world and one of the most patrolled. The dialectic between compartmentalisation and openness will continue over the long term: from military front line to frontier (or the reverse in the case of conflicts), from limit of sovereignty to interface, from enclosure to passageway. Far from being a barrier, the modern frontier is primarily a linear set of crossing points; and when obstacles arise, more or less costly bypass strategies are employed.
- The European geopolitical complex
In this tour of the globe, the European Union offers a unique geopolitical situation within which four distinct border realities are combined. Under the Schengen Agreement, the eu has implemented the most advanced measures of free internal movement. It is put to the challenge of formulating a strategy for the management of its external boundaries to the south, due to structural migratory pressures. At the same time, it must manage issues raised by the borderlines drawn by the geopolitical transition of 1989-1992 and the nationalist restoration of Greater Russia of 2013-2014, without the question of the ultimate boundaries of Europe, under the legal form of the European Union, having been resolved.
The Schengen Agreement (1985) and the Schengen Convention (1990) have built a unique circulation space for the citizens of the 26 signatory states: more than 400,000,000 inhabitants over 4,300,000 square kilometres. In turn, legal flows of external origin concern more than 400,000,000 people (and 1,700 entry points).
To the south, the question of the ultimate boundaries of the EU has been closed by the King of Morocco, Hassan II’s refusal of the 1987 invitation to join. The status of Israel, which is participating in a series of European programmes, particularly in research, has sometimes been raised. Trade and financial flows are as strong between the EU and the countries of the southern shore of the Mediterranean as they are with those of eastern Europe. The shared sea only became a frontier due to historical circumstances1. It is a liquid boundary between civilisations which in no way impedes exchange.
To the south, migration is a lasting issue, reminiscent of the problems raised by the interface between the United States and Latin America. Even if the institutional boundary is clear, the level of interaction is high, accentuated by the imbalance between the standards of living. It is often surprising that European firms have preferred distant overseas bases, in eastern Asia for example, rather than investing in closer foreign countries. The migration issue—how to control immigration through an intelligent mobility policy—is compounded by a strategic imperative, since two-thirds of the most serious conflicts of the planet are concentrated in a radius of three to six hours’ flight from Brussels (the Sahel, Libya, Egypt, the Near and Middle East).
The question of the established boundaries of Europe is raised on the eastern borders, and it is crucial for the citizens of an entity based on democratic values. How is it possible to feel like a member of a legitimate political community if the perimeter of action is neither stable nor known, or even accepted? How is it possible to conduct a coherent foreign policy if the boundary between the outside—where it should be exercised—and the inside—where it is devised—is elusive? Continuing expansion of the eu seems to serve as its external policy, no doubt the only policy worth following, since it continues to produce tangible, recognised results. Because the margins challenge the European centre: “Imagining Europe is like drawing a map: you begin with the contours,” the Belarusian poet Adam Globus confides. “It is at the borders of Europe that there is tension: that is where hands tremble, where we have to rectify things all the time.”2
There is a de facto institutional boundary between member and non-member states, the latter themselves split between countries that are candidates to join and those that are not. In 2013, Kiev was still receiving fifty-five times less financial assistance than Warsaw3. The first boundary of an established Europe is therefore absolutely of an institutional nature, distinguishing clearly between members and candidates. For the eu, the geographical criterion fades away behind that of values. The legal basis of membership is Article 49 of the Treaty Establishing a Constitution for Europe (the Lisbon Treaty): “Any European State which respects the values referred to in Article 24 and is committed to promoting them may apply to become a member of the Union.” The combination of values (democracy and human rights), of historic roots and the desire to join is sufficient. nato also plays a structuring role, through the principle of dual membership (except in the case of six neutral states: Ireland, Sweden, Finland, Austria, Malta and Switzerland).
The second boundary is of a geopolitical nature. In the absence of any obvious natural delimitation to the east, the recurring question of the “ultimate borders” of the eu is an inherent part of its identity: their very indeterminacy is an advantage, because it is up to the Europeans to decide politically on their geography. To the east of the continent, the policy of the eu is based not on its geography but the opposite. This is the case in the Baltic-Black Sea isthmus, where a major geopolitical bifurcation has occurred since the spring 2014, devaluing non-binary approaches. Ukraine’s second war of independence, conducted by the elected authorities of Kiev against the growing interference from the Kremlin and its auxiliaries from the Donetsk Oblast, is indeed a boundary conflict between the eu (which the Ukrainian nation intends to come closer to) and the Russian Federation. This is the first time in the territorial history of the European construction that its expansion (from the point of conclusion of an association agreement) has been fought for and ultimately acquired through armed conflict. The Yugoslav wars were not the direct result of the question of European integration, even if that prospect accelerated the ill-prepared declarations of independence of the two northern republics (Slovenia and Croatia) to counter the revisionism of the Serbian nationalists.
