« Ouaouh ! » Est-il possible de commencer une analyse critique d’un ouvrage dans la revue Inflexions par cette onomatopée ? Pourtant, c’est bien cette exclamation qui vient naturellement aux lèvres lorsqu’on aborde pour la première fois cet Histoire et Dictionnaire de la gendarmerie. D’abord parce qu’arriver à concilier dans un même livre un dictionnaire et une partie très littéraire est assez original, ensuite parce que s’essayer à dresser un panorama lisible d’une institution comme la gendarmerie est source d’inquiétude pour qui possède un minimum de connaissances en histoire militaire ou politique françaises. L’inquiétude ne porte pas tant sur la qualité de la prestation que sur l’éventualité d’une langue de bois administrative et bienveillante à l’égard de l’institution, dame au cuir pourtant suffisamment tanné pour qu’on puisse porter sur elle à la fois un regard attendri et une critique réelle.
Cette exclamation première traduit bien l’intérêt et l’inquiétude. Première ouverture de l’ouvrage, au hasard : « Petit-Clamart (attentat du) » ; « Tiens, ils y étaient ? », me souffle à l’oreille un camarade. De quel côté ? se demande-t-on aussitôt. L’article renvoie en fait à un autre article, celui décrivant la carrière de l’adjudant-chef Francis Marroux, ce gendarme qui a sauvé la vie au général de Gaulle et à sa femme, en sortant la ds qu’il conduisait en dehors du champ de tir des comploteurs jusqu’au terrain de Villacoublay, malgré deux pneus crevés. Voilà le ton donné pour le dictionnaire de trois cent onze entrées. L’histoire qui fait découvrir des acteurs anonymes. Forcément cela attire et pousse à parcourir un peu plus : chevaux, hélicoptère, Juvaquatre, étendard, Ouvéa… Justement Ouvéa : à quel panégyrique se livre-t-on dans cette entrée de deux bonnes pages ? Panégyrique ? Mais non, une présentation sobre des faits, de la polémique qui a suivi après la mort du chef des indépendantistes et surtout la conclusion judiciaire. Car n’oublions pas que cet ouvrage est écrit en grande partie par des gendarmes (dix-neuf auteurs sur trente). La loi, la référence réglementaire sont toujours sous-jacentes, voire citées comme dans l’article portant sur les « instances de représentation et de participation (irp) » ou celui sur « l’intelligence économique », ou encore celui sur le « barrage routier ». Après Ouvéa, on pense forcément au gign, que l’on cherche désespérément comme entrée dans le dictionnaire, mais que l’on retrouve à « Irlandais de Vincennes (affaire de) », mais aussi dans la partie historique (pp. 91-92). Les parties sombres de l’Arme ne sont évitées ni dans cette première partie ni dans le dictionnaire. « Paillotes (affaires des) », occupation, épuration, collaboration se mélangent à des narrations ou des images plus classiques de la gendarmerie comme le « taconnet » qui est préféré au « chapeau de gendarme » lorsque l’on veut doter les officiers de l’eogn d’un uniforme de prestige.
La partie historique est très classique dans sa forme. Elle balaie toute l’histoire de l’Arme en profitant des travaux menés par le service historique de la gendarmerie, la Société nationale de l’histoire et du patrimoine de la gendarmerie, et l’université de Paris-Sorbonne. Nous avons donc le fruit d’un riche travail universitaire, du solide. Dans la deuxième partie, la continuité entre la maréchaussée et la gendarmerie dans l’utilisation des techniques de police scientifique, des unités spéciales d’intervention est bien soulignée. Les sauveteurs ne sont pas oubliés. Les crises de l’institution de 1989 et 2001 ne sont pas éludées. Les derniers thèmes abordés par la troisième partie sont en revanche plus novateurs : « Des pieds nickelés à l’enquête corse », après un chapitre consacré à « La figure du gendarme au miroir des formes littéraires », « Les gendarmes dans le septième art » nous permet de retrouver Les Gendarmes de Saint-Tropez, mais aussi des films des années 1930 plus ou moins tombés dans l’oubli, avant d’aborder L’Assaut ou L’Ordre et la Morale qui retracent plus récemment une partie de la vie du gign. Une Femme d’honneur sert d’accroche au chapitre « Les gendarmes du petit écran », qui souligne comment la gendarmerie utilise cette série au profit de son image. Jean-Noël Luc, le coordonnateur de la partie historique, et Hélène de Champchesnel, coauteure de ce dernier chapitre, soulignent qu’aucune autre série ne met en scène des gendarmes. Les producteurs préfèrent en effet utiliser le thème de la police qui permet « de se placer sur le terrain des omniprésentes séries américaines, où les enquêteurs sont toujours des civils ».
Même si le lecteur averti aimerait plus de détails encore dans la partie historique, notamment sur les relations entre la gendarmerie et l’armée de terre, plus d’entrées dans le dictionnaire, plus d’analyse sur le devoir de réserve, il est indéniable que cette initiative, indépendante de la hiérarchie de la gendarmerie, représente un excellent travail. Du fond qui laisse espérer une expression des gendarmes dans la revue Inflexions. Du fond qui se lit soit en picorant, soit en étudiant. Un document à conseiller et à offrir à tous, surtout aux plus jeunes. Le « Ouaouh ! » initial inquiet se transforme en « Ouaouh » admiratif devant le résultat de ce travail. Voilà du bel ouvrage à donner en exemple aux autres armées.