N°28 | L'ennemi

Bruno Cabanes
Août 14
La France entre en guerre
Paris, Gallimard, 2014
Bruno Cabanes, Août 14, Gallimard

Avec son Août 14. La France entre en guerre, Bruno Cabanes, un de nos jeunes et très solides universitaires, est peut-être moins original que dans sa Victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats français publiée il y a maintenant dix ans au Seuil. Mais, en mettant ses pas dans les pas des grands anciens, en explorant au plus large les témoignages et les archives, il redresse bien des erreurs ou des légendes et, surtout, modifie notre angle de vision. Assurément, rappelle-t-il sous une forme très « écrite » et aussi dense qu’élégante, il ne faut pas oublier cette irruption inouïe de la guerre chez des millions de Français qui partirent pour le front avec la certitude d’un conflit court et d’une guerre juste. Ce fut « à égale distance de la consternation et de l’enthousiasme, amalgamant en quelque sorte la résignation et le sens du devoir », comme l’a jadis superbement démontré Jean-Jacques Becker. Oui, nous dit Bruno Cabanes, il faut connaître et commémorer ce moment inaugural avec ses incertitudes croissantes et ses communiqués fanfarons, l’offensive qui échoue, la retraite sans débandade, le coup d’œil de Joffre mais aussi celui de Gallieni face à von Kluck, le « miracle » de la Marne à partir du 6 septembre, la course à la mer et dès l’automne les premières tranchées. Et pourtant, la vraie force de son livre est de savoir nous dire : attention, ces premières semaines furent de loin les plus meurtrières du conflit – vingt-sept mille tués le 22 août, comme vient de le rappeler Jean-Michel Steg dans Le Jour le plus meurtrier de l’histoire de France (Fayard) – et, à ce terrible titre, elles furent annonciatrices de la guerre totale qui s’ensuivra, par leur révélation de la puissance déchaînée du feu, leur passage ultra-rapide et si paniquant à la guerre totale, de la logistique ferroviaire impeccable aux formes inédites de la mort pour temps nouveaux. Elles dévoilent déjà ce pourquoi face auquel, dira le lieutenant Charles de Gaulle, « toute la vertu du monde ne prévaut point » ; ce qui ravagera désormais le souvenir des morts tout en stupéfiant toujours un peu plus les survivants et les familles. Merci à Bruno Cabanes de nous avoir fait sentir l’importance de ces semaines de terrible baptême du feu moderne dans une société dite moderne et qui va se retrouver décivilisée et même barbare.


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