In addition, prior to the spring of 2014, there was no clear answer to that question, because of disagreements between the member states as well as between Washington and Moscow. Each of the actors had its own interests and notions. For Washington, established Europe should encompass, at the end of the expansion process, all of the states of the Council of Europe (Turkey included) except Russia, and should coincide with an extended nato (supplemented by ad hoc links with the neutral states). This vision is shared by the Social Democrats but challenged by the Christian Democrats—dominant party of the European Parliament—because of their reluctance over Turkish admission. Here can be seen the intellectual legacy of two opposing lines, already present in the European project in 1950: one side seeking to encourage all those who wish it to cooperate in a single large market (Jean Monnet); the other seeking to bring together birds of a feather (Robert Schuman and an enlarged Carolingian Europe).
The same debate rages, more intensely, on the issue of the form the relationship with the Russian Federation should take. Some want to exclude Russia from “Europe” based on its imperial past and its authoritarian regime, and advocate a logic of containment and rejection. Others propose its association with the European system on the basis of economic interests and the long history of cultural exchange. For the former, the Ukrainian crises are a windfall, and nato will strengthen its permanent military presence in Szczecin (Poland). For the latter, the Kremlin’s policy threatens the hope of a mutual interdependence that, through openness, would be capable of launching the beginning of a transformation of Russian society.
But to think about the boundaries of the eu is to choose between several options for the interaction with Russia, knowing that the Kremlin’s current policy makes the options of cooperation impracticable. As noted by the former dissident and Czech President Vaclav Havel, “Historically, Russia has expanded and contracted. Most of the conflicts have their origin in border disputes and in the conquest or loss of territory. The day we all agree calmly where the European Union ends and where the Russian Federation begins, half of the tension between the two will disappear.” The calm disappeared from the moment a geopolitical doctrine of exclusive spheres of influence was established.
From Moscow’s point of view, the expansion of the eu, especially when it is associated with that of nato, is felt to be a strategy designed to exclude Russia from territories where its leaders feel they have national interests: primarily the Ukraine, but also Moldavia and the states of the Caucasus and Belarus. The Kremlin is cultivating a siege mentality, which leads to a strategic policy of expansion, coupled with a desire to reaffirm its position internationally and a reluctance to join the world economy. In their vision of the world, one of the highest priorities of the Russian elite is to maintain their passionate relationship with Ukraine.
Bronislaw Geremek, Polish historian and politician, highlighted the importance of the dream in political action, combined with an informed historical realism: “There is no reason to be afraid. The dream plays a very important role in politics because it shapes the imagination and gives meaning to action. The European dream includes economic integration but also incorporates opening up to the East, including to the European republics of the former Soviet Union. The eastern border of Europe has not been drawn, either by history, by geography or by culture: it is a us-style border, a shifting frontier, and it always has been. Russia must accept this: a border is not a wall, a watertight barrier between two civilisations. But we too must also be realistic: Russia is something else. Russia is an empire.”5
Let us base our conclusions using the “longue durée” approach of historians. Examining the historical effects of the territorial uncertainty associated with the word “Europe”—the only continent whose geography is not clearly identifiable—Robert Frank proposes the following response: “Europe is the only continent really capable of building an identity, precisely because its delimitation is not conclusively defined by nature. The fact that its identity remains undefined, a growth process that has not yet reached maturity, is an advantage: this uncertainty, generator of territorial dynamics, is at the origin of the unitary dialectic between those who are inside and those who are outside. [...] For the first time in its history, the time has come for Europe to clearly define, at least for the duration of a stabilising pause, the geography of its political construction.”
1 This was not the case during the colonial period, which was not conducive to European unity.
2 Adam Globus, interview in Minsk at the Aquarium café, with Alexandre Mirlesse in En attendant l’Europe
(Waiting for Europe). (Editions La Contre Allée/Lille 3000, 2009).
3 Minsk received only 200,000 A in 2013, in the framework of a Support to Civil Society programme. Again, the difference in treatment between Poland and Belarus, at policy and institutional level, is glaring, following an exclusion of the regime in Minsk which the conflict in Ukraine should bring back into question.
4 The Union is founded on the values of respect for human dignity, freedom, democracy, equality, the rule of law and the respect of human rights, including those of persons belonging to minorities.
5 L’Historien et le Politique (The Historian and the Politician), interviews collected by Juan Carlos Vidal (Editions Noir sur blanc, 1999). See also the discussion between Bronislaw Geremek and the author on “Les frontières de l’Europe” (Europe’s Borders), held in Warsaw on 5 February 1992, and published in Questions et entretiens d’Europe (Questions and interviews on Europe) (Fondation Robert Schuman, July 2008).