Docteur en littérature comparée, France Marie Frémeaux affirme dans son introduction qu’elle ne livre pas là une « étude académique mais un essai littéraire ». Elle constate que ces écrivains « forment d’abord une génération », qu’ils se connaissent et « vivent dans un monde encore homogène ». Et puis s’imposent à eux le souci de l’écriture, la participation à un nouveau genre littéraire, la volonté de rédiger un ouvrage dont ils espèrent qu’il marquera, de construire une œuvre comme on entreprend un voyage : il s’agit peut-être bien d’un « voyage aux Enfers ».
Disons-le immédiatement, l’érudition de France Marie Frémeaux est impressionnante. Elle rédige avec talent, dans un style très agréable. Les quatre cent cinquante écrivains combattants recensés tombés pendant la Grande Guerre ne peuvent matériellement pas être traités dans ce volume et elle a la bonne idée de ne pas reproduire un énième dictionnaire biographique. Elle adopte un plan original qui lui permet de se distinguer des productions existantes et de multiplier les références différentes et les citations, tout en donnant à l’occasion de chaque chapitre un coup de projecteur sur un nouveau grand auteur. Ainsi, la première partie (« Vers la guerre : les trois coups du brigadier et les cloches qui sonnent ») permet de traiter plus particulièrement de Guillaume Apollinaire, de Jean Giraudoux et de Pierre Mac Orlan. Mais elle évoque également, à la suite, une ou deux thématiques particulières, parfois très originales : ici, la baïonnette mais aussi le rire des soldats. La seconde partie (« N’allez pas là-bas ! Le départ ») nous permet de redécouvrir Roger Martin du Gard, Blaise Cendrars, Ernest Hemingway et John Dos Passos, et se termine sur une évocation des contingents coloniaux dans la guerre. La troisième (« Le front des camarades ») s’arrête sur Pierre Drieu La Rochelle, Henry de Montherlant et Charles Péguy.
Au fil des chapitres qui suivent, nous croisons Jean Giono, Romain Rolland, Stefan Zweig, Louis Aragon, Ernst Jünger, Georges Duhamel, Robert Graves, Maurice Genevoix, Georges Bernanos, Louis-Ferdinand Céline, Jules Romains, Roland Dorgelès, Henri Barbusse et Jean Cocteau. Des noms connus, certes, mais dont le rôle et la place à l’époque ont parfois été oubliés et dont France Marie Frémeaux nous propose de nombreux extraits et citations. Les différentes œuvres de ces auteurs sont précisées, même les moins célèbres, et, aussi souvent que possible, par d’heureuses digressions, elle nous fait (re)connaître d’autres poètes, essayistes, romanciers tombés aujourd’hui dans l’oubli et l’anonymat, mais qui n’en ont pas moins été des écrivains combattants, acteurs et témoins reconnus à l’époque.
Non pas un livre d’histoire stricto sensu donc, mais une très utile contribution à la compréhension de ce que fut la Grande Guerre d’une part, de ses représentations durant l’entre-deux-guerres et de son écho jusqu’à nous d’autre part. L’ouvrage se termine sur une solide bibliographie complémentaire (pp. 355-361) et un très complet index des noms de personnes (pp. 363-376). À lire, à feuilleter puis à reprendre, à savourer page après page.