N°26 | Le patriotisme

Frédérique Neau-Dufour
La Première Guerre de Charles de Gaulle, 1914‑1918
Paris, Tallandier, 2013
Frédérique Neau-Dufour, La Première Guerre de Charles de Gaulle, 1914‑1918, Tallandier

Agrégée et docteur en histoire, Frédérique Neau-Dufour a été en charge de La Boisserie et responsable de la mise en place du Mémorial de Gaulle à Colombey-les-deux-Églises. Déjà auteure de plusieurs ouvrages sur la famille de Gaulle, et ses femmes en particulier, elle était toute désignée pour rédiger cette « tranche de biographie », car « la Première Guerre mondiale demeurait un sujet marginal dans l’ensemble des études gaulliennes ».

À partir de nombreuses sources encore inexploitées, en particulier des correspondances et des archives familiales, mais aussi les archives des camps de prisonniers où le capitaine de Gaulle fut détenu, elle retrace l’ensemble du parcours de celui-ci pendant la Grande Guerre. Ce récit nous entraîne de la 12e compagnie du 33e ri sur la Meuse en août 1914 à la Pologne de 1920, où une puissante mission militaire française contribue au « miracle de la Vistule ». À partir des correspondances évoquées, du journal de marche de l’unité, du carnet personnel du lieutenant puis capitaine de Gaulle, elle traite dans le détail des opérations de 1914 et de 1915 auxquelles participe le futur chef de la France libre, mais avec les limites inhérentes à cette vision « par le bas » : aussi prémonitoires que puissent être ses réflexions, un jeune lieutenant est relativement mal placé pour élaborer une théorie de la guerre à l’échelon d’un théâtre d’opérations. Même de Gaulle ! Certaines observations d’un jour ne sont plus valables la semaine suivante, tandis que d’autres se révèleront pertinentes. C’est le lot commun de très nombreux carnets et journaux personnels.

En fait, comme beaucoup de ses contemporains, de Gaulle reproche à Joffre de ne pas lancer d’offensive plus puissante encore et imagine que le but de la France serait « de rejoindre les troupes russes à travers l’Allemagne ». Sa prise de conscience de la guerre de position, le 15 novembre 1914, n’a rien de particulièrement précoce ou original par rapport à beaucoup d’autres officiers et généraux. Après Mesnil-lès-Hurlus en 1915, déjà blessé deux fois au feu, il arrive en 1916 dans le secteur de Verdun. Frédérique Neau-Dufour signale à très juste titre les réserves qu’il faut avoir à l’égard des critiques des antigaullistes forcenés relatives à cet épisode, et rappelle la nécessité de croiser les sources et témoignages. Elle nous présente aussi un de Gaulle ignoré, qui « sait se montrer de bonne compagnie avec ses camarades », « bon vivant, sociable, sachant s’amuser », loin de l’image austère et parfois glaciale du futur chef de corps à Metz par exemple. L’épisode de Verdun fait bien sûr l’objet de deux chapitres en tant que tels, qui décrivent par le menu les circonstances dans lesquelles il est fait prisonnier. À nouveau, Frédérique Neau-Dufour n’hésite pas à confronter les sources et donne des combats une présentation tout à fait crédible.

La deuxième grande partie de l’ouvrage s’attache donc à l’expérience vécue dans les camps de prisonniers, aux tentatives successives et infructueuses d’évasion, au régime de détention (de plus en plus contraignant) et aux personnages que croise de Gaulle, aux activités des officiers prisonniers (dont le tennis et l’escrime) et aux longues heures de lecture ainsi qu’aux exposés et conférences qu’il prépare pour ses camarades. Constatons néanmoins que lorsqu’en 1915 « de Gaulle énonce une loi, celle de l’économie des forces », il n’y a toujours pas là quoi que ce soit d’original et que cette référence est non seulement admise mais prônée par la quasi-totalité des chefs militaires et des officiers. L’ouvrage se termine sur la libération de De Gaulle et une rapide évocation de sa participation à la mission militaire française en Pologne, annonciatrice d’une « guerre de trente ans » souvent évoquée depuis.

Un bel ensemble de notes et références, une chronologie, quelques cartes, une solide bibliographie et un index terminent ce volume très intéressant. L’auteure est visiblement en empathie avec son sujet, mais elle livre ici un ouvrage passionnant qui replace la vie du fondateur de la Ve République dans son temps long, décrit une page très peu connue de son histoire et fait prendre conscience d’un certain nombre d’éléments marquants. Un livre à lire.

PTE

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