N°29 | Résister

William March
Compagnie K
Paris, Gallmeister, 2013
William March, Compagnie K, Gallmeister

Sur la Première Guerre mondiale la littérature est abondante. Beaucoup de ces ouvrages sont des chefs-d’œuvre. Qu’apporte de plus ce roman ? William March tente ce qui à ma connaissance ne l’a jamais été : donner la voix à une compagnie de fantassins dans son entier. Il ne s’agit pas d’un ensemble de témoignages choisis à l’exemple de Stephen E. Ambrose dans Band of Brothers ou de Cornelius Ryan dans Le Jour le plus long ; il ne compile pas des entretiens auprès de différents acteurs : tous les membres de la Compagnie K s’expriment, du soldat au capitaine. Une centaine de courts chapitres qui portent le nom de chacun des membres de la compagnie.

William March choisit de varier les points de vue, mais pas de parler d’un même événement. Ils s’enchaînent avec le temps. Ils sont isolés ou se font écho. Le temps passe avec les paroles des soldats. Il est impossible d’extraire un témoignage, car ils sont tous liés par l’histoire même de la Compagnie K, de son entraînement à l’Armistice en passant par Bois Belleau. On entend aussi bien les vivants que les morts. Plusieurs chapitres sont consacrés aux derniers instants de ces hommes. On va de l’absurde au grotesque en passant par le tragique, le drôle ou encore le révoltant. March n’est pas un historien et d’ailleurs l’histoire est peu présente dans ce livre, à l’exception de quelques noms demeurés célèbres comme Bois Belleau ou Saint-Mihiel. Il ne triture pas la langue comme ont pu le faire d’autres auteurs pour exprimer l’indicible. Il ne cherche pas non plus à exalter. March se fait le secrétaire de chacun d’entre eux en respectant leur point de vue singulier. Le lecteur, lui, suit la Compagnie K à travers chacun d’entre eux dans leur candeur, leur cruauté et parfois leur lâcheté. Certains chapitres sont saisissants et constituent de véritables « micro » nouvelles. Celui consacré au Soldat Inconnu est peut-être le plus beau. March arrive à ne pas tomber dans un effet « patchwork » où se juxtaposeraient des témoignages disparates. Au contraire, une unité émerge, comme dans un tableau pointilliste où il suffit de faire un petit pas en arrière pour ne plus voir des points mais un paysage. Chaque point est une expérience singulière et un sentiment qui lui est attaché. La conclusion est poignante. L’ouvrage ne s’achève pas avec la guerre mais donne la parole aux membres de la compagnie qui sont rentrés. Chaque chapitre est alors empli d’amertume tantôt cruelle, tantôt désespérée. La véritable génération perdue n’est pas celle qui pouvait se permettre de faire la fête à Paris, mais bien celle qui est demeurée au pays.

Compagnie K est un livre magnifique qui évite les pièges d’une littérature soit à charge, soit à décharge sur la guerre. En donnant la parole à chacun, March reconstitue un tableau effrayant de ce premier conflit mondial en le confrontant à l’humanité des personnages de la compagnie K.


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