Nicolas Mingasson, reporter photographe, a suivi durant près d’un an la vie d’un groupe de combattants du 21e rima expédié en Afghanistan dans la région de la Kapisa, de la préparation du séjour au retour dans les foyers (au cours de ce séjour, il a accompagné le chef de ce groupe, le caporal-chef Christophe Tran Van Can dans la rédaction quotidienne d’un carnet de route qui a été publié chez Plon en 2011 sous le titre Journal d’un soldat français en Afghanistan). Ce qui s’est révélé à lui et ce qu’il nous révèle dans son livre, qui se lit comme un roman, c’est le quotidien extraordinaire de combattants qui ne sont que des « garçons ordinaires ». La force de son ouvrage réside dans des prises de vue et dans un récit qui s’accordent pour donner à voir et à lire l’intimité d’un groupe de voltigeurs se préparant à la guerre, la vivant, en revenant avec tout ce que ce retour comporte d’incompréhensions, de « mots qui ne viennent pas » ! « Pas facile de passer du famas au caddie en quelques jours. » Et à quoi servent donc « ces kilomètres de rayons de lessives, de crèmes chocolatées » quand, là-bas, des copains risquent leur peau quotidiennement ?
Nicolas Mingasson nous fait vivre des atmosphères : l’entraînement intensif avant le départ en Afghanistan, l’arrivée sur la base de Bagram, la vie dans la base avancée de Tagab, la pénétration de la « zone verte », « un rideau tiré sur un autre monde », une végétation dense, opaque, qui ombrage et masque un labyrinthe « de ruelles étroites, de murets et de murs infranchissables, de vergers quasi impénétrables ». Elle borde des axes stratégiques ; les insurgés la tiennent, y possèdent leurs refuges et menacent constamment la sécurité de ces axes. Leur ouverture périodique nécessite de pénétrer l’opacité de cette zone. Les photographies de Nicolas Mingasson jouant de clairs-obscurs, d’ombres et de lumières renforcent son texte pour rendre compte de la progression des marsouins, lente, oppressante. « Sous une chaleur écrasante », avançant lourdement sous la charge des équipements, des munitions, du gilet pare-balles, ils passent de l’obscurité sécurisante d’une ruelle à l’aveuglante clarté d’un carrefour où la mort peut être embusquée. À chaque croisement de rues, la clarté est aveuglante… Comme un signe de menace mortelle pour le voltigeur de tête qui va devoir s’y engager !
À cette opacité du terrain se conjugue celle de la population. On est loin d’une « conquête des cœurs et des esprits » ! Nicolas Mingasson met le doigt sur le fossé qui existe entre les situations que vivent les soldats français et les prescriptions précautionneuses de règles d’engagement. Tout est flou, tout est trouble. « Qui est qui, qui fait quoi ? » Les marsouins croisent du regard des visages impénétrables : est-ce un simple paysan, un insurgé, un informateur ? Au bout de quelques semaines de séjour, à leurs yeux, les civils qu’ils croisent, « gamins ou vieux, hommes ou femmes, tous sont suspects. De cacher une arme ou une ceinture d’explosifs, de renseigner les insurgés… Alors les hommes n’ont pas d’états d’âme quand il s’agit d’empêcher un civil de rejoindre son village, de fouiller le même homme pour la quatrième fois, de garder un gamin au milieu du groupe pour qu’il ne sorte pas du dispositif » et, d’une façon ou d’une autre, n’alerte les insurgés. « Il y a des risques qu’on ne peut pas prendre » lui déclare Christophe, le chef du groupe que suit Nicolas Mingasson. Et, comme pour souligner le propos, l’auteur enchaîne sur l’incident que lui rapporte l’un des membres du groupe. « Un gamin a débouché au bout d’une ruelle à moins de cinquante mètres de moi. Ça a été très vite. À peine le temps de comprendre qu’il était armé d’une kalach’ que ce petit con nous balançait une rafale ! Un gamin ! Il avait quatorze ans, pas plus. »
Cet ouvrage constitue un bel hommage, un salut respectueux aux cinquante mille soldats français qui ont vécu cette guerre lointaine. Comme le note Nicolas Mingasson, ces combattants qui « rêvent de drapeaux français agités à leur retour » éprouvent le sentiment profond de ne pas être connus et reconnus. Alors, en parcourant ces pages qui les racontent, on s’interroge. Pourquoi aujourd’hui tant de colloques, d’écrits et de paroles abstraites sur la guerre, sur cette guerre, sur ce qu’il faut faire, ne pas faire, sur ce qu’il aurait fallu faire, sur les valeurs militaires, sur celles de nos unités ? Et pourquoi ce silence sur les réalités parfois dérangeantes que vivent nos soldats dans la guerre, pourquoi ce mutisme sur leur quotidien, sur ce qui se passe en pratique et non en théorie, sur leurs peurs et sur leur courage ordinaire ? Nicolas Mingasson a délibérément éprouvé le désir de rompre ce silence. Puisse ce livre attachant faire écho et faire école.